S'il a dans ses trois cartes, ou trois as, ou trois rais, ou trois valets, etc. il a breland. Un breland est supérieur à quelque nombre de points que ce soit ; et entre les brelands, celui d'as est supérieur à celui des rois ; celui de rois à celui de dames, et ainsi de suite.

Les as, ou plus généralement les cartes qui se trouvent dans la main des joueurs, emportent toutes les cartes inférieures de la même couleur qui se trouvent aussi sur le jeu ; ainsi si un joueur a trois cœurs par le valet, et qu'un autre joueur ait ou l'as, ou la dame, ou le roi de cœur seul ou accompagné, il ne reste rien au premier, et le second a quatre cœurs au moins. Il n'y a d'exception à cette règle que le cas du breland ; les as mêmes n'emportent point les cartes qui font breland dans la main d'un joueur.

Celui qui donne met seul au jeu ; cet enjeu s'appelle passe, et la passe est si forte ou si faible qu'on veut. Il y a primauté entre les joueurs. Celui qui est le plus à droite du donneur, prime sur celui qui le suit ; celui-ci sur le troisième, et ainsi de suite. Le donneur est le dernier en carte. A égalité de points entre plusieurs joueurs, le premier en carte a gagné.

On n'est jamais forcé de jouer ; si l'on a mauvais jeu, on passe : si tout le monde passe, la main Ve à celui qui était le premier en carte ; il joint son enjeu au précédent, et il y a deux passes : le nombre des enjeux ou passes augmente jusqu'à ce que quelqu'un joue. Mais si un joueur dit, je joue, n'eut-il point de concurrent, il tire toutes les passes qui sont sur jeu, sans même être obligé de montrer son jeu.

Si un joueur dit, je joue, il met autant d'argent sur jeu qu'il y a de passes ; si un autre joueur dit aussi, je joue, il en fait autant, et ainsi de tous ceux qui joueront : puis ils abattent leurs cartes. Ils s'enlèvent les uns aux autres les cartes de même couleur, inférieures à celles qu'ils ont ; et celui qui compte le plus de points dans les cartes d'une seule couleur, a gagné : ou s'il y a des brelands, celui qui a le breland le plus haut ; ou celui qui a un breland, s'il n'y en a qu'un, tire tout l'argent qui est sur le jeu.

Il faut observer que la carte retournée est du nombre de celles qui peuvent être enlevées ou par celui qui a dans sa main la carte la plus haute de la même couleur, ou de préférence par celui qui a trois autres cartes, non de la même couleur, mais de la même espèce : ainsi dans le cas où la carte retournée serait un dix, le joueur qui aurait trois dix en main, aurait de droit le quatrième ; ce qui lui formerait le jeu qu'on appelle tricon. Le tricon est le jeu le plus fort qu'on puisse avoir ; cependant ce jeu n'est pas sur.

Si le breland est un jeu commode, en ce qu'on ne joue que quand on veut, c'est un jeu cruel, en ce qu'on n'est guère libre de ne jouer que ce qu'on veut. Tel se met au jeu avec la résolution de perdre ou de gagner un louis dans la soirée, qui en perd 50 en un coup. C'est votre tour à parler, vous croyez avoir jeu de risquer la valeur de la passe ; je suppose qu'elle soit d'un écu, vous dites, je joue, et vous mettez au jeu un écu. Celui qui vous suit, croira pouvoir aussi risquer un écu, et dira, je joue, et mettra son écu : mais le troisième croira son jeu meilleur qu'un écu ; il dira, je joue aussi, voilà l'écu de la passe, mais j'en mets vingt, trente, quarante en sus. Le quatrième joueur, ou passe, ou tient, ou enchérit. S'il passe, il met ses cartes au talon ; s'il tient, il met et l'écu de passe, et l'enchère du troisième joueur ; s'il enchérit, il met et l'écu de passe, et l'enchère du troisième joueur, et son enchère particulière. Le cinquième joueur choisit aussi de passer, de tenir ou de pousser. S'il tient, il met la passe, l'enchère du troisième, et celle du quatrième ; s'il pousse ou enchérit, il ajoute encore son enchère. Le jeu se continue de cette manière, jusqu'à ce que le tour de parler revienne à celui qui a joué le premier ; il peut ou passer, en ce cas il perd ce qu'il a déjà mis sur jeu ; ou tenir, en ce cas il ajoute à sa mise la somme nécessaire pour que cette mise et son addition fassent une somme égale à la mise totale du dernier enchérisseur ; où il pousse et enchérit lui-même ; et en ce cas il ajoute encore à cette somme totale son enchère. Les enchères ou tenues se continuent, et vont aussi loin que l'acharnement des joueurs les entraîne, à moins qu'elles ne soient arrêtées tout-court par une dernière tenue faite dans un moment où celui qui tient, ajoutant à sa mise ce qui manque pour qu'elle fasse avec son addition une somme totale égale à la dernière enchère, tous les joueurs se trouvent avoir sur le jeu la même somme d'argent, excepté celui qui a fait, à qui il en coute toujours la passe de plus qu'aux autres. En général, tout joueur qui a moins d'argent sur jeu qu'un autre joueur peut enchérir, et les enchères se poussent nécessairement jusqu'à ce qu'il arrive une tenue au moment où la mise de tous ceux qui ont suivi les enchères, est absolument égale.

Il faut savoir qu'on n'est point obligé de suivre les enchères, et qu'on les abandonne quand on veut ; mais aussi qu'on perd en quittant, tout ce qu'on a mis d'argent sur le jeu : il n'y a que ceux qui suivent les enchères jusqu'au bout, qui puissent gagner.

Lorsque tous les joueurs qui ont suivi les enchères, sont réduits à l'égalité de mise et arrêtés par quelque tenue, ils abattent leurs cartes, ils se distribuent celles qui leur appartiennent par le droit de supériorité de celles qu'ils ont, s'il n'y a point de breland ; et celui qui forme le point le plus haut dans les cartes d'une même couleur, gagne tout. S'il y a un breland celui qui l'a, tire ; s'il y en a plusieurs, tout l'argent appartient au plus fort breland, à moins qu'il n'y ait un tricon : le tricon a barre sur tout. Il n'y a de ressource contre le tricon, que d'avoir plus d'argent que lui, et que de le forcer à quitter par une enchère qu'il n'est pas en état de suivre. C'est par cette raison que nous avons dit que tricon était le plus beau jeu que l'on put avoir, sans toutefois être un jeu sur.

Tel est le jeu qu'on appelle breland : il n'y a peut-être aucun jeu de hazard plus terrible et plus attrayant. Il est difficîle d'y jouer sans en prendre la fureur : et quand on en est possedé, on ne peut plus supporter d'autres jeux : ce qu'il faut, je crois, attribuer à ses révolutions, et à l'espérance qu'on a de pousser le gain tant qu'on veut, et de recouvrer en un coup la perte de dix séances malheureuses ; espérances extravagantes, car il y a démonstration morale que le gain ne peut aller que jusqu'à un certain point ; et il est d'expérience que le grand gain rend les joueurs plus resserrés et plus timides, et que la grande perte les rend plus avides et plus téméraires. La police n'a pas tardé à sentir les tristes suites de ce jeu, et il a été proscrit sous les peines les plus sévères : cependant il se joue toujours, et je suis convaincu que les hommes n'y renonceront que quand ils en auront inventé un autre qui soit aussi égal et plus orageux ; deux conditions difficiles à remplir, car il faut convenir que le breland est un jeu très-égal, quand l'enchère la plus forte est bornée.