Le caractère majuscule L nous vient des Latins qui l'avaient reçu des Grecs ; ceux-ci le tenaient des Phéniciens ou des Hébreux, dont l'ancien lamed est semblable à notre l, si ce n'est que l'angle y est plus aigu, comme on peut le voir dans la dissertation du P. Souciet, et sur les médailles hébraïques.

L'articulation représentée par l, est linguale, parce qu'elle est produite par un mouvement particulier de la langue, dont la pointe frappe alors contre le palais, vers la racine des dents supérieures. On donne aussi à cette articulation le nom de liquide, sans-doute parce que comme deux liqueurs s'incorporent pour n'en plus faire qu'une seule resultée de leur mélange, ainsi cette articulation s'allie si bien avec d'autres, qu'elles ne paraissent plus faire ensemble qu'une seule modification instantanée du même son, comme dans blâme, clé, pli, glose, flute, plaine, bleu, clou, gloire, &c.

L triplicem, ut Plinio videtur, sonum habet ; exilem, quando geminatur secundo loco posita, ut ille, Metellus ; plenum, quando finit nomina vel syllabas, et quando habet ante se in eâdem syllabâ aliquam consonantem, ut sol, sylva, flavus, clarus ; medium in aliis, ut lectus, lecta, lectum (Prisc. lib. I. de accidentibus litterarum. Si cette remarque est fondée sur un usage réel, elle est perdue aujourd'hui pour nos organes, et il ne nous est pas possible d'imaginer les différences qui faisaient prononcer la lettre l, ou faible, ou pleine, ou moyenne. Mais il pourrait bien en être de cette observation de Pline, répétée assez modestement par Priscien, comme de tant d'autres que font quelques-uns de nos grammairiens sur certaines lettres de notre alphabet, et qui, pour passer par plusieurs bouches, n'en acquièrent pas plus de vérité ; et telle est par exemple l'opinion de ceux qui prétendent trouver dans notre langue un i consonne différent de j, et qui lui donnent le nom de mouillé faible. Voyez I.

On distingue aussi une l mouillée dans quelques langues modernes de l'Europe ; par exemple, dans le mot français conseil, dans le mot italien meglio (meilleur), et dans le mot espagnol llamar (appeller). L'orthographe des Italiens et des Espagnols à l'égard de cette articulation ainsi considérée, est une et invariable ; gli chez les uns, ll chez les autres, en est toujours le caractère distinctif : chez nous, c'est autre chose.

1°. Nous représentons l'articulation mouillée dont il s'agit, par la seule lettre l, quand elle est finale et précédée d'un i, soit prononcé, soit muet ; comme dans babil, cil, mil (sorte de graine), gentil (payen), péril, bail, vermeil, écueil, fenouil etc. Il faut seulement excepter fil, Nil, mil (adjectif numérique) qui n'entre que dans les expressions numériques composées, comme mil-sept-cent-soixante, et les adjectifs en il, comme vil, civil, subtil, etc. où la lettre l garde sa prononciation naturelle : il faut aussi excepter les cinq mots fusil, sourcil, outil, gril, gentil (joli), et le nom fils, où la lettre l est entièrement muette.

2°. Nous représentons l'articulation mouillée par ll, dans le mot Sulli ; et dans ceux où il y a avant ll un i prononcé, comme dans fille, anguille, pillage, cotillon, pointilleux, etc. Il faut excepter Gilles, mille, ville, et tous les mots commençant par ill, comme illégitime, illuminé, illusion, illustre, &c.

3°. Nous représentons la même articulation par ill, de manière que l'i est réputé muet, lorsque la voyelle prononcée avant l'articulation, est autre que i ou u ; comme dans paillasse, oreille, oille, feuille, rouille, &c.

4°. Enfin nous employons quelquefois lh pour la même fin, comme dans Milhaut, ville du Rouergue.

Qu'il me soit permis de dire ce que je pense de notre pretendue l mouillée ; car enfin, il faut bien oser quelque chose contre les préjugés. Il semble que l'i prépositif de nos diphtongues doive par-tout nous faire illusion ; c'est cet i qui a trompé les Grammairiens, qui ont cru démêler dans notre langue une consonne qu'ils ont appelée l'i mouillé faible ; et c'est, je crois, le même i qui les trompe sur notre l mouillée, qu'ils appellent le mouillé fort.

Dans les mots feuillages, gentillesse, semillant, carillon, merveilleux, ceux qui parlent le mieux ne font entendre à mon oreille que l'articulation ordinaire l, suivie des diphtongues iage, iesse, iant, ion, ieux, dans lesquelles le son prépositif i est prononcé sourdement et d'une manière très-rapide. Voyez écrire nos dames les plus spirituelles, et qui ont l'oreille la plus sensible et la plus délicate ; si elles n'ont appris d'ailleurs les principes quelquefois capricieux de notre orthographe usuelle, persuadées que l'écriture doit peindre la parole, elles écriront les mots dont il s'agit de la manière qui leur paraitra la plus propre pour caractériser la sensation que je viens d'analyser ; par exemple feuliage, gentiliesse, semiliant, carilion, merveilieux, ou en doublant la consonne, feuilliage, gentilliesse, semilliant, carillion, merveillieux. Si quelques-unes ont remarqué par hazard que les deux ll sont précédées d'un i, elles le mettront ; mais elles ne se dispenseront pas d'en mettre un second après : c'est le cri de la nature qui ne cede dans les personnes instruites qu'à la connaissance certaine d'un usage contraire ; et dont l'empreinte est encore visible dans l'i qui précède les ll.

Dans les mots paille, abeille, vanille, rouille, et autres terminés par lle, quoique la lettre l ne soit suivie d'aucune diphtongue écrite, on y entend aisément une diphtongue prononcée ie, la même qui termine les mots Blaie (ville de Guienne), paye, foudroye, truye. Ces mots ne se prononcent pas tout-à fait comme s'il y avait palieu, abélieu, vanilieu, roulieu ; parce que dans la diphtongue ieu, le son post-positif eu est plus long et moins sourd que le son muet e ; mais il n'y a point d'autre différence, pourvu qu'on mette dans la prononciation la rapidité qu'une diphtongue exige.

Dans les mots bail, vermeil, péril, seuil, fenouil, et autres terminés par une seule l mouillée ; c'est encore la même chose pour l'oreille que les précédents ; la diphtongue ie y est sensible après l'articulation l ; mais dans l'orthographe elle est supprimée, comme l'e muet est supprimé à la fin des mots bal, cartel, civil, seul, Saint-Papoul, quoiqu'il soit avoué par les meilleurs grammairiens, que toute consonne finale suppose l'e muet. Voyez remarques sur la prononciation, par M. Hardouin, secrétaire perpétuel de la société littéraire d'Arras, pag. 41. " L'articulation, dit-il, frappe toujours le commencement et jamais la fin du son ; car il n'est pas possible de prononcer al ou il, sans faire entendre un e féminin après l ; et c'est sur cet e féminin, et non sur l'a ou sur l'i que tombe l'articulation désignée par l ; d'où il s'ensuit que ce mot tel, quoique censé monosyllabe, est réellement dissyllabe dans la prononciation. Il se prononce en effet comme telle, avec cette seule différence qu'on appuie un peu moins sur l'e féminin, qui, sans être écrit, termine le premier de ces mots " Je l'ai dit moi-même ailleurs (art. H), " qu'il est de l'essence de toute articulation de précéder le son qu'elle modifie, parce que le son une fois échappé n'est plus en la disposition de celui qui parle, pour en recevoir quelque modification ".

Il me parait donc assez vraisemblable que ce qui a trompé nos Grammairiens sur le point dont il s'agit, c'est l'inexactitude de notre orthographe usuelle, et que cette inexactitude est née de la difficulté que l'on trouva dans les commencements à éviter dans l'écriture les équivoques d'expression. Je risquerai ici un essai de correction, moins pour en conseiller l'usage à personne, que pour indiquer comment on aurait pu s'y prendre d'abord, et pour mettre le plus de netteté qu'il est possible dans les idées ; car en fait d'orthographe, je sais comme le remarque très-sagement M. Hardouin (pag. 54.), " qu'il y a encore moins d'inconvénient à laisser les choses dans l'état où elles sont, qu'à admettre des innovations considérables. "

1°. Dans tous les mots où l'articulation l est suivie d'une diphtongue où le son prépositif n'est pas un e muet, il ne s'agirait que d'en marquer exactement le son prépositif i après les ll, et d'écrire par exemple, feuilliage, gentilliesse, semilliant, carrillion, mervellieux, milliant, &c.

2°. Pour les mots où l'articulation l est suivie de la diphtongue finale ie, il n'est pas possible de suivre sans quelque modification, la correction que l'on vient d'indiquer ; car si l'on écrivait pallie, abellie, vanillie, rouillie, ces terminaisons écrites pourraient se confondre avec celle des mots Athalie, Cornélie, Emilie, poulie. L'usage de la diérèze fera disparaitre cette équivoque. On sait qu'elle indique la séparation de deux sons consécutifs, et qu'elle avertit qu'ils ne doivent point être réunis en diphtongue ; ainsi la diérèze sur l'e muet qui est à la suite d'un i, détachera l'un de l'autre, fera saillir le son i ; si l'e muet final précédé d'un i est sans diérèze, c'est la diphtongue ie. On écrirait donc en effet pallie, abellie, vanillie, roullie, au lieu de paille, abeille, vanille, rouille, parce qu'il y a diphtongue ; mais il faudrait écrire, Athaliè, Cornéliè, Emiliè, pouliè, parce qu'il n'y a pas de diphtongue.

3°. Quant aux mots terminés par une seule l mouillée, il n'est pas possible d'y introduire la peinture de la diphtongue muette qui y est supprimée ; la rime masculine, qui par-là deviendrait féminine, occasionnerait dans notre poésie un dérangement trop considérable, et la formation des pluriers des mots en ail deviendrait étrangement irrégulière. L'e muet se supprime aisément à la fin, parce que la nécessité de prononcer la consonne finale les amène nécessairement ; mais on ne peut pas supprimer de même sans aucun signe la diphtongue ie, parce que rien ne force à l'énoncer : l'orthographe doit donc en indiquer la suppression. Or on indique par une apostrophe la suppression d'une voyelle, une diphtongue vaut deux voyelles ; une double apostrophe ; ou plutôt afin d'éviter la confusion, deux points posés verticalement vers le haut de la lettre finale l pourrait donc devenir le signe analogique de la diphtongue supprimée ie, et l'on pourrait écrire bal, vermel, péril, seul, fenoul, au lieu bail, vermeil, péril, seuil, fenouil.

Quoi qu'il en sait, il faut observer que bien des gens, au lieu de notre l mouillée, ne font entendre que la diphtongue ie ; ce qui est une preuve assurée que c'est cette diphtongue qui mouille alors l'articulation l : mais cette preuve est un vice réel dans la prononciation, contre lequel les parents et les instituteurs ne sont pas assez en garde.

Anciennement, lorsque le pronom général et indéfini on se plaçait après le verbe, comme il arrive encore aujourd'hui, on insérait entre deux la lettre l avec une apostrophe : " Celui jour portait l'on les croix en processions en plusieurs lieux de France, et les appelait l'on les croix noires " Joinville.

Dans le passage des mots d'une langue à l'autre, ou même d'une dialecte de la même langue à une autre, ou dans les formations des dérivés ou des composés, les trois lettres l, r, u, sont commuables entr'elles, parce que les articulations qu'elles représentent sont toutes trois produites par le mouvement de la pointe de la langue. Dans la production de n, la pointe de la langue s'appuie contre les dents supérieures, afin de forcer l'air à passer par le nez dans la production de l, la pointe de la langue s'élève plus haut vers le palais ; dans la production de r, elle s'élève dans ses trémoussements brusqués, vers la même partie du palais. Voilà le fondement des permutations de ces lettres. Pulmo, de l'attique , au lieu du commun ; illiberalis, illecebrae, colligo, au lieu de inliberalis, inlecebrae, conligo ; pareillement lilium vient de , par le changement de en l ; et au contraire varius vient de , par le changement de en r.

L est chez les anciens une lettre numérale qui signifie cinquante, conformément à ce vers latin :

Quinquies L denos numero designat habendos.

La ligne horizontale au-dessus lui donne une valeur mille fois plus grande. vaut 50000.

La monnaie fabriquée à Bayonne porte la lettre L.

On trouve souvent dans les auteurs L L S avec une expression numérique, c'est un signe abrégé qui signifie sextertius le petit sexterce, ou sextertium, le grand sexterce. Celui-ci valait deux fois et une demi-fais le poids de metal que les Romains appelaient libra (balance), ou pondo, comme on le prétend communément, quoi qu'il y ait lieu de croire que c'était plutôt pondus, ou pondum, i (pesée) ; c'est pour cela qu'on le représentait par LL, pour marquer les deux libra, et par S pour désigner la moitié, semis. Cette libra, que nous traduisons livre, valait cent deniers (denarius) ; et le denier valait 10 as, ou 10 s. Le petit sexterce valait le quart du denier, et conséquemment deux as et un demi- as ; en sorte que le sextertius était à l'as, comme le sextertium au pondus. C'est l'origine de la différence des genres : as sextertius, syncope de semistertius, et pondus sestertium, pour semistertium, parce que le troisième as ou le troisième pondus y est pris à moitié. Au reste quoique le même signe LLS désignât également le grand et le petit sesterce, il n'y avait jamais d'équivoque ; les circonstances fixaient le choix entre deux sommes, dont l'une n'était que la millième partie de l'autre. (B. E. R. M.)

L. Dans le Commerce, sert à plusieurs sortes d'abréviations pour la commodité des banquiers, négociants, teneurs de livres, etc. Ainsi L. ST. signifie livres sterlings. L. DE G. ou L. G. signifie livre de gros. L majuscule batarde, se met pour livres tournois, qui se marque aussi par cette figure ff ; deux petites lb liées de la sorte dénotent livre de poids. Voyez le Dictionnaire de Commerce. (G)