On conçoit qu'il faut que le caractère qui doit laisser son empreinte sur le papier, soit tourné dans le sens opposé à l'empreinte. Exemple, pour que le caractère B donne l'empreinte B, il faut que ce caractère soit disposé comme le voici ; car si l'on suppose un papier appliqué sur ce , de manière qu'il en reçoive l'empreinte, il est évident que quand on retournera le papier pour apercevoir l'empreinte laissée, les parties de ce qui étaient à gauche, se trouvant à droite, et celles qui étaient à droite, se trouvant à gauche, on ne verra plus la figure , mais la figure B. C'est précisément comme si le papier étant transparent, on regardait le caractère par derrière. C'est-là ce qui rend la lecture d'une forme difficîle à ceux qui n'en ont pas l'habitude. Voyez IMPRIMERIE, FORME.

On conçoit encore que si l'on avait autant de ces petits caractères en relief, qu'il en peut entrer dans l'Ecriture, et qu'on possédât l'art de les arranger comme ils le doivent être pour rendre l'écriture ; de les enduire de quelque matière colorante, et d'appliquer dessus fortement du papier, de manière que ce papier ne se chargeât que des figures des caractères disposés, on aurait l'art le plus utîle qu'on put désirer, celui de multiplier à peu de frais et à l'infini les exemplaires des bons livres pour lesquels cet art devrait être réservé ; car il semble que l'Imprimerie mettant les productions de l'esprit humain entre les mains de tout le monde, il ne faudrait imprimer de livres que ceux dont la lecture ne peut nuire à personne.

Cet art suppose celui de faire les caractères, et celui de les employer : l'art de faire les caractères se distribue en deux autres, celui de préparer les poinçons nécessaires pour la fonte des caractères, et l'art de fondre ces caractères à l'aide des poinçons.

On peut donc distribuer l'art d'imprimer en trois parties : l'art de graver les poinçons, première partie ; l'art de fondre les caractères, seconde partie ; l'art d'en faire usage, auquel nous avons restreint le nom d'Imprimerie, troisième partie.

Nous allons exposer ici l'art de graver les poinçons, et celui de fondre les caractères. Quant à celui d'employer les caractères, on le trouvera à l'article IMPRIMERIE, avec l'historique détaillé de l'art entier.

De la gravure des poinçons. On peut regarder les Graveurs des poinçons comme les premiers auteurs de tous les caractères mobiles, avec lesquels on a imprimé depuis l'origine de l'Imprimerie : ce sont eux qui les ont inventés, corrigés et perfectionnés par une suite de progrès longs et pénibles, et qui les ont portés dans l'état où nous les voyons.

Avant cette découverte, on gravait le discours sur une planche de bois, dont une seule pièce faisait une page, ou une feuille entière : mais la difficulté de corriger les fautes qui se glissaient dans les planches gravées, jointe à l'embarras de ces planches qui se multipliaient à l'infini, inspira le dessein de rendre les caractères mobiles, et d'avoir autant de pièces séparées, qu'il y avait de figures distinctes dans l'écriture.

Cette découverte fut faite en Allemagne vers l'an 1440 ; l'utilité générale qu'on lui trouva, en rendit les succès très-rapides. Plusieurs personnes s'occupèrent en même temps de sa perfection ; les uns s'unissant d'intérêt avec l'inventeur ; d'autres volant, à ce qu'on prétend, une partie du secret pour faire société à part, et enrichir l'art naissant de leurs propres expériences ; de manière qu'on ne sait pas au juste qui est le véritable auteur de l'art admirable de la Gravure des poinçons et de la Fonderie des caractères, plusieurs personnes y ayant coopéré presqu'en même temps ; cependant on en attribue plus communément l'honneur à Jean Guttemberg, gentilhomme allemand. Voyez l'article IMPRIMERIE.

Les Graveurs de caractères sont peu connus dans la république des Lettres. Par une injustice dont on a des exemples plus importants, on a attribué aux Imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions, une réputation et des éloges que devaient au moins partager avec eux les ouvriers habiles qui avaient gravé les poinçons sur lesquels les caractères avaient été fondus ; sans les difficultés de l'art typographique qui sont grandes, ce serait comme si l'on eut donné à un Imprimeur en taille-douce la gloire d'une belle estampe, dont il aurait acheté la planche, et vendu au public des épreuves imprimées avec soin.

On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs, des Etiennes, et autres Imprimeurs, que la beauté et la netteté de leurs caractères ont rendus célèbres, sans observer qu'ils n'en étaient pas les auteurs, et qu'ils n'auraient proprement que montré l'ouvrage d'autrui, s'ils n'avaient travaillé à le faire valoir par les soins d'une impression propre et soignée.

Nous ne prétendons point ici déprimer l'art appelé proprement Typographique ; il a ses règles, qui ne sont pas toutes faciles à bien observer, et sa difficulté qu'on ne parvient à vaincre que par une longue habitude du travail. Ce travail se distribue en plusieurs branches qui demandent chacune un talent particulier. Mais n'est-ce pas assez pour l'Imprimeur de la louange qui lui revient du mécanisme de la composition, de la propreté de l'impression, de la pureté de la correction, etc. sans lui transporter encore celle qui appartient à des hommes qu'on a laissés dans l'oubli, quoiqu'on leur eut l'obligation de ce que l'Imprimerie a de plus beau ? Car une chose qui doit étonner, c'est que les Ecrivains qui ont fait en différents temps l'histoire de l'Imprimerie, qui en ont suivi les progrès, et qui se sont montrés les plus instruits sur cet objet, se sont fort étendus sur le mérite des Imprimeurs, sans presque dire un mot des Graveurs en caractères ; quoique l'Imprimeur ou plutôt le Typographe, ne soit au Graveur que comme un habîle chanteur est à un bon compositeur de musique.

C'est pour rendre à ces artistes la gloire qui leur est dû., que M. Fournier le jeune, lui-même habîle fondeur et graveur en caractères à Paris, en a fait mention dans un livre de modèles de caractères d'Imprimerie, qu'il a publié en 1742. Il a mis au nombre de ceux qui se sont distingués dans l'art de graver les caractères, Simon de Collines, né dans le village de Gentilly près Paris ; il gravait en 1480 des caractères romains, tels que ceux que nous avons aujourd'hui. Alde Manuce faisait la même chose et dans le même temps à Venise. Claude Garamond, natif de Paris, parut en 1510, et porta ce travail au plus haut point de perfection qu'il ait jamais acquis, soit par la figure des caractères, soit par la justesse et la précision avec lesquelles il les exécuta.

Vers le commencement de ce siècle on a perfectionné quelques lettres, mais on n'a rien ajouté à l'exactitude et à l'uniformité que Garamond avait introduites dans son art. Ce fut lui qui exécuta, par ordre de François 1er. les caractères qui ont tant fait d'honneur à Robert Etienne. Robert Granjean aussi de Paris, fils de Jean Granjean, imprimeur et libraire, grava de très-beaux caractères grecs et latins ; il excella dans les caractères italiques. Il passa à Lyon en 1570 ; il y travailla huit ans, au bout desquels il alla à Rome où le pape Grégoire XIII. l'avait appelé.

Les caractères de ce graveur ont été plus estimés que ceux d'aucun de ses contemporains : ils étaient dans le même gout, mais plus finis. Les frappes ou matrices s'en sont fort répandues en Europe, et elles servent encore en beaucoup d'endroits.

Le goût de ces italiques a commencé à passer vers le commencement du dix-huitième siècle : cette espèce de révolution typographique fut amenée par les sieurs Granjean et Alexandre, graveurs du roi, dont les caractères servent à l'Imprimerie royale. En 1742, M. Fournier le jeune que nous avons déjà cité avec éloge, les approcha davantage de notre manière d'écrire, par la figure, les pleins et les déliés qu'il leur donna. Voyez l'article ITALIQUE.

Guillaume le Bé, né à Troie. en Champagne vers l'an 1525, grava plusieurs caractères, et s'appliqua principalement aux hébreux et rabbiniques ; il travailla d'abord à Paris ; de là il alla à Venise, à Rome, etc. Il revint à Paris où il mourut. Robert Etienne a beaucoup employé de ses caractères dans ses éditions hébraïques.

Jacques de Sanlecque, né à Cauleu, dans le Boulonnais en Picardie, commença dès son extrême jeunesse à cultiver la Gravure en caractères. Il travaillait vers l'an 1558 ; il y a bien réussi.

Jacques de Sanlecque son fils, né à Paris, commença par étudier les Lettres ; il y fit des progrès, et se rendit aussi digne successeur de son père dans la Gravure. Sanlecque père et fils étaient en 1614, les seuls graveurs qu'on eut à Paris. Le fils exécuta de très-belles notes de Plein-Chant et de Musique ; plusieurs beaux caractères, entre lesquels on peut nommer le plus petit qu'on connut alors à Paris, et que nous appelons la Parisienne. Voyez PARISIENNE.

M. Fournier le jeune, juge très-compétent par la connaissance qu'il a et de son art et de l'histoire de cet art, prononce sévérement que depuis Sanlecque fils, jusqu'au commencement du dix-huitième siècle, il ne s'est trouvé en France aucun graveur en caractères tant-sait-peu recommandable. Lorsqu'il fut question de distinguer les i et les u consonnes et voyelles, il ne se trouva pas un seul ouvrier en état d'en graver passablement les poinçons ; ceux de ces anciens poinçons qu'on retrouve de temps en temps, montrent combien l'art avait dégénéré. Il en sera ainsi de plusieurs arts, toutes les fois que ceux qui les professent seront rarement employés ; on fond rarement des statues équestres ; les poinçons des caractères typographiques sont presqu'éternels. Il est donc nécessaire que la manière de s'y prendre et d'exceller dans ces ouvrages, s'oublie en grande partie.

La gravure des caractères est proprement le secret de l'Imprimerie ; c'est cet art qu'il a fallu inventer pour pouvoir multiplier les lettres à l'infini, et rendre par-là l'Imprimerie en état de varier les compositions autant qu'une langue a de mots, ou que l'imagination peut concevoir d'idées, et les hommes inventer de signes d'écriture pour les désigner.

Cette gravure se fait en relief sur un des bouts d'un morceau d'acier, d'environ deux pouces géométriques de long, et de grosseur proportionnée à la grandeur de l'objet qu'on y veut former, et qui doit y être taillé le plus parfaitement qu'il est possible, suivant les règles de l'art et les proportions relatives à chaque lettre ; car c'est de la perfection du poinçon, que dépendra la perfection des caractères qui en émaneront.

On fait les poinçons du meilleur acier qu'on peut choisir. On commence par arrêter le dessein de la lettre : c'est une affaire de goût ; et l'on a Ve en différents temps les lettres varier, non dans leur forme essentielle, mais dans les rapports des différentes parties de cette forme entr'elles. Sait le dessein arrêté d'une lettre majuscule B, que nous prendrons ici pour exemple ; cette lettre est composée de parties blanches et de parties noires. Les premières sont creuses, et les secondes sont saillantes.

Pour former les parties creuses, on travaille un contre-poinçon d'acier de la forme des parties blanches (Voyez Planche III. de la Gravure, fig. 52. le contre-poinçon de la lettre B) ; ce contre-poinçon étant bien formé, trempé dur, et un peu revenu ou recuit, afin qu'il ne s'égraine pas, sera tout prêt à servir.

Le contre-poinçon fait, il s'agit de faire le poinçon : pour cela on prend de bon acier ; on en dresse un morceau de grosseur convenable, que l'on fait rougir au feu pour le ramollir, on le coupe par tronçons de la longueur dont nous avons dit plus haut. On arrondit un des bouts qui doit servir de tête, et l'on dresse bien à la lime l'autre bout ; en sorte que la face soit bien perpendiculaire à l'axe du poinçon ; ce dont on s'assurera en le passant dans l'équerre à dresser sur la pierre à l'huile, ainsi qu'il sera expliqué ci-après. On observe encore de bien dresser deux des longues faces latérales du poinçon, celles qui doivent s'appliquer contre les parois internes de l'équerre à dresser. On fait une marque de repaire sur une de ces faces ; cette marque sert à deux fins : 1°. à faire connaître le haut ou le bas de la lettre, selon le côté du poinçon sur lequel elle est tracée ; 2°. à faire que les mêmes faces du poinçon regardent à chaque fois qu'on le remet dans l'équerre, les faces de l'équerre contre lesquelles elles étaient appliquées la première fais. Cette précaution est très-essentielle ; sans elle on ne parviendrait jamais à bien dresser la petite face du poinçon, sur laquelle la lettre doit être pour ainsi dire découpée.

Lorsqu'on a préparé le poinçon, comme nous venons de le prescrire, on le fait rougir au feu, quand il est très-gros ; quand il ne l'est point, il suffit que l'acier soit recuit, pour recevoir l'empreinte du contre-poinçon ; on le serre dans un tas dans lequel il y a une ouverture propre à le recevoir. On l'y affermit par deux vis, la face perpendiculaire à l'axe tournée en haut ; on présente à cette face le contre-poinçon qu'on enfonce à coups de masse, d'une ligne ou environ, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainsi l'empreinte des parties creuses de la lettre.

Cette opération faite, on retire le contre-poinçon, on ôte le poinçon du tas ; on le dégrossit à la lime, tant à sa surface perpendiculaire à l'axe, qu'à sa surface latérale ; on le dresse sur la pierre à l'huîle avec l'équerre. Il y en a qui tracent quelquefois avec une pointe d'acier bien aiguë, le contour extérieur des épaisseurs des parties saillantes de la lettre : mais quand le contre-poinçon est bien fait, le graveur n'a qu'à se laisser diriger par la forme. On enlève à la lime les parties qui sont situées hors du trait de la pointe aiguë, quand on s'en sert, ce qui arrive toujours dans la gravure des vignettes ; on observe bien de ne pas gâter les contours de la lettre, en emportant trop. On dresse la lettre sur la pierre à huîle pour enlever les rebarbes que la lime a occasionnées ; on finit la lettre à la lime, et quelquefois au burin, ne laissant à cette extrémité que la lettre seule, telle qu'on voit la lettre B, fig. 52. même Planche III. Cette figure montre le poinçon de la lettre B achevé ; on voit que la lime a enlevé en talud les parties qui excédaient les contours de cette lettre.

L'équerre à dresser, qu'on voit fig. 53. est un morceau de bois ou de cuivre formé par deux parallèlepipedes ABCD, ABEF, qui forment un angle droit sur la ligne A B ; en sorte que quand l'équerre est posée sur un plan, comme dans la figure 51. cette ligne A B soit perpendiculaire au plan. La partie inférieure de l'équerre, celle qui pose sur le plan, est garnie d'une semelle d'acier ou d'autre métal, bien dressée sur la pierre à huile, qui doit être elle-même parfaitement plane. On place le poinçon dans l'angle de l'équerre ; on l'y assujettit avec le pouce, et avec le reste de la main dont on tient l'équerre extérieurement, on promene le tout sur la pierre à huîle sur laquelle on a soin de répandre un peu d'huîle d'olive. La pierre use à la fois et la semelle de l'équerre et la partie du poinçon. Mais comme l'axe du poinçon conserve toujours son parallélisme avec l'arête angulaire de l'équerre A B, et que l'équerre à cause de la grande étendue de sa base, ne perd point sa direction perpendiculaire au plan de la pierre ; il s'ensuit qu'il en est de même du poinçon, qu'il est dressé et que le plan de la lettre est bien perpendiculaire à l'axe du poinçon.

Quand le poinçon a reçu cette façon, on le trempe pour le durcir. On le fait ensuite un peu revenir ou recuire, afin qu'il ne s'égraine pas quand on s'en servira pour marquer les matrices ; c'est de sa ferme consistance que dépend sa dureté et sa bonté. Trop dur, il se brise facilement ; trop mou, les angles de sa lettre s'émoussent, et il faut revenir à la taille et à la lime.

Tous les poinçons des lettres d'un même corps doivent avoir une hauteur égale, relativement à leur figure. Les capitales doivent être toutes de même grandeur entr'elles, et de la hauteur des minuscules b, d, l, etc. et autres lettres à queue ; il en est de même de p, q, par en-bas. Les minuscules sont aussi égales entr'elles, mais d'un calibre plus petit, comme m, a, etc. On les égalise avec un calibre ; ce calibre est un morceau de laiton plat dans lequel sont trois entailles, la plus grande pour les lettres pleines, telles que j long, Q capital, etc. la seconde pour les lettres longues qui sont les capitales, les minuscules longues, telles que d, b, p, q, etc. la troisième pour les minuscules, comme m, a, c, e. La lettre du poinçon qu'on présente à l'une de ces entailles, doit la remplir exactement : de sorte qu'après que les caractères sont fondus, leurs sommets et leurs bases se trouvent précisément dans la même ligne, ainsi qu'on voit dans l'exemple suivant etc.

Les poinçons faits, ils passent entre les mains du Fondeur, qui doit veiller à ce que les poinçons qu'il achète ou qu'il fait, aient l'oeil bien terminé et d'une profondeur suffisante, et que les bases et sommets des lettres se renferment bien entre des parallèles. On commence ordinairement par le poinçon de la lettre M, et c'est lui qui sert de règle pour les autres.

De la Fonderie en caractères. La Fonderie en caractères est une suite de la gravure des poinçons. Le terme Fonderie en caractères a plusieurs acceptions : il se prend ou pour un assortiment complet de poinçons et de matrices de tous les caractères, signes, figures, etc. servant à l'Imprimerie, avec les moules, fourneaux, et autres ustensiles nécessaires à la fonte des caractères ; ou pour le lieu où l'on fabrique les caractères, ou pour l'endroit où l'on prépare le métal dont ils sont formés ; ou enfin pour l'art même de les fondre : c'est dans ce dernier sens que nous en allons traiter particulièrement.

La Fonderie en caractères est un art libre. Ceux qui l'exercent ne sont point sujets à maitrise, à réception, ou visites. Ils jouissent néanmoins des privilèges, exemptions et immunités attribués à l'Imprimerie, et sont réputés du corps des Imprimeurs.

Cet art est peu connu, parce que le vulgaire ne fait point de distinction entre Fonderie et Imprimerie, et s'imagine que l'impression est l'ouvrage de l'imprimeur, comme un tableau est l'ouvrage d'un peintre. Il y a peu d'endroits où l'on exerce cet art : à peine compte-t-on douze fonderies en caractères en France : de ces douze fonderies, il y en a plus de la moitié à Paris.

Les premiers Fondeurs étaient Graveurs, Fondeurs, et Imprimeurs ; c'est-à-dire qu'ils travaillaient les poinçons, frappaient les matrices, tiraient les empreintes des matrices, les disposaient en formes, et imprimaient : mais l'art s'est divisé en trois branches, par la difficulté qu'il y avait de réussir également bien dans toutes.

On peut observer sur les ouvriers qui ne sont que Fondeurs, ce que nous avons observé sur ceux qui ne sont qu'Imprimeurs, c'est qu'ils ne font les uns et les autres que prendre des empreintes, les uns sur le métal, les autres sur le papier. Que les caractères soient beaux ou laids, ils n'en sont ni à louer ni à blâmer ; chacun d'eux coopère seulement à la beauté de l'édition, les Imprimeurs par la composition et le tirage, les Fondeurs par le soin qu'ils doivent avoir que les caractères soient fondus exactement suivant les règles de l'Art ; c'est-à-dire que toutes les lettres de chaque corps soient entr'elles d'une épaisseur et d'une hauteur égale, que tous les traits de chacune des lettres soient bien de niveau, et également distants les uns des autres ; que toutes les lettres des caractères romains soient droites et parfaitement perpendiculaires ; que celles des italiques soient d'une inclinaison bien uniforme ; et ainsi des autres caractères suivant leur nature : toutes choses que nous allons expliquer plus en détail.

Lorsque le Fondeur s'est pourvu des meilleurs poinçons, il travaille à former des matrices : pour cet effet il prend le meilleur cuivre de rosette qu'il peut trouver ; il en forme à la lime de petits parallèlepipedes longs de quinze à dix-huit lignes, et d'une base et largeur proportionnées à la lettre qui doit être formée sur cette largeur. Ces morceaux de cuivre dressés et recuits, sont posés l'un après l'autre sur un tas d'enclume : on applique dessus à l'endroit qui convient, l'extrémité gravée du poinçon ; et d'un ou de plusieurs coups de marteau, on l'y fait entrer à une profondeur déterminée depuis une demi-ligne jusqu'à une ligne et demie.

Par cette opération, le cuivre prend exactement la forme du poinçon, et devient un véritable moule de corps de lettres semblables à celles du poinçon ; et c'est par cette raison qu'on lui a donné le nom de matrice. Le nom de moule a été réservé pour un assemblage, dont la matrice n'est que la partie principale.

La matrice ainsi frappée n'est pas parfaite, eu égard à la figure dont elle porte l'empreinte : il faut soigneusement observer que sa face supérieure, fig. 13. Pl. II. de la Fonderie en caractères, sur laquelle s'est faite l'empreinte du poinçon, soit exactement parallèle à la lettre imprimée sur elle, et que les deux faces latérales soient bien perpendiculaires à celle-ci. On remplit la première de ces conditions en enlevant à la lime la matière qui excède le plan parallèle à la face de la lettre ; et la seconde, en usant de la lime et de l'équerre.

Cela fait, on pratique les entailles a, b, c, qu'on voit fig. 12. et 13. Les deux entailles a, b, placées l'une en-dessus, et l'autre en-dessous fig. 13. à la même hauteur, servent à attacher la matrice au moule : l'autre entaille c reçoit l'extrémité de l'arc ou archet qui appuie la matrice contre le moule, ainsi que nous l'allons expliquer.

Le moule est l'assemblage d'un grand nombre de parties, dont on peut considérer la somme comme divisée en deux.

Toutes les pièces de chacune de ces deux moitiés de moule, sont assujetties les unes aux autres par des vis et par des écrous, et sont toutes de fer bien dressé et bien poli, à l'exception des deux extérieures qui sont de bois, et qu'on appelle par cette raison le bois du moule. Ce revêtement garantit les mains de l'ouvrier de la chaleur que le métal fondu qu'on jette continuellement dans le moule, ne manque pas de lui communiquer.

Les deux premières parties qu'on peut considérer dans le moule, sont celles qu'on voit Planche II. de la Fonderie en caractères, fig. 20 et 21. La fig. 20 représente la platine vue en-dedans, et garnie de toutes ses pièces : la fig. 21 la même platine, ou sa semblable, mais vue du côté opposé, c'est sur les platines que l'on assujettit toutes les autres pièces ; elles leur servent, pour ainsi dire, de point d'appui, comme on Ve voir. La première pièce qu'on ajuste sur la platine est la pièce B ; fig. 1. 2. 3. 17. 20. on l'appelle longue pièce : elle et sa semblable sont en effet les plus longues du moule (On observera que les mêmes pièces dans les différentes figures sont marquées des mêmes lettres). Cette longue pièce qui a dix lignes de large, et qui est épaisse à discrétion, est fourchue par l'une de ses extrémités X, fig. 17 et 20, et reçoit par ce moyen la tête de la potence de l'autre moitié, à laquelle elle sert de coulisse : il ne faut pas oublier que les deux moitiés du moule sont presque entièrement semblables, et que toutes les pièces dont nous avons déjà parlé, et dont nous allons faire mention dans la suite, sont doubles ; chaque moitié du moule a la sienne.

La longue pièce est fixée sur la platine par une vis à tête ronde b, fig. 18. qui après avoir passé par le trou b, fig. 21. Ve s'envisser dans le trou taraudé fait à la longue pièce à la hauteur de la fourchette X. Ce trou taraudé ne traverse pas entièrement l'épaisseur de la longue pièce, qui a à son extrémité opposée un trou carré d, fig. 17 et 18, qui reçoit le tenon carré de la potence, fig. 9 et 10.

Avant que de placer la potence D, on applique un des blancs C, qu'on voit fig. 14 et 15, assemblés avec la potence. Ces blancs ont la même largeur que les longues pièces. Leur longueur est un peu moindre que la moitié de celle de la longue pièce : elles ont la même épaisseur que celle du corps que l'on veut fondre dans le moule.

Le blanc appliqué sur la longue pièce, comme on voit fig. 20. est percé d'un trou carré semblable à celui que l'on voit fig. 7. Ce trou carré reçoit le tenon carré x de la potence, fig. 9 et 10. Le tenon traverse le blanc, la longue pièce, et la platine, et fixe toutes ces pièces ensemble.

Le nez D de la potence se jette du côté de l'extrémité la plus prochaine de la longue pièce. Son extrémité m faite en vis, reçoit un écrou qui le contient. On voit cet écrou en d, fig. 21.

Ces écrous qui sont à pans se tournent avec la clé ou le tourne-écrou de la fig. 26.

Le blanc peut encore être fixé sur la platine par une vis à tête perdue, qui traverserait la platine ; la longue pièce entrerait dans l'épaisseur du blanc, et s'y arrêterait : mais cela n'est plus d'usage.

Au-dessus des longues pièces et des blancs, on place les jets A, fig. 5. et 6. comme on les voit fig. 20. Ces jets sont des moitiés d'entonnoirs pyramidaux, dont les faces extérieures sont perpendiculaires les unes aux autres. Celles de ces faces qui s'appliquent sur la platine, sur le blanc, et sur la longue pièce, doivent s'y appliquer exactement. Quand les deux moitiés du moule sont réunies, il est évident que les jets forment une trémie, dont la plus petite ouverture est en en-bas. Leurs faces inclinées A, fig. 20. doivent un peu excéder les faces de la longue pièce et du blanc, afin de former un étranglement au métal fondu qu'on versera dans le moule, et afin de déterminer en même temps le lieu de la rupture du superflu de matière qu'on y versera, et faciliter cette rupture. Voyez les fig. 2, 3 et 20, où cette saillie des faces inclinées des jets est sensiblement marquée.

Chaque jet porte une vis, qu'on voit fig. 6. par le moyen de laquelle et d'un écrou, on fixe cette pièce sur la platine, comme on le voit en a, fig. 21. La partie de cette vis ou tenon vissé qui répond à l'épaisseur de la platine, est carrée, et entre dans un trou de même figure ; ce qui empêche le jet de vaciller : inconvénient qui est encore prévenu par l'application exacte de l'une de ces faces contre la platine, et de l'autre contre la longue pièce et le blanc.

Au-dessous du trou carré d de la longue pièce est une vis f fixée en queue d'aronde dans cette longue pièce. Cette vis au moyen d'un écrou F, fig. 20, assujettit la pièce E, fig. 19, qu'on appelle registre. La partie de la vis ou du tenon vissé f qui se loge dans l'épaisseur du registre, est carrée et entre dans une mortaise plus longue que large ; ce qui donne la commodité d'avancer ou de reculer le registre à discrétion, et de laisser entre son extrémité E, fig. 20. et l'extrémité ou l'angle saillant du blanc, tant et si peu de distance que l'on voudra. L'écrou F sert à l'affermir dans la situation convenable.

Chaque platine porte à sa partie postérieure une vis G, qu'on voit fig. 21. elle traverse une petite planche appelée bois, qui a la forme et la grandeur de la platine, au derrière de laquelle on la fixe par le moyen d'un écrou ; et pour que la platine et le bois s'appliquent plus exactement l'une contre l'autre, on a pratiqué au bois des cavités propres à recevoir les vis, écrous, et autres parties saillantes qu'on voit à la partie postérieure de la platine, fig. 21.

Les deux moitiés semblables du moule construites comme nous venons de l'expliquer, et comme on les voit fig. 2. et 3, s'ajustent exactement, et forment un tout qu'on voit fig. 1. La potence de l'une entre dans l'entaille fourchue de la longue pièce de l'autre ; et comme les entailles ont la même direction que les potences, elles se servent réciproquement de coulisses ; et il est évident qu'ainsi les blancs pourront s'approcher ou s'éloigner l'un de l'autre, en faisant mouvoir les deux moitiés du moule l'une sur l'autre.

On voit avec la même évidence que le vide formé par les jets aura la forme d'une pyramide tronquée ; et que celui qui est entre les longues pièces et les blancs, aura la forme d'un prisme quadrangulaire d'environ dix ligues de hauteur, d'une épaisseur constante ; celle des blancs est d'une largeur à discrétion, cette largeur augmentant ou diminuant selon qu'on tient les blancs plus ou moins près l'un de l'autre : ce qui s'exécute par le moyen des registres qu'on avance ou qu'on recule à discrétion, comme nous avons dit. Le vide du jet et celui du prisme communiquent ensemble, et ne font proprement qu'une même capacité.

Voilà bien des pièces assemblées : cependant le moule n'est pas encore formé ; il y manque la pièce principale, celle pour laquelle toutes les autres ont été inventées et disposées, la matrice. La matrice se place entre les deux registres en M, comme on la voit fig. 2. elle appuie d'un bout contre la platine de l'autre moitié, et elle est liée par son autre extrémité à l'attache. L'attache est une petite pièce de peau de mouton qu'on colle au bois d'une des parties du moule. L'attache passe entre le jimblet et le bois. On appelle jimblet une petite fiche de fer plantée dans le bois de la pièce de dessus, et qui retenant l'attache, empêche la matrice de sortir de place.

La matrice ainsi placée entre les registres, est tenue appliquée aux longues pièces et aux blancs par le ressort D C E, fig. 1. qu'on appelle l'arc ou archet : l'extrémité E de ce ressort entre dans l'entaille C de la matrice, fig. 12. et 15. et fait effort pour presser la matrice contre la platine opposée, et sur le heurtoir ou la pièce qu'on voit fig. 22. cette pièce est adossée à celle qu'on voit en m, fig. 21. rivée à la partie postérieure de la platine ; elle sert à monter ou descendre à discrétion la matrice vers l'ouverture intérieure du moule, et à mettre la lettre dans la place qu'elle doit avoir sur le corps : pour cet effet on la prend plus ou moins épaisse.

Pour empêcher la matrice de tomber, et de sortir d'entre les registres, on met entre la platine et le bois qui porte l'attache, un petit crochet qu'on voit fig. 23. ce crochet s'appelle jobet. L'anneau du jobet s'enfîle sur la tige G de la platine, fig. 21. et son crochet descend au-dessous de la matrice, et la soutient, comme on l'aperçoit en Xe fig. 2. en laissant toutefois la place de la matrice qu'il embrasse.

Outre les parties dont nous venons de parler, on peut remarquer à chaque moitié du moule, fig. 1, 2, 3, un crochet a b, dont nous expliquerons l'usage plus bas.

Il est à propos, avant que de fermer le moule, d'observer à la partie supérieure de la longue pièce représentée fig. 17, un demi-cylindre a b, placé à deux lignes au-dessous ou environ de son arrête supérieure : ce demi-cylindre qu'on appelle cran, est une pièce de rapport qui traverse la longue pièce, et dont la partie saillante est arrondie : mais comme cette partie saillante empêcherait le blanc de l'autre moitié de s'appliquer exactement à la longue pièce qui la porte, on a pratiqué à cette moitié un canal concave dans le blanc. Ce canal hémi-cylindrique reçoit le demi-cylindre. On voit ce canal en b a, fig. 15.

Voilà tout ce qui concerne la structure du moule, qui est une des machines les plus ingénieuses qu'on pouvait imaginer, ainsi qu'on achevera de s'en convaincre par ce que nous allons dire de la fonte.

Le moule est composé de douze pièces principales, dont nous avons fait mention. Toutes ces pièces de fer ont été bien limées, et sont bien jointes ; elles forment avec les autres un tout, qui a depuis deux pouces de long jusqu'à quatre, suivant la grosseur du caractère, sur deux pouces environ de large, contenant sur son plan horizontal au moins quarante pièces de morceaux distincts. Les deux portions presque semblables dans lesquelles il se divise s'appelent, l'une pièce de dessus, l'autre pièce de dessous : c'est celle qui porte l'archet qu'on appelle pièce de dessous.

La première opération qu'on ait à faire quand on a construit et disposé le moule, est de préparer la matière dont les caractères doivent être fondus. Pour cet effet, prenez du plomb et du régule d'antimoine, fondez-les séparément ; mêlez-les ensuite, mettant quatre cinquiemes de plomb et un cinquième de régule ; et ce mélange vous donnera un composé propre pour la fonte des caractères.

Ou, prenez de l'antimoine crud, prenez égale quantité de potin ; mettez le tout ensemble avec du plomb fondu, et vous aurez une autre composition.

La précédente est préférable à celle-ci, qu'il semble qu'on a abandonnée en France depuis une vingtaine d'années, parce qu'on a trouvé que le potin et l'antimoine faisaient beaucoup de scories, rendaient la matière pâteuse, et exigeaient beaucoup plus de feu.

Au reste nous pouvons assurer en général que la matière dont on fond les caractères d'Imprimerie est un mélange de plomb et de régule d'antimoine, où le dernier de ces ingrédiens corrige la mollesse de l'autre.

Cette fonte se fait dans un fourneau, tel que celui qui occupe le milieu de la vignette, Planche I. de Fonder. il est divisé en deux parties, l'une et l'autre de brique. Celle qui répond à la fig. 4. est un fourneau sur lequel on a établi une chaudière de fonte, dans laquelle le plomb est en fusion : cette chaudière est chauffée avec du bois, comme on voit ; la fumée s'échappe par une ouverture qu'on peut distinguer sur le fond, et suit la cheminée qui est commune aux deux fourneaux.

Le second fourneau qui correspond à la figure 3. même vignette, est un fourneau proprement dit : à sa partie supérieure est l'ouverture du fourneau ; l'inférieur est un cendrier ; elles sont séparées par une grille horizontale : cette grille soutient un creuset qui contient le régule d'antimoine, et les charbons allumés qui servent à le mettre en fusion. Le feu est excité par le courant d'air qui se porte à la grille. On recommande aux ouvriers occupés à ce fourneau de l'opération qu'ils y ont à faire, de se garantir avec soin de la vapeur du régule, qu'on regarde comme un poison dangereux : mais c'est un préjugé ; l'usage du régule n'expose les Fondeurs à aucune maladie qui leur soit particulière, sa vapeur n'est funeste tout au plus que pour les chats : les premières fois qu'ils y sont exposés, ils sont attaqués de vertiges d'une nature si singulière, qu'après s'être tourmentés pendant quelque temps dans la chambre où ils sont forcés de la respirer, ils s'élancent par les fenêtres : j'en ai Ve deux fois l'expérience dans un même jour. Mais quand ils en réchappent, et qu'ils ne périssent pas dans les premiers accès, ils n'ont plus rien à redouter des seconds ; ils se font à la vapeur qui les avait d'abord si violemment agités, et vivent fort bien dans les fonderies.

Le régule fondu dans le creuset est versé en quantité suffisante dans la chaudière qui contient le plomb : l'ouvrier 4. prend le mélange avec une cuillière, et le verse dans les moules ou lingotières qui sont à ses pieds : on voit aussi sur le plancher des tenailles pour le creuset, son couvercle, une cuillière, et d'autres outils au service de la fonderie.

Le rapport entre le plomb et l'antimoine n'est pas le même pour toute sorte de caractères : la propriété de l'antimoine étant de donner du corps au plomb, on en mêle plus ou moins, selon que les caractères qu'on a à fondre sont plus ou moins gros ; les petits caractères n'étant pas aussi propres à résister à l'action de la presse que les gros, on les fond de la matière que les ouvriers appellent matière forte, et ceux-ci de celle qu'ils appellent matière faible. La matière forte destinée pour les petits caractères, est un mélange de régule et de plomb, où le premier de ces ingrédiens est en quantité beaucoup plus considérable, relativement à celle du plomb, que dans la matière faible.

Quand la matière ou composition est ainsi préparée et mise en lingots, elle passe dans les fourneaux des Fondeurs. Voyez ces fourneaux dans la vignette, fig. 2. et 2. à droite et à gauche. Ce fourneau est fait de la terre dont se servent les fournalistes pour la fabrique des creusets, mais moins fine ; elle est composée de ciment de pots à beurre cassés, et de terre glaise pétris ensemble : sa grandeur est de dix-huit à vingt pouces de hauteur, sur dix à douze de diamètre, et deux pieds et demi de long ; il est séparé en deux dans sa hauteur par une grille qui peut être indifféremment de terre ou de fer. On pose le bois sur cette grille ; la partie inférieure D sert de cendrier : la face supérieure est percée d'un trou rond B d'environ dix pouces de diamètre ; ce trou rond est environné d'une espèce de bourlet qui supporte la chaudière de fer A, fig. 9. on appelle cette chaudière cuillière. Cette cuillière est divisée en deux ou trois portions comme on voit ; ces divisions servent à contenir des matières de différentes forces ou qualités, suivant les ouvriers qui y travaillent, et chaque ouvrier puise dans la division qui contient la composition dont il a besoin.

Le fourneau a encore une autre ouverture H, à laquelle on adapte un autre tuyau de tole qui porte les fumées hors de l'attelier, comme on voit dans la vignette. Tout ce fourneau est porté sur un banc F G G G, au milieu de la hauteur duquel on a pratiqué une tablette F, qui sert à placer différents ustensiles.

A côté du fourneau on range plusieurs autres bancs, tels qu'on les voit dans la vignette, et au bas de la Plan. fig. 11. ce sont des espèces de tables dont le dessus est à hauteur d'appui ; ces bans sont environnés d'un rebord ; ils doivent être de deux ou trois pouces moins hauts que la partie supérieure du fourneau, à un des côtés duquel ils doivent s'arranger comme on voit dans la vignette. On a une plaque de tole ou de fer, qu'on place de manière qu'elle porte d'un bout sur le fourneau, et de l'autre sur le banc. L'usage de cette tole est de ramasser les gouttes de matière fondue qui s'échappent de la cuillière, ou que l'ouvrier rejette du moule quand il est trop plein.

Quand l'ouvrier veut fondre un caractère, il prend le moule préparé comme nous avons dit, et comme on le voit fig. 1. de la main gauche, il place l'extrémité de l'arc ou archet dans l'entaille que nous avons dit être à la partie inférieure de la matrice, afin qu'elle s'applique exactement contre les longues pièces et les parties saillantes des blancs : il presse ensuite les deux moitiés du moule, de manière que les registres soient bien placés contre les faces latérales de la matrice ; et il enduit superficiellement le fond d'un jet d'un peu d'ocre délayé dans de l'eau froide, quand la lettre est extrêmement fine. Cet enduit fait couler le métal promptement, et le précipite au fond du parallèlepipede vide, avant que rafraichi par le contact de la surface des pièces qui forment cet espace vide, il ait en le temps de se figer et de s'arrêter. On se sert de la même précaution dans l'usage du moule à réglet, dont nous parlerons plus bas. Comme dans ce moule le métal a souvent plus d'épaisseur, et qu'il a beaucoup de chemin à parcourir, il n'en est que plus disposé à se figer, et à ne pas descendre jusqu'au fond du moule : c'est pourquoi l'on ne se contente pas seulement d'enduire le jet d'ocre délayé, on en enduit même toute sa surface intérieure, d'une couche à la vérité la plus légère qu'on peut : mais revenons à la fonte des caractères.

Tout étant dans cet état, le fondeur puise avec la cuillière à verser qu'on voit fig. 13. une quantité de métal fondu qu'il jette par l'espèce d'entonnoir que nous avons dit avoir été formé par les jets. Le métal fluide descend dans le prisme vide que laissent entr'elles les faces des longues pièces et des blancs, et se répand sur la surface de la matrice dont il prend toutes les formes ; de manière que quand on l'en tire, il est parfaitement semblable au poinçon qui a servi à la former. Il rapporte aussi en creux l'impression du demi-cylindre a b, fixé à une des longues pièces, et dont nous avons parlé plus haut. Ce creux qu'on appelle cran, doit toujours être à la face qui répond à la partie supérieure de la lettre : il sert aux Imprimeurs à connaître si la lettre est du sens dont elle doit être, ou si elle est renversée. Voyez l'article IMPRIMERIE. Les deux opérations de puiser dans le moule avec la cuillière et de verser dans le moule, sont représentées fig. 5. et 6. de la vignette.

Il y a ici une chose importante à observer, c'est que dans le même instant que l'on verse la matière dans le moule, on doit donner à celui-ci une secousse en-haut, afin que la matière qui descend en sens contraire, frappe avec plus de force le fond de la matrice, et en prenne mieux l'empreinte.

Après que l'ouvrier a versé son métal, il remet sa cuillière sur le fourneau, et il se dispose à ouvrir le moule : pour cet effet, il commence par déplacer l'arc ou archet, ou le ressort de l'entaille de la matrice, et le placer dans un cran fait au bois sous le heurtoir. Il ouvre le moule en séparant les deux moitiés ; et s'il arrive que la lettre reste adhérente à l'une des moitiés, il la détache avec le crochet qui est fixé sur l'autre, ce qui s'appelle décrocher. C'est ce qu'exécute la fig. 8. de la vignette : après quoi il referme le moule, replace l'arc sous la matrice, verse de la matière, et recommence la même opération jusqu'à trois ou quatre mille fois dans un seul jour.

Il ne faut pas s'imaginer que la lettre au sortir du moule soit achevée, du moins quant à ce qui regarde son corps ; car pour le caractère il est parfait ; il est beau ou laid, selon que le poinçon qui a servi à former la matrice a été bien ou mal gravé.

Quelle que soit la figure du caractère, les contre-poinçons, les poinçons, les matrices, etc. la fonte en est la même ; et il n'y a dans toutes ces opérations aucune différence de l'Arabe, au Grec, au Français, à l'Hébreu, etc.

La lettre apporte avec elle au sortir du moule une éminence de matière de forme pyramidale, adhérente par son sommet au pied de la lettre. Cette partie de matière qu'on appelle jet, est formée de l'excédent de la matière nécessaire à former les caractères, qu'on a versée dans le moule. On la sépare facilement du corps de la lettre, au moyen de l'étranglement que les plans inclinés des parties du moule appelées jets, y ont formé, ainsi que nous avons dit plus haut, et qu'on voit fig. 2. Planche II. D'ailleurs la composition que l'addition de l'antimoine rend cassante, presque comme de l'acier trempé, facilite cette séparation ; le jet séparé de la lettre s'appelle rompure.

Après que toutes les lettres sont rompues, c'est-à-dire, qu'on en a séparé les jets, qui se remettent à la fonte, on les frotte sur une meule de grès qu'on voit fig. 7. Pl. III. et qu'on appelle pierre à frotter. Cette meule a depuis quinze jusqu'à vingt-cinq pouces de diamètre ; elle est de la même sorte que celles dont se servent les Couteliers pour émoudre. Pour la rendre propre à l'opération du Fondeur en caractère, on en prend deux qu'on met à plat l'une sur l'autre ; on répand entr'elles du sable de rivière, puis on les meut circulairement, répandant de temps en temps de nouveau sable, jusqu'à ce que les petites éminences qui sont à ces pierres soient grugées, et qu'on ait rendu leurs surfaces planes et unies. Le sable en dressant les grès ou meules, ne les polit pas ; il y laisse toujours de petits grains qui servent à enlever aux caractères les bavures qui leur viennent de la fonte.

On ne peut pas frotter toutes les lettres ; il y en a, mais en plus grand nombre dans l'italique que dans le romain, dont une partie de la figure excède le corps du côté qu'on frotte. Il est évident que si on les frottait, la pierre emporterait cette partie, et estropierait la lettre : c'est pourquoi on commence par la dégager légèrement, et par en enlever un peu de matière avec un canif, afin qu'elle puisse se loger facilement dans l'espace vide que lui présentera une lettre voisine. Cette opération par laquelle on dégage la partie saillante au canif, s'appelle crener.

Après que la lettre est crenée, on la ratisse et on emporte avec le canif tout ce qu'il y a d'étranger au corps depuis l'oeil jusqu'au pied. Ces deux opérations suppléent au frottement ; les lettres crenées et ratissées s'accolent et se joignent aussi-bien que si elles avaient été frottées. Les deux faces du caractère que l'on frotte sur la meule, sont celles qui s'appliquent aux blancs du moule, quand on y verse le métal ; on donne cette façon à ces faces pour en enlever le morfîle ou la vive arrête occasionnée tant par la face du blanc d'une des moitiés que par celle de la longue pièce de l'autre moitié.

Lorsque les lettres ont été frottées ou crenées et ratissées, on les arrange dans un composteur ; le composteur qu'on voit fig. 5. Pl. III. de la Fonderie des caractères, est une règle de bois entaillée, comme on voit, sur laquelle on arrange les caractères la lettre en-haut, et tous les crants tournés du même côté ; en sorte qu'on a tous les a, rangés de cette manière, a, a, a, a, a, a, et non en celle-ci aa, a, et ainsi des autres lettres : c'est ce que l'inspection des crants indiquera facilement. Les caractères ainsi rangés dans le composteur sont transportés sur la règle de fer A B du justifieur, fig. 3. même Planche ; on les y place de manière que leur pied soit en-haut, et que le caractère porte sur la face horizontale du justifieur, qui n'est lui-même, comme on voit, qu'un composteur de fer. A cette règle, on en applique une autre C D, qui a un épaulement en C, comme celui que l'on voit en B de la première pièce fig. 3. cette règle a de plus en C et D, de petites languettes qui entrent dans les mortaises a et b de la figure 3, en sorte que, quand les deux règles fig. 3. et 4. sont appliquées l'une sur l'autre, elles enferment exactement la rangée de caractères placée sur la première règle ; ainsi il n'y a que les pieds des lettres qui excédent d'environ une ligne au-dessous des règles de fer, qui forment le justifieur.

Le justifieur ainsi garni d'une rangée de caractères, est placé entre les deux jumelles A E, C D du coupoir qu'on voit fig. 1. Planche III. Le coupoir est une sorte d'établi très-solide : sur sa table sont fortement fixées la jumelle A B, qui est une planche d'un bon pouce d'épaisseur, et la barre de fer E F, qui a un crochet E et un crochet F à chacune de ses extrémités. Le crochet F est taraudé et reçoit une vis, au moyen de laquelle on peut faire avancer la seconde règle du justifieur, que nous avons décrite ci-dessus.

Les deux règles du justifieur sont serrées l'une contre l'autre par l'autre jumelle C D, représentée par sa partie inférieure dans la fig. 2. A B, C D sont deux fortes barres de fer, dont les crochets A, C, entrent dans la table du coupoir. B D est une autre barre de fer qui porte un écrou qui reçoit la vis F, E, que l'on tourne comme celle d'un étau, par le moyen du manche F, G. Tout cet assemblage est fixé à la table du coupoir, en sorte que la jumelle C D tirée ou poussée par la vis F E, peut seule se mouvoir.

Il suit de cette description du coupoir, que si l'on tourne la vis E F, fig. 2. on fera marcher la jumelle mobîle A B, vers la jumelle immobîle C D fig. 1. et que par conséquent on fera appliquer les deux règles du justifieur contre la rangée de caractères qu'elles contiennent. Mais pour serrer les caractères les uns contre les autres, on fera tourner la vis F f. Cette vis fera couler la seconde règle du justifieur le long de la rangée de caractères, jusqu'à ce que son épaulement C fig. 4. rencontrant la rangée de caractères, les pressera et les poussera vers l'épaulement B de la première pièce fig. 3. jusqu'à ce qu'ils soient tous exactement appliqués les uns contre les autres. Cela fait, il est évident que les caractères formeront comme un corps solide contenu par ses deux extrémités entre les épaulements des deux pièces du justifieur, et selon sa longueur entre les mêmes pièces, par l'action des deux jumelles.

Mais avant que de consolider ainsi la rangée de caractères, on passe un morceau de bois dur sur leurs extrémités saillantes ou sur leurs pieds, afin de les enfoncer toutes également, et d'appliquer leur tête, ou la lettre, contre la surface de la règle horizontale du justifieur.

Lorsque tout est ainsi disposé, on coupe les caractères avec le rabot, de la manière que nous allons dire.

L'instrument qu'on voit Planche III. de la Fonderie en caractères, fig. 6. est appelé rabot. Il est composé d'un fût de fer, qu'on voit fig. 10. Sous la partie N O de ce fût, sont arrêtés avec des vis les deux guides C e, D f. Cet assemblage est surmonté d'un bois P Q qu'on voit fig. 8. ce bois sert de poignée au rabot. Il se fixe sur sa partie N O, fig. 10. comme on l'y voit fixé, fig. 6. Le fer A B du rabot se place sur la face inclinée du fût, par les deux vis G H taraudées, et entrant dans les collets que le fer traverse, et qui sont eux-mêmes fixés sur le fût par la vis que l'on voit en R. Toutes ces pièces assemblées forment le rabot de la fig. 6. Les vis se serrent avec le tourne-vis de la fig. 16. même Planche III.

Quand on veut couper les lettres, on place le rabot sur le justifieur, en sorte que les parties saillantes des lettres soient entre les guides du rabot ; on hausse ou l'on baisse le fer, qui est un peu arrondi par son tranchant, en sorte qu'il puisse emporter autant de matière que l'on souhaite.

Les règlements ont statué sur la hauteur des lettres ; il est ordonné que la lettre portera, depuis sa surface jusqu'à l'extrémité de son pied, dix lignes et demie de pied de roi. Cette hauteur n'est pas la même par-tout ; la hauteur de Hollande après d'une ligne de plus que celle de Paris ; celle de Flandre, et même de Lyon, ont plus de dix lignes. Au reste, lorsque des Imprimeurs, sans aucun égard pour les ordonnances, veulent des caractères au-dessus ou au-dessous de dix lignes et demie, on a de petites pièces qu'on ajuste au moule à fondre les caractères, entre le jet et les longues pièces.

Ces pièces s'appellent hausses ; selon que les hausses sont plus ou moins épaisses, un même moule sert à fondre des caractères plus ou moins hauts de papier ; c'est l'expression dont on se sert pour désigner la dimension dont il s'agit ici.

Le fer du rabot étant convexe, les caractères coupés auront tous une petite échancrure concave, de manière qu'étant posés sur leurs pieds, ils ne porteront, pour ainsi dire, que sur deux lignes, au lieu de porter sur une surface. On a pratiqué cette concavité aux pieds des caractères, afin qu'ils s'arrangent mieux sur le marbre de la presse, sur lequel exposant moins de surface, ils sont moins sujets à rencontrer des inégalités.

Mais ce retranchement de matière n'est pas le seul qui se fasse avec le rabot ; on est contraint d'enlever encore de l'étoffe au haut du caractère, comme on peut le voir en B, fig. 14. Ce retranchement se fait des deux côtés aux lettres qui n'ont ni tête ni queue, et seulement du côté opposé à la queue, lorsque les caractères en ont une. Le but de cette opération est de dégager encore mieux l'oeil du caractère. On voit en effet, fig. 14. que le caractère B est plus saillant que le caractère A, quoiqu'ils aient été fondus l'un et l'autre dans le même moule.

La machine représentée fig. 14. et qui contient les deux caractères A et B dont nous venons de parler, s'appelle justification ; elle sert à connaître, par le moyen du petit règlet qu'on voit fig. 13. et qu'on appelle jeton, si les traits des lettres se trouvent tous sur une même ligne. Pour cet effet, après avoir justifié les lettres m m, que nous avons dit être la première lettre que l'on fabrique, on place un a, par exemple entre les deux m, en cette sorte mam, et l'on examine si l'arrête du jeton s'applique également sur les trois caractères.

Le morceau de glace, fig. 12. et son jeton, fig. 1. servent à jauger de la même manière les épaisseurs, et l'une et l'autre de ces deux machines indique pareillement, par l'application du jeton, si les traits des lettres se trouvent tous exactement dans la même ligne droite, comme nous venons de dire.

On entend par une fonte de caractères d'Imprimerie, un assortiment complet de toutes les lettres majuscules, minuscules, accens, points, chiffres, etc. nécessaires à imprimer un discours, et fondues sur un seul corps.

Le corps est une épaisseur juste et déterminée, relative à chaque caractère en particulier ; c'est cette épaisseur qui fait la distance des lignes dans un livre, et qui donne le nom au caractère, et non l'oeil de la lettre ; cependant pour ne rien confondre, on dit fondre un Cicéro sur un corps de S. Augustin, quand on a pris ce moyen pour jeter plus de blanc entre les lignes.

Mais pour se faire une idée juste de ce qu'on appelle en Fonderie de caractères ou en Imprimerie, corps, oeil et blanc, prenez une distance ou ligne quelconque, supposez-la divisée en sept parties égales par des lignes parallèles ; supposez écrite entre ces lignes parallèles une des lettres que les Imprimeurs appellent courtes, telles que l'a, le c, l'm, etc. car ils appellent les lettres à queue, telles que le p, le q, le d, lettres longues. Supposez-la tracée entre ces parallèles de manière qu'elle ait sa base appuyée sur la troisième parallèle en montant, et qu'elle touche de son sommet la troisième parallèle en descendant, ou ce qui revient au même, que des sept intervalles égaux dans lesquels vous avez divisé la ligne, elle occupe les trois du milieu ; il est évident qu'il restera au-dessus de ces trois intervalles occupés, deux espaces vides, et qu'il en restera aussi deux vides au-dessous. Cela bien compris, il ne sera pas difficîle d'entendre ce que c'est que l'oeil, le corps, et le blanc. Le corps est représenté par la ligne entière ; l'oeil occupe les trois espaces du milieu, c'est la hauteur même de la lettre ; et on entend par les blancs, les deux espaces qui restent vides au-dessous et au-dessus de l'oeil.

Exemple. la ligne A B représente la hauteur du corps ; C D, le blanc d'en-haut ; D E, l'oeil ; E F, le blanc d'en-bas. C D, forme dans une page imprimée la moitié de l'espace blanc qui est entre une ligne et sa supérieure ; et E F, la moitié de l'espace blanc qui est entre la même ligne et son inférieure.

Il y a des lettres qui occupent toute la hauteur du corps, telle est l'j consonne avec son point, comme on voit dans l'exemple, les Q capitales en romain, et les s et f en italique, ainsi que les signes (, §, [, etc.

Dans les lettres longues, telles que le d et le q, il faut distinguer deux parties, le corps et la queue ; le corps occupe les trois intervalles du milieu, de même que les lettres courtes, et la queue occupe les deux intervalles blancs, soit d'en-haut, soit d'en-bas, selon que cette queue est tournée. Voyez dans l'exemple le d et le q. S'il se trouve dans une ligne un q, et dans la ligne au-dessous un d, qui corresponde exactement au q, il n'y aura point d'intervalle entre les queues, les extrémités de ces queues se toucheront ; d'où il s'ensuit que voilà la hauteur relative des corps et celle des caractères déterminée ; que resterait-il donc à faire pour que la Fonderie et l'Imprimerie fussent assujetties à des règles convenables ? sinon de déterminer la largeur des lettres ou caractères, relativement à leur hauteur : c'est ce que personne n'a encore tenté. On est convenu que la hauteur du corps étant divisée en sept parties égales, la hauteur du caractère, de l'm, par exemple, serait de trois de ces parties ; quant à sa largeur, chacun suit son goût et sa fantaisie ; les uns donnent au caractère ou à l'oeil, une forme plus ou moins voisine du carré que les autres.

Nous invitons M. Fournier, à qui nous devons la table des rapports des corps entre eux, à nous donner la table des proportions des caractères entre eux dans chaque corps. Elle est bien aussi importante pour la perfection de l'art de la gravure en caractères, que la première pour la perfection et commodité de l'art d'imprimer.

Il pourra, pour cet effet, consulter les règles que les grands écrivains à la main se sont prescrites, et celles que les plus habiles graveurs ont suivies par gout.

Une observation qui se présente naturellement et qu'on ne sera pas fâché de trouver ici, c'est qu'il y a quelque rapport entre l'impression et le génie d'une langue ; par exemple, l'Allemand est extraordinairement diffus, aussi n'y a-t-il presque point de blanc entre les lignes, et les caractères sont ils extrêmement serrés sur chaque ligne : les Allemands tâchent de regagner par-là, l'espace que la prolixité de leur diction exigerait.

Les expressions oeil, corps, blanc, caractère fondu sur un corps d'un autre caractère, etc. ne doivent plus avoir rien d'obscur.

On disait corps faible et corps fort, dans le temps qu'on ignorait la proportion que les yeux des caractères devaient avoir avec leurs corps, et celle que les corps et les caractères devaient avoir avec d'autres corps et caractères. Cette ignorance a duré parmi nous jusqu'en 1742, que M. Fournier le jeune, graveur et fondeur de caractères, proposa sa table des rapports des différents corps des caractères d'Imprimerie. Nous ne tarderons pas à en faire mention. Nous observerons en attendant, qu'avant cette table on n'avait aucune règle sure pour l'exécution des caractères : chaque Imprimeur commandait des caractères suivant les modèles qu'il en trouvait chez lui, ou qu'il imaginait. Aucun n'ayant l'idée soit du corps, soit de l'oeil, par exemple, d'un véritable Cicéro, ce caractère avait autant de hauteurs de corps et d'oeil différentes qu'il y avait d'Imprimeries, et s'appelait ici faible, là fort ; ici petit oeil, là gros oeil.

On dit une fonte de Cicéro, de petit Romain, etc. lorsque ces caractères ont été fondus sur les corps de leurs noms. Les fontes sont plus ou moins grandes, suivant le besoin ou le moyen de l'Imprimeur qui les commande par cent pesant ou par feuilles. Quand un Imprimeur demande une fonte de cinq cens, il veut que cette fonte, bien assortie de toutes ses lettres, pese cinq cens. Quand il la demande de dix feuilles, il entend qu'avec cette fonte on puisse composer dix feuilles, ou vingt formes, sans être obligé de distribuer. Le fondeur prend alors ses mesures ; il compte cent-vingt livres pesant pour la feuille, y compris les quadrats et espaces, ou soixante pour la forme, qui n'est que la demi-feuille. Ce n'est pas que la feuille pese toujours cent-vingt livres, ni la forme soixante ; tout cela dépend de la grandeur de la forme, et on suppose toujours qu'il en reste dans les casses.

S'il n'entre pas dans toutes les feuilles le même nombre de lettres, ni les mêmes sortes de lettres, il est bon de remarquer que, comme il y a dans une langue des sons plus fréquents que d'autres, et par consequent des signes qui doivent revenir plus fréquemment que d'autres dans l'usage qu'on en fait en imprimant, une fonte ne contient pas autant d'a que de b, autant de b que de c, et ainsi de suite. La détermination des rapports en nombre, qu'il faut mettre entre les différentes sortes de caractères qui forment une fonte, s'appelle la police. Il est évident que la police peut varier d'une langue à une autre, mais qu'elle est la même pour toutes sortes de caractères employés dans la même langue. Pour donner une idée de la police dans notre français ; sait, par exemple, demandée une fonte de cent mille lettres. Pour remplir ce nombre de cent mille caractères, on prendra les nombres suivant de chacun. L'expérience a résolu chez les Fondeurs un problème, dont on aurait trouvé difficilement ailleurs une solution exacte. J'espère que les Philosophes et les Grammairiens jetteront les yeux avec quelque satisfaction sur cette table, et en désireront de semblables du latin, du grec, de l'anglais, de l'italien, et de la plupart des langues connues. Pour se les procurer, ils n'ont qu'à s'adresser aux Fondeurs en caractères des différents pays où ces langues sont en usage.

Police pour cent mille lettres destinées à une impression française ordinaire.

Le lecteur s'apercevra facilement qu'elle ne contient que les signes grammaticaux, et qu'il ne s'agit ici que de ceux-là, et que par conséquent cette police n'est pas particulière à un livre ou d'algèbre, ou d'arithmétique, ou de chimie, mais qu'elle convient seulement à un discours oratoire, à la poésie, etc.

S'il est évident que la même police ne convient pas à toute langue, il ne l'est pas moins qu'elle convient à tout caractère, de quelque corps que ce sait, dans une même langue.

Il y a dans l'Imprimerie, ou plutôt dans la Fonderie en caractères, vingt corps différents.

Chacun de ces corps a son nom particulier et distinctif, propre aux caractères fondus sur ces corps. Le plus petit se nomme Parisienne, et en descendant de la Parisienne jusqu'aux caractères les plus gros, on a la Nompareille, la Mignone, le Petit Texte, la Gaillarde, le Petit-Romain, la Philosophie, le Cicéro, le Saint-Augustin, le Gros-Texte, le Gros-Romain, le Petit-Parangon, le Gros-Parangon, la Palestine, le Petit-Canon, le Trismegiste, le Gros-Canon, le Double-Canon, le Triple-Canon, la Grosse-Nompareille ; voyez les articles de ces caractères à leurs noms particuliers, et ci-après les modèles de ces caractères dans les Planches placées à la fin de cet article. Ces Planches ont été composées sur les caractères de M. Fournier le jeune, de qui nous tenons aussi tous les matériaux qui forment cet article et les autres articles de la Fonderie en caractères. Nous pourrions bien assurer que notre Ouvrage ne laisserait rien à désirer d'important sur les Arts, si nous avions toujours rencontré des Gens aussi attachés au progrès de leur art, aussi éclairés, et aussi communicatifs que M. Fournier le jeune. Une observation que nous avons été cent fois dans le cas de faire, c'est qu'entre les ouvriers qui s'occupent d'un même art, les ignorants, et entre les ouvriers qui s'occupent de différents arts, ceux dont les métiers étaient les moins entendus et les plus vils, se sont toujours montrés les plus mystérieux, comme de raison.

Ces corps se suivent par degrés ; les uns se trouvent juste, le double, le tiers, le quart, etc. des autres, de manière que deux ou plusieurs combinés ensemble, remplissent toujours exactement le corps majeur qui est en tête de la combinaison ; régularité bien essentielle à l'Imprimerie.

Mais pour établir entre les corps la correspondance dont nous venons de parler, et qui se remarquera bien dans la table des rapports ci-jointe, M. Fournier a été obligé de créer un corps exprès appelé le Gros-Texte, qui équivaut à deux corps de Petit-Texte, et d'en faire revivre deux autres qui n'étaient point connus ou qui l'étaient peu, la Palestine et le Trismégiste. Le premier fait les deux corps de Cicero, le caractère le plus en usage dans l'Imprimerie ; et le second fait les deux points du Gros-Romain.

Sans ces trois corps la correspondance est interrompue. On a placé dans la table qui suit, dans la première colonne, les noms de ces corps, et dans celle du milieu, les corps auxquels ils équivalent.

Quand on rencontre le signe || dans un des articles de la colonne du milieu, il faut entendre que le nombre des corps qui rempliraient celui qui est en marge Ve changer, et que ce sont d'autres corps qui vont suivre, et dont la somme serait équivalente au seul corps qui est dans la première colonne.

Mais ce n'était pas assez d'avoir fixé le nombre des corps des caractères à vingt, et d'avoir établi les rapports que ces vingt corps devaient avoir entr'eux : il fallait encore donner la grandeur absolue d'un de ces corps, n'importe lequel. Pour cet effet, M. Fournier le jeune s'est fait une échelle, d'après le conseil des personnes les plus expérimentées dans l'Art.

Cette échelle est composée de deux parties qu'il appelle pouces ; ces deux pouces ne sont pas de la même longueur que les deux pouces de pied de Roi. Nous dirons plus bas quel est le rapport du pouce de son échelle, avec le pouce de pied de Roi. Il a divisé son pouce en trois lignes, et sa ligne en trois points. On voit cette échelle au haut de la table qui suit.

Cette table est divisée en quatre colonnes :

La première marque en chiffres l'ordre des caractères.

La seconde, les noms de ces caractères et leur équivalence en autres caractères.

La troisième et quatrième, leurs hauteurs en parties de l'échelle.

Proportions des différents corps de caractères de l'Imprimerie, suivant S. P. Fournier.

échelle de deux pouces.

C'est un fait assez simple qui a conduit M. Fournier à la formation de sa table des rapports des caractères : un Imprimeur demande, par exemple, un Cicero au Fondeur, et envoye en lettres un échantillon sur lequel il veut que ce Cicero soit fondu. Un autre Imprimeur demande aussi un Cicero ; et comme c'est un caractère de même nom qu'il faut à tous les deux, on croirait que ce caractère est aussi le même ; point du tout : l'échantillon de l'un de ces imprimeurs est ou plus grand ou plus petit que l'échantillon de l'autre, et le fondeur se trouve dans la nécessité ou de réformer ses moules, ou même d'en faire d'autres ; ce qui peut être poussé fort loin, ainsi que toutes les choses de fantaisie. Il semble que les écrivains aient été plus d'accord entr'eux, qu'on ne l'est dans l'Imprimerie sur la hauteur et sur la largeur des caractères. Ils ont commencé par convenir des dimensions du bec de plume ; ensuite ils ont fixé tant de becs de plume pour chaque sorte de caractère.

En formant sa table des rapports, il parait que M. Fournier le jeune est entré dans les vues de l'édit du Roi, du 28 Février 1723, portant un règlement pour l'Imprimerie, qui semble supposer cette table. Exemple. Quand le règlement ordonne, que le Gros-Romain soit équivalent à un Petit-Romain et à un Petit-Texte, qu'est-ce que cela doit signifier ? quel Petit-Romain et quel Petit-Texte choisira-t-on ? ils sont partout inégaux. En prescrivant cette règle, on imaginait donc ou qu'il y avait une table des rapports des caractères instituée, ou qu'on en instituerait une. Mais quand on aurait eu pour les caractères une grandeur fixe et déterminée, on n'aurait pas encore atteint à la perfection qu'on se pouvait promettre ; puisque pour avoir l'équivalent convenable du Gros-Romain, ce n'était point un Petit-Romain et un petit-Texte qu'il fallait prendre : car les corps des caractères devant, selon M. Fournier, aller toujours soit en diminuant soit en augmentant dans la proportion double, pour les avantages que nous allons expliquer, il s'ensuit que le Gros-Romain a deux Gaillardes pour équivalent, et non pas un Petit-Romain et un Petit-Texte.

En déterminant les forces des corps, M. Fournier a mis les Imprimeurs en état de savoir au juste ce qu'un caractère augmente ou diminue de pages sur un autre caractère ; combien il faudra de lignes de Petit-Romain, par exemple, pour faire la page in 12. de Cicero ou de St. Augustin ; combien par ce moyen, on gagnera ou perdra de pages sur une feuille, et par conséquent ce qu'un volume aura de plus ou de moins de feuilles en l'imprimant de tel ou tel caractère.

Ces proportions établies et connues rendent le mécanisme de l'Imprimerie plus sur et plus propre ; l'ouvrier sachant la portée de ses caractères, remplit exactement tous les espaces vides de ses ouvrages sans addition ni fraction, soit dans la composition des vignettes, soit dans tout autre ouvrage difficîle et de gout. Il a par exemple pour reste de page un vide de six lignes de Nompareille à remplir, il saura tout d'un coup qu'il peut y substituer ou quatre lignes de quadrats de Gaillarde, ou trois de Cicero, ou deux de Gros Romain, ou une seule de Trismégiste. Il a à choisir, et tout cela remplit et fait exactement son blanc sans peine ni soin.

On évite par le même moyen la confusion dans l'Imprimerie, particulièrement pour ce qu'on appelle lettres de deux points : les lettres doivent se trouver exactement par la fonte, le double des corps pour lesquelles elles font les deux points ; voyez LETTRES DE DEUX POINTS : mais ces corps, soit Petit-Texte, soit Petit-Romain, soit Cicero, étant indéterminés, plus forts dans une Imprimerie, plus faibles dans une autre, il s'ensuit que ces lettres de deux points n'ayant point de rapport fixe avec les gros corps, formeront une multiplicité d'épaisseurs différentes ou de corps dans l'Imprimerie, où l'on n'aura cependant point d'autres noms, que celui de lettres de deux points.

Il faut pour l'usage de ces lettres de deux points, des quadrats ou espaces faits exprès et assujettis à la même épaisseur : mais les rapports institués par la table rameneront tout à la simplicité ; les lettres de deux points de Petit-Texte seront fondues sur le corps de Gros-Texte ; celles de Petit-Romain sur le corps de Petit-Parangon ; celles de Cicero, sur le corps de Palestine, et ainsi de suite. Il ne sera plus nécessaire de fondre exprès des quadrats et espaces pour ces lettres, parce que ceux qui servent pour les caractères, qui sont le double de ces corps, seront incontestablement les mêmes.

Nous avons observé au commencement de cet article, que l'art de la gravure en poinçon, et de la Fonderie en caractère, était redevable de sa naissance parmi nous, et de ses progrès, à Simon de Collines, Claude Garamond, Robert Grandjean, Guillaume le Bé ; Jacques de Sanlecque, pour les 15, 16, et 17e siècles, et pour le 18e à MM. Grandjean et Alexandre, qui ont consacré leurs travaux à l'Imprimerie du Roi.

L'équité et la reconnaissance ne nous permettent pas de passer sous silence ce que M. Fournier le jeune a fait pour le même art, depuis ces habiles Artistes. Il a commencé par l'article important de la table des rapports, dont nous avons fait mention plus haut. Cherchant ensuite ce qui pourrait être innové d'ailleurs avec avantage, il a remarqué que l'Imprimerie manquait de grandes lettres majuscules pour les placards, affiches et frontispices. Celles dont on se servait avant lui étaient trop petites et d'un goût suranné ; les lettres de bois étaient communément mal formées, sujettes à se déjeter, à se pourrir, etc. Il en a gravé de quinze lignes géométriques de haut ; et par conséquent une fois plus grandes que celles de fonte, dont on usait auparavant : il en a continué la collection complete depuis cette hauteur, jusqu'aux plus petites.

Il a redoublé ce travail, en exécutant des caractères italiques de la même grandeur ; cette sorte de lettre n'existait point dans l'Imprimerie. Les plus grosses qu'on y avait eues étaient de deux points de Saint-Augustin, ou Gros-Romain, encore maigres et mal taillées. Il ne faut pourtant pas celer qu'on en emploie de fort belles à l'Imprimerie royale, mais jusqu'à une certaine hauteur seulement, et c'est d'ailleurs comme si elles n'existaient pas pour les autres Imprimeries du royaume.

Ces grandes majuscules ont presqu'éteint l'usage d'imprimer les affiches et frontispices en rouge et noir. Les mots que l'on veut rendre plus sensibles se remarquant assez par le mélange des lignes de romain et d'italique dont les figures tranchent assez l'une sur l'autre, on a évité par ce moyen le double tirage du rouge et du noir, et l'on a formé de plus beaux titres.

L'Imprimerie était aussi comme dénuée de ces petits ornements de fonte qu'on appelle vignettes. Le peu qu'on en avait était si vieux et d'un goût si suranné, qu'on n'en pouvait presque faire aucun usage. M. Fournier, à l'imitation des sieurs Grandjean et Alexandre, qui en ont exécuté de fort belles pour l'Imprimerie du Roi, en a inventé de plus de cent cinquante sortes, qu'il a gravées relativement à la proportion qu'il a donnée aux corps. Une figure, par exemple, gravée pour être fondue sur un corps de Cicéro de la moitié de son épaisseur, n'a qu'à être renversée pour s'ajuster à la Nompareille ; une autre sera carrée, et représentera le Cicéro en tout sens ; une autre sera de la largeur d'un Cicéro et demi, et viendra au corps de Gros-Romain ; une autre de deux Cicéros fera le corps de Palestine : ainsi du reste, qui fondu sur un corps fixe, forme par les largeurs, tels ou tels autres corps, de manière que de quelque sens qu'on les retourne, elles présentent des grandeurs déterminées, dont les interstices seront exactement remplis par des corps plus ou moins forts.

C'est ainsi qu'en combinant ces petits objets, on compose facilement des ornements de fonte plus ou moins grands, selon le besoin, et plus ou moins bien entendus, selon le goût du compositeur de l'Imprimerie. Voyez quelques-uns de ces ornements dans les planches des caractères qui sont à la fin de cet article.

Dans la gravure des poinçons des notes de Plein-chant, M. Fournier a fait des changements dont lui ont su gré les Imprimeurs des différents diocèses qu'il a fournis. Les notes béquarres, bémols, etc. étaient gravées et fondues de différentes épaisseurs, suivant leurs figures ; de manière que pour composer ces notes, et justifier les lignes, il fallait fondre des espaces d'épaisseurs indéterminées, parmi lesquels il y en avait de très-fins. Ces espaces portaient quatre filets ; multipliés ils formaient autant de hachures dans les filets de la note, parce que la jonction ne se faisait jamais si bien qu'on n'en vit l'endroit, surtout lorsque la note avait un peu servi ; ces hachures devenant plus sensibles, n'en étaient que plus désagréables. D'ailleurs, l'ouvrier était toujours obligé de justifier sa ligne en tâtonnant, comme on tâtonne une ligne de caractères avec les espaces ordinaires. Pour éviter ces inconvéniens, M. Fournier a gravé des poinçons de notes, béquarres, bémols, guidons, poses, etc. précisément d'une même largeur, et des espaces portant quatre filets de la même épaisseur, ou deux, trois, quatre, cinq fois plus large ; les plus minces sont moitié d'épaisseur de la note : or toutes ces épaisseurs étant égales et déterminées, quand l'Imprimeur a décidé la longueur de sa ligne, toutes les autres se trouvent justifiées comme d'elles-mêmes ; il ne s'agit que d'employer le même nombre de notes, ou leur équivalent en espace, ce qui se fait sans soin. Arrivé au bout de la ligne, on y placera une demi-note, ou son équivalent, ou l'équivalent d'une note, ou un espace équivalent à plusieurs notes, suivant le vide à remplir, et la ligne se trouvera justifiée. Les fautes qui seront survenues dans la composition, ne seront pas difficiles à corriger, puisqu'on aura toujours précisément l'équivalent de ce qu'on déplacera. Comme on ne sera plus obligé de justifier avec des espaces fins, il y aura moins de hachures, et l'ouvrage sera plus parfait.

Pour cet effet, il a suffi de graver les filets qui portent la note tous de la même largeur ; et de laisser sur ces filets la note, ou telle autre figure, suivant la grandeur qu'elles doivent avoir, suivant l'exemple qu'on voit.

M. Fournier a retranché de la note dont on se servait avant lui, une multiplication inutîle de huit sortes, dont l'effet était désagréable, comme on voit, par l'usage où l'on était de mettre les queues de ces notes en-bas, elles se trouvaient mêlées avec les caractères qui étaient dessous. Pour éviter cet inconvénient, de quoi s'agissait-il ? De retourner en-haut la queue de ces notes, ainsi qu'on le pratique en musique. Cet expédient a été d'autant plus avantageux, qu'on trouve dans le reste de la note de quoi former celle-ci, sans qu'il soit besoin d'en faire exprès. Exemple :

retournez ces caractères à la composition, et vous aurez,

c'est-à-dire l'effet désiré, à moins de frais, sans embarras, et avec plus de propreté. Voyez l'exemple dans les tables des caractères qui suivent.

On se sert dans l'Imprimerie beaucoup plus fréquemment de règlets simples, doubles ou triples, qu'on ne faisait il y a dix ans, grâce à M. Fournier qui a inventé un moule pour les fondre. On les exécutait ci-devant en cuivre rouge ou laiton ; ils étaient chers, et jamais justes. Il eut été trop long, et peut-être impossible de bien planir les lames de laiton, de l'épaisseur déterminée de quelques corps de caractères. On n'avait d'autre ressource que dans différentes lames d'épaisseurs inégales, qu'on ajustait avec le moins d'inconvénient que l'on pouvait. Le moule de M. Fournier remédie à tout cela : c'est une machine simple et commode de quatorze à quinze pouces de longueur, sur un pouce ou environ de large, dans laquelle on fond des lames de la longueur de quatorze pouces, et de la hauteur d'un caractère donné. Le même moule sert pour telle hauteur qu'on veut : pour avoir des lames d'une épaisseur déterminée, il ne s'agit que d'y disposer le moule, ce qui s'exécute en un moment : on met ces lames dans le coupoir, et avec les rabots servant aux lettres, et des fers faits exprès, on taille sur une des faces un règlet de telle figure qu'on le souhaite.

L'utilité de ce moule à règlets a été si généralement reconnue, que deux ou trois mois après qu'il en fut fait usage, les autres fondeurs s'empressèrent de l'imiter : mais ce qu'ils ont trouvé est grossier, moins simple, d'un usage moins commode, le sieur Fournier n'ayant point communiqué le sien, et l'ayant toujours réservé pour sa Fonderie. Voyez à l'article REGLET, l'explication de cette machine, et dans nos planches de Fonderie en caractères, sa figure et ses détails.

Pour jeter un peu de variété dans l'impression, et servir à l'exécution de quelques ouvrages particuliers, M. Fournier vient de graver un caractère nouveau dans son genre ; il est en deux parties et sur deux corps différents. La première fondue sur le corps de Gros-Parangon, s'appelle bâtarde coulée ; et l'autre partie qui a l'oeil plus gros, est fondue sur le Trismégiste, qu'on appelle bâtarde. Ces caractères avec l'alphabet de lettres ornées et festonnées, pour tenir lieu de petites capitales, sont faits pour aller ensemble, et forment un tout qu'il appelle caractère de finance, parce qu'il imite l'écriture. Voyez-en le modèle dans les planches qui suivent.

La partie la plus utîle pour l'Imprimerie, et qui fera le plus d'honneur à M. Fournier, après sa table des rapports, c'est le changement des caractères italiques auxquels il a donné une figure plus terminée, dont il a rendu les pleins et les déliés plus sensibles, et qu'il a plus approchés de notre écriture.

Au commencement de ce siècle, les sieurs Grandjean et Alexandre firent quelques changements dans les italiques qu'ils gravèrent pour l'Imprimerie du Roi ; cet exemple a enhardi le sieur Fournier. Pour mettre le lecteur en état de juger de son travail, voici quelques lignes des italiques, telles qu'il les a trouvées, et de celles qu'il leur a substituées.

Italique ancienne de Gros Romain.

Vous égalez les Dieux, disait Cicéron à César ; vous voulez faire du bien, et vous le pouvez comme eux.

Italique nouvelle de Gros-Romain.

Vous égalez les Dieux, disait Cicéron à César ; vous voulez faire du bien, et vous le pouvez comme eux.

Pour l'exécution des proportions données aux caractères, et pour s'assurer de leur exactitude, il faut faire une justification ou mesure juste de quarante lignes, mesure de l'échelle de M. Fournier, et de trente-sept lignes géométriques : elle contiendra ou quarante-huit Parisiennes, ou quarante Nompareilles, ou trente-deux Mignones et un gros-Texte, ou trente petits-Textes, ou vingt-six Gaillardes et une Nompareille, ou vingt-quatre petits-Romains, ou vingt-un Philosophies et une Gaillarde, ou vingt Cicéros, ou seize Saint-augustins et un gros-Texte, ou quinze gros-Textes, ou treize gros-Romains et une Nompareille, ou douze petits-Parangons, ou dix gros Parangons et un petit Parangon, ou dix Palestines, ou huit petits-Canons et un gros-Texte, ou six Trismégistes et une Palestine, ou cinq gros-Canons, et un petit-parangon, ou quatre doubles-Canons et un gros-Texte, ou trois triples-Canons et une Palestine, ou deux grosses-Nompareilles et deux Palestines.

S'il y a quelques gros ou quelques petits caractères dont il ne soit point fait mention dans la table des rapports, ni dans la justification précédente, c'est que ces gros caractères ne se fondent pas, et que les petits tels que la Perle, la sédanoise, etc. sont hors de proportions, quoiqu'ils se fondent. Au reste il serait à souhaiter qu'on les réduisit aux mesures de la table ; l'art de l'Imprimerie n'en serait que plus parfait, et sa pratique que plus facile.

Il ne nous reste plus qu'un mot à dire des règlements auxquels les Fondeurs en caractères sont assujettis.

Les Fondeurs sont tenus, avant que d'exercer leur profession, de se présenter aux syndic et adjoints de l'Imprimerie, et de se faire inscrire sur le registre de la communauté en qualité de Fondeurs de caractères : ce qui doit se faire sans frais.

Il leur est néanmoins défendu d'exercer la Librairie ou l'Imprimerie.

Ils doivent résider et travailler dans le quartier de l'Université.

On a Ve par ce qui précède, ce qu'il faut penser de l'article des règlements sur la proportion des caractères. Il leur est enjoint de fondre les caractères de bonne matière forte et cassante (voyez plus haut ce que c'est que cette matiere) : de travailler pour les Imprimeurs de Paris par préférence à ceux de province : de n'envoyer au-dehors aucune fonte sans en avoir déclaré au bureau de la communauté la qualité, le poids, et la quantité : de fondre les fontes étrangères sur la hauteur de celles de Paris : de ne livrer des fontes et caractères qu'aux Imprimeurs.

Voilà les principaux règlements ; d'où l'on voit combien ils sont imparfaits, et combien il est incertain qu'en séparant les arts de Graveur, de Fondeur, et d'Imprimeur, on ait travaillé à leur perfection réelle.

Je n'ai rien épargné pour exposer clairement ce qui concerne les deux premiers, qui servent de préliminaires essentiels au troisième ; et j'espère que les gens de lettres, qui ont par leurs ouvrages quelque prétention à l'immortalité, ne m'accuseront pas d'avoir été prolixe : quant au jugement des autres, il m'importe peu. J'aurais été beaucoup plus étendu, si je n'avais pris sur moi de glisser légèrement sur les opérations les moins importantes. En revanche j'ai tâché de décrire les autres de manière à m'acquitter envers l'art et à le conserver, s'il était jamais menacé de se perdre. Voyez la suite à l'article IMPRIMERIE. Devions-nous moins à la Fonderie en caractères, par laquelle les productions des grands génies se multiplient et s'éternisent, qu'à la fonderie en bronze, qui met en relief les héros et leurs actions ? Voyez Fonderie en bronze à l'article BRONZE.

Voici des exemples de tous les Caractères en usage ; ils sont de l'Imprimerie de M. le Breton, notre Imprimeur, et de la Fonderie du sieur Fournier, excepté la Perle et la sédanoise, qui ne se trouvent qu'à l'Imprimerie Royale, et que M. Anisson, directeur de cette Imprimerie, a bien voulu communiquer.

Nous renvoyons à nos Planches gravées les alphabets de la plupart des peuples, tant anciens que modernes.

EXEMPLES DE TOUS LES CARACTERES ROMAINS ET ITALIQUES EN USAGE DANS L'IMPRIMERIE.

X.

GROS-TEXTE.

L'homme croit souvent se conduire lors qu'il est conduit ; et pendant que par son esprit il tend à un but, son cœur l'entraîne insensiblement à un autre.

Assez de Gens méprisent le bien ; mais peu savent le donner comme il faut.

GROS-TEXTE.

IL y a des crimes qui deviennent innocens et même glorieux par leur éclat, leur nombre et leur excès. Il arrive de-là que les....

XI.

GROS-ROMAIN.

Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes et des mines qui leur sont propres : Ce rapport bon ou mauvais, agréable ou desagréable, est ce qui fait que les personnes plaisent ou déplaisent.

GROS-ROMAIN.

Presque tout le monde prend plaisir à s'aquitter des petites obligations, beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les médiocres, mais il n'y a quasi personne qui n'ait de l'ingratitude pour les grandes.

XII.

PETIT-PARANGON.

L'homme aiant besoin de la société pour vivre commodément et agréablement, il doit contribuer au bien de cette société en se rendant utîle à ceux qui la composent.

PETIT-PARANGON.

IL y a dans le cœur et dans l'esprit humain une génération perpétuelle de passions en sorte que la ruine de l'une est presque toujours l'établissement d'une autre.

XIII.

GROS-PARANGON.

ON ne saurait conserver les sentiments que l'on doit avoir pour ses amis si on se donne la liberté de parler souvent de leurs défauts.

GROS-PARANGON.

LE désir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu : et celles que l'on donne à la valeur, et à l'esprit, contribuent à les augmenter.

XIV.

PALESTINE.

LA vanité, la honte, et surtout le tempérament, font en plusieurs la valeur des hommes et la vertu....

PALESTINE.

L'orgueil contrepese toutes nos miseres. Car ou il les cache, ou s'il les montre, il se glorifie de les connaître.

XV.

PETIT-CANON (Romain et Italique.)

Quelque bien que l'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.

La Sagesse et la réputation ne sont pas moins à la mercy de la Fortune que le bien.

XVI.

TRISMEGISTE (Romain et Italique.)

EN peu de temps nous passons de la vie à la mort.

L'honneur acquis est caution de celui qu'on acquérera.

XVII.

GROS-CANON (Romain et Italique.)

Rien de durable dans ce monde.

Heureux celui qui ne s'y attache pas.

XVIII.

DOUBLE-CANON (Romain et Italique.)

Dieu soit aimé et Adoré.

Qu'il le soit éternellement.

XIX.

TRIPLE-CANON.

ON donne liberalement des conseils.