Description du calebassier. Cet arbre s'élève à une grande hauteur dans les pays chauds de l'Amérique. Son tronc est tortueux, couvert d'une écorce grise, blanchâtre et raboteuse. Il est divisé en plusieurs branches composées d'autres plus petites, chargées de feuilles. Son bois est plus coriace que dur. Ses feuilles ont quatre, cinq, six pouces de longueur sur un pouce de largeur ; plus larges dans le milieu que par l'une ou l'autre de leurs extrémités ; épaisses, lisses, glabres, d'un verd clair en-dessous, plus obscures en-dessus : elles sont attachées le long des branches les unes après les autres. Ses fleurs qui croissent sur le tronc comme sur les branches, sont d'une seule pièce en forme de cloche, approchant assez pour la figure à des roses sauvages écloses à moitié : elles sont longues d'un pouce et demi sur un pouce de largeur, pointillées sur leur surface, et d'une odeur désagréable. Les étamines sont blanches, et le calice de la fleur est verdâtre, à deux feuilles arrondies, du milieu desquelles s'élève un pistil qui devient un fruit semblable aux calebasses et au potiron, de différente figure et grosseur, revêtu d'une écorce blanchâtre, dure, lisse, épaisse, forte, et renfermant plusieurs graines brunes.

Noms de son fruit. On nomme communément ce fruit macha-mona en Guinée, cuicte dans la Nouvelle-Espagne, et couï dans nos colonies françaises.

On connait que les calebasses sont mûres, quand la queue qui les attache à l'arbre se flétrit et se noircit : pour lors on les détache de l'arbre. Si on veut s'en servir pour mettre de l'eau ou d'autres liqueurs, on fait près de la queue un trou d'une grandeur convenable, par lequel on jette de l'eau bouillante dans la calebasse pour macérer plus promptement la moèlle ou pulpe dont elle est remplie.

Usage de la coque de ce fruit. Après que cette pulpe est bien macérée, on introduit dans la calebasse un petit bâton, pour rompre entièrement cette pulpe et la faire sortir : ensuite on y met encore de l'eau chaude avec du gros sable, que l'on remue fortement pour achever de détacher ce qui peut rester de la calebasse, et en polir le dedans. Quand les calebasses sont ainsi nettoyées et séchées, le vin et les autres liqueurs qu'on y met s'y conservent parfaitement, et ne contractent point de mauvais gout. Lorsqu'on veut séparer une calebasse en deux parties pour en faire deux couis, qui sont propres à une infinité d'usages, on l'environne avec une petite corde que l'on serre fortement à l'endroit où l'on veut couper la calebasse ; et de cette manière on la separe en deux : mais il faut pour cela qu'elle ne soit ni trop seche, ni trop fraichement cueillie. Etant ouverte, on la vide facilement, on en gratte le dedans avec une coquille de moule ou autre, pour le polir.

Les Indiens polissent l'écorce du coui en-dedans et en-dehors, l'émaillent si agréablement avec du roucou, de l'indigo, et autres belles couleurs, que les délicats même peuvent boire et manger sans dégoût dans les divers vaisseaux qu'ils en forment. Ils dessinent et gravent sur la convexité, des compartiments et des grotesques à leur manière. Ils remplissent les hachures de couleurs assorties ; et leurs desseins sont aussi justes qu'on peut l'attendre de gens qui ne se servent ni de règle, ni de compas. Il y a des curieux qui recherchent ces sortes d'ouvrages, et qui ne les estiment pas indignes d'une place entre les raretés de leurs cabinets.

Ces couis sont d'un usage très-diversifié ; et quoiqu'ils ne soient que de bois, on ne laisse pas que de les employer à y faire chauffer de l'eau. Lorsqu'ils sont rompus, leurs pièces servent à faire des cuillières : on en fait des écumoires et des passoires, en les perçant avec un petit fer rouge. C'est la vaisselle ordinaire et la batterie de cuisine, tant des Caraïbes que de nos Nègres. En un mot le calebassier fournit tout seul la plus grande partie des petits meubles du ménage des Indiens et des habitants étrangers qui demeurent aux iles.

Usages de la pulpe. Mais la pulpe de la calebasse leur est encore plus précieuse que la coque : c'est-là leur grande panacée pour une infinité de maladies ou d'accidents. Dans toute espèce de brulure, ils en font une espèce de cataplasme, qu'ils appliquent sur la partie brulée ou échaudée ; ils renouvellent de temps en temps ce cataplasme, et le maintiennent par un bandage : ils suivent la même méthode pour guérir les maux de tête causés par des coups de soleil. Ils cuisent cette pulpe, ou la macèrent dans des cendres chaudes ; et du suc qu'elle fournit, ils en composent des lavements pour la colique. Ils l'emploient encore comme un préservatif contre tout accident dans les chutes considérables : pour cet effet, ils vont cueillir une calebasse presque mûre, la cuisent sous des cendres chaudes, l'ouvrent ensuite, expriment le suc de la moèlle dans un vase, et le donnent à boire au malade. Ne nous moquons point ici de cette pratique ; cette boisson rafraichissante vaut mieux en pareil cas que celle de l'infusion des herbes vulnéraires, que plusieurs de nos Médecins ordonnent, et que je trouve recommandée dans les Mémoires de l'Académie des Sciences.

Enfin les habitants de l'Amérique regardent la pulpe du coui comme souveraine pour arrêter les hémorrhagies causées par des blessures, pour prévenir des abcès, pour résoudre des tumeurs par contusion, pour empêcher les défaillances, etc. Les pauvres gens sont excusables de croire à ce prétendu remède : mais nos voyageurs Oviedo, Rochefort, du Tertre, Labat, et tant d'autres, ne se moquent-ils pas de nous quand ils nous vantent les merveilleux effets opérés par la moèlle de calebasse dans les derniers cas dont nous venons de parler ?

Culture du calebassier en Europe. Quoique la pulpe de calebasse ni sa coque ne nous touchent guère en Europe par le peu d'utilité que nous en pouvons tirer, nous avons cependant poussé la curiosité jusqu'à chercher à élever dans nos climats le calebassier d'Amérique, et nous y avons réussi. En voici la méthode enseignée par Miller, et que tout le monde ne connait pas.

Il faut tenir cet arbre dans un endroit de la serre dont le degré de chaleur soit modéré, par le moyen du thermomètre. Il semblerait qu'étant originaire des pays chauds, il aurait besoin d'une très-forte chaleur : mais on a trouvé par expérience, que la chaleur tempérée lui est beaucoup plus avantageuse. Il demande une terre légère, sablonneuse, de fréquents arrosements, et beaucoup d'air en été ; autrement il arrive que ses feuilles sont mangées d'insectes, ce qui la défigure étrangement et retarde sa pousse. Il n'y a d'autres moyens de prevenir ce mal ou d'y remédier, que de nettoyer soigneusement les feuilles avec une guenille de laine, de mettre l'arbre en été à un plus grand air, et en hiver dans un endroit plus frais.

On multipliera le calebassier en plantant pendant l'été de ses rejetons dans des pots garnis de bonne terre, et en plongeant ces pots dans un lit de tan d'une chaleur modérée, observant de les arroser et de les abriter pendant le chaud du jour, jusqu'à ce que les rejetons aient pris racine. Les graines de cet arbre, si on les apporte fraiches dans le fruit même, viendront à merveille en les semant sur des couches chaudes, et en les cultivant comme des ananas. Le calebassier vient mieux de bouture que de graine, et porte bien plutôt. On en transplante même en Amérique de très-grands et gros, d'un lieu à un autre, avec succès, sans qu'ils en reçoivent le moindre dommage.

De la calebasse d'herbe d'Amérique. Je n'entrerai dans aucun détail sur une autre espèce de calebasse commune en Amérique, très-grosse, longue, qu'on seme chaque année, et que les François de nos îles nomment calebasse d'herbe. Ces sortes de calebasses ne sont autre chose que la gourde européenne, plante cucurbitacée dont la racine branchue périt toutes les années, et dont la graine a été portée de l'Europe dans le nouveau monde. Leur écorce ou coque est beaucoup plus épaisse que celle des calebasses d'arbres, mais beaucoup moins durable, parce qu'elle est molle et spongieuse : ce qui fait encore qu'elles contractent aisément un mauvais gout, et qu'elles gâtent ce qu'on y met.

Les curieux trouveront toutes sortes de détails sur le calebassier d'Amérique dans le recueil général des voyages, Oviedo, Marcgrave, du Tertre, Rochefort, Labat, Plumier, et Miller. Cet article est de M(D.J.)