C'est en ce dernier sens que les auteurs ecclésiastiques ont donné par excellence le nom de bibliothèque au recueil des livres inspirés, que nous appelons encore aujourd'hui la bible, c'est-à-dire, le livre par excellence. En effet, selon le sentiment des critiques les plus judicieux, il n'y avait point de livres avant le temps de Moyse, et les Hébreux ne purent avoir de bibliothèque qu'après sa mort : pour lors ses écrits furent recueillis et conservés avec beaucoup d'attention. Par la suite on y ajouta plusieurs autres ouvrages.

On peut distinguer les livres des Hébreux, en livres sacrés, et livres profanes : le seul objet des premiers était la religion ; les derniers traitaient de la philosophie naturelle, et des connaissances civiles ou politiques.

Les livres sacrés étaient conservés, ou dans des endroits publics, ou dans des lieux particuliers : par endroits publics, il faut entendre toutes les synagogues, et principalement le temple de Jérusalem, où l'on gardait avec un respect infini les tables de pierre sur lesquelles Dieu avait écrit ses dix commandements, et qu'il ordonna à Moyse de déposer dans l'arche d'alliance.

Outre les tables de la loi, les livres de Moyse et ceux des prophetes furent conservés dans la partie la plus secrète du sanctuaire, où il n'était permis à personne de les lire, ni d'y toucher ; le grand-prêtre seul avait droit d'entrer dans ce lieu sacré, et cela seulement une fois par an : ainsi ces livres sacrés furent à l'abri des corruptions des interprétations ; aussi étaient-ils dans la suite la pierre de touche de tous les autres, comme Moyse le prédit au xxxij. chapitre du Deutéronome, où il ordonna aux Lévites de placer ses livres au-dedans de l'arche.

Quelques auteurs croient que Moyse étant prêt à mourir, ordonna qu'on fit douze copies de la loi, qu'il distribua aux douze tribus : mais Maimonides assure qu'il en fit faire treize copies, c'est-à-dire douze pour les douze tribus, et une pour les Lévites, et qu'il leur dit à tous, en les leur donnant, recevez le livre de la loi que Dieu lui-même nous a donné. Les interpretes ne sont pas d'accord si ce volume sacré fut déposé dans l'arche avec les tables de pierre, ou bien dans un petit cabinet séparé.

Quoi qu'il en sait, Josué écrivit un livre qu'il ajouta ensuite à ceux de Moyse. Josué XIV. Tous les prophetes firent aussi des copies de leurs sermons et de leurs exhortations, comme on peut le voir au chapitre XVe de Jérémie, et dans plusieurs autres endroits de l'Ecriture : ces sermons et ces exhortations furent conservés dans le temple pour l'instruction de la postérité.

Tous ces ouvrages composaient une bibliothèque plus estimable par sa valeur intrinseque, que par le nombre des volumes.

Voilà tout ce qu'on sait de la bibliothèque sacrée qu'on gardait dans le temple : mais il faut remarquer qu'après le retour des Juifs de la captivité de Babylone, Néhémie rassembla les livres de Moyse, et ceux des Rois et des Prophètes, dont il forma une bibliothèque ; il fut aidé dans cette entreprise par Esdras, qui, au sentiment de quelques-uns, rétablit le Pentateuque, et toutes les anciennes écritures saintes qui avaient été dispersées lorsque les Babyloniens prirent Jérusalem, et brulèrent le temple avec la bibliothèque qui y était renfermée : mais c'est surquoi les savants ne sont pas d'accord. En effet, c'est un point très-difficîle à décider.

Quelques auteurs prétendent que cette bibliothèque fut de nouveau rétablie par Judas Macchabée, parce que la plus grande partie en avait été brulée par Antiochus, comme on lit chap. j. du premier livre des Macchabées. Quand même on conviendrait qu'elle eut subsisté jusqu'à la destruction du second temple, on ne saurait cependant déterminer le lieu où elle était déposée : mais il est probable qu'elle eut le même sort que la ville. Car quoique Rabbi Benjamin affirme que le tombeau du prophète Ezéchiel avec la bibliothèque du premier et du second temple, se voyaient encore de son temps dans un lieu situé sur les bords de l'Euphrate ; cependant Manassés de Groningue, et plusieurs autres personnes, dont on ne saurait révoquer en doute le témoignage, et qui ont fait exprès le voyage de Mésopotamie, assurent qu'il ne reste aucun vestige de ce que prétend avoir Ve Rabbi Benjamin, et que dans tout le pays il n'y a ni tombeau ni bibliothèque hébraïque.

Outre la grande bibliothèque, qui était conservée religieusement dans le temple, il y en avait encore une dans chaque synagogue. Actes des apôtres, XVe Luc IVe 16. 17. Les auteurs conviennent presqu'unanimement que l'académie de Jérusalem était composée de quatre cent cinquante synagogues ou colléges, dont chacune avait sa bibliothèque, où l'on allait publiquement lire les écritures saintes.

Après ces bibliothèques publiques qui étaient dans le temple et dans les synagogues, il y avait encore des bibliothèques sacrées particulières. Chaque Juif en avait une, puisqu'ils étaient tous obligés d'avoir les livres qui regardaient leur religion, et même de transcrire chacun de sa propre main une copie de la loi.

On voyait encore des bibliothèques dans les célébres universités ou écoles des Juifs. Ils avaient aussi plusieurs villes fameuses par les sciences qu'on y cultivait, entr'autres celle que Josué nomme la ville des Lettres, et qu'on croit avoir été Cariatsepher, située sur les confins de la tribu de Juda. Dans la suite celle de Tiberiade ne fut pas moins fameuse par son école ; et il est probable que ces sortes d'académies n'étaient point dépourvues de bibliothèques.

Depuis l'entière dispersion des Juifs à la ruine de Jérusalem et du temple par Tite, leurs docteurs particuliers ou rabbins ont écrit prodigieusement, et comme l'on sait, un amas de rêveries et de contes ridicules : mais dans les pays où ils sont tolérés, et où ils ont des synagogues, on ne voit point dans ces lieux d'assemblées, d'autres livres que ceux de la loi : le talmud et les paraphrases, non plus que les recueils de traditions rabbiniques, ne forment point de corps de bibliothèque.

Les Chaldéens et les Egyptiens étant les plus proches voisins de la Judée, furent probablement les premiers que les Juifs instruisirent de leurs sciences, à ceux-là nous joindrons les Phéniciens et les Arabes.

Il est certain que les Sciences furent portées à une grande perfection par toutes ces nations, et surtout par les Egyptiens, que quelques auteurs regardent comme la nation la plus savante du monde, tant dans la théologie payenne que dans la physique.

Il est donc probable que leur grand amour pour les Lettres avait produit de savants ouvrages et de nombreuses collections de livres.

Les auteurs ne parlent point des bibliothèques de la Chaldée ; tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il y avait dans ce pays des savants en plusieurs genres, et surtout dans l'Astronomie, comme il parait par une suite d'observations de 1900 ans, que Calisthenes envoya à Aristote après la prise de Babylone par Alexandre. Voyez ASTRONOMIE.

Eusebe, de praep. evangel. dit que les Phéniciens étaient très-curieux dans leurs collections de livres, mais que les bibliothèques les plus nombreuses et les mieux choisies étaient celles des Egyptiens, qui surpassaient toutes les autres nations en bibliothèques aussi-bien qu'en savoir.

Selon Diodore de Sicile, le premier qui fonda une bibliothèque en Egypte, fut Osymandias, successeur de Prothée et contemporain de Priam roi de Troie. Pierius dit que ce prince aimait tant l'étude, qu'il fit construire une bibliothèque magnifique, ornée des statues de tous les dieux de l'Egypte, et sur le frontispice de laquelle il fit écrire ces mots, le Thrésor des remèdes de l'âme : mais ni Diodore de Sicîle ni les autres historiens ne disent rien du nombre de volumes qu'elle contenait ; autant qu'on en peut juger elle ne pouvait pas être fort nombreuse, Ve le peu de livres qui existaient pour lors, qui étaient tous écrits par les prêtres ; car pour ceux de leurs deux mercures qu'on regardait comme des ouvrages divins, on ne les connait que de nom, et ceux de Manethon sont bien postérieurs au temps dont nous parlons. Il y avait une très-belle bibliothèque à Memphis, aujourd'hui le grand Caire, qui était déposée dans le temple de Vulcain : c'est de cette bibliothèque que Naucrates accuse Homère d'avoir volé l'Iliade et l'Odyssée, et de les avoir ensuite donnés comme ses propres productions.

Mais la plus grande et la plus magnifique bibliothèque de l'Egypte, et peut-être du monde entier, était celle des Ptolomées à Alexandrie ; elle fut commencée par Ptolomée Soter, et composée par les soins de Demetrius de Phalere, qui fit rechercher à grands frais des livres chez toutes les nations, et en forma, selon S. Epiphane, une collection de 54800 volumes. Josephe dit qu'il y en avait 200 mille, et que Demetrius espérait en avoir dans peu 500 mille ; cependant Eusebe assure qu'à la mort de Philadelphe, successeur de Soter, cette bibliothèque n'était composée que de cent mille volumes. Il est vrai que sous ses successeurs elle s'augmenta par degrés, et qu'enfin on y compta jusqu'à 700000 volumes : mais par le terme de volumes, il faut entendre des rouleaux beaucoup moins chargés que ne sont nos volumes.

Il acheta de Nelée, à des prix exorbitants, une partie des ouvrages d'Aristote, et un grand nombre d'autres volumes, qu'il fit chercher à Rome et à Athènes, en Perse, en Ethiopie.

Un des plus précieux morceaux de sa bibliothèque était l'Ecriture sainte, qu'il fit déposer dans le principal appartement, après l'avoir fait traduire en grec par les soixante-douze interpretes, que le grand-prêtre Eléazar avait envoyés pour cet effet à Ptolomée, qui les avait fait demander par Aristée, homme très-savant, et capitaine de ses gardes. Voyez SEPTANTE.

Un de ses successeurs, nommé Ptolomée Phiscon, prince d'ailleurs cruel, ne témoigna pas moins de passion pour enrichir la bibliothèque d'Alexandrie. On raconte de lui, que dans un temps de famine il refusa aux Athéniens les blés qu'ils avaient coutume de tirer de l'Egypte, à moins qu'ils ne lui remissent les originaux des tragédies d'Eschyle, de Sophocle, et d'Euripide, et qu'il les garda en leur en renvoyant seulement des copies fidèles, et leur abandonna quinze talents qu'il avait consignés pour sûreté des originaux.

Tout le monde sait ce qui obligea Jules César, assiégé dans un quartier d'Alexandrie, à faire mettre le feu à la flotte qui était dans le port : malheureusement le vent porta les flammes plus loin que César ne voulait ; et le feu ayant pris aux maisons voisines du grand port, se communiqua de-là au quartier de Bruchion, aux magasins de blé et à la bibliothèque qui en faisaient partie, et causa l'embrasement de cette fameuse bibliothèque.

Quelques auteurs croient qu'il n'y en eut que 400000 volumes de brulés, et que tant des autres livres qu'on put sauver de l'incendie, que des débris de la bibliothèque des rois de Pergame, dont 200000 volumes furent donnés à Cléopatre par Antoine, on forma la nouvelle bibliothèque du Serapion, qui devint en peu de temps fort nombreuse. Mais après diverses révolutions sous les empereurs romains, dans lesquelles la bibliothèque fut tantôt pillée et tantôt rétablie, elle fut enfin détruite l'an 650 de Jesus-Christ, qu'Amry, général des Sarrasins, sur un ordre du calife Omar, commanda que les livres de la bibliothèque d'Alexandrie fussent distribués dans les bains publics de cette ville, et ils servirent à les chauffer pendant six mois.

La bibliothèque des rois de Pergame dont nous venons de parler, fut fondée par Eumenes et Attalus. Animés par un esprit d'émulation, ces princes firent tous leurs efforts pour égaler la grandeur et la magnificence des rois d'Egypte, et surtout en amassant un nombre prodigieux de livres, dont Pline dit que le nombre était de plus de deux cent mille. Volaterani dit qu'ils furent tous brulés à la prise de Pergame : mais Pline et plusieurs autres nous assurent que Marc Antoine les donna à Cléopatre ; ce qui ne s'accorde pourtant pas avec le témoignage de Strabon, qui dit que cette bibliothèque était à Pergame de son temps, c'est-à-dire sous le règne de Tibere. On pourrait concilier ces différents historiens, en remarquant qu'il est vrai que Marc Antoine avait fait transporter cette bibliothèque de Pergame à Alexandrie, et qu'après la bataille d'Actium, Auguste, qui se plaisait à défaire tout ce qu'Antoine avait fait, la fit reporter à Pergame. Mais ceci ne doit être pris que sur le pied d'une conjecture, aussi-bien que le sentiment de quelques auteurs, qui prétendent qu'Alexandre-le-Grand en fonda une magnifique à Alexandrie, qui donna lieu par la suite à celle des Ptolomées.

Il y avait une bibliothèque considérable à Suze en Perse, où Métosthenes consulta les annales de cette monarchie, pour écrire l'histoire qu'il nous en a laissée. Diodore de Sicîle parle de cette bibliothèque : mais on croit communément qu'elle contenait moins les livres de Sciences, qu'une collection des lais, des chartes, et des ordonnances des rais. C'était un dépôt semblable à nos chambres des comptes.

Nous ne savons rien de positif sur l'histoire de Grèce, avant les guerres de Thebes et de Troie. Il serait donc inutîle de chercher des livres en Grèce avant ces époques.

Les Lacédémoniens n'avaient point de livres ; ils exprimaient tout d'une façon si concise et en si peu de mots, que l'écriture leur paraissait superflue, puisque la mémoire leur suffisait pour se souvenir de tout ce qu'ils avaient besoin de savoir.

Les Athéniens, au contraire, qui étaient grands parleurs, écrivirent beaucoup ; et dès que les Sciences eurent commencé à fleurir à Athènes, la Grèce fut bien-tôt enrichie d'un grand nombre d'ouvrages de toutes espèces. Val. Maxime dit que le tyran Pysistrate fut le premier de tous les Grecs qui s'avisa de faire un recueil des ouvrages des savants, en quoi la politique n'eut peut-être pas peu de part ; il voulait en fondant une bibliothèque pour l'usage du public, gagner l'amitié de ceux que la perte de leur liberté faisait gémir sous son usurpation. Cicéron dit que c'est à Pysistrate que nous avons l'obligation d'avoir rassemblé en un seul volume les ouvrages d'Homère, qui se chantaient auparavant par toute la Grèce par morceaux détachés et sans aucun ordre. Platon attribue cet honneur à Hipparque fils de Pysistrate. D'autres prétendent que ce fut Solon ; et d'autres rapportent cette précieuse collection à Lycurgue et à Zenodote d'Ephese.

Les Athéniens augmentèrent considérablement cette bibliothèque après la mort de Pysistrate, et en fondèrent même d'autres : mais Xerxès, après s'être rendu maître d'Athènes, emporta tous leurs livres en Perse. Il est vrai que si on en veut croire Aulugelle, Seleucus Nicator les fit rapporter en cette ville quelques siècles après.

Zuringer dit qu'il y avait alors une bibliothèque magnifique dans l'île de Cnidos une des Cyclades ; qu'elle fut brulée par l'ordre d'Hippocrate le médecin, parce que les habitants refusèrent de suivre sa doctrine. Ce fait au reste n'est pas trop avéré.

Cléarque, tyran d'Héraclée et disciple de Platon et d'Isocrate, fonda une bibliothèque dans sa capitale ; ce qui lui attira l'estime de tous ses sujets, malgré toutes les cruautés qu'il exerça contr'eux.

Camérarius parle de la bibliothèque d'Apamée comme d'une des plus célèbres de l'antiquité. Angelus Rocha, dans son catalogue de la bibliothèque du vatican, dit qu'elle contenait plus de 20000 volumes.

Si les anciens Grecs n'avaient que peu de livres, les anciens romains en avaient encore bien moins, Par la suite ils eurent, aussi bien que les Juifs, deux sortes de bibliothèques, les unes publiques, les autres particulières. Dans les premières étaient les édits et les lois touchant la police et le gouvernement de l'état : les autres étaient celles que chaque particulier formait dans sa maison, comme celle que Paul Emîle apporta de Macédoine après la défaite de Persée.

Il y avait aussi des bibliothèques sacrées qui regardaient la religion des Romains, et qui dépendaient entièrement des pontifes et des augures. Pour les livres dont elles étaient composées, voyez LIVRE.

Voilà à-peu-près ce que les auteurs nous apprennent touchant les bibliothèques publiques des Romains. A l'égard des bibliothèques particulières, il est certain qu'aucune nation n'a eu plus d'avantages ni plus d'occasions pour en avoir de très-considérables, puisque les Romains étaient les maîtres de la plus grande partie du monde connue pour lors.

L'histoire nous apprend qu'à la prise de Carthage le sénat fit présent à la famille de Regulus de tous les livres qu'on avait trouvés dans cette ville, et qu'il fit traduire en latin vingt-huit volumes, composés par Magon carthaginois, sur l'Agriculture.

Plutarque assure que Paul Emîle distribua à ses enfants la bibliothèque de Persée, roi de Macédoine, qu'il mena en triomphe à Rome. Mais Isidore dit positivement, qu'il la donna au public. Asinius Pollion fit plus, car il fonda une bibliothèque exprès pour l'usage du public, qu'il composa des dépouilles de tous les ennemis qu'il avait vaincus, et de grand nombre de livres de toute espèce qu'il acheta ; il l'orna de portraits de savants ; et entr'autres de celui de Varron.

Varron avait aussi une magnifique bibliothèque. Celle de Cicéron ne devait pas l'être moins, si on fait attention à son érudition, à son gout, et à son rang : mais elle fut considérablement augmentée par celle de son ami Atticus, qu'il préférait à tous les trésors de Crésus.

Plutarque parle de la bibliothèque de Lucullus comme d'une des plus considérables du monde, tant par rapport au nombre de volumes, que par rapport aux superbes monuments dont elle était décorée.

La bibliothèque de Cesar était digne de lui ; et rien ne pouvait contribuer davantage à lui donner de la réputation, que d'en avoir confié le soin au savant Varron.

Auguste fonda une belle bibliothèque proche du temple d'Apollon, sur le mont Palatin. Horace, Juvénal, et Perse, en parlent comme d'un endroit où les Poètes avaient coutume de réciter et de déposer leurs ouvrages :

Scripta Palatinus quaecunque recepit Apollo,

dit Horace.

Vespasien fonda une bibliothèque proche le temple de la Paix, à l'imitation de César et d'Auguste.

Mais la plus magnifique de toutes ces anciennes bibliothèques, était celle de Trajan, qu'il appela de son propre nom, la bibliothèque Ulpienne : elle fut fondée pour l'usage du public ; et selon le cardinal Volaterani, l'empereur y avait fait écrire toutes les belles actions des princes et les decrets du sénat, sur des pièces de belle toile, qu'il fit couvrir d'ivoire. Quelques auteurs assurent que Trajan fit porter à Rome tous les livres qui se trouvaient dans les villes conquises, pour augmenter sa bibliothèque. Il est probable que Pline le jeune, son favori, l'engagea à l'enrichir de la sorte.

Outre celles dont nous venons de parler, il y avait encore à Rome une bibliothèque considérable, fondée par Simonicus, précepteur de l'empereur Gordien. Isidore et Boece en font des éloges extraordinaires, ils disent qu'elle contenait 8000 volumes choisis ; et que l'appartement qui la renfermait, était pavé de marbre doré, les murs lambrissés de glaces et d'ivoire ; et les armoires et pupitres, de bois d'ébene et de cedre.

Les premiers Chrétiens occupés d'abord uniquement de leur salut, brulèrent tous les livres qui n'avaient point de rapport à la religion. Actes des Apôtres... Ils eurent d'ailleurs trop de difficultés à combattre pour avoir le temps d'écrire et de se former des bibliothèques. Ils conservaient seulement dans leurs églises les livres de l'ancien et du nouveau Testament, auxquels on joignit par la suite les actes des martyrs. Quand un peu plus de repos leur permit de s'adonner aux Sciences, il se forma des bibliothèques. Les auteurs parlent avec éloge de celles de S. Jérôme, et de George évêque d'Alexandrie.

On en voyait une célèbre à Césarée, fondée par Jules l'Africain, et augmentée dans la suite par Eusebe évêque de cette ville, au nombre de 20000 volumes. Quelques-uns en attribuent l'honneur à saint Pamphîle prêtre de Laodicée, et ami intime d'Eusebe ; et c'est ce que cet historien semble dire lui-même. Cette bibliothèque fut d'un grand secours à saint Jérôme, pour l'aider à corriger les livres de l'ancien Testament ; c'est là qu'il trouva l'évangîle de S. Matthieu en hébreu. Quelques auteurs disent que cette bibliothèque fut dispersée, et qu'elle fut ensuite rétablie par S. Grégoire de Nazianze et Eusebe.

S. Augustin parle d'une bibliothèque d'Hippone. Celle d'Antioche était très-célèbre : mais l'empereur Jovien, pour plaire à sa femme, la fit malheureusement détruire. Sans entrer dans un plus grand détail sur les bibliothèques des premiers Chrétiens, il suffira de dire que chaque église avait sa bibliothèque pour l'usage de ceux qui s'appliquaient aux études. Eusebe nous l'atteste : et il ajoute, que presque toutes ces bibliothèques, avec les oratoires où elles étaient conservées, furent brulées et détruites par Diocletien.

Passons maintenant à des bibliothèques plus considérables que celles dont nous venons de parler, c'est à-dire à celles qui furent fondées après que le Christianisme fut affermi sans contradiction. Celle de Constantin-le-Grand, fondée, selon Zonaras, l'an 336, mérite attention. Ce prince voulant réparer la perte que le tyran son prédécesseur avait causée aux Chrétiens, porta tous ses soins à faire trouver des copies des livres qu'on avait voulu détruire ; il les fit transcrire, et y en ajouta d'autres, dont il forma à grands frais une nombreuse bibliothèque à Constantinople. L'empereur Julien voulut détruire cette bibliothèque, et empêcher les Chrétiens d'avoir aucuns livres, afin de les plonger dans l'ignorance. Il fonda cependant lui-même deux grandes bibliothèques, l'une à Constantinople, et l'autre à Antioche, sur les frontispices desquelles il fit graver ces paroles : Alii quidem equos amant, alii aves, alii feras ; mihi verò à puerulo mirandum acquirendi et possidendi libros insedit desiderium.

Théodose le jeune ne fut pas moins soigneux à augmenter la bibliothèque de Constantin-le-Grand : elle ne contenait d'abord que 6900 volumes : mais par ses soins et sa magnificence, il s'y en trouva en peu de temps 100000. Léon l'Isaurien en fit bruler plus de la moitié, pour détruire les monuments qui auraient pu déposer contre son hérésie sur le culte des images. C'est dans cette bibliothèque que fut déposée la copie authentique du premier concîle général de Nicée. On prétend que les ouvrages d'Homère y étaient aussi écrits en lettres d'or, et qu'ils furent brulés lorsque les Iconoclastes détruisirent cette bibliothèque. Il y avait aussi une copie des évangiles, selon quelques auteurs, reliée en plaque d'or du poids de 15 livres, et enrichie de pierreries.

Les nations barbares qui inondèrent l'Europe, détruisirent les bibliothèques et les livres en général, leur fureur fut presque incroyable, et a causé la perte irréparable d'un nombre infini d'excellents ouvrages.

Le premier de ces temps-là qui eut du goût pour les lettres, fut Cassiodore, favori et ministre de Théodoric roi des Goths qui s'établirent en Italie, et qu'on nomma communément Ostrogots. Cassiodore fatigué du poids du ministère, se retira dans un couvent qu'il fit bâtir, où il consacra le reste de ses jours à la prière et à l'étude. Il y fonda une bibliothèque pour l'usage des moines, compagnons de sa solitude. Ce fut à-peu-près dans le même temps que le pape Hilaire premier du nom, fonda deux bibliothèques dans l'église de saint Etienne ; et que le pape Zacharie I. rétablit celle de saint Pierre, selon Platine.

Quelque temps après, Charlemagne fonda la sienne à l'Isle-barbe près de Lyon. Paradin dit, qu'il l'enrichit d'un grand nombre de livres magnifiquement reliés ; et Sabellicus, aussi bien que Palmerius, assurent qu'il y mit entr'autres un manuscrit des œuvres de S. Denys, dont l'empereur de Constantinople lui avait fait présent. Il fonda encore en Allemagne plusieurs colléges avec des bibliothèques, pour l'instruction de la jeunesse : entr'autres une à Saint-gall en Suisse, qui était fort estimée. Le roi Pepin en fonda une à Fulde par le conseil de S. Boniface, l'apôtre de l'Allemagne : ce fut dans ce célèbre monastère que Raban-Maur et Hildebert vécurent et étudièrent dans le même temps. Il y avait une autre bibliothèque à la Wrissen près de Worms, mais celle que Charlemagne fonda dans son palais à Aix-la-Chapelle, surpassa toutes les autres ; cependant il ordonna avant de mourir qu'on la vendit, pour en distribuer le prix aux pauvres. Louis le Débonnaire son fils, lui succéda à l'empire et à son amour pour les Arts et les Sciences, qu'il protégea de tout son pouvoir.

L'Angleterre et encore plus l'Irlande, possédaient alors de savantes et riches bibliothèques, que les incursions fréquentes des habitants du Nord détruisirent dans la suite : il n'y en a point qu'on doive plus regretter que la grande bibliothèque fondée à York par Egbert, archevêque de cette ville ; elle fut brulée avec la cathédrale, le couvent de Sainte-Marie, et plusieurs autres maisons religieuses, sous le roi Etienne. Alcuin parle de cette bibliothèque dans son épitre à l'église d'Angleterre.

Vers ces temps, un nommé Gauthier ne contribua pas peu par ses soins et par son travail, à fonder la bibliothèque du Monastère de Saint-Alban qui était très considérable, elle fut pillée aussi bien qu'une autre par les pirates danois.

La bibliothèque formée dans le XIIe siècle par Richard de Burg évêque de Durham, chancelier et trésorier de l'Angleterre, fut aussi fort célèbre. Ce savant prélat n'omit rien pour la rendre aussi complete que le permettait le malheur des temps ; et il écrivit lui-même un traité intitulé Philobiblion, sur le choix des livres et sur la manière de former une bibliothèque. Il y représente les livres comme les meilleurs précepteurs, en s'exprimant ainsi : Hi sunt magistri, qui nos instruunt, sine virgis et ferulis, sine cholera, sine pecunia : si accedis, non dormiunt ; si inquiris, non se abscondunt ; non obmurmurant, si oberres ; cachinnos nesciunt, si ignores.

L'Angleterre possède encore aujourd'hui des bibliothèques très-riches en tout genre de littérature, et en manuscrits fort anciens. Celle dont on parle le plus, est la célèbre bibliothèque Bodleiene d'Oxford, élevée, si l'on peut se servir de ce terme, sur les fondements de celle du duc Humphry. Elle commença à être publique en 1602, et a été depuis prodigieusement augmentée par un grand nombre de bienfaiteurs. On assure qu'elle l'emporte sur celles de tous les souverains et de toutes les universités de l'Europe, si l'on en excepte celle du Roi à Paris, celle de l'empereur à Vienne, et celle du Vatican.

Il semble qu'au XIe siècle les Sciences s'étaient réfugiées auprès de Constantin Porphyrogenete, empereur de Constantinople. Ce grand prince était le protecteur des muses, et ses sujets à son exemple cultivèrent les Lettres. Il parut alors en Grèce plusieurs savants ; et l'empereur toujours porté à chérir les Sciences, employa des gens capables à lui rassembler de bons livres, dont il forma une bibliothèque publique, à l'arrangement de laquelle il travailla lui-même. Les choses furent en cet état, jusqu'à ce que les Turcs se rendirent maîtres de Constantinople ; aussitôt les Sciences forcées d'abandonner la Grèce, se réfugièrent en Italie, en France, et en Allemagne, où on les reçut à bras ouverts ; et bientôt la lumière commença à se répandre sur le reste de l'Europe, qui avait été ensevelie pendant long-temps dans l'ignorance la plus grossière.

La bibliothèque des empereurs Grecs de Constantinople n'avait pourtant pas péri à la prise de cette ville par Mahomet II. Au contraire ce sultan avait ordonné très-expressément qu'elle fût conservée, et elle le fut en effet dans quelques appartements du serrail jusqu'au règne d'Amurat IV. que ce prince, quoique mahométan peu scrupuleux, dans un violent accès de dévotion, sacrifia tous les livres de la bibliothèque à la haine implacable dont il était animé contre les Chrétiens. C'est-là tout ce qu'en put apprendre M. l'abbé Sevin, lorsque par ordre du roi il fit en 1729 le voyage de Constantinople, dans l'espérance de pénétrer jusque dans la bibliothèque du grand-seigneur, et d'en obtenir des manuscrits pour enrichir celle du roi.

Quant à la bibliothèque du serrail, elle fut commencée par le sultan Selim, celui qui conquit l'Egypte, et qui aimait les Lettres : mais elle n'est composée que de trois ou quatre mille volumes, turcs, arabes, ou persans, sans nul manuscrit grec. Le prince de Valachie Maurocordato avait beaucoup recueilli de ces derniers, et il s'en trouve de répandus dans les monastères de la Grèce : mais il parait par la relation du voyage de nos académiciens au Levant, qu'on ne fait plus guère de cas aujourd'hui de ces morceaux précieux, dans un pays où les Sciences et les beaux Arts ont fleuri pendant si longtemps.

Il est certain que toutes les Nations cultivent les Sciences les unes plus, les autres moins ; mais il n'y en a aucune où le savoir soit plus estimé que chez les Chinois. Chez ce peuple on ne peut parvenir au moindre emploi qu'on ne soit savant, du moins par rapport au commun de la nation. Ainsi ceux qui veulent figurer dans le monde sont indispensablement obligés de s'appliquer à l'étude. Il ne suffit pas chez eux d'avoir la réputation de savant, il faut l'être réellement pour pouvoir parvenir aux dignités et aux honneurs ; chaque candidat étant obligé de subir trois examens très-sévères, qui répondent à nos trois degrés de bachelier, licencié, et docteur.

De cette nécessité d'étudier il s'ensuit, qu'il doit y avoir dans la Chine un nombre infini de livres et d'écrits, et par conséquent que les gens riches doivent avoir formé chez eux de grandes bibliothèques.

En effet, les historiens rapportent qu'environ deux cent ans avant J. C. Chingius ou Xius, empereur de la Chine, ordonna que tous les livres du royaume (dont le nombre était presque infini) fussent brulés, à l'exception de ceux qui traitaient de la Médecine, de l'Agriculture, et de la Divination, s'imaginant par-là faire oublier les noms de ceux qui l'avaient précédé, et que la postérité ne pourrait plus parler que de lui. Ses ordres ne furent pas exécutés avec tant de soin, qu'une femme ne put sauver les ouvrages de Mentius, de Confucius surnommé le Socrate de la Chine, et de plusieurs autres, dont elle colla les feuilles contre le mur de sa maison, où elles restèrent jusqu'à la mort du tyran.

C'est par cette raison que ces ouvrages passent pour être les plus anciens de la Chine, et surtout ceux de Confucius, pour qui ce peuple a une extrême vénération. Ce philosophe laissa neuf livres, qui sont pour ainsi dire la source de la plupart des ouvrages qui ont paru depuis son temps à la Chine, et qui sont si nombreux, qu'un seigneur de ce pays (au rapport du P. Trigault) s'étant fait chrétien, employa quatre jours à bruler ses livres, afin de ne rien garder qui sentit les superstitions des Chinois. Spizellius, dans son livre de re litteraria Sinensium, dit qu'il y a une bibliothèque sur le mont Lingumen de plus de 30 mille volumes, tous composés par des auteurs chinois, et qu'il n'y en a guère moins dans le temple de Venchung, proche l'école royale.

Il y a plusieurs belles bibliothèques au Japon, car les voyageurs assurent qu'il y a dans la ville de Narad un temple magnifique qui est dédié à Xaca, le sage, le prophète et le législateur du pays ; et qu'auprès de ce temple les bonzes ou prêtres ont leurs appartements, dont un est soutenu par 24 colonnes, et contient une bibliothèque remplie de livres du haut en bas.

Tout ce que nous avons dit est peu de chose en comparaison de la bibliothèque qu'on dit être dans le monastère de la Sainte-Croix, sur le mont Amara en Ethiopie. L'histoire nous dit qu'Antoine Brieus et Laurent de Cremone furent envoyés dans ce pays par Grégoire XIII. pour voir cette fameuse bibliothèque, qui est divisée en trois parties et contient en tout dix millions cent mille volumes, tous écrits sur de beau parchemin, et gardés dans des étuis de soie. On ajoute que cette bibliothèque doit son origine à la Reine de Saba, qui visita Salomon, et reçut de lui un grand nombre de livres, particulièrement ceux d'Enoch sur les éléments et sur d'autres sujets philosophiques, avec ceux de Noé sur les sujets de Mathématique et sur le rit sacré ; et ceux qu'Abraham composa dans la vallée de Mambré, où il enseigna la Philosophie à ceux qui l'aidèrent à vaincre les rois qui avaient fait prisonnier son neveu Lot, avec les livres de Job, et d'autres que quelques-uns nous assurent être dans cette bibliothèque, aussi-bien que les livres d'Esdras, des Sibylles, des Prophètes et des grands-prêtres des Juifs, outre ceux qu'on suppose avoir été écrits par cette reine et par son fils Mémilech, qu'on prétend qu'elle eut de Salomon. Nous rapportons ces opinions moins pour les adopter, que pour montrer que de très-habiles gens y ont donné leur créance, tels que le P. Kircher. Tout ce qu'on peut dire des Ethiopiens, c'est qu'ils ne se soucient guère de la littérature profane, et par conséquent qu'ils n'ont guère de livres grecs ni latins sur des sujets historiques ou philosophiques ; car ils ne s'appliquent qu'à la littérature sacrée, qui fut d'abord extraite de livres grecs, et ensuite traduite dans leur langue. Ils sont schismatiques, et sectateurs d'Eutychès et de Nestorius. Voyez EUTYCHIENS et NESTORIENS.

Les Arabes d'aujourd'hui ne connaissent nullement les Lettres ; mais vers le Xe siècle, et surtout sous le règne d'Almanzor, aucun peuple ne les cultivait avec plus de succès qu'eux.

Après l'ignorance qui régnait en Arabie avant le temps de Mahomet, le calife Almamon fut le premier qui fit revivre les Sciences chez les Arabes ; il fit traduire en leur langue un grand nombre des livres qu'il avait forcé Michel III. empereur de Constantinople, de lui laisser choisir de sa bibliothèque et par tout l'empire, après l'avoir vaincu dans une bataille.

Le roi Manzor ne fut pas moins assidu à cultiver les Lettres. Ce grand prince fonda plusieurs écoles et bibliothèques publiques à Maroc, où les Arabes se vantent d'avoir la première copie du code de Justinien.

Eupennas dit que la bibliothèque de Fez est composée de 32 mille volumes ; et quelques-uns prétendent que toutes les décades de Tite-Live y sont, avec les ouvrages de Pappus d'Alexandrie, fameux mathématicien ; ceux d'Hippocrate, de Galien et de plusieurs autres bons auteurs, dont les écrits ou ne sont pas parvenus jusqu'à nous, ou n'y sont parvenus que très-imparfaits.

Selon quelques voyageurs, il y a à Gaza une autre belle bibliothèque d'anciens livres, dans la plupart desquels on voit des figures d'animaux et des chiffres, à la manière des Egyptiens ; ce qui fait présumer que c'est quelque reste de la bibliothèque d'Alexandrie.

Il y a une bibliothèque à Damas, où François Rosa, de Ravenne, trouva la philosophie mystique d'Aristote en arabe, qu'il publia dans la suite.

On a Ve par ce que nous avons déjà dit, que la bibliothèque des empereurs grecs n'a point été conservée, et que celle des sultants est très-peu de chose ; ainsi ce qu'on trouve à cet égard dans Baudier et d'autres auteurs qui en racontent des merveilles, ne doit point prévaloir sur le récit simple et sincère qu'ont fait sur le même sujet les savants judicieux qu'on avait envoyés à Constantinople, pour tenter s'il ne serait pas possible de recueillir quelques lambeaux de ces précieuses bibliothèques. D'ailleurs le mépris que les Turcs en général ont toujours témoigné pour les Sciences des Européens, prouve assez le peu de cas qu'ils feraient des auteurs grecs et latins ; mais s'ils les avaient eus en leur possession, on ne voit pas pourquoi ils auraient refusé de les communiquer à la requisition du premier prince de l'Europe.

Il y avait anciennement une très-belle bibliothèque dans la ville d'Ardwil en Perse, où résidèrent les Mages, au rapport d'Oléarius dans son Itinéraire. La Boulaye le Goux dit que les habitants de Sabea ne se servent que de trois livres, qui sont le livre d'Adam, celui du Divan, et l'Alcoran. Un écrivain jésuite assure aussi avoir Ve une bibliothèque superbe à Alger.

L'ignorance des Turcs n'est pas plus grande que n'est aujourd'hui celle des chrétiens grecs, qui ont oublié jusqu'à la langue de leurs pères, l'ancien grec. Leurs évêques leur défendent la lecture des auteurs payens, comme si c'était un crime d'être savant ; de sorte que toute leur étude est bornée à la lecture des actes des sept synodes de la Grèce, et des œuvres de S. Basile, de S. Chrysostome, et de S. Jean de Damas. Ils ont cependant nombre de bibliothèques, mais qui ne contiennent que des manuscrits, l'impression n'étant point en usage chez eux. Ils ont une bibliothèque sur le mont Athos, et plusieurs autres où il y a quantité de manuscrits, mais très-peu de livres imprimés. Ceux qui voudront savoir quels sont les manuscrits qu'on a apportés de chez les Grecs en France, en Italie et en Allemagne, et ceux qui restent encore à Constantinople entre les mains des particuliers, et dans l'île de Pathmos et les autres îles de l'Archipel ; dans le monastère de Sainte Basîle à Caffa, anciennement Théodosia ; dans la Tartarie Crimée, et dans les autres états du grand-Turc, peuvent s'instruire à fond dans l'excellent traité du P. Possevin ; intitulé apparatus sacer ; et dans la relation du voyage que fit M. l'abbé Sevin à Constantinople en 1729 : elle est insérée dans les mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome VII.

Le grand nombre des bibliothèques, tant publiques que particulières, qui font aujourd'hui un des principaux ornements de l'Europe, nous entraînerait dans un détail que ne nous permettent pas les bornes que nous nous sommes prescrites dans cet ouvrage. Nous nous contenterons donc d'indiquer les plus considérables, soit par la quantité, soit par le choix des livres qui les composent.

De ce nombre sont à Copenhague la bibliothèque de l'université, et celle qu'y a fondée Henri Rantzau, gentilhomme danois.

Celle que Christine, reine de Suède, fonda à Stockholm, dans laquelle on voit, entr'autres curiosités, une des premières copies de l'Alcoran : quelques-uns veulent même que ce soit l'original qu'un des sultants Turcs ait envoyé à l'empereur des Romains ; mais cela ne parait guère probable.

La Pologne ne manque pas de bibliothèques : il y en a deux très-considérables ; l'une à Vilna, fondée par plusieurs rois de Pologne, selon Cromer et Bozuis ; et l'autre à Cracovie.

Quant à la Russie, il est certain qu'à l'exception de quelques traités sur la religion en langue sclavone, il n'y avait aucun livre de Sciences, et même presque pas l'ombre de Littérature avant le Czar Pierre I. qui au milieu des armes faisait fleurir les Arts et les Sciences, et fonda plusieurs académies en différentes parties de son empire. Ce grand prince fit un fonds très-considérable pour la bibliothèque de son académie de Petersbourg, qui est très-fournie de livres dans toutes sortes de Sciences.

La bibliothèque royale de Petershof est une des plus belles de l'Europe, et le cabinet de bijoux et de curiosités est inestimable.

La bibliothèque publique d'Amsterdam serait beaucoup plus utile, si les livres y étaient arrangés avec plus d'ordre et de méthode ; mais le malheur est qu'on ne saurait les trouver sans une peine extrême : la collection est au reste très-estimable.

Il y en a dans les Pays-Bas plusieurs autres fort curieuses, telles que celles des Jésuites et des Dominicains à Anvers ; celle des moines de saint Pierre à Gand ; celle de Dunkerque, celle de Gemblours, abondante en anciens manuscrits, auxquels Erasme et plusieurs autres savants ont souvent eu recours ; celles d'Harderwick, d'Ypres, de Liège, de Louvain, de Leyde, etc.

Il y a deux bibliothèques publiques à Leyde ; l'une fondée par Antoine Thisius ; l'autre, qui est celle de l'université, lui a été donnée par Guillaume I. prince d'Orange : elle est fort estimée par les manuscrits grecs, hébraïques, chaldéens, syriaques, persans, arméniens et russes, que Joseph Scaliger laissa à cette école, où il avait professé pendant plusieurs années. La bible Complutensienne n'est pas un de ses moindres ornements ; elle fut donnée par Philippe II. roi d'Espagne, au prince d'Orange, qui en fit présent à l'université de cette ville. Cette bibliothèque a été augmentée par celle de Holmannus, et surtout du célèbre Isaac Vossius. Cette dernière contenait un grand nombre de manuscrits précieux, qui venaient, à ce qu'on croit, du cabinet de la reine Christine de Suède.

L'Allemagne honore et cultive trop les Lettres, pour n'être pas fort riche en bibliothèques. On compte parmi les plus considérables celles de Francfort sur l'Oder, de Leypsic, de Dresde, d'Augsbourg, de Bâle en Suisse, où l'on voit un manuscrit du nouveau Testament en lettres d'or, dont Erasme fit grand usage pour corriger la version de ce saint livre. Il y a encore à Bâle les bibliothèques d'Erasme, d'Amesbach, et de Feche.

La bibliothèque du duc de Wolfembutel est composée de celles de Marquardus Freherus, de Joachim Cluten, et d'autres collections curieuses. Elle est très-considérable par le nombre et la bonté des livres, et par le bel ordre qu'on y a mis : on assure qu'elle contient 116 mille volumes, et 2 mille manuscrits latins, grecs et hébraïques.

Celle du roi de Prusse à Berlin est encore plus nombreuse que celle du duc de Wolfembutel, et les livres en sont aussi mieux reliés : elle fut fondée par Fréderic Guillaume, électeur de Brandebourg ; et elle a été considérablement augmentée par l'accession de celle du célèbre M. Spanheim. On y trouve entr'autres raretés, plusieurs manuscrits ornés d'or et de pierreries, du temps de Charlemagne.

Il y a encore en Allemagne un fort grand nombre d'autres bibliothèques très-curieuses, mais dont le détail nous menerait trop loin. Nous finirons par celle de l'empereur à Vienne, qui contient 100 mille volumes. Il y a un nombre prodigieux de manuscrits grecs, hébraïques, arabes, turcs et latins. Lambatius a publié un catalogue du tout, et a gravé les figures des manuscrits, mais elles ne sont pas fort intéressantes. Cette bibliothèque fut fondée par l'empereur Maximilien en 1480. La bibliothèque remplit huit grands appartements, auprès desquels en est un neuvième pour les médailles et les curiosités où, ce qu'il y a de plus remarquable, est un grand bassin d'émeraude. Cette bibliothèque fut bien enrichie par celle du feu prince Eugène, qui était fort nombreuse.

Venise a une célèbre bibliothèque, qu'on nomme communément la bibliothèque de S. Marc, où l'on conserve l'évangîle de ce saint, écrit, à ce qu'on prétend, de sa propre main ; et qui après avoir été longtemps à Aquilée où il prêcha la foi, fut porté à Venise : mais dans le vrai il n'y en a que quelques cahiers, et encore d'une écriture si effacée, qu'on ne peut distinguer si c'est du grec ou du latin. Cette bibliothèque est d'ailleurs fort riche en manuscrits : celles que le cardinal Bessarion et Pétrarque léguèrent à la république, sont aussi dans la même ville, et unies à celle que le sénat a fondée à l'hôtel de la monnaie.

Padoue est plein de bibliothèques : en effet, cette ville a toujours été célèbre par son université, et par le grand nombre de savants qui lui doivent la naissance. On y voit la bibliothèque de S. Justin, celle de S. Antoine, et celle de S. Jean de Latran. Sixte de Sienne dit qu'il a Ve dans cette dernière une copie de l'épitre de S. Paul aux peuples de Laodicée, et qu'il en fit même un extrait.

La bibliothèque de Padoue fut fondée par Pignorius ; Thomazerius nous en a donné un catalogue dans sa Bibliotheca.

Il y en a une magnifique à Ferrare, où l'on voit grand nombre de manuscrits anciens et d'autres monuments curieux de l'antiquité, comme des statues, des tableaux, et des médailles de la collection de Pierre Ligorius, célèbre architecte, et l'un des plus savants de son siècle.

On prétend que dans celle des Dominicains à Bologne, on voit le Pentateuque écrit de la main d'Esdras. Tissard, dans sa grammaire hébraïque, dit l'avoir Ve souvent, et qu'il est très-bien écrit sur une seule grande peau ; mais Hottinger prouve clairement que ce manuscrit n'a jamais été d'Esdras.

A Naples les Dominicains ont une belle bibliothèque, où sont les ouvrages de Pontanus, que sa fille Eugénie donna pour immortaliser la mémoire de son illustre père.

La bibliothèque de S. Ambraise à Milan, fut fondée par le cardinal Fréderic Borromée : elle a plus de dix mille manuscrits, recueillis par Antoine Oggiati. Quelques-uns prétendent qu'elle fut enrichie aux dépens de celle de Pinelli : on peut dire qu'elle n'est inférieure à aucune de celles dont nous avons parlé, puisqu'elle contenait il y a quelques années 46 mille volumes et 12 mille manuscrits, sans compter ce qu'on y a ajouté depuis. Elle est publique.

La bibliothèque du duc de Mantoue peut être mise au nombre des bibliothèques les plus curieuses du monde. Elle souffrit à la vérité beaucoup pendant les guerres d'Italie qui éclatèrent en 1701 ; et sans-doute elle a été transportée à Vienne. C'est là qu'était la fameuse plaque de bronze, couverte de chiffres égyptiens et d'hiéroglyphes, dont le savant Pignorius a donné l'explication.

La bibliothèque de Florence contient tout ce qu'il y a de plus brillant, de plus curieux, et de plus instructif ; elle renferme un nombre prodigieux de livres et de manuscrits les plus rares en toutes sortes de langues, quelques-uns sont d'un prix inestimable : les statues, les médailles, les bustes et d'autres monuments de l'antiquité, y sont sans nombre. Le musaeum Florentinum peut seul donner une juste idée de ce magnifique cabinet ; et la description de la bibliothèque mériterait seule un volume à part. Il ne faut pas oublier le manuscrit qui se conserve dans la chapelle de la cour ; c'est l'évangîle de S. Jean, qui, à ce qu'on prétend, est écrit de sa propre main.

Il y a deux autres bibliothèques à Florence, dont l'une fut fondée en l'église de S. Laurent par le pape Clément VII. de la famille de Médicis, et est ornée d'un grand nombre de manuscrits hébraïques, grecs, et latins.

L'autre fut fondée par Cosme de Médicis, dans l'église de S. Marc qui appartient aux Jacobins.

Il y a une très-belle bibliothèque à Pise, qu'on dit avoir été enrichie de 8000 volumes, qu'Alde Manuce légua à l'académie de cette ville.

La bibliothèque du roi de Sardaigne à Turin est très-curieuse par rapport aux manuscrits du célèbre Pierre Ligorius, qui dessina toutes les antiquités de l'Italie.

Le pape Nicolas V. fonda une bibliothèque à Rome composée de six mille volumes des plus rares : quelques-uns disent qu'elle fut formée par Sixte-Quint, parce que ce pape ajouta beaucoup à la collection commencée par le pape Nicolas V. Il est vrai que les livres de cette bibliothèque furent dispersés sous le pontificat de Calixte III. qui succéda au pape Nicolas ; mais elle fut rétablie par Sixte IV. Clément VII. et Léon X. Elle fut presqu'entièrement détruite par l'armée de Charles V. sous les ordres du connétable de Bourbon et de Philibert prince d'Orange, qui saccagèrent Rome avant le pontificat de Sixte-Quint.

Ce pape qui aimait les savants et les lettres, non-seulement rétablit la bibliothèque dans son ancienne splendeur, mais il l'enrichit encore d'un grand nombre de livres et d'excellents manuscrits. Elle ne fut pas fondée au Vatican par Nicolas V. mais elle y fut transportée par Sixte IV. et ensuite à Avignon, en même temps que le saint-siège, par Clément V. et de-là elle fut rapportée au Vatican sous le pontificat de Martin V. où elle est encore aujourd'hui.

On convient généralement que le Vatican doit une grande partie de sa belle bibliothèque à celle de l'électeur Palatin, que le comte de Tilly prit avec Heidelberg en 1622. D'autres cependant prétendent, et ce semble avec raison, que Paul V. qui était pour lors pape, n'eut qu'une très-petite et même la plus mauvaise partie de la bibliothèque palatine : tous les ouvrages les plus estimables ayant été emportés par d'autres, et principalement par le duc de Bavière.

La bibliothèque du Vatican, que Baronius compare à un filet qui reçoit toutes sortes de poissons tant bons que mauvais, est divisée en trois parties : la première est publique, et tout le monde peut y avoir recours pendant deux heures de certains jours de la semaine : la seconde partie est plus secrète ; et la troisième ne s'ouvre jamais que pour certaines personnes, de sorte qu'on pourrait la nommer le sanctuaire du Vatican. Sixte-Quint l'enrichit d'un très-grand nombre d'ouvrages, soit manuscrits, soit imprimés, et la fit orner de peintures à fresque par les plus grands maîtres de son temps. Entr'autres figures emblématiques dont le détail serait ici trop long, on voit toutes les bibliothèques célèbres du monde représentées par des livres peints, et au-dessous de chacune une inscription qui marque l'ordre du temps de leur fondation.

Cette bibliothèque contient un grand nombre d'ouvrages rares et anciens, entr'autres deux copies de Virgile qui ont plus de mille ans ; elles sont écrites sur du parchemin, de même qu'une copie de Térence, faite du temps d'Alexandre Sévère et par son ordre : on y voit les actes des apôtres en lettres d'or. Ce manuscrit était orné d'une couverture d'or enrichie de pierreries, et fut donné par une reine de Chypre au pape Alexandre VI. mais les soldats de Charles V. le dépouillèrent de ces riches ornements lorsqu'ils saccagèrent Rome. Il y a aussi une bible grecque très-ancienne ; les épigrammes de Pétrarque écrites de sa propre main, les ouvrages de S. Thomas d'Aquin traduits en grec par Démétrius Cydonius de Thessalonique ; une copie du volume que les Perses ont fait des fables de Locman, que M. Huet a prouvé être le même qu'Esope : on y voit aussi les premières copies des ouvrages de Tacite, qui ne furent découvertes que sous le pontificat de Léon X.

Outre le grand nombre d'excellents livres qui sont l'ornement de la bibliothèque du Vatican, il y a encore plus de dix mille manuscrits dont Angelus de Rhocca a publié le catalogue.

Quelques-uns rapportent que Clément VIII. augmenta considérablement cette bibliothèque, tant en livres imprimés qu'en manuscrits ; en quoi il fut aidé par Fulvius Ursinus ; que Paul V. l'enrichit des manuscrits du cardinal Alteni, et d'une partie de la bibliothèque palatine ; et qu'Urbain VIII. fit apporter du collège des Grecs de Rome un grand nombre de livres grecs au Vatican, dont il fit Léon Allatius bibliothécaire.

Il y avait plusieurs autres belles bibliothèques à Rome, particulièrement celle du cardinal François Barberini, qui contenait, à ce qu'on prétend, vingt-cinq mille volumes imprimés, et cinq mille manuscrits. Il y a aussi les bibliothèques du palais Farnese, de sainte-Marie in ara coeli, de sainte-Marie sur la Minerve, des Augustins, des PP. de l'Oratoire, des Jésuites, du feu cardinal Montalte, du cardinal Sforza ; celles des églises de la Sapienza, de la Chiezanova, de san-Isidore, du collège romain, du prince Borghese, du prince Pamphili, du connétable Colonna, et de plusieurs autres princes, cardinaux, seigneurs, et communautés religieuses, dont quelques-unes sont publiques.

La première et la plus considérable des bibliothèques d'Espagne, est celle de l'Escurial au couvent de S. Laurent, fondée par Charles V. mais considérablement augmentée par Philippe II. Les ornements de cette bibliothèque sont fort beaux ; la porte est d'un travail exquis, et le pavé de marbre ; les tablettes sur lesquelles les livres sont rangés, sont peintes d'une infinité de couleurs, et toutes de bois des Indes : les livres sont superbement dorés ; il y a cinq rangs d'armoires les unes au-dessus des autres, où les livres sont gardés ; chaque rang a cent pieds de long. On y voit les portraits de Charles V. de Philippe II. Philippe III. et Philippe IV. et plusieurs globes, dont l'un représente avec beaucoup de précision le cours des astres, eu égard aux différentes positions de la terre. Il y a un nombre infini de manuscrits dans cette bibliothèque, et entr'autres l'original du livre de S. Augustin sur le baptême. Quelques-uns pensent que les originaux de tous les ouvrages de ce père sont à la bibliothèque de l'Escurial, Philippe II. les ayant achetés de celui au sort de qui ils tombèrent lors du pillage de la bibliothèque de Muley Cydam, roi de Fez et de Maroc, quand les Espagnols prirent la forteresse de Larache où était cette bibliothèque. C'est du moins ce qu'assure Pierre Daviti, dans sa généalogie des rois de Maroc, où il dit que cette bibliothèque contenait plus de quatre mille volumes arabes sur différents sujets, et qu'ils furent portés à Paris pour y être vendus ; mais que les Parisiens n'ayant pas de goût pour cette langue, ils furent ensuite portés à Madrid, où Philippe II. les acheta pour sa bibliothèque de l'Escurial.

Il y a dans cette bibliothèque près de trois mille manuscrits arabes, dont Hottinger a donné le catalogue. Il y a aussi nombre de manuscrits grecs et latins ; en un mot c'est une des plus belles bibliothèques du monde.

Quelques-uns prétendent qu'elle a été augmentée par les livres du cardinal Sirlet, archevêque de Sarragosse, et d'un ambassadeur espagnol ; ce qui l'a rendue beaucoup plus parfaite : mais la plus grande partie fut brulée par le tonnerre en 1670.

Il y avait anciennement une très-magnifique bibliothèque dans la ville de Cordoue, fondée par les Maures, avec une célèbre académie où l'on enseignait toutes les Sciences en arabe. Elle fut pillée par les Espagnols lorsque Ferdinand chassa les Maures d'Espagne, où ils avaient régné plus de 600 ans.

Ferdinand Colomb fils de Christophe Colomb, qui découvrit le premier l'Amérique, fonda une très-belle bibliothèque, en quoi il fut aidé par le célèbre Clénard.

Ferdinand Nonius, qu'on prétend avoir le premier enseigné le grec en Espagne, fonda une grande et curieuse bibliothèque, dans laquelle il y avait beaucoup de manuscrits grecs, qu'il acheta fort cher en Italie. D'Italie il alla en Espagne, où il enseigna le grec et le latin à Alcala de Henares, et ensuite à Salamanque, et laissa sa bibliothèque à l'université de cette ville.

L'Espagne fut encore enrichie de la magnifique bibliothèque du cardinal Ximenès à Alcala, où il fonda aussi une université qui est devenue très-célèbre. C'est au même cardinal qu'on a l'obligation de la version de la Bible, connue sous le nom de la Complutensienne.

Il y a aussi en Espagne plusieurs particuliers qui ont de belles bibliothèques ; telles étaient celles d'Arias Montanus, d'Antonius Augustinus, savant archevêque de Tarragone, de Michel Tomasius, et autres.

Le grand nombre de savants et d'hommes versés dans les différents genres de littérature, qui ont de tout temps fait regarder la France comme une des nations les plus éclairées, ne laisse aucun lieu de douter qu'elle ait été aussi la plus riche en bibliothèques : on ne s'y est pas contenté d'entasser des livres, on les a choisis avec goût et discernement. Les auteurs les plus accrédités ont rendu ce témoignage honorable aux bibliothèques de nos premiers Gaulois : ceux qui voudraient en douter, en trouveront des preuves incontestables dans l'histoire littéraire de la France par les RR. PP. Bénédictins, ouvrage où règne la plus profonde érudition. Nous pourrions faire ici une longue énumération de ces anciennes bibliothèques ; mais nous nous contenterons d'en nommer quelques-unes, pour ne pas entrer dans un détail peu intéressant pour le plus grand nombre de nos lecteurs. La plus riche et la plus considérable de ces anciennes bibliothèques, était celle qu'avait Tonance Ferréol dans sa belle maison de Prusiane, sur les bords de la rivière du Gardon, entre Nimes et Clermont en Auvergne. Le choix et l'arrangement de cette bibliothèque, faisaient voir le bon goût de ce seigneur, et son amour pour le bel ordre. Elle était partagée en trois classes avec beaucoup d'art : la première était composée des livres de piété à l'usage du sexe dévot, rangés aux côtés des sièges destinés aux dames : la seconde contenait des livres de littérature, et servait aux hommes : enfin dans la troisième classe étaient les livres communs aux deux sexes. Il ne faut pas s'imaginer que cette bibliothèque fût seulement pour une vaine parade ; les personnes qui se trouvaient dans la maison en faisaient un usage réel et journalier : on y employait à la lecture une partie de la matinée, et on s'entretenait pendant le repas de ce qu'on avait lu, en joignant ainsi dans le discours l'érudition à la gaieté de la conversation.

Chaque monastère avait aussi dans son établissement une bibliothèque, et un moine préposé pour en prendre soin. C'est ce que portait la règle de Tarnat et celle de S. Benait. Rien dans la suite des temps ne devint plus célèbre que les bibliothèques des moines : on y conservait les livres de plusieurs siècles, dont on avait soin de renouveller les exemplaires ; et sans ces bibliothèques, il ne nous resterait guère d'ouvrages des anciens. C'est de-là en effet que sont sortis presque tous ces excellents manuscrits qu'on voit aujourd'hui en Europe, et d'après lesquels on a donné au public, depuis l'invention de l'Imprimerie, tant d'excellents ouvrages en tout genre de Littérature.

Dès le VIe siècle on commença dans quelques monastères à substituer au travail pénible de l'agriculture, l'occupation de copier les anciens livres, et d'en composer de nouveaux. C'était l'emploi le plus ordinaire, et même l'unique, des premiers cénobites de Marmoutier. On regardait alors un monastère qui n'aurait pas eu de bibliothèque, comme un fort ou un camp dépourvu de ce qui lui était le plus nécessaire pour sa défense : claustrum sine armario, quasi castrum sine armamentario. Il nous reste encore de précieux monuments de cette sage et utîle occupation dans les abbayes de Citeaux et de Clairvaux, ainsi que dans la plus grande partie des abbayes de l'ordre de S. Benait.

Les plus célèbres bibliothèques des derniers temps ont été celles de M. de Thou ; de M. le Tellier, archevêque de Rheims ; de M. Butteau, fort riche en livres sur l'histoire de France ; de M. de Caislin, abondante en manuscrits grecs ; de M. Baluse dont il sera parlé tout-à-l'heure à l'occasion de celle du roi ; de M. Dufay, du cardinal Dubais, de M. Colbert, du comte d'Hoym, de M. le maréchal d'Etrées, de MM. Bigot, de M. Danty d'Isnard, de M. Turgot de Saint-Clair, de M. Burette, et de M. l'abbé de Rothelin. Nous n'entrons dans aucun détail sur le mérite de ces différentes bibliothèques, parce que les catalogues en existent, et qu'ils ont été faits par de fort savants hommes. Nous avons encore aujourd'hui des bibliothèques qui ne le cedent point à celles que nous venons de nommer : les unes sont publiques, les autres sont particulières.

Les bibliothèques publiques sont celles du Roi, dont nous allons donner l'histoire ; celles de S. Victor, du collège Mazarin, de la Doctrine-Chrétienne, des Avocats, et de S. Germain-des-Prés : celle-ci est une des plus considérables, par le nombre et par le mérite des anciens manuscrits qu'elle possède ; elle a été augmentée en 1718 des livres de M. L. d'Etrées, et en 1720 de ceux de M. l'abbé Renaudot. M. le Cardinal de Gesvres légua sa bibliothèque à cette abbaye en 1744, sous la condition que le public en jouirait une fois la semaine. M. l'évêque de Mets, duc de Caislin, lui a aussi légué un nombre considérable de manuscrits, qui avaient appartenu ci-devant au chancelier Seguier.

Les bibliothèques particulières qui jouissent de quelque réputation, soit pour le nombre, soit pour la qualité des livres, sont celle de sainte Génevieve, à laquelle vient d'être réuni, par le don que lui en a fait M. le duc d'Orléans, le riche cabinet des médailles que feu M. le Régent avait formé ; celles de Sorbonne, du collège de Navarre, des Jésuites de la rue S. Jacques et de la rue S. Antoine, des prêtres de l'Oratoire, et des Jacobins. Celle de M. Falconet, infiniment précieuse par le nombre et par le choix des livres qu'elle renferme, mais plus encore par l'usage qu'il en sait faire, pourrait être mise au rang des bibliothèques publiques, puisqu'en effet les gens de lettres ont la liberté d'y aller faire les recherches dont ils ont besoin, et que souvent ils trouvent dans la conversation de M. Falconet, des lumières qu'ils chercheraient vainement dans ses livres.

Celle de M. de Boze est peut-être la plus riche collection qui ait été faite de livres rares et précieux dans les différentes langues ; elle est encore recommandable par la beauté et la bonté des éditions, ainsi que par la propreté des reliures. Si cette attention est un luxe de l'esprit, c'en est un au moins qui fait autant d'honneur au goût du propriétaire, que de plaisir aux yeux du spectateur.

Après avoir parlé des principales bibliothèques connues dans le monde, nous finirons par celle du Roi, la plus riche et la plus magnifique qui ait jamais existé. L'origine en est assez obscure : formée d'abord d'un nombre peu considérable de volumes, il n'est pas aisé de déterminer auquel de nos rois elle doit sa fondation. Ce n'est qu'après une longue suite d'années et diverses révolutions, qu'elle est enfin parvenue à ce degré de magnificence et à cette espèce d'immensité, qui éterniseront à jamais l'amour du Roi pour les Lettres, et la protection que ses ministres leur ont accordée.

Quand on supposerait qu'avant le XIVe siècle les livres de nos rois ont été en assez grand nombre pour mériter le nom de bibliothèques, il n'en serait pas moins vrai que ces bibliothèques ne subsistaient que pendant la vie de ces princes ; ils en disposaient à leur gré ; et presque toujours dissipées à leur mort, il n'en passait guère à leurs successeurs, que ce qui avait été à l'usage de leur chapelle. S. Louis qui en avait rassemblé une assez nombreuse, ne la laissa point à ses enfants ; il en fit quatre portions égales, non compris les livres de sa chapelle, et la légua aux Jacobins et aux Cordeliers de Paris, à l'abbaye de Royaumont, et aux Jacobins de Compiègne. Philippe-le-Bel et ses trois fils en firent de même. Ce n'est donc qu'aux règnes suivants que l'on peut rapporter l'établissement d'une bibliothèque royale, fixe, permanente, destinée à l'usage du public, en un mot comme inaliénable et comme une des plus précieuses portions des meubles de la couronne. Charles V. dont les trésors littéraires consistaient en un fort petit nombre de livres qu'avait eu le roi Jean, son prédécesseur, est celui à qui l'on croit devoir les premiers fondements de la bibliothèque royale d'aujourd'hui. Il était savant ; son goût pour la lecture lui fit chercher tous les moyens d'acquérir des livres ; aussi sa bibliothèque fut-elle considérablement augmentée en peu de temps. Ce prince toujours attentif au progrès des Lettres ; ne se contenta pas d'avoir rassemblé des livres pour sa propre instruction ; il voulut que ses sujets en profitassent, et logea sa bibliothèque dans une des tours du Louvre, qui pour cette raison fut appelée la tour de la librairie : afin que l'on put y travailler à toute heure, il ordonna qu'on pendit à la voute trente petits chandeliers et une lampe d'argent. Cette bibliothèque était composée d'environ 910 volumes ; nombre remarquable dans un temps où les Lettres n'avaient fait encore que de médiocres progrès en France, et où par conséquent les livres devaient être assez rares.

Ce prince tirait quelquefois des livres de sa bibliothèque du Louvre, et les faisait porter dans ses différentes maisons royales. Charles VI, son fils, et son successeur, tira aussi de sa bibliothèque plusieurs livres qui n'y rentrèrent plus ; mais ces pertes furent réparées par les acquisitions qu'il faisait de temps en temps. Cette bibliothèque resta à-peu-près dans le même état jusqu'au règne de Charles VII. que par une suite des malheurs dont le royaume fut accablé, elle fut totalement dissipée, du moins n'en parut-il de longtemps aucun vestige.

Louis XI. dont le règne fut plus tranquille, donna beaucoup d'attention au bien des Lettres ; il eut soin de rassembler, autant qu'il le put, les débris de la librairie du Louvre ; il s'en forma une bibliothèque qu'il augmenta depuis des livres de Charles de France son frère, et selon toute apparence de ceux des ducs de Bourgogne, dont il réunit le duché à la couronne.

Charles VIII. sans être savant eut du goût pour les livres ; il en ajouta beaucoup à ceux que son père avait rassemblés, et singulièrement une grande partie de la bibliothèque de Naples, qu'il fit apporter en France après sa conquête. On distingue encore aujourd'hui, parmi les livres de la bibliothèque du Roi, ceux des rois de Naples et des seigneurs napolitains, par les armoiries, les souscriptions, les signatures, ou quelques autres marques.

Tandis que Louis XI. et Charles VIII. rassemblaient ainsi le plus de livres qu'il leur était possible, les deux princes de la maison d'Orléans, Charles, et Jean comte d'Angoulème, son frère, revenus d'Angleterre après plus de 25 ans de prison, jetèrent le premier à Blais, et le second à Angoulème, les fondements de deux bibliothèques, qui devinrent bientôt royales, et qui firent oublier la perte qu'on avait faite par la dispersion des livres de la tour du Louvre, dont on croit que la plus grande partie avait été enlevée par le duc de Betfort. Charles en racheta en Angleterre environ soixante volumes, qui furent apportés au château de Blais, et réunis à ceux qui y étaient déjà en assez grand nombre.

Louis XII. fils de Charles, duc d'Orléans, étant parvenu à la couronne, y réunit la bibliothèque de Blais, au milieu de laquelle il avait été, pour ainsi dire élevé ; et c'est peut-être par cette considération qu'il ne voulut pas qu'elle changeât de lieu. Il y fit transporter les livres de ses deux prédécesseurs Louis XI. et Charles VIII. et pendant tout le cours de son règne il s'appliqua à augmenter ce trésor, qui devint encore bien plus considérable lorsqu'il y eut fait entrer la bibliothèque que les Viscomti et les Sforce, ducs de Milan, avaient établie à Pavie, et en outre les livres qui avaient appartenu au célèbre Pétrarque. Rien n'est au-dessus des éloges que les écrivains de ce temps-là font de la bibliothèque de Blais ; elle était l'admiration non-seulement de la France, mais encore de l'Italie.

Français premier, après avoir augmenté la bibliothèque de Blais, la réunit en 1544 à celle qu'il avait commencé d'établir au château de Fontainebleau plusieurs années auparavant ; une augmentation si considérable donna un grand lustre à la bibliothèque de Fontainebleau, qui était déjà par elle-même assez riche. François premier avait fait acheter en Italie beaucoup de manuscrits grecs par Jérôme Fondule, homme de lettres, en grande réputation dans ce temps-là ; il en fit encore acheter depuis par ses ambassadeurs à Rome et à Venise. Ces ministres s'acquitèrent de leur commission avec beaucoup de soin et d'intelligence ; cependant ces différentes acquisitions ne formaient pas au-delà de 400 volumes, avec une quarantaine de manuscrits orientaux. On peut juger delà combien les livres étaient encore peu communs alors, puisqu'un prince qui les recherchait avec tant d'empressement, qui n'épargnait aucune dépense, et qui employait les plus habiles gens pour en amasser, n'en avait cependant pu rassembler qu'un si petit nombre, en comparaison de ce qui s'en est répandu en France dans la suite.

La passion de François premier pour les manuscrits grecs, lui fit négliger les latins et les ouvrages en langues vulgaires étrangères. A l'égard des livres français qu'il fit mettre dans sa bibliothèque, on en peut faire cinq classes différentes : ceux qui ont été écrits avant son règne ; ceux qui lui ont été dédiés ; les livres qui ont été faits pour son usage, ou qui lui ont été donnés par les auteurs ; les livres de Louise de Savoie sa mère ; et enfin ceux de Marguerite de Valais sa sœur : ce qui ne fait qu'à-peu-près 70 volumes.

Jusqu'alors il n'y avait eu pour prendre soin de la bibliothèque royale, qu'un simple garde en titre. François premier créa la charge de bibliothécaire en chef, qu'on appela longtemps, et qui dans ses provisions s'appelle encore, maître de la librairie du Roi.

Guillaume Budé fut pourvu le premier de cet emploi, et ce choix fit également honneur au prince et à l'homme de lettres. Pierre du Chastel ou Chatellain lui succéda ; c'était un homme fort versé dans les langues grecque et latine. Il mourut en 1552 ; et sa place fut remplie, sous Henri II. par Pierre de Montdoré, conseiller au grand-conseil, homme très-savant, surtout dans les Mathématiques. La bibliothèque de Fontainebleau parait n'avoir reçu que de médiocres accroissements sous les règnes des trois fils de Henri II. à cause, sans-doute, des troubles et des divisions que le prétexte de la religion excita alors dans le royaume. Montdoré, ce savant homme, soupçonné et accusé de donner dans les opinions nouvelles en matière de religion, s'enfuit de Paris en 1567, et se retira à Sancerre en Berri, où il mourut de chagrin trois ans après. Jacques Amyot, qui avait été précepteur de Charles IX. et des princes ses frères, fut pourvu, après l'évasion de Montdoré, de la charge de maître de la librairie. Le temps de son exercice ne fut rien moins que favorable aux Arts et aux Sciences : on ne croit pas, qu'excepté quelques livres donnés à Henri III. la bibliothèque royale ait été augmentée d'autres livres que de ceux de privilège. Tout ce que put faire Amyot, ce fut d'y donner entrée aux Savants, et de leur communiquer avec facilité l'usage des manuscrits dont ils avaient besoin. Il mourut en 1593, et sa charge passa au président Jacques-Auguste de Thou, si célèbre par l'histoire de son temps qu'il a écrite.

Henri IV. ne pouvait faire un choix plus honorable aux lettres : mais les commencements de son règne ne furent pas assez paisibles, pour lui permettre de leur rendre le lustre qu'elles avaient perdu pendant les guerres civiles. Sa bibliothèque souffrit quelque perte de la part des factieux. Pour prévenir de plus grandes dissipations, Henri IV. en 1595, fit transporter au collège de Clermont à Paris la bibliothèque de Fontainebleau, dont aussi-bien le commun des Savants n'était pas assez à portée de profiter. Les livres furent à peine arrivés à Paris, qu'on y joignit le beau manuscrit de la grande Bible de Charles-le-Chauve. Cet exemplaire, l'un des plus précieux monuments littéraires du zèle de nos rois de la seconde race pour la religion, avait été conservé depuis le règne de cet empereur, dans l'abbaye de S. Denis. Quelques années auparavant, le président de Thou avait engagé Henri IV. à acquérir la bibliothèque de Catherine de Médicis, composée de plus de 800 manuscrits grecs et latins ; mais différentes circonstances firent que cette acquisition ne put être terminée qu'en 1599. Quatre ans après l'acquisition des manuscrits de la reine Catherine de Médicis, la bibliothèque passa du collège de Clermont chez les Cordeliers, où elle demeura quelques années en dépôt. Le président de Thou mourut en 1617, et français de Thou son fils ainé, qui n'avait que neuf ans, hérita de la charge de maître de la librairie.

Pendant la minorité du jeune bibliothécaire, la direction de la bibliothèque du Roi fut confiée à Nicolas Rigault, connu par divers ouvrages estimés. La bibliothèque royale s'enrichit peu sous le règne de Louis XIII. elle ne fit d'acquisitions un peu considérables, que les manuscrits de Philippe Hurault évêque de Chartres, au nombre d'environ 418 volumes, et 110 beaux manuscrits syriaques, arabes, turcs, et persans, achetés, aussi-bien que des caractères syriaques, arabes, et persans, avec les matrices toutes frappées, des héritiers de M. de Breves, qui avait été ambassadeur à Constantinople. Ce ne fut que sous le règne de Louis XIII. que la bibliothèque royale fut retirée des cordeliers, pour être mise dans une grande maison de la rue de la Harpe, appartenant à ces religieux.

Français de Thou ayant été décapité en 1642, l'illustre Jérôme Bignon, dont le nom seul fait l'éloge, lui succéda dans la charge de maître de la librairie. Il obtint en 1651, pour son fils ainé, nommé Jérôme comme lui, la survivance de cette charge. Quelques années après, M. Colbert, qui méditait déjà ses grands projets, fit donner à son frère, Nicolas Colbert, la place de garde de la librairie, vacante par la mort de Jacques Dupuy. Celui-ci légua sa bibliothèque au Roi. Louis XIV. l'accepta par lettres patentes, registrées au parlement le 16 Avril 1657.

Hippolite, comte de Bethune, fit présent au Roi, à-peu-près dans le même temps, d'une collection fort curieuse de manuscrits modernes, au nombre de 1923 volumes, dont plus de 950 sont remplis de lettres et de pièces originales sur l'histoire de France.

A un zèle également vif pour le progrès des Sciences et pour la gloire de son maître, M. Colbert joignait une passion extraordinaire pour les livres ; il commençait alors à fonder cette célèbre bibliothèque, jusqu'à ces derniers temps la rivale de la bibliothèque du Roi : mais l'attention qu'il eut aux intérêts de l'une, ne l'empêcha pas de veiller aux intérêts de l'autre. La bibliothèque du Roi est redevable à ce ministre des acquisitions les plus importantes. Nous n'entrerons point ici dans le détail de ces diverses acquisitions : ceux qui voudront les connaître dans toute leur étendue, pourront lire le mémoire historique sur la bibliothèque du Roi, à la tête du catalogue, pag. 26. et suiv. Une des plus précieuses est celle des manuscrits de Brienne ; c'est un recueil de pièces concernant les affaires de l'état, qu'Antoine de Lomenie secrétaire d'état, avait rassemblées avec beaucoup de soin en 340 volumes.

M. Colbert trouvant que la bibliothèque du Roi était devenue trop nombreuse pour rester commodément dans la maison de la rue de la Harpe, la fit transporter en 1666 dans deux maisons de la rue Vivienne qui lui appartenaient. L'année suivante le cabinet des médailles, dans lequel était le grand recueil des estampes de l'abbé de Marolles, et autres raretés, fut retiré du Louvre et réuni à la bibliothèque du Roi, dont ils font encore aujourd'hui une des plus brillantes parties. Après la disgrace de M. Fouquet, sa bibliothèque, ainsi que ses autres effets, fut saisie et vendue. Le Roi en fit acheter un peu plus de 1300 volumes, outre le recueil de l'histoire d'Italie.

Il n'était pas possible que tant de livres imprimés joints aux anciens, avec les deux exemplaires des livres de privilège que fournissaient les Libraires, ne donnassent beaucoup de doubles : ce fonds serait devenu aussi embarrassant qu'inutile, si on n'avait songé à s'en défaire par des échanges. Ce fut par ce moyen qu'on fit en 1668 l'acquisition de tous les manuscrits et d'un grand nombre de livres imprimés qui étaient dans la bibliothèque du cardinal Mazarin. Dans le nombre de ces manuscrits, qui était de 2156, il y en avait 102 en langue hébraïque, 343 en arabe, samaritain, persan, turc, et autres langues orientales ; le reste était en langue grecque, latine, italienne, française, espagnole, etc. Les livres imprimés étaient au nombre de 3678. La bibliothèque du Roi s'enrichit encore peu après par l'acquisition que l'on fit à Leyde d'une partie des livres du savant Jacques Golius, et par celle de plus de 1200 volumes manuscrits ou imprimés de la bibliothèque de M. Gilbert Gaumin, doyen des maîtres des requêtes, qui s'était particulièrement appliqué à l'étude et à la recherche des livres orientaux.

Ce n'était pas seulement à Paris et chez nos voisins que M. Colbert faisait faire des achats de livres pour le Roi ; il fit rechercher dans le Levant les meilleurs manuscrits anciens en grec, en arabe, en persan, et autres langues orientales. Il établit dans les différentes cours de l'Europe des correspondances, au moyen desquelles ce ministre vigilant procura à la bibliothèque du Roi des trésors de toute espèce.

L'année 1670 vit établir dans la bibliothèque royale un fonds nouveau bien capable de la décorer, et d'éterniser la magnificence de Louis XIV. ce sont les belles estampes que Sa Majesté fit graver, et qui servent encore aujourd'hui aux présents d'estampes que le Roi fait aux princes, aux ministres étrangers, et aux personnes de distinction qu'il lui plait d'en gratifier. La bibliothèque du Roi perdit M. Colbert en 1683. M. de Louvois, comme surintendant des bâtiments, y exerça la même autorité que son prédécesseur, et acheta de M. Bignon, conseiller d'état, la charge de maître de la Librairie, à laquelle fut réunie celle de garde de la Librairie, dont s'étaient démis volontairement MM. Colbert. Les provisions de ces deux charges réunies, furent expédiées en 1684 en faveur de Camille le Tellier, qu'on a appelé l'abbé de Louvois.

M. de Louvois fit pour procurer à la bibliothèque du Roi de nouvelles richesses, ce qu'avait fait M. Colbert ; il y employa nos ministres dans les cours étrangères, et en effet on en reçut dans les années 1685, 1686, 1687, pour des sommes considérables. Le P. Mabillon qui voyageait en Italie, fut chargé par le Roi d'y rassembler tout ce qu'il pourrait de livres ; il s'acquitta de sa commission avec tant de zèle et d'exactitude, qu'en moins de deux ans il procura à la bibliothèque royale près de 4000 volumes imprimés.

La mort de M. de Louvois arrivée en 1691, apporta quelque changement à l'administration de la bibliothèque du Roi. La charge de maître de la Librairie avait été exercée jusqu'alors sous l'autorité et la direction du surintendant des bâtiments ; mais le Roi fit un règlement en Juillet 1691, par lequel il ordonna que M. l'abbé de Louvois jouirait et ferait les fonctions de maître de la Librairie, intendant et garde du cabinet des livres, manuscrits, médailles, etc. et garde de la bibliothèque royale, sous l'autorité de Sa Majesté seulement.

En 1697, le P. Bouvet, jésuite-missionnaire, apporta 49 volumes chinois que l'empereur de la Chine envoyait en présent au Roi. C'est ce petit nombre de volumes qui a donné lieu au peu de littérature chinoise que l'on a cultivée en France ; mais il s'est depuis considérablement multiplié. Nous ne finirions pas si nous voulions entrer dans le détail de toutes les acquisitions de la bibliothèque royale, et des présents sans nombre qui lui ont été faits. A l'avenement de Louis XIV. à la couronne, sa bibliothèque était tout au plus de 5000 volumes, et à sa mort il s'y en trouva plus de 70000, sans compter le fonds des planches gravées et des estampes ; accroissement immense, et qui étonnerait, si l'on n'avait Ve depuis, la même bibliothèque recevoir à proportion des augmentations plus considérables.

L'heureuse inclination du Roi à protéger les Lettres et les Sciences, à l'exemple de son bisayeul ; l'empressement des ministres à se conformer aux vues de Sa Majesté ; l'attention du bibliothécaire et de ceux qui sont sous ses ordres à profiter des circonstances, en ne laissant, autant qu'il est en eux, échapper aucune occasion d'acquérir ; enfin la longue durée de la paix ; tout ensemble avait conspiré dans le cours du présent règne, à accumuler richesses sur richesses dans un trésor qui déjà du temps du feu Roi n'avait rien qui lui fût comparable.

Parmi les livres du cabinet de Gaston d'Orléans, légués au Roi en 1660, il s'était trouvé quelques volumes de plantes et d'animaux que ce prince avait fait peindre en mignature sur des feuilles détachées de vélin, par Nicolas Robert, dont personne n'a égalé le pinceau pour ces sortes de sujets. Ce travail a été continué sous M. Colbert et jusqu'en 1728, temps auquel on a cessé d'augmenter ce magnifique recueil. Depuis quelques années il a été repris avec beaucoup de succès, et forme aujourd'hui une suite de plus de deux mille cinq cent feuilles, représentant des fleurs, des oiseaux, des animaux, et des papillons.

La bibliothèque du Roi perdit en 1728 M. l'abbé de Louvois, et M. l'abbé Bignon lui succéda. Les Sciences et les Lettres ne virent pas sans espérance un homme qu'elles regardaient comme leur protecteur, élevé à un poste si brillant. M. l'abbé Bignon, presqu'aussi-tôt après sa nomination, se défit de sa bibliothèque particulière, pour ne s'occuper plus que de celle du Roi, à laquelle il donna une collection assez ample et fort curieuse de livres chinois, tartares et indiens qu'il avait. Il signala son zèle pour la bibliothèque du Roi dès les premiers jours de son exercice, par l'acquisition des manuscrits de M. de la Marre, et ceux de M. Baluse, au nombre de plus de mille. Le grand nombre de livres dont se trouvait composée la bibliothèque du Roi, rendait comme impossible l'ordre qu'on aurait voulu leur donner dans les deux maisons de la rue Vivienne ; M. l'abbé de Louvois l'avait représenté plusieurs fais, et dès le commencement de la régence il avait été arrêté de mettre la bibliothèque dans la grande galerie du Louvre ; mais l'arrivée de l'infante dérangea ce projet, parce qu'elle devait occuper le Louvre.

M. l'abbé Bignon en 1721 profita de la décadence de ce qu'on appelait alors le système, pour engager M. le régent à ordonner que la bibliothèque du Roi fût placée à l'hôtel de Nevers rue de Richelieu, où avait été la banque. Sur les ordres du prince, on y transporta sans délai tout ce que l'on put de livres ; mais les différentes difficultés qui se présentèrent, furent cause qu'on ne put obtenir qu'en 1724 des lettres patentes par lesquelles Sa Majesté affecta à perpétuité cet hôtel au logement de sa bibliothèque. Personne n'ignore la magnificence avec laquelle ont été décorés les vastes appartements qu'occupent aujourd'hui les livres du Roi : c'est le spectacle le plus noble et le plus brillant que l'Europe offre en ce genre. M. l'abbé Sallier, professeur royal en langue hébraïque, de l'académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, l'un des quarante de l'académie Française, et nommé en 1726 commis à la garde des livres et manuscrits, ainsi que M. Melot, aussi membre de l'académie des Belles-Lettres, sont de tous les hommes de Lettres attachés à la bibliothèque du Roi, ceux qui lui ont rendu les plus grands services. La magnificence des bâtiments est dû., pour la plus grande partie, à leurs sollicitations : le bel ordre que l'on admire dans l'arrangement des livres, ainsi que dans l'excellent catalogue qui en a été fait, est dû à leurs connaissances ; les accroissements prodigieux qu'elle a reçus depuis 25 ans, à leur zèle ; l'utîle facilité de puiser dans ce trésor littéraire, à leur amour pour les Lettres, et à l'estime particulière qu'ils portent à tous ceux qui les cultivent. C'est du mémoire historique que ces deux savants hommes ont mis à la tête du catalogue de la bibliothèque du Roi, que nous avons extrait tout ce qui la concerne dans cet article. Nous invitons à le lire ceux qui voudront connaître dans un plus grand détail les progrès et les accroissements de cette immense bibliothèque.

Pendant le cours de l'année 1728 il entra dans la bibliothèque du Roi beaucoup de livres imprimés : il en vint de Lisbonne, donnés par MM. les comtes d'Ericeira ; il en vint aussi des foires de Leipsic et de Francfort pour une somme considérable. La plus importante des acquisitions de cette année, fut faite par M. l'abbé Sallier à la vente de la bibliothèque Colbert : elle consistait en plus de mille volumes. Mais de quelque mérite que puissent être de telles augmentations, elles n'ont pas l'éclat de celle que le ministère se proposait en 1728.

L'établissement d'une imprimerie turque à Constantinople, avait fait naître en 1727 à M. l'abbé Bignon l'idée de s'adresser, pour avoir les livres qui sortiraient de cette imprimerie, à Zaïd Aga, lequel, disait-on, en avait été nommé le directeur, et pour avoir aussi le catalogue des manuscrits grecs et autres qui pourraient être dans la bibliothèque du grand-seigneur. M. l'abbé Bignon l'avait connu en 1721, pendant qu'il était à Paris à la suite de Mehemet Effendi son père, ambassadeur de la Porte. Zaïd Aga promit les livres qui étaient actuellement sous la presse ; mais il s'excusa sur l'envoi du catalogue, en assurant qu'il n'y avait personne à Constantinople assez habîle pour le faire. M. l'abbé Bignon communiqua cette réponse à M. le comte de Maurepas, qui prenait trop à cœur les intérêts de la bibliothèque du Roi, pour ne pas saisir avec empressement et avec zèle cette occasion de la servir. Il fut arrêté que la difficulté d'envoyer le catalogue demandé, n'étant fondée que sur l'impuissance de trouver des sujets capables de le composer, on envoyerait à Constantinople des savants qui, en se chargeant de le faire, pourraient voir et examiner de près cette bibliothèque.

Ce n'est pas qu'on fût persuadé à la cour que la bibliothèque tant vantée des empereurs grecs existât encore ; mais on voulait s'assurer de la vérité ou de la fausseté du fait. D'ailleurs le voyage qu'on projetait, avait un objet qui paraissait moins incertain ; c'était de recueillir tout ce qui pouvait rester des monuments de l'antiquité dans le Levant, en manuscrits, en médailles, en inscriptions, etc.

M. l'abbé Sevin et M. l'abbé Fourmont, tous deux de l'Académie des inscriptions et Belles-Lettres, furent chargés de cette commission. Ils arrivèrent au mois de Décembre 1728 à Constantinople ; mais ils ne purent obtenir l'entrée de la bibliothèque du grand-seigneur ; ils apprirent seulement par des gens dignes de foi, qu'elle ne renfermait que des livres turcs et arabes, et nul manuscrit grec ou latin ; et ils se bornèrent à l'autre objet de leur voyage. M. l'abbé Fourmont parcourut la Grèce, pour y déterrer des inscriptions et des médailles ; M. l'abbé Sevin fixa son séjour à Constantinople. Là, secondé de tout le pouvoir de M. le marquis de Villeneuve, ambassadeur de France, il mit en mouvement les consuls et ceux des Echelles qui avaient le plus de capacité, et les excita à faire chacun dans son district quelques découvertes importantes. Avec tous ces secours et les soins particuliers qu'il se donna, il parvint à rassembler en moins de deux ans plus de six cent manuscrits en langue orientale ; mais il perdit l'espérance de rien trouver des ouvrages des anciens grecs, dont on déplore tant la perte. M. l'abbé Sevin revint en France, après avoir établi des correspondances nécessaires pour continuer ce qu'il avait commencé ; et en effet la bibliothèque du Roi a reçu presque tous les ans depuis son retour plusieurs envois de manuscrits, soit grecs, soit orientaux. On est redevable à M. le comte de Maurepas, de l'établissement des enfants ou jeunes de langue qu'on élève à Constantinople aux dépens du Roi ; ils ont ordre de copier et de traduire les livres turcs, arabes et persans ; usage bien capable d'exciter parmi eux de l'émulation. Ces copies et ces traductions sont adressées au ministre, qui après s'en être fait rendre compte, les envoye à la bibliothèque du Roi. Les traductions ainsi jointes aux textes originaux, forment déjà un recueil assez considérable, dont la république des Lettres ne pourra par la suite que retirer un fort grand avantage.

M. l'abbé Bignon, non content des trésors dont la bibliothèque du Roi s'enrichissait, prit les mesures les plus sages pour faire venir des Indes les livres qui pouvaient donner en France plus de connaissance qu'on n'en a de ces pays éloignés, où les Sciences ne laissent pas d'être cultivées. Les directeurs de la compagnie des Indes se prêtèrent avec un tel empressement à ses vues, que depuis 1729 il a été fait des envois assez considérables de livres indiens, pour former dans la bibliothèque du Roi un recueil en ce genre, peut-être unique en Europe.

Dans les années suivantes, la bibliothèque du Roi s'accrut encore par la remise d'un des plus précieux manuscrits qui puisse regarder la monarchie, intitulé registre de Philippe Auguste, qu'avait légué au Roi M. Rouillé du Coudray, conseiller d'état ; et par diverses acquisitions considérables : telles sont celles des manuscrits de S. Martial de Limoges, de ceux de M. le premier président de Mesmes ; du cabinet d'estampes de M. le marquis de Beringhen ; du fameux recueil des manuscrits anciens et modernes de la bibliothèque de M. Colbert, la plus riche l'Europe, si l'on en excepte celle du Roi et celle du Vatican ; du cabinet de M. Cangé, collection infiniment curieuse, dont le catalogue est fort recherché des connaisseurs.

Pour ne pas donner à cet article trop d'étendue, nous avons cru devoir éviter d'entrer dans le détail des différentes acquisitions ; et nous renvoyons encore une fois au mémoire historique qui se trouve à la tête du catalogue de la bibliothèque du Roi.

M. Bignon, maître des requêtes, l'un des quarante de l'académie Française, et descendant de MM. Bignon à qui nous avons eu occasion de donner les plus grands éloges, héritier de leur amour pour les Lettres, comme il l'est des autres grandes qualités qui les ont rendus célèbres, exerce aujourd'hui avec beaucoup d'intelligence et de distinction la charge de maître de la Librairie du Roi.

On a Ve par ce que nous avons dit, avec combien de zèle plusieurs ministres ont concouru à mettre la bibliothèque du Roi dans un état de splendeur et de magnificence qui n'a jamais eu d'exemple. M. de Maurepas est un de ceux sans-doute à qui elle a eu les plus grandes obligations. M. le comte d'Argenson, dans le département de qui elle est aujourd'hui, ami des Lettres et des Savants, regarde la bibliothèque du Roi comme une des plus précieuses parties de son administration ; il continue par goût et par la supériorité de ses lumières, ce qui avait été commencé par son prédécesseur : chose bien rare dans les grandes places. Qu'il soit permis à notre reconnaissance d'élever la voix, et de dire : Heureuse la nation qui peut faire d'aussi grandes pertes, et les réparer aussi facilement !