Si le fond se trouve rougeâtre, le sel tirera sur la même couleur ; mais le fonds du terrain sera plus ferme : il est propre pour le commerce de la mer Baltique.

Si le sel est verd, il vient d'un terrain verdâtre, il est propre à la salaison de la morue, du hareng et de toutes sortes de viandes ; le sel gris que l'on nomme sel commun, est le même sel que le verdâtre, mais il est plus chargé de vase.

Il faut toujours tâcher d'établir ses marais en un lieu autant uni que faire se pourra, et veiller à ce que les levées que l'on fera du côté de la mer empêchent l'eau de passer dessus : il est très-important de faire cette observation avant que de construire les marais, surtout ceux qui sont au bord de la mer, les autres n'en ont pas besoin. Lorsque l'on a trouvé le terrain, comme on le désire, il faut observer de situer autant qu'il est possible, les marais, de manière à recevoir les vents du nord-est et un peu du nord-ouest. Car les vents les plus utiles sont depuis le nord-ouest, passant par le nord jusqu'à l'est-nord : les autres vents sont trop mous pour faire saler ; il ne faut pas ignorer qu'un vent fort et un air chaud font saler avec promptitude.

Pour construire un marais, l'on choisit la saison de l'hiver ; alors les laboureurs sont moins occupés, leurs terres sont ensemencées ; mais on peut les construire en tout temps, lorsqu'on a des ouvriers. Il est à propos d'avoir un entrepreneur dont le prix se règle par livre de marais ; c'est l'entrepreneur qui paye ses ouvriers, à moins qu'un particulier ne fit travailler à la journée. Pour la conduite du marais il faut un homme entendu à la planimétrie, et qui ait la connaissance du flux et reflux de la mer, afin de faire creuser le jas, et de poser la vareigne ; ces deux points importent beaucoup à ce qu'un marais ne puisse manquer d'eau en aucun temps ; c'est en quoi la plus grande partie des marais de la saline de Marenne péche, faute d'expérience des constructeurs. Il serait à souhaiter que tous les maîtres de marais fussent au fait de l'arpentage, et c'est ce qui n'est pas ; ils se contentent pour la plupart de mesurer le tour d'une terre, et d'en prendre le quart, qu'ils multiplient par le même nombre pour avoir le carré : cette méthode peut passer pour les terrains carrés, mais elle devient insuffisante quand la terre a plusieurs angles rentrants. On sent combien il est important que celui qui a la conduite de l'ouvrage, connaisse le local du marais par pratique.

Chaque marais devrait avoir son jas à lui seul pour plus grande commodité ; on peut cependant les accoupler, comme il parait sur notre plan, et sur celui de la prise du marais de Chatellars ; le marais en serait toujours mieux, les sauniers seraient moins paresseux à fermer la vareigne ou écluse, et ne se remettraient pas de ce soin les uns aux autres, ce qui fait que bien souvent le marais manque d'eau. Il faut que la sole du jas ne soit élevée que de six pouces au plus, au-dessus du mort de l'eau ; par ce moyen, lors même que l'eau monte le moins, le marais ne peut en manquer ; il ne faut prendre que deux pieds d'eau au plus, quoiqu'on en puisse prendre jusqu'à six dans la plus forte maline, ou au plus gros de l'eau, voilà sur quoi on doit se régler. Pour la vareigne, elle aurait huit pieds de haut sur deux de large, qu'il ne faudrait pas de portillons, quoique les sauniers en demandent toujours ; ce portillon est sujet à bien des inconvéniens, le saunier se fiant sur ce que le portillon doit se refermer de lui-même quand la mer se retire, ne veille pas à son écluse, cependant le portillon s'engage, le jas se vide et devient hors d'état de saler, si c'est sur la fin de la maline ; lorsque la maline d'après vient, le saunier prend de l'eau de tous les côtés, cette eau est froide, elle échaude le marais qui par conséquent devient bien souvent hors d'état de saler de plus d'un mois et par delà ; s'il avait la précaution de mettre l'eau peu-à-peu, il ne tomberait jamais dans cet inconvénient, le marais ne se refroidirait pas.

Ensuite on fait les conches à même niveau, et on place le gourmas entre les conches et le jas, comme il est figuré A A, et au plan à la lettre P. Le gourmas est une pièce de bois percée d'un bout à l'autre, à laquelle on met un tampon du côté des conches ; on l'ôte pour faire courir l'eau du jas aux conches avec vivacité ; mais quand il y a 5 à 6 pouces d'eau sur les conches, on le remet pour se servir ensuite des trous qui sont dessus le gourmas au nombre de 4 à 5, d'un pouce de diamètre ; le gourmas est sous l'eau au niveau de la solle, du jas, et des conches ; on le referme avec des chevilles ; quand le saunier prend de l'eau des conches pour entretenir les conchées et le maure, il ouvre une ou deux chevilles, et quelquefois les quatre, pour que l'eau vienne moins vite que par sa voie ordinaire, et par conséquent elle refroidit moins l'eau des conches.

Le maure est un petit canal d'un pied environ de largeur, marqué par la lettre S ; il fait le tour du marais un pouce plus bas que les conches ; lorsqu'il est au bout, il entre dans la table marquée D, et passe par divers pertuis marqués d d ; le pertuis est un morceau de planche percé de plusieurs trous, qui sont bouchés avec des chevilles, pour ménager l'eau nécessaire dans les tables qui ont au plus 2 pouces à 2 pouces 1/2 d'eau ; de la table il Ve au muant marqué F, où il conserve la même hauteur d'eau ; du muant il entre par l'endroit marqué O dans le brassour désigné par les lignes ponctuées.

On fait au bout du brassour, avec la cheville V, qui a un pied de long sur huit lignes de diamètre, des petits trous entre deux terres marqués e, e, e, e, au plan ; c'est par ces trous que l'on fait entrer un pouce d'eau au plus dans les aires pour faire le sel ; l'aire est de deux pouces plus bas que le brassour et le muant ; quand on voit qu'il y a assez d'eau dans les aires pour faire le sel, on referme les trous, en frottant le dedans du brassour avec une pelle marquée T ; on oblige les terres de se rapprocher et de boucher la superficie du trou, pour qu'il n'entre plus d'eau, et le trou reste fait.

Un bon marais doit avoir pour le muant 32 à 33 pieds de largeur ; la longueur n'est pas fixe ; les tables avec le maure 30 pieds. On met quelquefois une velle marquée H aux deux tiers de largeur du côté du marais, et un tiers du côté des bosses ou morts. Les aires ont 18 à 19 pieds de longueur, sur autant de largeur ; elles sont inégales aux croisures de la vie marquée G, qui a 4 ou 5 pieds de longueur. Les velles des deux côtés des aires sont de 18 pouces, et en-dedans de 17 pieds. Ce sont les beaux marais qui sont faits sur ces proportions. Les aires des croisures qui font les chemins de traverse qui servent à porter le sel sur la bosse, sont plus petites, attendu que leur largeur est prise sur les aires les plus proches de ces mêmes croisures. Cet inconvénient se pourrait corriger si on voulait y prêter attention : il y a de largeur 180 pieds. Celui des marais de Chatelars a dans son milieu 126 pieds de large, et au bout 162 ; c'est pourquoi il ne peut avoir que trois rangs d'aires, encore est-il gêné pour ses vivres. Sa longueur est de 195 taises. Quand on fait des marais, la longueur n'est pas déterminée, on se conforme au terrain ; observant cependant que le plus long est le meilleur.

Dans les anciens marais les jas n'ont pas de proportion, mais la grandeur de celui-ci est proportionnée au nombre de livres de marais : il a 19 taises. Les terres d'un jas de cette grandeur sont commodes à faire à cause du charroi ; l'étendue n'en étant pas considérable, rend le transport des terres facile. Les bosses entre jas et marais ont 8 taises ; elles seraient meilleures à 12 et même à 16, comme celles d'entre les deux jas, qui ont 15 taises et demie. La longueur s'en fait aussi à-proportion du marais. Les conches qui répondent aux jas par les gourmas marqués P sur une partie du marais mise en grand pour que l'on voie mieux le cours des eaux qui entrent du même jas dans chaque gourmas ; ces conches, dis-je, sont séparées par une petite velle au milieu, qui fait que quoique la vareigne soit commune aux deux jas, et que les jas aient communication l'un dans l'autre, les conches sont séparées, elles ont leurs eaux à part ; ces conches ont 182 pieds de largeur, mais elles ont sur le côté du marais une petite conche de six taises de large, la longueur en est indéterminée au-moins pour les marais que l'on voudrait construire, car le jas, le marais et les conches qui sont sur ce plan font voir ce que l'on peut faire de livres de marais sur un terrain de 64362 taises carrées, dont 900 font le journal. Les marais faits suivant ce plan, tant les marais réguliers que ceux qui ne le sont pas, font ensemble 38 livres une aire, savoir 20 carreaux à la livre ; chaque livre a sur les vivres du marais à proportion comme sur les bosses, tables, muants, conches, jas et sarretières, s'il s'en rencontre aux propriétés du marais. Il faut observer que beaucoup de jas servent à plusieurs marais ; ils ont un nombre d'écluses : celui qu'on nomme jas de l'épée, qui est devenu gaz, ou perdu, avait, lorsqu'il servait, 23 vareignes ; il fournissait près de 200 livres de marais ; il n'était pas meilleur pour cela.

Les marais se mettent au coy au mois de Mars. Pour vider les eaux par le coy, lettre K et H, on observe de boucher les conduits des tables pour qu'elles ne vident pas ; on largue, on vide l'eau du muant, ensuite avec le boguet P, on commence à nettoyer celles des aires qui sont au haut du marais, et l'on renvoye l'eau au muant, pour qu'il vide toujours au coy : c'est ce que l'on appelle limer un marais. Quand les aires sont nettoyées, on en fait autant au muant ; ensuite pour faire passer les eaux des tables au muant et par les brassours, on garnit les aires pour qu'elles ne sechent pas trop. On nettoie les tables, on fait venir l'eau des conches par le maure qui se rend aux tables, et le marais est prêt à saler. Le saunier devrait aussi nettoyer les conches, les eaux en seraient plus nettes. On jette les boues sur les bosses avec un boguet S ; il commence quelquefois à saler au mois de Mai, mais c'est ordinairement au mois de Juin, ce qui dure jusqu'à la fin de Septembre, quelquefois même jusqu'au 10 ou au 15 Octobre, mais cela est rare. Dans toutes les malines qui sont ordinairement au plein et au renouvellement de la lune, on se sert du gros de la mer qui est environ trois jours avant ou après le plein, pour recevoir de l'eau ; les malines qui sont faites de façon que les marées sont à trois pieds et demi au-dessus du mort de l'eau, manquent ordinairement au mois de Juillet, tant par la faute des sauniers, que par la mauvaise construction des jas.

On connait que le sel se forme quand l'eau rougit ; c'est en cet état qu'étant réchauffé par le soleil et par le vent, il se crême de l'épaisseur du verre : alors on le casse, il Ve au fond, et c'est ce qu'on nomme le brasser ; il s'y forme en grains gros comme des pais, pour lors on l'approche de la vie G avec le rouable qui sert à nettoyer le marais ; ensuite on prend l'outil Q, qui se nomme le servion : il ne diffère du rouable qu'en ce qu'il est un peu plus panché, et qu'il a le manche plus court. On s'en sert pour mettre le sel en pîle sur la vie ; et lorsque le marais est tiré d'un bout à l'autre, on le porte sur les piles ou pilots faits en cône ; il y a aussi des piles qui sont ovales par le pied, et qui vont en diminuant par le haut, telles qu'on les voit au côté du cartouche où je représente les charrais ; ces piles se nomment vaches de sel. A mesure qu'on tire le sel sur la vie, on garnit les aires de nouvelle eau, pour la préparer à saler. Quand un marais commence à saler, il ne donne du sel que tous les huit jours ; et lorsqu'il s'échauffe, on en tire deux et trois fois par semaine : il s'en est Ve même, mais cela est rare, d'où l'on en tirait tous les jours.

Il est bon d'observer que quand un marais est en train de saler, ou trop échauffé à saler, et qu'il passe des nuages qui donnent un brouillard un peu fort ; le marais en sale beaucoup plus, parce qu'il anime la sole du marais ; et quand il ne mouille pas, on rafraichit le marais par les faux gourmas marqués b sur le plan ; ce qui empêche que l'eau dans sa course ne se refroidisse ; on abrège en outre son chemin par des petits canaux qui viennent de la table au muant, dont un est marqué g g ; ils sont rangés de distance en distance, comme ceux que l'on nomme faux gourmas : je n'en ai marqué que quelques-uns, pour éviter la quantité des lettres répétées ; j'ai fait de même pour les brassours marqués O, et j'ai seulement ponctué les autres pour faire connaître les petits canaux qui servent à faire entrer l'eau dans ceux qu'on nomme porte-eau de la table ; on fait au muant comme on a fait aux aires, avec le piquet et la palette, pour mettre le sel sur la pîle ; on se sert pour cela d'un sac garni de paille ; on le nomme bourreau Y. Un homme le met sur ses épaules ; un second tenant deux morceaux de bois ou de planche, nommés seaugeoire, longs de 8 pouces, sur 2 de large, avec une poignée, figure b b, s'en sert pour remplir le panier X, et le met sur le dos de celui qui a le sac ; celui-ci court toujours, et monte sur la pile. Quand il sale beaucoup, ces gens sont tourmentés par un mal qui leur vient aux pieds, et que l'on nomme seaunerons ; mais il n'est pas dangereux, quoiqu'il cause de vives douleurs ; il leur survient encore des crevasses en divers endroits des mains. Quand on veut avoir du sel à l'usage de la table, on lève la crême qui se forme sur l'eau ; ce sel est d'un grain très - fin, et blanc comme de la neige.

Lorsqu'il ne sale plus, on laboure et on ensemence les terres : cet ouvrage se fait à bras, parce qu'on ne peut le faire autrement. Dans l'usage du marais, on se sert d'un outil appelé serrée R, que le saunier nomme la clé du marais, parce qu'effectivement c'est l'instrument le plus utîle à sa construction. Il est d'égale grosseur d'un bout à l'autre ; et de plus il a des pointes à l'un de ses bouts qui vont en s'élargissant ; voilà sa vraie forme, et non celle que des auteurs différents de plans de marais lui ont donnée. On doit remarquer encore qu'ils ont mis leur échelle de 200 taises, quoiqu'elle ne soit que de 33 taises 4 pieds ; en outre, sur leur plan, ils prennent la fosse du gourmas R, pour le jas ou jars ; ils posent la vareigne T, où elle ne peut être ; parce que où est S, doit être un morceau du jas, et non à l'endroit marqué R. Par conséquent ils mettent un chenal à l'autre bout du marais, et c'est celui qui doit répondre à l'écluse qui Ve au jas. Ces auteurs ont été mal instruits ; d'ailleurs tout leur marais est fort bon en corrigeant ces fautes d'explication. De plus ils font encore voir le bout du brassour ouvert en correspondance des aires, ce qui n'est pas ; c'est avec le piquet que l'on communique l'eau, comme je l'ai dit ailleurs ; sa coupe ne doit avoir que 5 pouces au plus d'élévation ; et sa hauteur environ 5 pieds ; les piles de sel doivent avoir 10 et 12 pieds pour les plus hautes ; la leur serait de 25 pieds, ou suivant leur échelle de 25 taises ; ce qui ne peut être. On aura dans nos Planches la prise du marais de Chatelars qu'on a levée sur les lieux avec les mesures les plus justes ; l'on y voit où la vareigne est posée, le tour que les eaux font pour se rendre au muant ; c'est le vrai chenal, le jas, et tout ce qui en dépend. On aperçoit sur notre plan régulier, la course des eaux, à commencer à la vareigne, jusqu'à la coiment où elle Ve se rendre : l'eau parcourt 2380 taises sur un seul côté du marais, et autant, à quelque chose près, de l'autre côté. Le jas contient 2406 taises 54 pieds cubes d'eau, ou environ, en supposant que le jas a deux pieds.

Explication des outils. 30. Le rouable est un morceau de planche long de 2 pieds, et large de 3 pouces et demi. Au milieu est une mortaise carrée où l'on fait entrer de force un manche, nommé queue du rouable, long de 10 à 11 pieds ; on s'en sert pour nettoyer le marais, et pour pousser les boues ou faignes au bord du marais : il sert aussi à brasser le sel quand il se forme, et à le pousser au bord de la vie.

40. Le servion est un morceau de planche, large de dix pouces, sur un pied de haut mis en pente ; le manche a 4 pieds et demi ou 5 pieds de long ; il a de plus un support qui le traverse, et qui Ve aboutir par un bout à l'autre extrémité de la planche ; on s'en sert à retirer le sel du bord de la vie ; on met le sel en pîle dessus pour égoutter ; c'est pour cela qu'il est percé de plusieurs trous.

32. Le boguet est une pelle de deux morceaux, comme on le voit au plan ; le manche a 4 à 4 pieds et demi de long ; on s'en sert pour jeter sur les côtés des bosses les boues qui leur servent de fumier ; ces terres de marais étant grasses ou argilleuses sont aussi très-légères, et par conséquent très-bonnes pour les semences.

26. Les saugeoires sont deux petits morceaux de planche longs de 9 à 10 pouces, sur 2 et demi de large ; sur le milieu de l'extrémité du haut sont cloués deux petits morceaux de bois, longs de 4 pouces ; ils servent de manche pour les prendre de plat en chaque main ; c'est avec quoi on met le sel dans le panier.

24. Le panier est grand de deux pieds ; il en a un de largeur, et sept de profondeur ; on en a plusieurs ; il sert à prendre le sel sur la vie pour le porter sur la pile, pilot, cône, ou vache de sel.

27. Le bourreau est un sac où l'on met un peu de paille ; celui qui porte le sel le met sur son épaule pour empêcher le panier de le blesser.

36. La serrée R, que le sommier nomme la clé du marais, sert à le construire, à boucher et déboucher les pertuis, à raccommoder les velles lorsque l'eau les gâte, ou à raccommoder les trous que les cancres pourraient faire au chantier des claires ou levées.

V. Le picquet est un morceau de bois pointu, long de 10 à 11 pouces, sur 10 à 11 lignes de diamètre ; il sert à faire les trous au bout du brassour, pour faire entrer l'eau aux aires.

T. La patelle sert à reboucher la superficie des trous du côté du brassour ; elle sert aussi à déboucher les lames d'eau qui prennent l'eau des tables au muant et ailleurs.

41. La beche sert à donner le premier labour aux bosses, le vrai terme est rompre les bosses ; on se sert au second labour d'un outil appelé fesour ou marre.

25. La pelle est d'un seul morceau, longue de 3 pieds 1/2, le bas est large de 9 pouces sur un pied de long ; elle est creuse en-dedans, et arrondie vers le manche ; elle sert à prendre le sel à la pîle pour le mettre dans des sacs, où se fait le charroi, et à bord à jeter le sel de la barque à bord du navire, c'est ce que l'on nomme lemper. Il tombe sur le pont, d'où on le met dans le boisseau pour le mesurer, avant de le laisser tomber dans le panneau du navire pour aller à fond-de-cale ; alors on se sert de pelles pour le jeter également en avant et en arrière du navire pour faire son chargement.

37. Le boisseau est une mesure qui peut avoir en hauteur 17 pouces, sur 11 1/2 de large par en-haut, et 11 pouces par en-bas ; il tient, mesure de Brouage, 31 pintes 1/2 d'eau, il est fait de mairain et cerclé comme un tonneau ; il a de plus deux oreilles, où est attaché ou amarré un bout de corde long de 2 pieds, que deux hommes tiennent pour le renverser en présence d'un commis des fermes et du mesureur. Le mesureur est un homme qui a prêté serment à l'amirauté en présence de deux négociants.

28. Les gaffes sont de diverses grandeurs, il y en a de 20 à 25 pieds de long, elles servent au transport du sel ; les barques, par exemple, qui le transportent s'en servent pour pousser, quand elles veulent monter ou descendre d'un chenal ; on dit monter un chenal, pour dire y entrer, et descendre un chenal pour en sortir, il y a une petite gaffe de 6 à 7 pieds de long qui sert au bateau de la barque ; 31. la fourche sert au même usage.

Le salé ou trident est un instrument très propre à prendre des anguilles au jas et aux conches.

28. Le sard blanc est une herbe dont on nourrit les chevaux, c'est celle que l'on met sur les huitres qu'on porte à Paris.

33. Sart ou selin est un sart qui est rond, plein d'eau et de nœuds.

40. Autre espèce qu'on appelle sart brandier ; le saunier en fait des balais pour nettoyer les aires où il bat son grain.

35. Autre espèce nommée sart lisop, il est bon pour les douleurs et pour prendre les bains.

34. Le tamarin est une plante dont le bois brule tout verd, il sert aux sauniers pour se chauffer ; ils en font aussi des cercles pour les petits barrils dans lesquels ils portent leur boisson à l'ouvrage.

Du charrais du sel. Les piles de sel sont de diverses formes ; les unes sont rondes, les autres longues, arrondies sur les bouts, et couvertes avec de la paille dont on a retiré le grain, ou avec une herbe qui vient dans les marais jas ou perdus que l'on nomme ronche ; on a soin de la tremper auparavant dans l'eau salée, pour empêcher les corbeaux ou groles de les découvrir l'hiver ; on ne découvre que le côté de la pîle qu'on veut entamer, ce que l'on fait au nord de la pîle autant qu'on le peut, par ce moyen on perd moins de sel, si on est surpris par le mauvais temps ; c'est une précaution que doit avoir le juré ; le juré est le maître du charroi, c'est lui qui fait agir et qui paye ; il tient un livre coté et paraphé qui se nomme livre de retallement ; il y écrit le jour qu'a commencé et fini le charroi, la quantité de muids, de bosses ou ras, et les sacs qui sont de surplus du muid ; ce livre fait foi en justice, parce que le juré a prêté serment.

Le charroi se fait en présence du commis des fermes qui en prend compte, pour être d'accord avec celui du bord du navire ; il met un homme à bécher le sel, un autre à remplir les sacs, et un troisième pour les charger et les arranger sur les chevaux dont le nombre est limité par le juré, suivant le chemin qu'il y a à faire ; les chevaux sont conduits par des jeunes gens de douze à treize ans, on les nomme asniers ; l'endroit où on prend le sel se nomme l'attelier ; l'asnier à pied conduit les chevaux au bord de la barque, là un homme exprès pour cela ouvre un peu le sac et le laisse tomber dans une poche que lui présente un autre homme, pour pouvoir prendre le sac de dessus le cheval sans qu'il soit lié ; cela fait, un troisième vient par-derrière et renverse le sac sur celui qu'on nomme le déchargeur, celui qui renverse se nomme le pousse-cul, et celui qui reçoit le sel dans son pochon, le porteur de gagne. Le pousse-cul suit le déchargeur sur la planche, et lorsqu'il est au bout, il saisit les extrémités du sac qu'il soutient ; alors le déchargeur largue ou lâche son bout, et tout le sel tombe, aussi-tôt le pousse-cul rapporte le sac à l'ânier, qui monte sur le cheval et retourne en courant à l'attelier.

On se sert de la planche O au plan pour aller de la barque à terre et pour le charroi du sel ; on la nomme planche de charge, elle a d'ordinaire 36 à 40 pieds de long, sur 18 à 20 pouces de large, et 3 à 3 pouces 1/2 d'épaisseur. Une barque à charge est une barque vide ou qui vient de vider, qui a monté à la charge que le marchand lui a indiqué.

Il y a plusieurs barques dans un seul chenal ; on est quelquefois obligé de les haler, soit parce que le vent est contraire, soit parce qu'il n'en fait pas du-tout ; pour y suppléer, ces barques ont un petit bateau que le mousse mène pour passer celui qui hale, lorsque la mer est haute et qu'il se rencontre un ruisseau qu'il ne saurait passer sans ce secours, comme on le voit au plan ; 15 la barque, 16 l'homme, 17 le bateau et le mousse.

Un ruisseau est un petit chenal ou canal à l'usage des marais, le chenal en fournit beaucoup de ses deux côtés.

Quand les barques sont chargées, elles mettent dehors du chenal ; si le vent est bon, elles appareillent, c'est-à-dire qu'elles hissent ou haussent leurs voiles qui ne sont que deux, la grand voîle et un faux socq. Dès qu'elles sont dehors du chenal, elles mouillent si le navire n'est pas prêt, et attendent qu'il soit arrivé pour vider. Quelquefois les barques sont chargées, et le navire est encore en Hollande ; cela arrive lorsque le navire est obligé de relâcher pour quelque raison que ce sait. Le bourgeois ou marchand ayant reçu avis du départ de son navire sitôt qu'il est hors du port, fait charger ses barques ; et comme le navire est retardé dans son cours, il faut qu'elles attendent son arrivée ; les marchands s'entre-aident en ces occasions en se donnant les uns aux autres du sel qu'ils se rendent ensuite.

Explication du marais, jas et conches. A Les bosses sont des terrains qui appartiennent au maître du marais, mais les grains, les potages, et tout ce qui s'y recueille appartient au saunier, le maître n'y prétend rien ; il y en a cependant quelques-uns qui ont une espèce de gabelles dessus, par exemple, une ou deux mesures de pois ou de fêves ; cette mesure pese environ 37 livres, d'autres ont 2 à 3 1/0 d'huitres ; mais il n'en est pas de même du sel, le propriétaire en a les 2/3, et est sujet aux réparations des jas, conches et vareignes ; le saunier a son 1/3 quitte. Le maître a la liberté de vendre son sel sans consulter le saunier, et le saunier ne peut en vendre sans un ordre de son maître ; mais avec un ordre, il peut vendre et passer police avec les marchands. Plusieurs maîtres de marais laissent leur procuration à des personnes du lieu, qui ont soin de vendre le sel, de veiller sur les sauniers et de prendre leurs intérêts en tout.

B Le jas est le plus grand réservoir, on y met deux pieds d'eau, comme je l'ai dit ailleurs.

E Les conches reçoivent l'eau du jas ; on en modere la hauteur par les gourmas, en ne laissant entrer que 4 à 5 pouces d'eau qu'on entretient par les chevilles du gourmas.

S Le mors est un petit canal qui reçoit l'eau, la conduit autour du marais, et retourne dans la table D par un pertuis ; ce pertuis est un morceau qui arrête l'eau du mors, et qui au moyen des petits trous qui y sont et qu'on bouche avec des chevilles, ne laisse entrer dans la table qu'autant d'eau que le saunier juge à propos. Quand il y a deux pouces d'eau dans la table qui élonge le marais d'un bout à l'autre, l'eau entre par les deux bouts dans le muant F ; le muant qui est au milieu du marais, fournit les petits canaux de 6 pouces de large, nommés brassours O, et les brassours par le moyen d'un piquet en fournissent aux aires ; l'aire est de deux pouces plus bas que le muant, et n'a que 3/4 de pouce de hauteur d'eau.

G La vie du marais est un chemin entre les deux grands rangs d'aires élevé de 5 pouces au plus, et large de 4 à 5 pieds ; c'est sur la vie qu'on retire le sel.

H Velles de marais ou de conches sont celles qui entourent les aires, ou qui séparent les eaux de la table en divers endroits, comme aux conches ; elles ont, comme la vie, 5 pouces de haut, font faire aux eaux tous les détours nécessaires, et font qu'elles ne se communiquent que quand le saunier le juge à propos ; au bout de ces velles, les eaux se détournent, c'est ce qu'on nomme les aviraisons, ce qui signifie en terme de saunier détourner l'eau ; elles ont depuis 11 jusqu'à 13 et 14 pouces de large.

K Anternons sont des levées qui sont à la traverse des marais, elles sont aussi hautes que larges, c'est à ces passages qu'on met plusieurs pertuis. Il y a de distance en distance des levées plus larges, qu'on nomme croisures, elles sont aussi larges que les vies ; on s'en sert pour porter le sel sur les bosses.

R Le coi est un morceau de bois percé d'un bout à l'autre, il sert à vider le marais pour le nettoyer. Quand le marais manque d'eau et que la vareigne ne peut en prendre, on en prend par le coi ; mais cette ressource est mauvaise et désavantageuse pour le maître du marais, parce que cette eau est trop froide.

V b sont des gourmas faits comme celui qui est marqué P, on les appelle faux-gourmas, parce qu'ils ne tirent pas l'eau du jas, mais des conches en droiture. On en met plusieurs qui servent à rafraichir le marais quand il sale trop, et que le sel n'est pas de qualité requise.

e e Les sarretières.

h h est une loge ou cabane où couche le saunier pendant l'été.

f f Les clairées ou réservoirs sont ordinairement au-bas des sarretières où le premier occupant les a faites ; elles n'appartiennent pas au marais, à-moins que le maître ne les ait fait faire à ses dépens : le premier qui les a fait construire en est propriétaire, on les fait sans aucune mesure, elles couvrent un chantier élevé qui est entre les deux de chaque côté de 4 à 5 pieds de large, sur 2 pieds à 2 pieds 1/2 de haut. Tous les terrains paraissent les mêmes, mais ils ne font pas tous les huitres aussi bonnes, elles sont moins vertes dans une partie des sarretières que dans l'autre. Du côté de la Sendre, entre le chenal des faux et le chenal de Marennes elles sont très-inférieures ; entre le chenal de Marennes et celui de Lusac un peu meilleures ; entre celui de Lusac et celui de Recoulenne, elles sont les meilleures de la saline : mais au-dessous du chenal des faux elles ne reverdissent pas. Pour élever de bonnes huitres, il faut avoir au-moins quatre clairées, dont on laisse une toujours vide. On pêche les bonnes huitres sur les sables et les rochers de daire, elles sont de la grandeur d'un denier ou d'une pièce de 24 sols au plus, il ne faut pas qu'elles soient épaisses : on les porte dans une clairée où on les laisse deux ans ; au bout de ce temps, on sépare celles qui sont en paquet, ce qui est commun, sans blesser les tais ou écailles, et on les met dans une seconde clairée où on les range une-à-une sans se toucher. Une chose fort surprenante est que quand vous les mettriez c'en-dessus-dessous, vous les trouveriez droites le lendemain, elles se redressent au retour de la marée : à trois ans, elles sont belles, on en porte en cet état à Paris, mais elles ne sont pas aussi bonnes qu'à 4 et à 5 ans ; c'est le temps où elles sont dans toute leur bonté. Celui qui a des clairées doit veiller à toutes les malines ou gros de l'eau, voir si la mer n'a pas gâté les chantiers, et si les cancres ne font point de trous, afin de les raccommoder sur le champ, de peur qu'elles manquent d'eau, surtout au mort de l'eau que la mer les couvre ; elles supporteraient deux événements dangereux, l'un dans le grand chaud, parce qu'étant à sec elles mourraient ou creveraient, comme disent les sauniers ; l'autre dans le grand froid, où elles se geleraient ; mais quand elles ont 2 pieds ou 2 pieds et demi d'eau, elles ne courent pas ce risque, parce que l'eau étant toujours agitée, ne se gèlepas. D'ailleurs la mer est moins sujette à geler que l'eau douce. Les huitres sont sujettes à une maladie quand elles restent trop longtemps dans une clairée, il s'y attache un limon qui les empoisonne, et qu'il faut ôter en raclant les écailles et en les changeant de clairée. Il faut nettoyer la clairée, et la mettre à sec au mort de l'eau ; il faut de plus empêcher la mer d'y entrer pendant cinq à six jours pour laisser sécher ce limon ; quand il est sec, le saunier le détache, on y laisse entrer l'eau qui le porte au-loin, et la clairée est en état d'en recevoir, quand le saunier en aura de nouvelles ; il n'y en mettra cependant pas de grandes la même année crainte d'accident ; il sera plus sur d'en mettre des petites qui ne risquent rien, parce que cette maladie ne les prend qu'à deux ou trois ans : les sauniers mettent aussi des huitres qui viennent de Bretagne, mais elles ne deviennent jamais aussi bonnes ; les connaisseurs s'en aperçoivent bien ; elles sont aisées à connaître par les écailles qui sont épaisses et qui paraissent doubles ; les bonnes au contraire ont les écailles fines et unies ; les sauniers nomment tais ce que nous appelons écailles.

Explication de l'écluse ou vareigne. a Boyart de haut est composé de deux pièces de bois, à deux pieds de distance, séparés par quatre morceaux de bois e, qu'on appelle traverses.

b Boyart de bas qui ne diffère de l'autre qu'en ce qu'il est plus grand ; celui qui est sur le plan est tiré sur un véritable.

c Ces deux pièces se nomment pièces droites, quoiqu'elles soient courbes.

d Les poteaux, ils sont à coulisse en-dedans, la porte glisse dans une mortaise qui y est pratiquée d'un pouce et demi de profondeur sur autant de largeur.

e Traverses qui sont au tiers de haut en dedans, pour assujettir les pièces nommées droites et pour retenir les terres ; les pièces droites sont garnies de planches à cet effet.

f Soubarbe, c'est une traverse qui est vis-à-vis des deux poteaux, au ras de la chapesolle 9 ou son surre de dessous, elle a aussi une rainure où entre le bas de la porte. La soubarbe est de la même grosseur que les poteaux.

i Bordeneau ou porte à coulisse, il est très-utîle pour retenir les eaux qui entrent dans le jas, dumoins on est sur que le saunier ne saurait le négliger sans beaucoup de malice, au-lieu que le portillon qui bat contre les poteaux à coulisse et contre la soubarbe n'est d'aucune utilité, il rend le saunier paresseux.

Les vareignes sont construites sans fer, toutes de bois, et garnies de gournables ou chevilles, au-lieu de cloux. Le fer ne saurait durer, à cause du sel contenu dans les eaux qui le rongerait bientôt.

Description abrégée de la manière dont se font les sels blancs artificiels dans les sauneries de la basse Normandie. Les sauneries doivent être établies sur des bas fonds aux environs des vases et des embouchures des rivières, pour que le rapport des terres que fait continuellement la marée, en puisse mieux saler les greves, et les rendre plus propres à la fabrique de cette sorte de sel, dont la préparation et la main-d'œuvre se font généralement par-tout de la manière que nous allons l'expliquer ; quelquefois une partie des greves est mouillée plusieurs fois toutes les grandes mers, plus ou moins, suivant que les sauneries sont placées ; mais il faut que la marée couvre les greves au moins toutes les pleines mers, c'est-à-dire tous les quinze jours.

Lorsque ceux qui veulent établir une saunerie ont trouvé une place convenable, ils la brisent et la rendent la plus plate et horizontale qu'il est possible ; soit que cette place soit ancienne ou nouvelle, on la laboure avec une charrue ordinaire attelée de chevaux ou de bœufs, en commençant par le bord de la greve et finissant dans le centre, toujours en tournant ; après quoi on la herse comme une autre terre, en l'unissant le plus qu'il est possible avec un instrument qu'ils nomment haveau ; on fait ordinairement cette préparation la veille de la grande mer de Mars, afin que la marée qui doit couvrir la greve, le gravats ou terroir de la saline puisse y mieux opérer en s'imbibant d'autant plus dans le fond qu'elle sale davantage, et qu'elle unit d'autant plus qu'elle y rapporte beaucoup de sable et de sédiment ; ce qu'elle a fait aussi tout l'hiver qu'elle a couvert les greves des salines toutes les grandes mers. Quand la greve est ainsi préparée, et que les chaleurs l'ont désséchée, on voit aux beaux temps clairs et de soleil vif, la superficie du sable ou greve toute blanche de sel, pour lors on relève cette superficie environ quelques lignes d'épaisseur, suivant le degré de blancheur qu'on y remarque ; on relève aussi le sable par ondées ou petits sillons que les sauniers nomment havelées ; éloignés les uns des autres de six à sept pieds au plus ; on fait cette manœuvre que l'on appelle haveler, avec les haveaux dont on s'est déjà servi pour unir le fond à la première préparation, il faut une personne pour conduire la tête du haveau, et une autre pour conduire et lever le haveau en mettant toujours les ramassées au bout des dernières ondées.

Après les havelées finies, on les coupe par petits monceaux, que l'on appelle mêlées, éloignées les unes des autres de six à sept pieds ; après quoi on attelle un petit tombereau qu'ils nomment banneau, d'une ou de deux bêtes, le plus souvent d'un ou deux bœufs, que l'on conduit entre les ételées ; pour lors quatre personnes, deux avant et deux arrière, ramassent ou chargent le sable des ételées dans le banneau, qu'un cinquième conduit au gros monceau, qui est le magasin des sauneries ou des salines.

Près du grand monceau est le quin, le réservoir ou bassin dans lequel les sauniers prennent l'eau dont ils lavent le sable ; cette eau du quin est celle que la marée y rapporte toutes les grandes mers, où elle couvre les greves et remplit le quin.

Lorsque les ételées sont relevées, on repasse de nouveau le haveau sur la greve, comme on l'a fait ci-devant à sa première préparation, et on continue la même manœuvre autant de temps que le soleil et la chaleur en font sortir le sel ; les heures les plus propres sont depuis dix heures du matin jusqu'à deux ou trois heures après midi ; on ne peut être trop prompt à haveler ou relever les ételées.

Quand les sauniers veulent faire leur eau de sel, ils prennent au gros monceau le sable que l'on met dans les fosses, qui sont de petits creux ronds d'environ deux pieds et demi de diamètre, profonds de 12 à 14 pouces au plus ; le fond de ces fosses est cimenté de glaise et de foin haché, pour que l'eau qui coule dessus ne se dévoie point, mais qu'elle tombe directement dans le tuyau qui conduit de chaque fosse au canal du réservoir, qui est la tonée de la saline ; autour du fond il y a des petites jentes ou douvelles de hêtre d'un pouce de haut, qui entourent le fond de la fosse, et sur lesquelles sont placées des douves à deux chanteaux, éloignés l'un de l'autre au plus d'une ligne ; on place sur les douves du glu de l'épaisseur d'environ un pouce, sur quoi on met le sable que l'on repasse en l'unissant autant qu'il est possible.

Quand la fosse est ainsi préparée et pleine de sable, on prend dans un tonneau enfoui à portée des fosses, de l'eau que l'on a tirée du sable précédent de la seconde mouillée, c'est-à-dire, des sables que l'on a rechargé d'eau après que la première propre à faire le sel en a été tirée.

On charge les fosses ordinairement deux fois par jour ; la première eau, qui est la franche saumure, où la bonne eau est quelquefois 4 à 6 heures à passer, suivant que le sable est bien uni et fort pressé, après quoi on appelle du relai la seconde eau que l'on fait passer sur le même sable des fosses, et qui devient la bonne eau au saunier des premières fosses que l'on recharge ensuite ; l'eau filtre ainsi au-travers du glu du fond des fosses, autant de jour comme de nuit.

Il faut pour faire toutes les préparations un temps sec et chaud ; car on ne peut travailler aux greves, et ramasser le sable sans soleil et sans chaleur. Les sauniers font du sel toute l'année lorsqu'ils ont provision de sable ; mais on n'en ramasse ordinairement que depuis le commencement de Mai jusqu'à la fin d'Aout, suivant que la saison est favorable.

On a dit que la première eau est la vraie saumure ; elle coule directement par les canaux de chaque fosse dans le tonneau de la saline, qui est placé à côté des fourneaux ; quand on fait le relai ou la seconde eau, on perce le tuyau pour que cette eau ne tombe que dans le tonneau du relai voisin des fosses ; les pluies, comme on le peut voir, font beaucoup de tort à cette manufacture ; elles détruisent aussi les havelées et ételées des greves, qui sont ainsi entièrement perdues.

Quand on a tiré la saumure et le relai des greves, qui sont dans les fosses, il ne reste plus qu'une espèce de vase que les sauniers rejettent, et que la marée remporte.

Pour vérifier si la saumure est bonne et forte, on a une petite balle de plomb, grosse au plus comme une poste à loup, couverte de cire, qui la rend grosse comme une balle de mousquet ; il faut qu'elle surnage sur cette eau ou première saumure ; alors on la jette dans des plombs placés sur des fourneaux dans la saline ; les plombs ou chaudières qui sont au nombre de trois (& même le plus souvent quelques sauneries n'en ont que deux) sont de forme parallelogramme, ayant 2 1/2 pieds de long, sur deux pieds de large, et le rebord 2 pouces d'épaisseur, et le tout environ 6 lignes d'épaisseur ; ils sont peu élevés au-dessus de l'atre du fourneau qui est enfoncé, et dont l'ouverture est par-devant. Ils ont chacun deux évens par-derrière : le feu est continuel depuis le lundi, soleil levant, jusqu'au dimanche soleil levant.

Lorsque les sauniers font six jours de la semaine, ou au-moins, ils sont obligés d'avoir été préalablement avertir les commis aux quêtes le samedi de la semaine précédente.

Quand on commence la semaine, et que l'on a allumé le feu au fourneau, on remplit les plombs de saumure que l'on fait bouillir sans discontinuer jusqu'à ce que le sel soit achevé, ce qui dure environ deux heures et demi, à trois heures au-plus ; après que toute l'eau est évaporée, on ramasse promptement le sel avec un rabot, et on l'enlève avec une petite pelle semblable à celles avec lesquelles on lève le sable des havelées, et on jette le sel dans des corbeilles, que l'on nomme marvaux à égoutter ; ces marvaux sont faits en pointes comme les formes où l'on met égoutter les sucres ; après que le sel est égoutté, on le trouve en pierre que l'on met dans les colombiers, et que les sauniers ne peuvent livrer qu'à ceux qui sont porteurs des billets des commis ; les pierres sont plusieurs mois à se former ; un plomb n'en peut faire au plus que deux par an.

On laisse égoutter le sel qu'on relève des plombs environ 5 ou 6 heures ; après quoi on le jette en grenier. Une erre ou relais de sel des plombs ne peut emplir une de ces corbeilles, chaque erre ne formant qu'un carte de plus de boisseau.

Il faut relever les plombs tous les deux jours au-moins pour les rebattre, et les repousser, parce que l'activité du feu et la crasse qui se forme sur les plombs les fait enfoncer, et qu'il faut les redresser et les nettoyer pour qu'ils bouillent plus aisément. Les sauniers appellent ce travail corroyer les plombs ; ce qui se fait au marteau.

Les fourneaux ne peuvent durer au plus que deux mois, après quoi on les démolit pour les rebâtir de nouveau, parce que les premiers se sont engraissés des écumes du sel ; on en brise les matériaux le plus menu qu'il est possible, et on en met la valeur de deux corbeillées dans une mouquée ou relevée de sable dans les fosses, lorsque les sauniers s'aperçoivent qu'elle n'est pas assez forte.

On brule dans les fourneaux de petites buches et des fagots. Le bois de hêtre pour les buches et de chêne pour les fagots sont estimés les meilleurs bois ; dans les lieux où le bois est rare, on se sert au même usage de joncs marins.

Les sauniers se relaient les uns les autres pour veiller sur les fourneaux, et entretenir toujours le feu en état de faire bouillir également la saumure des différents plombs ; on écume le sel quand il commence à bouillir, avec le même rabot avec lequel on le ramasse quand il est achevé.

L'usage des propriétaires de ces salines et des sauniers qui y travaillent est de partager ; de cette manière le propriétaire fournit tous les ustensiles et instruments et le sable, et les sauniers n'ont que la septième partie du prix de la vente ; il fournit en argent au receveur de la gabelle la valeur d'un boisseau et demi de sel au prix qu'il est quêté ou fixé, en outre les 4 sols pour livre du prix du boisseau et demi ; mais cet usage est particulier à quelques salines.

Le sel fabriqué, comme nous venons de dire, doit se consommer dans les pays des environs, étant ailleurs défendu et de contrebande, il ne Ve guère que 4 à 5 lieues au plus. Il est de mauvaise qualité, ce qui se reconnait surtout dans les chairs qui en sont préparées, et qui ne se peuvent bien conserver ; c'est pourquoi quand on veut faire des salaisons d'une bonne qualité, on ne se sert quand on le peut que des sels de Brouage qui sont bien plus doux, au-lieu que ceux-ci sont très-âcres et très-corrosifs.

Enumération des instruments nécessaires aux Sauniers, fabricateurs de sel blanc ramassé des greves. Les charrues semblables à celles de terre ; les herses semblables. Les haveaux sont composés d'une planche d'environ 4 pieds de long, de 10 à 12 pouces de haut posée de champ ou cant, le bas en droite ligne et le haut chantourné. Dans cette planche sont emmanchés deux bâtons qui forment le brancart où on atelle la bête qui doit tirer cette machine. Il y a encore deux autres morceaux de bois qui servent de poignées pour gouverner cette machine. Voyez fig.

Banneau ou tombereau, est un tombereau dont les côtés ou bords sont fort bas ; le tombereau même est petit.

Les tonnes sont de grosses futailles qui sont enterrées.

Rabot est une douve centrée du fond du tonneau qui est emmanché.

Les fourneaux sont très-bas, et sont presque posés à rez-de-chaussée. Il y a un creux qui forme l'aire, enfoncé de 20 à 25 pouces.

Crochet de fer, sorte de tisard.

Les pics à démolir sont les mêmes que ceux des maçons.

Le puchoir est un petit tonneau contenant 6 à 8 pintes, avec lequel les sauniers puisent de la saumure dans la tonnée pour en emplir les plombs ; il est pour cet effet emmanché un peu de côté, pour que le saunier prenne plus aisément de la saumure ; le manche est long pour qu'il puisse la renverser où il veut.

Eprouvette. Le petit puchoir d'épreuve est un petit barril de bois que l'on remplit de saumure, dont on fait l'épreuve avec la balle de plomb enduite de cire, dont nous avons parlé ; une tassée de saumure suffit pour cela.

Des fontaines salantes. On donne ce nom à des usines où l'on ramasse les eaux des fontaines salantes, où on les fait évaporer, et où l'on obtient par ce moyen du sel de la nature et de la qualité du sel marin.

Il y a peu de royaumes qui ne soient pourvus de cette richesse naturelle. Le travail n'est pas le même par-tout. Nous allons parler des salines qui sont les plus à notre portée, décrivant sur quelques-unes toute la manœuvre, exposant seulement de quelques autres, ce qui leur est particulier.

Voici ce que nous savons des salines de Moyenvic, de Salmes, de Baixvieux, d'Aigle, de Dieuze, de Rosières, et des bâtiments de graduation construits en différents endroits. On peut compter sur l'exactitude de tout ce que nous allons dire.

SALINE DE MOYENVIC. Moyenvic est situé sur la rivière de Seille, à dix lieues de Metz, entre Ive et Marsal, à environ demi-lieue de l'un et de l'autre.

On ne découvre rien sur la propriété de la saline avant l'an 1298, que Gerard, 68e évêque de Metz, acquit de quelques seigneurs particuliers les salines de Marsal et de Moyenvic, et les réunit à l'évêché. Raoul de Coucy, 76e. évêque, engagea environ l'an 1390, le château de Moyenvic à Henri Gilleux, 60 muids de sel à Robert duc de Bar, et 10 muids à Philippe de Boisfremont. Conrard Bayer de Roppart, 77e. évêque, retira cet engagement l'an 1443. Mais lui et son frère Théodoric Bayer arrêtés prisonniers par l'ordre du duc René, roi de Naples et de Sicile, il en couta pour sa liberté à l'évêque plusieurs seigneuries, et notamment les salines, que le duc lui restitua dans la suite. En 1571, le cardinal de Lorraine administrateur, et le cardinal de Guise, évêque, laissèrent en fief au duc de Lorraine les salines de l'évêché, moyennant 4500 liv. monnaie de Lorraine, et 400 muids de sel. Les ducs devenus propriétaires des salines, étaient obligés suivant le 70e. article du traité des Pyrénées, de fournir le sel nécessaire à la consommation des évêchés, à raison de 16 liv. 6 sols le muid. Enfin celle de Moyenvic fut cédée au roi par le 12e. article de celui de 1661 ; mais ruinée par les guerres, le roi en ordonna le rétablissement en 1673. Depuis ce temps, les charges se sont payées par moitié entre la France et la Lorraine, à des conditions que nous ne rapporterons pas, parce qu'elles ne sont pas de notre objet.

Les eaux salées viennent de deux puits. Le sel gemme, dont il y a plusieurs montagnes et une infinité de carrières dans la profondeur des terres, est en abondance dans le terrain de Lorraine. Les eaux, en traversant ces carrières, se chargent de parties de sel ; et plus le trajet est long, plus le degré de salure est considérable. Mais comme les amas de sel sont distribués par veines, par couches, par cantons, il arrive nécessairement qu'une source d'eau douce se trouve à côté d'une source d'eau salée. Les sources d'eau salées coulent par différentes embouchures, et donnent plus ou moins d'eau, selon que la saison est plus ou moins pluvieuse. On a observé, dit l'auteur instruit des mémoires qu'on nous a communiqués sur cette matière, que plus les sources sont abondantes, plus leurs eaux sont salées, ce qu'il faut attribuer à l'accroissement de vitesse et de volume avec lequel elles battent alors les sinuosités qu'elles rencontrent dans les carrières de sel qu'elles traversent.

Il y a plusieurs sources salées en différents endroits de la saline de Moyenvic. On les a rassemblées dans deux puits, dont les eaux mêlées portent environ quinze degrés et demi de salure. Le sel s'en extrait par évaporation, comme nous allons l'expliquer.

Les eaux du grand puits sortent de sept sources différentes en qualité et en quantité. Leur mélange porte 14 à 15 degrés de salure.

Pour connaître le degré de salure, on prend cent livres d'eau qu'on fait évaporer par le feu jusqu'à siccité, et le degré de salure s'estime par le rapport du poids du sel qui reste dans la chaudière après la cuite, au poids de l'eau qu'on a mise en évaporation.

Autre moyen : c'est d'avoir un tube de verre qu'on remplit d'eau salée, et dans lequel on laisse ensuite descendre un bâton de demi-calibre. Il est clair que l'eau pesant plus ou moins sous un pareil volume, qu'elle est plus ou moins chargée de parties salées, le bâton perd plus ou moins de son poids, et descend plus ou moins profondément.

Les sept sources du grand puits arrivent par différents rameaux qui occupent toute sa circonférence et fournissent environ deux pouces quatre lignes d'eau ; c'est-à-dire, que, si l'on formait un solide de ces eaux sortantes, elles formeraient un cylindre de deux pouces quatre lignes de diamètre. Mais l'auteur exact après lequel nous parlons, nous avertit que cette estimation ne s'est pas faite avec beaucoup de précision ; et il n'est pas difficîle de s'en apercevoir : car ce n'est pas assez d'avoir le volume d'un fluide en mouvement, il faut en avoir encore la vitesse.

Ce puits a 52 pieds de profondeur, sur 18 de diamètre par le bas et de 15 par le haut. Le dedans est revêtu d'un double rang de madriers, derrière lesquels il y a un lit de courroi qu'on prétend être de 18 à 20 pieds d'épaisseur, et dont l'usage est d'empêcher l'infiltration des eaux douces. On voit la forme du puits, Pl. a. b. c.

On élève les eaux avec une chaîne sans fin qui se meut sur une poulie garnie de cornes de fer, appelée bouc. Elle est composée de 180 chainons de 10 pouces de longueur chacun, garnis de 5 en 5 de morceaux de cuirs appelés bouteilles, qui remplissent le diamètre d'un cylindre de bois creux dans toute sa longueur, appelé buse, et posé perpendiculairement. Les cuirs forcent successivement l'eau à s'élever dans une auge, d'où elle est conduite dans les baissoirs ou magasins d'eau.

La poulie appelée bouc, est attachée à une pièce de bois posée horizontalement, ayant à son extrémité une lanterne dans laquelle une roue de 24 pieds de diamètre et de 175 dents vient s'engrener ; ce rouage tourne sur son pivot, et est mis en mouvement par huit chevaux attelés deux à deux à quatre branches ou leviers. Le pivot est posé sur sa crapaudine, et arrêté en-haut par un gros arbre placé horizontalement.

Le tirage se doit faire rapidement ; parce que les bouteilles ne remplissant pas exactement le diamètre de la buse, l'eau retomberait, si le mouvement qui l'élève n'était plus grand que celui qu'elle recevrait de sa pesanteur, de sorte que les chevaux vont toujours le galop. Cette machine est simple et fournit beaucoup : mais il est évident qu'elle peut être perfectionnée par un moyen qui empêcherait l'eau élevée de monter en partie.

On peut réduire ce changement à deux points : le premier, à mesurer l'extrême vitesse avec laquelle on est contraint de faire mouvoir la machine.

Le second, à éviter l'inconvénient dans lequel on est quand il survient quelqu'accident à la machine, et qu'il faut approvisionner les baissoirs.

Les bouteilles dont on se sert, sont composées de quatre morceaux de cuir, entre lesquels il y a trois bouts de chapeaux, le tout forme une épaisseur de 8 lignes.

Pour fixer ces morceaux de cuir aux chainons, il y a quatre chevilles de bois qui les traversent ; mais quelque soin que l'on prenne pour les bien ajuster, le mouvement est si rapide, les chocs et les frottements sont si violents, que ces morceaux de feutre et de cuir n'étant maintenus par aucun corps solide, et d'ailleurs humectés par l'eau, cedent au poids de la colonne.

Pour remédier à cet inconvénient, on propose des patenotres de cuivre garnies de cuir. Ces patenotres seront composées de deux platines d'environ 2 lignes d'épaisseur aux extrémités, revenant à un pouce dans le milieu, non compris une espèce de bouton d'environ deux pouces de hauteur, dans lequel sera un oeillet pour recevoir le chainon, tant à la platine de dessus qu'à celle de dessous. On laissera entre ces deux platines environ quatre lignes de vide, pour recevoir deux morceaux de cuir fort. Ces cuirs excéderont les platines de la patenotre d'environ 3 lignes seulement, pour empêcher le corps de la buse d'être endommagé par le frottement du cuir des platines qui n'auront que 4 pouc. 81. de diamètre. Ces cuirs seront percés carrément, afin que les deux platines puissent s'emboiter aisément au moyen d'un fer qui les traversera, et des deux ne fera qu'un corps. Le pied cube d'eau salée pese environ 75 liv. 3/4.

Les baissoirs choment quand la machine ne peut travailler.

Pour prévenir les chomages, il faudrait construire une seconde buse en disposant la roue horizontale, de façon qu'elle fit mouvoir les chaînes des deux buses à-la-fais : ce qu'on voit exécuté, fig. 2. Pl. a.

Le pivot de la roue horizontale est placé vis-à-vis le milieu des deux buses ; et on a joint au treuil de la lanterne, dans les fuseaux de laquelle les dents de la roue horizontale s'engrènent, un rouet qui au moyen des deux autres lanternes fait mouvoir les boucs.

En 1723 on rechercha les sources d'eaux salées, qui pouvaient se trouver dans l'intérieur de la saline. Dans la fouille, on en découvrit une, dont l'épreuve réiterée indiqua que la salure était de 22 degrés. Le conseil ordonna en 1724 la construction d'un puits pour ses eaux.

Ici l'élévation des eaux se fait par un équipage de pompes composé de deux corps, l'une foulante, et l'autre aspirante. C'est un homme qui fait mouvoir la roue en marchant dedans : cet homme s'appelle le tireur. Les eaux de ce puits se rendent dans les baissoirs, et fortifient celles du grand puits ; de manière que leur mélange est de 15 degrés 1/2 de salure.

On entend par baissoirs, des réservoirs ou des magasins d'eau ; le bâtis en est de bois de chêne, et de madriers fort épais contenus par des pièces de chêne d'environ un pied d'équarrissage, soutenus par de pareilles pièces de bois qui leur sont adossées par le milieu. La superficie de ces magasins est garnie et liée de poutres aussi de chêne, d'un pied d'épaisseur, et placées à un pied de distance les unes des autres. Les planches et madriers qui les composent sont garnis dans leurs joints de chantouilles de fer, de mousse et d'étoupe poussées à force et avec le ciseau, et gaudronnées.

Le bâtis est élevé au-dessus du niveau des poêles. Ce magasin d'eau est divisé en deux baissoirs en parties inégales ; la plus grande a 82 pieds 4 pouces 8 lignes de longueur, sur 21 pieds 6 pouces de largeur ; la petite, 48 pieds 8 pouces de longueur, sur 21 pieds 6 pouces de largeur : et l'une et l'autre 4 pieds 11 pouces de haut, qui ne peuvent donner que 4 pieds 6 pouces d'eau dans les poêles, parce qu'ils sont percés à 5 pouc. du fond. Le taisé de ces baissoirs donne 13645 pieds cubes 6 pouces d'eau ; comme ils communiquent par le moyen d'un échenal, l'eau y est toujours de niveau ; ils abreuvent 5 poêles par dix conduits. Voyez les fig. d e.

Ces poêles sont séparées par des murs mitoyens, de manière toutefois que la communication est facîle d'une poêle à une autre par le dedans du bâtiment. Il y en a quatre de 28 pieds de longueur, sur 32, mesure de Lorraine, où le pied est de 10 pouces 5 lignes de roi.

Chaque poêle est composée depuis 260 jusqu'à 290 platines de fer battu, chacune de 2 à 2 pieds et 1/2 de longueur, sur 1 pied et 1/2 de largeur, et de 4 lignes d'épaisseur au milieu, et 2 lignes 1/2 sur les bords : ces platines sont cousues ensemble par de gros clous rivés par les deux bouts.

Chaque poêle est garnie par-dessous de plusieurs anneaux de fer de 4 à 5 pouces de diamètre, appelés happes, où passent des crocs de fer de 2 pieds et 1/2 de longueur, ou environ. Le croc est recourbé par l'extrémité de façon à entrer dans la happe qui lui sert d'anneau, en sorte qu'il est semi-circulaire. La pointe du haut, longue de cinq pouces ou environ, en est seulement abattue, et tient à de grosses pièces de sapin qu'on appelle bourbons. Chaque bourbon a 30 pieds de longueur, sur 6 pouces en carré ; il y en a 16 sur la longueur de la poêle, espacés de 6 en 6 pouces, et appuyés sur deux autres pièces de bois de chêne beaucoup plus grosses, posées sur les faces de la longueur de la poêle. Ces deux dernières pièces se nomment machines.

Une poêle ainsi armée est établie sur quatre murs, à l'angle de chacun desquels il y a un saumon de fonte de fer qui la soutient. Chaque saumon a environ un pied en carré, et cinq pieds de long.

Ces quatre murs ont environ cinq pieds de hauteur, sur deux d'épaisseur, et forment le même carré que la poêle ; ils sont séparés en-dedans par un autre mur appelé barange, d'environ trois pieds de hauteur, et ouverts sur le devant dans toute leur hauteur de deux entrées d'environ trois pieds de largeur, et sur le derrière de deux trouées de même hauteur, mais d'un pied et demi seulement de large. Celles-ci servent de cheminées ; c'est par les autres qu'on jette le bois, les fascines, etc. et qu'on gouverne le feu. Les murs de refend servent à la séparation des bois et des braises ; ils sont faits de cailloutage et des pierres de sel qui se forment par le grand feu, lorsqu'il se fait des gouttières aux poêles, avec de la glaise mêlée de cendres et de crasse provenant des cuites ; cette composition résiste à la violence du feu pendant plusieurs abattues.

Au derrière de chaque poêle, et à l'ouverture des cheminées, il y a deux poèlons de 8 à 10 pieds de longueur, sur 6 à 7 de largeur, et 10 à 11 de profondeur. Chacun est composé de 28 platines : c'est dans ces poèlons que les conduits ou échenaux amènent les eaux des baissoirs, d'où elles se rendent dans les poêles après avoir reçu un premier degré de chaleur.

Chaque poêle est servie par une brigade de 14 ouvriers ; savoir deux maîtres, deux socqueurs, deux salineurs, quatre sujets, et quatre brouetteurs.

On compte le travail des poêles par abattues, composées chacunes de 18 tours, le tour est de 24 heures. Voilà le temps nécessaire à la formation des sels. Lorsqu'une abattue est finie, on laisse reposer la poêle pendant six jours, qu'on emploie à la raccommoder. Une poêle fournit ordinairement depuis 27, 28, jusqu'à 30 ou 31 abattues.

Avant que de mettre une poêle en feu, les maîtres, socqueurs et salineurs l'établissent sur son fourneau, et sont dans l'usage de lui donner deux pouces à deux pouces et demi de pente sur le devant, parce que le feu de devant est toujours plus violent ; ensuite ils ferment les joints des platines avec des étoupes, et enduisent le fond de chaux détrempée : ce travail s'appelle clistrer une poêle.

La poêle clistrée, on passe les crocs dans les happes, on les place sur les bourbons, on établit entre les bourbons et la poêle des éperlans ou rouleaux de bois d'un pouce et demi de diamètre ou environ, pour contenir la poêle et arrêter autant que faire se peut les efforts du feu : après quoi on ouvre les conduits des poèlons, et l'on charge la poêle d'un pouce d'eau, pour empêcher que le feu d'environ 300 fagots qui ont été jetés dessous ne brule les étoupes qui bouchent les joints des platines.

Ce premier travail s'appelle échauffée, et se commence entre onze heures et midi ; ensuite les salineurs jettent du bois de corde dans le fourneau, et chargent la poêle d'eau jusqu'à 15 à 16 pouces de hauteur ; on diminue ensuite de moitié ou environ le volume d'eau que donnent les échenaux. Le salinage dure environ cinq heures, et consume à-peu-près huit cordes de bois ; pendant ce temps la poêle bout toujours à grand feu, et est continuellement abreuvée de l'eau des poèlons. Quoique les poèlons fournissent sans cesse, cependant la poêle se trouve réduite après le temps du salinage à 13 ou 14 pouces d'eau, parce que l'évaporation causée par l'ardeur d'un feu extraordinairement violent, est plus grande que le remplacement continuel qui se fait par le secours des poèlons.

Il parait dans ce temps une crême luisante sur la superficie de l'eau, à-peu-près comme il arrive sur un bassin de chaux fraichement éteinte : alors on ferme entièrement les robinets ; et les maîtres, les salineurs et les sujets remettent la poêle aux socqueurs. Ce passage des uns aux autres s'appelle rendre la mure aux socqueurs.

Les socqueurs à qui les brouetteurs ont fait provision de quatre cordes de gros bois, les jettent dans le fourneau à quatre reprises différentes, dans l'intervalle d'environ trois heures ; ils nomment ce travail la première, la seconde, la troisième et la quatrième chaude ; ces quatre chaudes donnent ordinairement une diminution de quatre pouces d'eau dans la poêle.

Sur les dix à onze heures du soir les socqueurs remuent d'heure en heure les braises du fourneau jusqu'à deux heures du matin, et plus souvent, lorsque les braises s'amortissent trop promptement. On donne à ce travail le nom de raillées, parce que l'instrument que l'on emploie s'appelle raille : le raille n'est autre chose qu'une longue perche de toute la longueur du fourneau, au bout de laquelle est un morceau de planche.

La chaleur de ces braises donne à la mure presque le dernier degré de cuisson ; et sur les deux heures, lorsque les braises sont amorties, les socqueurs jettent dans le fourneau en deux ou trois fois seize chers de fascines de 20 fagots chacun : après quoi ils remuent de nouveau ces braises jusqu'à quatre heures du matin, que se fait la brisée.

Quelquefois par des accidents, soit de vents contraires à cette opération, soit par la mauvaise qualité des bois, ou parce qu'ils ont été mal administrés dans l'intervalle du salinage ou du soccage, les ouvriers sont forcés d'ajouter quatre à cinq cent fagots à la consommation ordinaire, pour hâter cette cuisson, sans quoi elle anticiperait sur le tour suivant. C'est ce que les ouvriers appellent entr'eux courir à la paille.

Lorsque le premier sel est formé, les salineurs et les sujets le tirent de la poêle avec des pelles courbes, et le mettent égoutter sur deux claies appelées chèvres, qui sont posées au milieu des deux côtés de la poêle ; et à mesure que le monceau grossit, on l'entoure avec des sangles pour le soutenir et l'élever à la hauteur qu'exige la quantité du sel formé.

Après que le premier sel est tiré, les socqueurs jettent dans le fourneau environ 400 fascines à trois temps, ce qu'ils appellent donner trois chaudes ; et cette opération conduit au dernier degré de cuisson, ce qui reste dans la poêle. Cette eau porte ordinairement 38 à 40 degrés de salure.

La formation de ce dernier sel ne finit que sur les dix heures du matin : on le met comme le premier sur les claies ou chèvres, où ils restent l'un et l'autre pour se sécher et s'égoutter pendant le temps du tour suivant.

Il y a toujours un des 14 ouvriers de la brigade qui veille sur la poêle à tour de rôle pendant la nuit ; ses fonctions consistent à avoir l'oeil aux accidents imprévus, et à faire venir aux heures marquées les ouvriers de rechange au poste et au travail qui leur est assigné.

Nous venons de parcourir les différentes manœuvres qui s'emploient à la fabrication du sel ; supposons maintenant qu'une abattue soit finie, pour voir ce qui se passe jusqu'à ce qu'une autre recommence.

Nous avons dit que l'on donnait six jours d'intervalle entre chaque abattue, pendant ce temps les maîtres et les socqueurs ôtent les cendres du fourneau, et les portent au cendrier dans des civières appelées banasses : ces cendres appartiennent au fermier de l'ambauchure (voyez plus bas ce que c'est) ; il en retire environ 800 livres par an. Ensuite on laboure l'âtre du fourneau pour le remettre de niveau, en applanissant les bosses qui se sont faites par les gouttières de la poêle, et les crasses qui en proviennent, ainsi que l'écume que la poêle a rendue pendant le temps de la formation, sont enlevées par les sujets et les brouetteurs, et répandues dans l'intérieur de la saline, tant pour élever les endroits qui sont encore inondés par les eaux de la seille, que pour empêcher que les habitants ne se servent des crasses et écumes, dont ils tireraient une assez grande quantité de sel en les faisant recuire.

Pendant le temps de la cuisson, l'écume se tire avec six cuilleres de fer appelées augelots, placées séparément entre les bourbons sur le derrière de la poêle. On a fait l'épreuve d'en mettre au-devant ; mais ils ne se chargeaient que de sel, parce que le feu étant plus violent en cet endroit, et l'eau plus agitée par les bouillons, l'écume était chassée à l'arrière, comme il arrive à un pot-au-feu. L'augelot est à demeure appuyé sur le fond de la poêle, et le mouvement de l'eau y porte les crasses, qui ensuite n'en sortent plus par l'effet de la composition de cet instrument. C'est une platine de fer dont les bords sont repliés de quatre pouces de haut ; le fond en est plat, et peut avoir 18 pouces de long sur 10 de large. Ce qui est une fois jeté dans ce réduit, ne recevant plus d'agitation par les bouillons, y reste jusqu'à ce qu'on l'ôte ; il a à cet effet une queue, ou plutôt une main de fer d'environ deux pieds de long. On le retire ordinairement, quand les dernières chaudes du soccage sont données.

Les six jours d'intervalle d'une abattue à l'autre sont employés non-seulement aux différentes opérations dont nous venons de parler, mais ils sont encore nécessaires à laisser reposer la poêle, à la visiter, à y réparer les crévasses et le dommage que le feu peut y avoir causés, à l'écailler, et à la préparer à une autre abattue.

L'abattue finie, les maîtres, les salineurs aidés des socqueurs et des sujets, étançonnent la poêle par-dessous, la détachent des crocs qui la soutiennent, ôtent les bourbons, à l'exception de trois, la nettoient, et en tirent les crasses : ce travail s'appelle socquement des poêles.

L'écaillage suit le socquement. On commence par échauffer la poêle à sec, afin qu'elle résiste, sans se fendre, à la violence des coups qu'il est nécessaire de lui donner pour briser et détacher les écailles qui sont extrêmement adhérentes, et ont quelquefois 2 pouces d'épaisseur. Le tout s'enlève ordinairement en trois quarts d'heure de temps ; mais il ne faut pas moins de trente ouvriers qui frappent tout-à-la-fais en divers endroits, à grands coups de massues de fer. Cependant il y a des écailles si opiniâtres qu'il faut les enlever au ciseau. Les Maréchaux rassurent ensuite les cloux étonnés, en remettent des neufs où il est nécessaire, et des pièces aux endroits défectueux.

Ces réparations faites, le directeur, les contrôleurs des bancs, et ceux des cuites en font la visite, et vérifient le travail des maréchaux.

Voyons maintenant ce qu'une poêle en feu peut produire de sel, et à combien le muid revient au fermier.

La poêle s'évalue à 240 muids par abattue ; l'abattue est de 18 tours, et le tour de 24 heures : donc la poêle fait 20 abattues par an, et son produit annuel est de 4800 muids.

Mais il y a des accidents. Le froid, les vents, la vétusté des poêles et les tours en ont. Les premiers sont toujours moins abondants, et ne donnent ordinairement que 12 à 13 muids : les premiers de tous n'en donnent que quatre au plus, soit parce que la poêle n'est pas échauffée, soit parce que les gouttières ne sont pas encore étanchées ; du 5e. au 14e. il se fait 15 à 16 muids ; les derniers en donnent moins, parce que l'écaille de la poêle qui est alors forte et épaisse, affoiblit l'action du feu : ce qui bien combiné réduit l'abattue à 220 muids, et le produit annuel de la poêle à 4400 ; sur quoi déduisant le déchet à raison de 7 à 8 pour 0/0, on peut assurer que la saline qui travaille à trois poêles bien soutenues, fabriquera par an douze mille trois à quatre cent muids de sel.

Mais les dépenses en bois, en réparations, en poêles, poèlons, etc. se montent à 325369. 2. 7. ce qui divisé par 27654, quantité de muids de sel fabriqués pendant les années 1727 et 8, de même que 325369 2. 7. sont les dépenses de ces deux années, donne le muid de sel à 11 l. 5 s. 3 d. (au reste tout a bien changé de prix depuis le temps que ces calculs ont été faits).

La chèvre est une espèce d'échafaudage composé de deux pièces de bois de six pieds de longueur, liées par deux barres d'environ cinq pieds, posées sur les bourbons qui se trouvent au milieu de la poêle. Cet échaffaud a une pente très-droite, et forme un talud glissant sur lequel est posée une claie soutenue à son extrémité par un pivot haut de huit pouces, qui lui donne moins de pente qu'à l'échaffaud.

Lorsqu'il est question de procéder à la brisée, le contrôleur des cuittes, celui qui est de semaine pour ouvrir les bancs, les ouvriers de la brigade se rassemblent ; on ouvre les bancs, et alors un des ouvriers detache la sangle qui soutient la chèvre, ôte les rouleaux, et faisant sauter le pivot d'un coup de massue, donne un mouvement à la chèvre qui coule par son propre poids, et se renverse sur le seuil du banc. Cette opération se fait en même temps des deux côtés de la poêle qui est chargée de deux chèvres égales.

Le sel demeure dans les bancs pendant dix-huit jours, au bout desquels on le porte dans les magasins, et ce n'est que lorsqu'il y est, que les contrôleurs s'en chargent en recette.

Ce relevement se fait dans des espèces de hottes de sapin appelées tandelins qui sont étalonnées sur la mesure de deux vaxels. Cet étalonnage n'est pas juridique ; il n'est que pour l'intérieur de la saline. Mais le vaxel est étalonné juridiquement en présence des officiers de M. le duc de Lorraine, à Bar où la matrice est déposée. Le vaxel est à-peu-près de la figure d'un muid en largeur, mais il a moitié moins de profondeur. Il contient environ 41 livres de sel : ce qui fait autour de 650 livres par muid, sel de magasin ; car celui des bancs est plus léger, n'ayant point encore acquis son dépôt.

Droit des quatre francs deux gros. Ce droit se lève sur tous les sels qui sortent de la saline pour le fournissement des magasins, tant du département de Metz, que de celui de la saline, à raison de quatre francs deux gros pour chacun muid de sel. Il n'est point exigible sur les sels destinés pour les greniers de Metz et Verdun pour la gabelle d'Alsace et sur ceux qui se délivrent en vente étrangère.

L'embauchure, c'est le fournissement général des ustensiles nécessaires pour le chargement des sels, l'entretien des poêles, etc. les dépenses de réparation des murs, des fourneaux, des atres, fourniture de bourbons, claies, chèvres, vaxels, etc.

Les fonctions principales du directeur receveur sont de régir la saline, de recevoir les soumissions pour les traites à faire, en l'absence des fermiers, ou de renouveller pour les voitures des sels, faire exploiter les bois affectés à la saline, et tenir la main à ce que les employés fassent leur devoir, distribuer le sel pour les entrepôts, etc.

Il y a des contrôleurs des bancs, contrôleurs des cuites.

Les veintres sont au nombre de quatre : deux résident à la saline, les autres au-dehors. Ils ont inspection sur les ouvriers boquillons, qu'ils mettent en nombre suffisant dans les coupes, et qu'ils éveillent.

Il y a des portiers.

Sel en pain. Les rois de France et d'Espagne devenus successivement possesseurs de la Franche-Comté, ont conservé l'usage et les différentes formes du sel en pain. Il s'en fabrique de neuf sortes, dont huit pour la province, et un pour le canton de Fribourg.

Gros sel d'ordinaire. Ce pain pese 3 livres 8 onces, ce qui fait pour la charge, composée de 48 pains, 168 livres. Sa forme est ronde et un peu creuse dans le milieu ; il est destiné aux communautés du bailliage d'Amont, à la ville et partie du bailliage de Salins.

Petit sel d'ordinaire. Ce pain pese environ deux livres et demie et la charge de 120 livres. Il est marqué de deux cercles qui règnent autour. Il est destiné aux communautés du bailliage d'Aval.

Petit sel de poste d'ordinaire, pese communément 2 livres 10 onces, et par conséquent la charge est de 126 livres. C'est à l'usage des communautés du bailliage de Salins.

Sel roture, ou d'extraordinaire, marchand dans toute la province, et destiné à subvenir aux besoins de ceux qui n'ont pas assez de sel d'ordinaire, doit peser 3 livres, et la charge 144. Sa figure est comme celle du gros sel d'ordinaire, il n'en diffère que par le poids.

Sel marque de redevance. La distribution s'en fait, suivant l'état du roi, aux parties qui y sont employées. Il doit peser 2 livres et 1/2, et la charge 120 livres. Sa forme est celle du sel de poste.

Sel rosière de redevance. Il se délivre pareillement, en conséquence de l'état du roi ; le pain pese 3 livres 5/8, et la charge 144.

Gros salé de la grande saline à 8 pour charge. Ces gros salés sont affectés aux propriétaires d'états de la grande saline, et aux cours supérieures de Comté. Chacun de ces salés doit peser 12 livres 5/8, figuré comme le moule de la forme d'un chapeau.

Gros salé de la grande saline à 12 pour charge. Même destination que ceux à 8 pour charge, dont ils ne diffèrent que de grosseur et de poids ; pese 8 livres chacun.

Sel de Fribourg, se délivre au canton de Fribourg, en exécution d'un traité du roi. Il ressemble au gros sel d'ordinaire ; pese chacun 2 livres 6 onces.

SALINES DE BEXVIEUX ET D'AIGLE appartenantes au canton de Berne, et celle de MOUTIERS en Tarentaise, pays de Savoye, appartenante à sa majesté le roi de Sardaigne, où il y a des galeres, ou bâtiments de graduation.

La graduation est une opération par laquelle on fait évaporer par le moyen de l'air et sans le secours du feu, plusieurs parties douces de l'eau salée, en l'élevant plusieurs fois au haut d'un bâtiment construit à cet effet, par le moyen de plusieurs corps de pompes qu'une eau courante met en mouvement, et la faisant retomber autant de fois de 20 à 25 pieds de haut sur plusieurs étages de fascines ; d'où il résulte une grande diminution dans la consommation du bois, et dans les autres dépenses relatives à la fabrication du sel.

Plus la construction des bâtiments destinés à la graduation est parfaite, plus les différentes économies sont sensibles et utiles. Pour déterminer avec certitude l'étendue des bâtiments nécessaires à graduer l'eau d'une source salée, il en faut connaître avec précision le degré de salure. Un long usage a fait remarquer à MM. de Berne que les bâtiments de graduation à une seule colonne de fascines étaient sujets à perdre des portions de sel, en ce que quand il y a beaucoup d'agitation dans l'air, les particules d'eau salée dérivent de la perpendiculaire, et sont emportées lors de leurs divisions. Pour remédier à cet inconvénient, ils ont fait construire un bâtiment auquel ils ont donné 25 pieds de largeur au-lieu de 18 qu'avaient seulement les anciens, et ils ont mis double colonne de fascines, qui n'ont que l'ancienne largeur par le haut, mais qui s'accraissant par le bas, prennent la forme d'une pyramide tronquée.

Le mécanisme de la graduation parait très-simple, et quand on l'a Ve pendant 24 heures, on croit le savoir et le posséder à fond ; cependant il y a une infinité de particularités intéressantes qui ne se présentent que successivement ; et sans toutes ces connaissances réunies, on court risque de tomber dans des erreurs qui coutent cher.

La saline de Bexvieux et celle d'Aigle sont situées vis-à-vis S. Maurice, à l'entrée de la gorge du Vallais, à deux lieues l'une de l'autre.

Il n'y a qu'une source à la saline de Bexvieux ; elle sort d'une montagne appelée le fondement. On l'a découverte en 1664, et l'on pénétra fort avant dans le roc pour en rassembler les filets ; mais on n'est parvenu à la maintenir dans un haut degré de salure qu'en y creusant de temps en temps ; par la raison que les terres qu'elle parcourt ne contenant, selon toute apparence, que des portions et des rameaux de sel, ces rameaux s'épuisent par le mouvement continuel des eaux, qui ne reprennent une haute salure qu'en leur frayant une route nouvelle ; en sorte que cette source est actuellement plus basse de 250 pieds que le niveau du terrain où on l'a trouvée originairement, ce qui a obligé de faire des galeries à différentes hauteurs pour en procurer l'écoulement.

Mais comme en approfondissant la source, le travail des galeries se multipliait, et que la dépense croissait à proportion, MM. de Berne prévoyant que cette entreprise deviendrait à la fin insoutenable, s'ils ne rencontraient quelque moyen plus simple, faisaient consulter par-tout les ingénieurs les plus habiles ; mais inutilement, jusqu'à ce que M. le baron de Boèux, gentilhomme saxon, leur inspira un vaste dessein, pour lequel il eut sept mille louis de récompense, et quinze cent pour son voyage sur les lieux.

Ce dessein consiste à introduire un gros ruisseau dans l'intérieur de la montagne, par la cime du rocher, pour faire mouvoir plusieurs corps de pompes, au moyen d'une grande roue de 36 pieds de diamètre, posée à plus de 800 pieds de hauteur perpendiculaire de l'entrée du ruisseau dans le rocher ; et ce rocher est en partie de marbre, en partie d'albâtre, et de pierre dure ; un mineur n'en emportait guère plus d'un pied cube en huit jours ; cependant cette montagne est traversée à jour dans plusieurs endroits, et il y a cinq autres galeries, de 3 pieds de large, et de 6 pieds de haut, qui font en tout plus de 3000 taises de longueur, et de 7 millions 28000 pieds cubes. La nature de ce travail, le temps, la dépense, et la grandeur de l'entreprise, sont autant de sujets d'étonnement pour le voyageur, et autant de preuves du cas que l'état de Berne fait de son trésor, et du désir qu'il a de se passer de l'étranger.

Le degré de la source est variable : quand elle est à sa plus grande richesse, elle porte jusqu'à 20 ou 22 parties, épreuve du feu, ce qui ferait près de 28 à l'épreuve du tube ; son plus bas a été à 8 degrés ou à 10, elle produit ordinairement 500 livres pesant d'eau par quart-d'heure ; ces eaux sont conduites de la source, par sa pente naturelle, à la saline de Bexvieux, par des tuyaux de bois de sapin, dans une distance de 5/4 de lieue, où elle est reçue dans des réservoirs, et de-là reprise par un mouvement de pompes que l'eau fait agir, pour la porter dans de grandes galeries appelées bâtiments de graduation, qui peuvent la fortifier jusqu'à 27 degrés ; de-là elle passe par sa pente naturelle dans les bernes ou bâtiments de cuite.

La même montagne fournit encore une autre source, faible, qu'on sépare de la précédente, et qui s'étend par des canaux de sapin, jusqu'à Aigle, lieu distant de-là de deux lieues.

Cette source est fort chargée de soufre et de bitume ; l'odeur en est forte, et l'on en voit sortir l'exhalaison en tourbillon de fumée, même pendant l'été, à l'issue des galeries qui donnent entrée dans la montagne. Les lampes des mineurs enflammaient quelquefois cette matière, surtout dans les galeries en cul-de-sac, où il n'y a point d'air passant, alors elle chassait avec impétuosité tout ce qui lui resistait, brulait, pénétroit les corps ; il y avait des ouvriers blessés et étouffés de la sorte ; pour éviter cet inconvénient, on établit de distance en distance de gros soufflets de forge, que l'on agitait sans-cesse pour chasser cette vapeur. C'est ainsi qu'on en usait lorsque M. Dupin visita ces travaux ; cependant le sel de cette source est beau, bon, sain, crystallin, et blanc comme la neige ; le soufre contribue à lui donner cette blancheur, sans lui laisser son odeur.

On associe à cette dernière source, celle de la montagne de Panet, et leurs eaux vont mêlées, dans les réservoirs ou bâtiments de graduation, prendre, de faibles qu'elles sont, jusqu'à 25 à 27 degrés de salure ; on pourrait les pousser plus loin, mais l'eau trop chargée de sel devient gluante, pâteuse, et ne coule plus aisément par les petits robinets destinés à la répandre en forme de pluie, sur différents étages de fascines qu'elle doit traverser pour arriver à son bassin ; elle s'y attache, se fige, empêche l'effet de l'air, et par conséquent de l'évaporation, quand le temps est convenable, c'est-à-dire gai et sec ; on pousse la graduation depuis un degré et demi jusqu'à dix, en 24 heures. Avant cette découverte il fallait 6 cordes et demie de bois, pour fournir 25 quintaux ; maintenant 3 cordes et demie en donnent 80. Il est inutîle d'insister sur l'importance d'économiser le bois.

Comme ce n'est point ici un système nouveau dont l'événement soit équivoque, ni de ces imaginations philosophiques, tant de fois proposées, souvent essayées, mais dont l'essai en grand a toujours trompé la promesse ; que c'est au-contraire une expérience confirmée par un grand nombre d'années, à la saline de Slutz en Alsace, dans les deux salines de Suisse, et dans celle de Savoye, c'est refuser un avantage certain que de ne pas user d'une telle découverte.

Il y a des bâtiments de graduation à la saline de Moutiers en Tarentaise ; ce sont même les seuls dont nous ferons mention, les autres ne différant de ceux de nos salines, non plus que le reste de la manœuvre, que par la différence des lieux. Le roi de Sardaigne ayant appris les services que M. le baron de Boèux avait rendus au canton de Berne, l'appela à la saline de Moutiers, où il fit construire des bâtiments de graduation au nombre de cinq, dont deux ont 440 pas communs de longueur, et les trois autres 320 pas chacun. Ils ont tous 18 pieds de large, sur 25 de haut, à prendre du rez-de-chaussée jusque sous la sablière. La masse d'épines par où les eaux se filtrent, a 6 pieds de large, occupe toute la longueur du bâtiment, et la hauteur depuis le bassin ou cuve basse, jusqu'à la sablière ; ces cuves basses sont fournies par le grand réservoir, dont les eaux sont relevées dans les auges de filtration autant de fois qu'il est nécessaire, par plusieurs corps de pompes qui jouent continuellement, auxquelles l'Isere donne le mouvement ; les eaux sont poussées par la graduation depuis 2 degrés, qui est leur état naturel, jusqu'à 25 et 27.

Le degré s'estime par la livre sur le cent, ainsi la salure est à 20 degrés si l'évaporation étant faite sur 100 livres, il en reste 20.

SALINE DE DIEUZE, il y aurait beaucoup à gagner, à perfectionner les fourneaux ; voici comme on pourrait s'y prendre. L'ouverture superficielle serait la même qu'aux anciens, c'est - à - dire de 28 pieds sur 24 ; les côtés en talud, dont la ligne de pente serait le côté d'un triangle équilatéral ; la distance de l'aire à la poêle, inégale, savoir de 4 pieds à l'embouchure, finissant à deux au plus, à l'endroit de la sortie ; il n'y aurait qu'une ouverture de 2 pieds de large, et de 4 pieds de haut, pour jeter le bois ; cette ouverture, avec un châssis ou huisserie de fer, à laquelle serait suspendue une porte brisée de même matière, que l'on ouvrirait ou fermerait selon le besoin ; on pratiquerait aux côtés deux fenêtres, pour juger de l'état des feux et de la poêle, tout son carré serait exactement fermé pour concentrer la chaleur ; l'ouverture du derrière, ou la cheminée, aurait 2 pieds de haut, sur 8 pieds de large ; ayant remarqué que la chaleur qui sort par cette ouverture était fort considérable, on continuerait le fourneau de 9 à 10 pieds de large, sur 12 de long, finissant à 7 pieds ; l'on appliquerait dessus un poèlon de même dimension ; l'ouverture ou cheminée de ce second poèlon, donnant encore beaucoup de chaleur, on en ajouterait un troisième, à 7 pieds de base, finissant à 4, sur 7 à 8 pieds de long, en sorte que l'un et l'autre de ces deux poèlons, ressemblerait à des cones tronqués, l'ouverture du dernier poèlon, destiné pour laisser échapper l'air et la fumée, n'aurait qu'un pied de haut, sur 18 pouces de large, et pourrait se fermer par un regitre. Voyez le plan ci-dessus. Dans les bâtiments qui auraient assez de profondeur, on pourrait multiplier les poèlons, pourvu qu'on proportionnât à leur nombre les pentes du fourneau.

Ce fourneau n'aurait pas les mouvements des autres, le feu y serait moins concentré, il agirait avec plus de force, il se répandrait moins au-dehors, il serait moins diminué au-dedans par l'accès de l'air froid, etc.

On a exécuté ces idées à Dieuze, et c'est tout ce qu'il y a de remarquable ; du reste, le sel s'y fabrique comme à Moyenvic et à Châteausalin.

SALINE DE ROZIERE, particularité des poêles de Rozière. Derrière les poêles il y a des poèlons qui ont 21 pieds de long sur 5 de large, et derrière ces poèlons une table de plomb, à peu près de même longueur et largeur, sur laquelle sont établies plusieurs lames de plomb posées de champ, de hauteur de 4 pouces, qui forment plusieurs circonvallations. Toute cette machine s'appelle exhalatoire ; la destination de l'exhalatoire est d'évaporer quelques parties de l'eau douce, en profitant de la chaleur qui sort par les tranchées ou cheminées de la grande poêle, et de dégourdir l'eau avant qu'elle tombe dans la grande chaudière.

Particularités de la fabrication de sel au même endroit. Lorsque les maréchaux ont mis la poêle en état, les ouvriers, dès quatre heures du matin, mettent le feu sous le poèlon, avec des éclats de buches, et cependant ils donnent de l'eau aux exhalatoires, laquelle se rend dans le poèlon. Ce poèlon contient de la muire grasse, autant qu'il a été possible d'en ramasser, ce sont les eaux les plus fortes que l'on ait dans le cours ordinaire de la formation du sel, par le moyen du feu.

Si la muire retirée de l'abattue, a été abondante, elle suffit seule à l'opération ; si on juge qu'il n'y en ait pas suffisamment, on jette dans le poèlon du sel de socquement : c'est ainsi que l'on appelle le dernier sel qui reste au fond de la poêle, qui est d'un brun jaune, non loyal et marchand, et mêlé de corps étrangers.

Les ouvriers ont toujours de ce sel en quantité, pour parer aux accidents contraires à la formation dont la faiblesse des eaux est très - susceptible : le mauvais temps, le grand vent, le bois d'une moindre qualité, etc. peuvent faire cesser et baisser la poêle à un point que l'on ne pourrait la relever et la faire schlotter, tout se perdrait sans former du sel.

Lorsque l'eau, versée des exhalatoires dans le poèlon où est la muire ou le sel de socquement, se dispose à bouillir, on remplit entièrement de bois le fourneau de la grande poêle, en laissant des jours entre les buches que l'on croise à cet effet ; on allume ce bucher, et sitôt que la poêle a pris chaleur, on l'arrose avec la composition du poèlon, que l'on puise avec des vaisseaux appelés seillotes.

Quand le fer de la poêle est bien chaud, et qu'il commence à être encrouté de sel formé par l'arrosement susdit, on y laisse entrer l'eau naturelle jusqu'à ce qu'elle soit à peu près pleine ; ensuite on donne quatre chaudes consécutives, c'est-à-dire qu'on charge quatre fois ce fourneau de bois ; la dernière chaude finit à trois heures après midi ; dans l'intervalle de ces chaudes, on lève les augelots, ou ces espèces de caisses de fer, avec une ance, qui se posent aux angles et le long des côtés de la poêle, et dans lesquels le schlot se dépose.

Cette première opération se fait par le maître, le salineur et le bœuf ; c'est ainsi que l'on nomme l'ouvrier qui décharge le bois des charettes, le jette sur la poêle, et fait les autres menus services.

A trois heures après midi le socqueur se charge de la poêle, il donne la dernière chaude avec le salineur qui se retire à six heures ; le socqueur rabat les braises, et laisse couler de nouvelle eau du poèlon dans la poêle, suivant la force de sa muire ; on ne commence à tirer le sel que le 3 ou 4e jour, quelquefois en petite quantité, quelquefois assez abondamment, suivant les accidents survenus pendant la cuisson.

On compte le salinage par abattues, les abattues par tour, le tour est de 24 heures, et il y en a 13 dans une abattue ; chaque tour commence à 4 heures du matin : le produit en sel est plus ou moins grand.

Il n'y a en cette saline que cinq ouvriers, parce qu'ils ne sont pas obligés à travailler le bois.

L'été est la saison la plus favorable au salinage, il y en a bien des raisons qui se présenteront.

On a choisi pour cette comparaison deux mois d'hiver, pendant lesquels le nombre des abattues et des cordes de bois a été à-peu-près le même que dans deux mois d'été.

Lorsque la muire ou l'eau des sources salées, a senti le feu pendant quelque temps, elle devient trouble et elle commence à déposer un corps étranger, de couleur cendrée, gras au toucher, grumeleux ; en continuant de le frotter entre les doigts, on le croirait plein de sablon assez fin ; cette matière se nomme schlot, ou terre et crasse de poêle ; c'est cette matière qui forme le corps de l'écaille ou équille ; elle se durcit sur le fond de la poêle, devient aussi solide que de la pierre commune, et lie le premier sel qui tombe sur fond ; son dépôt progressif est fini lorsque le grain de sel commence à paraitre à la superficie de la muire.

Pour diminuer l'épaisseur de l'écaille qui diminue l'action du feu et ruine les fers, on se sert des augelots, le schlot s'y dépose ; on le jete, parce qu'on sait par expérience qu'il ne contient presque point de sel ; il fait périr les arbres, s'il pénètre jusqu'à la racine ; en le travaillant avec art et sans mélange, on en tire un sel pareil à celui d'Epson.

On en tire encore d'autres sels ; en l'examinant, il donne des crystaux depuis 6 jusqu'à 18 et 20 lignes de long, et depuis 1 jusqu'à 3 1/2 lignes de largeur ; ce sont des prismes à six pans irrégulièrement réguliers ; les deux surfaces du petit diamètre sont à-peu-près doubles de largeur des deux surfaces qui terminent chaque extrémité du grand diamètre ; chacun des deux bouts est terminé en pointe de diamants, par six triangles dont les bases sont égales aux deux plus larges superficies, et aux quatre petites alternes.

Addition à ce qui a été dit des bâtiments de graduation. Pour former le sel de mer on dispose des aires ou bassins, qui ont beaucoup de superficie et peu de profondeur, dans lesquels on introduit l'eau de la mer par des rigoles ; le soleil et l'air agissent sur cette eau, ils l'enlèvent, l'évaporent dans un espace de temps plus ou moins long, suivant l'ardeur du soleil, la qualité et l'activité du vent, étant à observer que la saison de l'été la plus chaude, est celle que l'on saisit pour cette opération. Le sel, comme plus pesant que les parties aqueuses, demeure inébranlable aux chocs qu'il reçoit, l'action du soleil, les secousses et les ébranlements de l'air, l'élèvent seulement jusqu'à une hauteur de quelques pieds, mais il retombe après quelques pirouettements, ses parties se réunissent, se crystallisent, et forment enfin un corps solide, dont la figure est communément cubique.

L'art a cherché à imiter la nature par les bâtiments de graduation ; pour cela il n'a que changé la forme de l'évaporation ; celle de la nature se fait dans une disposition horizontale, celle de l'art dans une disposition verticale.

Les bâtiments de graduation sont à jour, élevés de 20 à 25 pieds de la cuve à la sablière ; on force l'eau que l'on veut graduer, à monter par les pompes jusqu'au haut de ces bâtiments, d'où elle se distribue dans des augets de 4 à 5 pouces de largeur et autant de profondeur, disposés suivant la longueur du bâtiment, parsemés de petits robinets à six pouces de distance les uns des autres, qui ne laissent échapper l'eau que par gouttes, lesquelles rencontrant dans leur route une masse de fascines de 20 à 25 pieds de haut, sur 10 de large, se subdivisent et multiplient leurs surfaces à l'infini ; en sorte que l'air auquel cette subdivision donne beaucoup de prise, emporte dans l'espace, comme une rosée, les parties douces de l'eau qui se sont trouvées soumises à son action, pendant que les parties qui demeurent chargées de sel, déterminées par le poids, décrivent constamment une perpendiculaire, et se précipitent dans le bassin destiné à les recevoir, d'où elles sont ensuite élevées par d'autres pompes qui les portent dans une autre division d'augets, pour retomber, par la même manœuvre que ci-devant, dans une autre division de bassin, et successivement jusqu'au dernier, le nombre étant proportionné au degré de la salure de l'eau. On donne aux plus faibles, telles que celles d'un degré et demi ou deux degrés, jusqu'à sept divisions, et l'on peut les pousser jusqu'à 30 degrés en trois jours dans la bonne saison.

Plus la disposition des bâtiments est parfaite, plus les différentes économies sont sensibles. Leur forme, leur exposition, la manière d'élever les eaux, l'attention au progrès de la salure pour éviter un travail inutîle et ménager un temps précieux, le gouvernement des robinets qu'il faut conduire suivant les changements et le caprice du vent, et mille autres détails que l'on croirait indifférents, sont d'une importance extrême.

Pour pouvoir déterminer avec certitude l'étendue des bâtiments nécessaires à graduer une source salée, il en faut connaître avec précision la possibilité et la qualité. Mais pour en donner une idée générale, de même que de l'économie qui en résulte, on dira que pour faire par le moyen de la graduation 7000 tonneaux de sel de 650 pesant chacun, avec de l'eau à 4 degrés ou à 4 pour 0/0, il faut 3000 pieds de bâtiment et 5000 cordes de bois, et que sans cela, il en couterait 32000 cordes pour pareille quantité.

On ne connait point l'auteur de cette machine ; mais il est à présumer qu'elle est fort ancienne, et que la saline de Soultz en basse Alsace, a fourni le modèle de celles qu'on a établies dans la suite. C'est surement la plus ancienne. Celles de Suisse, de Savoye et d'Allemagne sont absolument modernes, et il est étonnant que l'on n'ait pas plus tôt fait attention à celle de Soultz, qui est sur le grand chemin de Strasbourg à Mayence, et exposée à la vue de tout le monde. Il n'y a personne à Soultz ni aux environs, qui sache l'origine de cette saline ; le plus ancien titre qui existe est un contrat d'acquisition de 1665.

Elle subsistait avant les guerres de Suède, pendant lesquelles elle fut ruinée. Rétablie à la paix, elle fut donnée à emphithéote par la maison de Fleckenstein à celle de Krug, moyennant le dixième du produit en sel. Krug la rendit à Furst, qui la répara de nouveau. Cette saline peut fournir annuellement environ 140 muids, de 650 livres chacun.

Les eaux des fontaines salantes passent par des carrières souterraines de sel gemme, où elles se chargent de parties de sel, et contractent un degré de salure plus ou moins fort, suivant qu'elles en parcourent sans interruption un plus ou moins long espace, étant à observer que ces roches sont par veines, par couches et par cantons ; et c'est la raison pour laquelle on voit côte à côte une source d'eau douce et une autre d'eau salée ; de sorte que la terre étant extrêmement variée dans sa composition, les eaux qui en sortent participent de tous ses différents modes, et elles se trouvent imprégnées de parties de sel à proportion des différences de leurs positions.

La mer est trop éloignée pour s'imaginer qu'elle soit la cause de la salure de ces eaux ; l'eau filtrée dans les terres pendant un si long trajet, se dépouillerait nécessairement de son sel, à-moins qu'on ne supposât qu'elles sont apportées de la mer ici par un canal fort droit et fort large, ce qui s'oppose à la raison et à l'expérience, par laquelle nous remarquons que l'eau de ces sources vient par différentes embouchures, et qu'elles croissent ou diminuent suivant que la saison est seche ou pluvieuse.

On remarque même que plus elles sont abondantes, plus elles sont salées ; ce qui provient de ce qu'ayant alors plus de volume, de poids et de vitesse, elles frappent avec plus de violence et émoussent avec plus de facilité les angles des sinuosités qu'elles parcourent, et en entraînent aussi les particules jusqu'où le niveau leur permet d'arriver.

Voilà ce qui nous restait à ajouter à cet article, d'après lequel on aura, je crois, une connaissance suffisante de ce que c'est que les fontaines salantes ; et les usines qu'on appelle salines. Voyez encore les articles SEL, SEL GEMME, SEL MARIN, et l'art. suiv.

SALINES DE FRANCHE-COMTE, il y en a deux dont l'abondance des sources, la qualité des eaux, et le produit en sel sont fort différents. La saline de Montmorot inférieure en tout à celle de Salins, n'a sur elle que l'avantage de l'avoir précédée. Mais détruite par le feu, ou abandonnée pour quelque autre raison, elle a été oubliée pendant plusieurs siècles, et c'est seulement vers le milieu de celui-ci que l'on a pensé à la relever. Au contraire depuis plus de douze cent ans que la saline de Salins subsiste, elle a toujours été entretenue avec un soin particulier, et a paru mériter l'attention de tous les souverains à qui elle a appartenu. Elle est beaucoup plus considérable que l'autre, et c'est par elle que nous commencerons cet article.

SALINE DE SALINS, (a) elle est divisée en deux parties que l'on distingue par grande et petite saline. Il y a une voute souterraine de 206 pieds de longueur, 7 pieds 5 pouces de haut, et 5 pieds de largeur, qui donne communication de l'une à l'autre, en sorte qu'elles ne font ensemble qu'une seule et même maison. Elle est située au centre de Salins, dans une gorge fort étroite. Le rempart la sépare de la rivière de Furieuse, et elle est fermée par un mur du côté de la ville, à qui elle a donné la naissance et le nom. Car Salins a commencé par quelques habitations construites pour les ouvriers qui travaillaient à la formation du sel.

Les eaux précieuses de cette saline en avaient fait un domaine d'un grand revenu, et ce fut un de ceux que S. Sigismond, roi de Bourgogne, donna au commencement du VIe siècle, pour doter le monastère d'Agaune. Ce monastère posséda dès-lors Salins en toute propriété jusqu'en 943, que Meinier, abbé d'Agaune, le donna en fief à Albéric, comte de Bourgogne et de Mâcon. Nous ne trouvons rien qui nous apprenne si l'établissement de cette saline est de beaucoup antérieur au VIe siècle. Strabon assure qu'on faisait grand cas à Rome des chairs salées dans le pays des Séquanais ; mais ce passage ne peut pas s'appliquer à la saline de Salins plutôt qu'à celle de Lons-le-Saunier, qui est surement plus ancienne, et à laquelle par cette raison il semble mieux convenir.

La grande saline occupe un terrain irrégulier qui a 143 taises dans sa plus grande longueur du septentrion au midi, et 50 taises dans sa plus grande largeur du levant au couchant. La petite saline placée au septentrion de la grande, et dans la même position, a 40 taises de longueur et 25 de largeur.

Cette dernière renferme un puits appelé puits à muire. Il est à 66 pieds de profondeur, depuis la voute supérieure jusqu'au fond du récipient qui reçoit les eaux salées, et il a 30 pieds de largeur, de toutes faces, présentant la forme d'un carré. L'on y descend par un escalier, et l'on trouve au fond deux belles sources salées (b) qui dans 24 heures produisent 160 muids, mesure de Paris. L'eau claire, transparente, et à 17 degrés, est conduite par un tuyau de bois, dans le récipient des eaux salées. Il est à 5 pieds de distance construit en pierre, et contient 47 muids. A côté de ce récipient, il en est un autre de la contenance de 61 muids, dans lequel se rassemblent les eaux de 4 sources (c) une fois plus abondantes que les deux premières ; mais qui étant seulement à 3 degrés, sont pour cela nommées petites eaux. On en élève une partie pour des usages qui seront expliqués dans la suite.

En termes de saline, l'on entend par degrés la quantité de livres de sel renfermées dans cent livres d'eau ; c'est-à-dire que 100 liv. pesant d'eau des deux premières sources qui sont à 17 degrés, rendront après l'évaporation, 17 liv. de sel ; et par la même raison, 100 liv. des quatre dernières sources, ou petites eaux à 5 degrés, n'en rendront que 5 liv. La pinte de Paris des eaux à 17 degrés, contenant 48 pouces cubes, pese 35 onces 1/4 ; et celle des eaux à 5 degrés, pese 32 onces 5/8.

On connait le degré des eaux, en réduisant à siccité, par le moyen du feu, une quantité d'eau d'un poids connu, et celui du sel formé donne le degré. Sur cette opération, on a établi une éprouvette qui démontre d'abord la quantité de sel contenu dans 100 liv. pesant d'eau. Cette éprouvette est un cylindre d'étain, d'argent, etc. que l'on introduit perpendiculairement dans un tube de même matière rempli de l'eau qu'on veut éprouver. Au haut du cylindre sont gravées des lignes circulaires distantes l'une de l'autre, dans des proportions déterminées par l'épreuve du feu. Ce cylindre se soutenant plus ou moins dans l'eau, suivant qu'elle est plus ou moins salée, et par conséquent plus ou moins forte, en désigne les degrés, par le nombre des lignes qui s'aperçoivent au-dessus du niveau de l'eau. Il ne faut pas que l'éprouvette soit en bois, parce que le sel s'y imbibant, donnerait ensuite à l'eau un degré de salure qu'elle n'aurait pas. D'ailleurs, le bois se gonflant ou se resserrant, suivant la sécheresse ou l'humidité de l'air, mettrait toujours un obstacle à la justesse de l'opération.

(a) La ferme générale soustraitant depuis longtemps la saline de Salins, il y a deux régies dans cette saline : celle de l'entrepreneur, dont nous indiquerons les employés dans la suite de ces notes, et celle de la ferme générale, dont nous allons d'abord donner une idée, parce qu'elle n'a point de rapport à toutes les manœuvres que nous détaillerons, et qui regardent l'entrepreneur.

La régie de la ferme générale consiste à veiller à l'exécution du traité fait avec l'entrepreneur, à recevoir de lui les sels formés ; en faire faire les livraisons, percevoir le prix des sels d'ordinaire et Rozières ; des Salaigres, Bez et Poussets, et de payer les dépenses assignées sur le produit.

Ses employés sont un receveur général - inspecteur, un contrôleur des salines, un contrôleur à l'emplissage des bosses, un contrôleur au pesage, un contrôleur-géomètre, deux contrôleurs aux passavants, huit guettes, faisant les fonctions de portier, et chargés de fouiller les ouvriers et ouvrières qui sortent des salines ; deux gardes attachés à la saline.

(b) Il y en a même trois : 1°. la bonne source a dix-sept degrés : 2°. le surcrait a dix-huit degrés deux tiers : 3°. le vieux puisoir ; mais cette dernière source n'a que deux tiers de degrés. Aussi ne la réunit-on avec les deux premières que lorsque l'on fait l'épreuve juridique des eaux. C'est un ancien usage qui n'en est pas plus raisonnable pour cela. Dès que l'épreuve est finie, on renvoie le vieux puisoir dans le puits des petites eaux.

(c) La première est le vieux puisoir dont on a parlé dans la note précédente : la seconde s'appelle le durillon ; les autres sont sans nom, et aussi faibles en salure.

L'étain parait préferable à l'argent, parce qu'il ne se charge pas de verd-de-gris ; et l'on doit toujours avoir soin de laver l'éprouvette avec de l'eau douce après qu'on s'en est servi, autrement elle cesse d'être juste.

Nous observerons ici, qu'il n'y a que les matières salines qui marquent à l'éprouvette ; parce que le sel seul, pouvant se placer dans les petits interstices qui sont entre les globules de l'eau, la rend plus forte, plus difficîle à céder, et s'y insinue même jusqu'à une quantité assez considérable, sans la faire augmenter de volume ; mais l'on aurait beau charger une eau douce de boue, et d'autres parties étrangères, si on la met à l'éprouvette, le cylindre restera à la marque de l'eau douce, sans indiquer le moindre degré de salure.

Il y avait autrefois une ancienne éprouvette en usage à Salins, dont le degré était d'un tiers plus faible que celui de la nouvelle dont nous venons de parler, c'est-à-dire qu'au lieu d'indiquer une livre de sel renfermée dans 100 liv. d'eau, il n'en indiquait que les deux tiers d'une livre ; c'est à quoi il faut faire attention, quand on lit quelques mémoires ou procès-verbaux sur cette saline, et les officiers qui font tous les mois la visite des sources pour en constater les degrés, les comptent encore aujourd'hui suivant l'ancien usage.

La grande saline renferme deux puits dans lesquels il se trouve beaucoup de sources, salées et douces. Le premier est appelé puits d'amont ; et le second, puits agray ; et quoique l'un et l'autre soient désignés par le nom de puits, ils n'en ont point la forme. Ce sont de grandes et spacieuses voutes souterraines bien travaillées, et construites solidement. Elles commencent au puits d'amont ; on y descend par un escalier en forme de rampe, composé de 61 marches. On arrive sur un plancher de 21 pieds de long, sur 15 pieds de large, sous lequel se trouve un grand nombre de sources de différents produits. Elles sont toutes séparées, non par des peaux de bœufs, comme on le lit dans le Dict. de Commerce, mais avec de la terre glaise préparée et battue, que l'on nomme conroi (d), et couverte par des trapes que l'on lève au besoin.

Il y a sept de ces sources (e) qui par de petites rigoles faites avec le conroi dont on vient de parler, sont amenées dans deux récipiens ménagés dans un même bassin de bois attenant au plancher, et de la contenance de 37 muids, 2 quarts, 58 pintes, mesure de Salins. (f) Elles fournissent par demi-heure 17 quarts, 12 pintes d'une eau à 10 degrés. Les autres, à l'exception de deux nommées les changeantes, n'étant qu'à 1, 2 degrés, ou même la plupart totalement douces, elles sont rassemblées dans un récipient voisin, de même nature que le premier, et de la contenance de 15 muids, toujours mesure de Salins.

Les deux sources dites première et seconde changeantes, parce qu'elles ont souvent varié, ainsi que la troisième changeante, sont à 2 degrés 2/3. et fournissent par demi-heure 1 quart 50 pintes. Un cheneau de bois les amène dans le récipient des eaux salées, d'où elles sont élevées séparément (g) pour des usages dont nous parlerons dans la suite.

La voute en cet endroit a 39 pieds de haut, à compter depuis le fond des récipiens, jusques sous la clé des arcades, et 44 pieds de largeur : le tout à une seule arcade et sans piliers. Elle est construite ainsi dans la longueur de 178 pieds ; de-là elle n'a plus que 17 pieds de haut sous clé, sur 20 de large, et 148 de longueur ; cette partie sert à communiquer aux sources dites le puits à gray. En cet endroit la voute a 46 pieds de large, sur 34 de hauteur, et 176 de longueur. L'on trouve à l'extrémité un plancher de 13 pieds de large sur la longueur de 25 ; sous lequel sont sept petites sources salées à 13 degrés, couvertes par des trapes, comme au puits d'amont, et conduites par des rigoles de terre glaise dans un petit bassin de réunion où tombe encore un filet d'eau au même degré, dont l'on ignore la source. De ce bassin, où elles prennent le nom de grand coffre, elles sont envoyées par des tuyaux de bois de 18 taises de longueur au récipient des eaux salées, contenant 28 muids. A 18 pouces du fond de ce récipient, il sort encore une source nommée la chèvre ; elle est à 10 degrés, et se mêle avec les autres. Leur produit total donne dans 24 heures, 145 muids à 12 degrés 2/3.

L'on doit observer que dans le nombre des sept premières sources, il y en a une, d'un produit peu considérable, qui tarit dans les temps de grande pluie, et ne reparait que dans les temps de sécheresse. Autour du plancher qui les couvre, il se trouve encore huit ou dix petites sources presque douces, qui réunies par un cheneau, vont tomber ensemble dans leur récipient, contenant 78 muids.

Toutes les sources salées des trois puits fournissent dans 24 heures 527 muids, dont le mélange dans la cuve du tripot est ordinairement à 14 degrés. Elles sont mesurées le premier de chaque mois en présence des officiers de la juridiction des salines, et des préposés des fermiers. Les quantités de muids rapportées ci-dessus ont été calculées, de même que le degré des eaux, sur le produit total de plusieurs années dont on a tiré le commun. Ces sources augmentent ou diminuent proportionnellement au plus ou moins de pluie qui tombe ; et l'on a remarqué que les années qui étaient abondantes en neige étaient celles où les sources produisaient davantage. En général, plus le produit des sources augmente, et plus elles sont salées ; elles paraissent toutes venir du couchant, et passer sous la montagne sur laquelle est bâti le fort Saint-André.

Les eaux salées et douces des deux salines sont élevées (h) avec des pompes aspirantes, au moyen

(d) Les cinq premières sources formées de différents sillets, se réunissent dans le plus grand des deux récipiens, et y coulent sous les dénominations que nous allons rapporter.

La première, dite les trois anciennes, est à onze degrés de salure.

La seconde s'appelle le corps de plomb ; elle est au même degré que les trois anciennes.

La troisième ou la petite roue, est à douze degrés.

La quatrième est nommée la nouvelle source ; ses eaux sont à quatre degrés trois quarts.

La cinquième dite la troisième changeante, est à quatre degrés et demi.

(e) Il y a deux préposés pourvus d'office par le roi pour veiller à l'entretien du conroi qui sépare les sources salées et douces, et conduit leurs eaux dans les bassins qui leur sont destinés. Ils sont aussi chargés d'accompagner les officiers des salines, lorsqu'ils vont faire l'épreuve juridique des sources, d'y suivre le montier de garde dans sa visite hebdomadaire, et d'y conduire les étrangers. On les nomme conducteurs conroyeurs des sources. L'un est pour la grande saline et l'autre pour la petite.

(f) La pinte de Salins contient 64 pouces cubes, et il faut 240 pintes pour le muid.

La pinte de Paris ne contient que 48 pouces cubes, et il en faut 288 pour le muid.

La différence du muid de Salins est donc de 1544 pouces cubes, dont il est plus grand que le muid de Paris, ou de 32 pintes mesure de Paris, qui ne valent que 24 pintes mesure de Salins.

(g) Quoique ces eaux soient élevées séparément, on les réunit aussi avec les premières, lorsque l'on fait la reconnaissance juridique des sources. C'est à-peu-près comme si une femme, toutes les fois qu'elle visiterait ses diamants, y mélait des cailloux fangeux qui leur ôteraient de leur éclat et de leur prix, et qu'elle ne ferait entrer dans son écrin que les jours où elle en voudrait examiner la richesse. L'exemple d'une grand-mère imbécile serait-il suffisant pour autoriser une conduite aussi ridicule ?

(h) Quatre charpentiers attachés aux salines sont chargés de l'entretien des rouages, et des ouvrages qui sont au compte de l'entrepreneur.

L'entretien des bâtiments, et toutes les grosses réparations, sont au compte du roi.

d'une machine hydraulique établie à chaque puits. Les eaux salées sont conduites par différents cheneaux dans le grand récipient appelé tripot ; c'est une vaste cuve toute en pierres de taille asphaltée, et garnie en-dehors de terre glaise bien battue ; elle contient 5568 muids, mesure de Paris. De-là ces eaux sont encore élevées avec des pompes, et distribuées par plusieurs chénaux dans les nauds ou réservoirs, établis près des chaudières où elles sont bouillies ; on les y fait couler par le moyen d'une échenée que l'on retire ensuite lorsque la chaudière est remplie, les pompes qui élèvent les eaux douces ou peu salées, et qui les jettent dans le canal dit de Cicon, jouent par les mêmes rouages qui font mouvoir celles des eaux salées.

Le canal de Cicon qui reçoit toutes les sources douces de la grande saline, ainsi que les eaux qui ont servi aux machines hydrauliques, commence à l'extrémité de la voute du puits d'amont. A cet endroit élevé de 10 pieds au-dessus du niveau des sources salées, on en voit une d'eau douce, abondante, claire, et bonne à boire. De-là le canal continue jusqu'à l'autre extrémité de la voute dite le puits à gray, où il reçoit encore les eaux qui ont fait mouvoir la machine hydraulique construite pour les pompes de la cuve du tripot ; alors il est fait en voute, et passe sous la ville de Salins, à 25 pieds de profondeur. Il a 332 taises de longueur ; 4 pieds de large, sur 6 de hauteur commune, à compter depuis l'extrémité de la voute du puits à gray, jusqu'à l'endroit où il jette ses eaux dans la rivière de Furieuse.

Les eaux douces ou peu salées du puits amuré à la petite saline, ainsi que celles qui font mouvoir les machines hydrauliques pour les pompes qui les élèvent, sont aussi reçues dans un canal de 53 taises de longueur, du même nom et de la même construction que celui de la grande saline auquel il se réunit.

Les voutes souterraines qui renferment les sources des puits d'amont et à gray, règnent sous le pavé de la grande saline, du septentrion au midi ; leur longueur totale est de 502 pieds. On en attribue la construction aux seigneurs de la maison de Salins, qui commencèrent à régner vers l'an 941, en la personne d'Albéric de Narbonne, comte de Mâcon et de Bourgogne, sire de Salins.

Nous avons dit que toutes les eaux salées de la grande et de la petite saline, se rassemblaient dans la cuve du tripot, d'où elles étaient distribuées dans les réservoirs établis près des chaudières.

Ces chaudières ou poêles, toutes désignées par un nom particulier (i), sont au nombre de neuf, avec chacune un poèlon qui les joint par-derrière. Il y en a deux à la petite saline, et sept à la grande. Chaque chaudière avec son poèlon a un emplacement séparé, et un réservoir ou naud fait de madriers de sapin pour y déposer les eaux nécessaires aux cuites. Cet emplacement s'appelle berne (k) ; il a 64 pieds de long sur 38 de large.

Toutes les poêles sont de figure ovale, et les poèlons de celle d'un carré long plus étroit dans le bout opposé à celui qui touche la chaudière. Les dimensions communes d'une poêle sont de 27 pieds 2 pouces de longueur, 22 pieds 8 pouces de largeur, et 1 pied 5 pouces de profondeur. Elle contient 90 muids d'eau ; celles du poèlon sont de 18 pieds de long, 10 pieds 6 pouces de large, et 1 pied 3 pouces de profondeur ; il contient 30 muids. L'un et l'autre sont composés de platines (l) de fer cousues ensemble avec de gros clous rivés, et sont suspendus sur un fourneau, la poêle par 135 barres de fer de 4 pieds de longueur, et le poèlon par 20 autres barres longues de 6 pieds. Ces barres appelées chaînes, sont rivées par-dessous la chaudière, et accrochées dans le dessus à des anneaux de fer tenans à des pièces de bois de sapin (m), qui traversent la largeur de la poêle, et sont appuyées sur deux grosses poutres que soutiennent quatre dés de maçonnerie appelés piles, qui s'élèvent de 3 à 4 pieds aux quatre angles des murs du fourneau.

Le fourneau est creusé dans le terrain en même longueur et en même largeur que la poêle et le poèlon. Le devant fermé par un mur, forme une ouverture ou gorge de 4 pieds 6 pouces de hauteur, sur 15 à 16 pouces de largeur. C'est par-là que l'on jette le bois sur une grille de 10 pieds de long et de 4 pieds de large, placée à 6 pieds de distance de la gorge du fourneau, sous le milieu de la poêle dont elle est éloignée de 4 pieds 6 pouces. Cette grille est composée de gros barreaux de fonte, distants de 3 pouces les uns des autres, pour que la braise puisse tomber dans un fondrier de 3 pieds 6 pouces de profondeur et de 4 pieds de largeur, creusé depuis l'extrémité de la grille jusqu'à l'ouverture de la gorge à laquelle il vient aboutir pour faciliter le tirage des braises. Depuis les bords du fondrier, le terrain s'élève en talud jusqu'aux côtés de la poêle (n) ; de façon qu'il n'en est plus qu'à 8 pouces de distance. Il s'élève de même depuis le bout de la grille jusqu'à l'extrémité du poèlon, dont alors il ne se trouve plus éloigné que de 10 à 11 pouces. Le fourneau est fermé tout-autour avec de la terre (o), à l'exception de 4 soupiraux de 15 pouces de largeur, que l'on ouvre et ferme, suivant les besoins.

L'activité du feu se trouve dans le centre de la poêle : l'air fait couler la flamme sous le poèlon (p), et la fumée s'échappe derrière par une ouverture de 6 à 7 pieds de largeur, sur 10 à 11 pouces de hauteur.

La formation du sel se fait dans 3, 4, et quelquefois 5 bernes à-la-fais. Il faut 17 à 18 heures pour une cuite (q) : en sorte que les 16 cuites consécutives, qu'on appelle une remandure, emportent 11 ou 12 jours et autant de nuits d'un travail non interrompu à la même poêle. On fait dans le même temps 16 cuites au poèlon, et le sel s'y trouve ordinairement formé 3 ou 4 heures avant celui de la poêle (r). La

(i) Les chaudières de la grande saline sont beauregard, chatelain, comtesse, glapin, grand bief, martinet, et petit bief. Celles qui sont à la petite saline s'appellent l'une chaudière du creux, et l'autre chaudière de soupat.

(k) Chaque berne est distinguée par le nom de la chaudière qu'elle renferme.

(l) Les platines du fond s'appellent tables ; celles des bords versats, dont le haut est terminé par des cercles de fer nommés bandes de taises.

Les poêles sont composées de 350 tables ; de 100 versats, de 195 chaînes, et de 7500 clous.

(m) Le nom de ces pièces de bois est traversiers. Elles sont au nombre de 22, distantes de 10 pouces l'une de l'autre, et ayant chacune 9 à 10 pouces d'équarrissage. Les deux poutres sur lesquelles elles sont appuyées, s'appellent pannes ou pesnes.

(n) Les murs des côtés de la poêle se nomment macelles.

(o) Cette partie qui touche les bords de la poêle s'appelle rond.

(p) Les poèlons ne sont pas anciens. Il n'y a pas trente ans qu'ils sont en usage dans la saline de Salins. C'est M. Dupin, fermier général, qui les y a introduits. Il en résulte une épargne de bois considérable, et relative à la quantité d'eau que l'on bouillit au poèlon, sans augmenter sensiblement le feu de la poêle.

(q) Autrefois la cuite ne durait que douze heures ; mais le sel en était moins pur et moins beau, l'eau n'ayant pas le temps de scheloter assez, ni le sel celui de se former. Aussi était il sans consistance, et comme de la poussière.

(r) Les fèvres ou maréchaux chargés de l'entretien des poêles, car on n'en fait jamais de neuves à Salins, étaient autrefois pourvus de leur office par le roi ; ce qui les mettait à l'abri de la révocation, et était contre le bien du service. On a supprimé ces charges, et les maréchaux sont à présent aux gages de l'entrepreneur, qui avec des appointements fixes, leur accorde encore onze deniers par charge de toute espèce de sel formé, afin de les intéresser par-là à apporter tous leurs soins à l'entretien des chaudières, et à prévenir les coulées.

Les maréchaux des salines sont à présent au nombre de neuf : il y a quatre maîtres et cinq compagnons.

raison de cette différence est que l'on ne remplit jamais le poèlon déjà beaucoup plus petit, afin que l'évaporation s'y faisant plus vite, on puisse y remettre de l'eau pour la cuite suivante, pendant qu'il y a encore du feu sous la chaudière.

Avant de commencer une remandure, on prépare la chaudière 1°. en bridant les chaînes ou barres de fer qui soutiennent la poêle et le poèlon, c'est-à-dire, en les assujettissant toutes à porter également ; 2°. en nattant avec de la filasse les joints et les fissures qui auraient échappé à la vigilance des maréchaux ; 3°. en enduisant la surface de la poêle et du poèlon avec de la chaux vive délayée fort claire dans de l'eau extrêmement salée, appelée muire cuite, parce qu'elle provient de l'égoût du sel en grain : ces trois opérations s'appellent faire la remandure. Ensuite, et immédiatement avant de commencer la première cuite, on allume un petit feu sous la poêle pour faire sécher lentement la chaux, et on l'arrose avec cette même muire cuite ; ce qui s'appelle essaler, pour que le tout forme un mastic capable de boucher exactement les fissures, et d'empêcher la poêle de couler (s).

Le travail d'une cuite est divisé en quatre opérations, connues sous les noms d'ébergémuire, les premières heures, les secondes heures, et le mettre-prou. On entend par le terme d'ébergémuire, l'opération de faire couler dans la poêle les eaux de son réservoir ; elle dure quatre heures, pendant lesquelles on fait du feu sous la chaudière, en l'augmentant à proportion qu'elle se remplit. Lorsqu'elle est pleine, le service des premières heures commence ; il dure quatre heures. Alors on fait un feu violent pour faire bouillir l'eau ; de façon cependant qu'elle ne s'échappe point par-dessus les bords ; le service des secondes heures dure aussi quatre heures. Il consiste à entretenir un feu modéré, et à le diminuer peu-à-peu, afin que le sel, qui commence alors à se déclarer puisse se configurer plus favorablement. Le mettre-prou, dernière opération de la cuite, dure cinq heures, pendant lesquelles l'ouvrier jette peu de bois, et seulement pour entretenir le feu, jusqu'à ce que le sel soit entièrement formé, et qu'il ne reste que très-peu d'eau dans la poêle.

Alors l'on ne jette plus de bois ; quatre femmes nommées tirari de sel, le tirent avec des tables de fer aux bords de la chaudière, et d'autres ouvriers appelés aides, l'enlèvent dans des gruaux (t) de bois, et le portent partie dans les magasins du sel en grains, et partie dans l'ouvroir, dont nous parlerons plus bas, pour y être formé en pains. Lorsque tout le sel est enlevé, on remplit la poêle pour une seconde cuite, et ainsi des autres.

Quatre ouvriers et deux femmes sont attachés au service de chaque berne ; les ouvriers que l'on nomme ouvriers de berne (u), travaillent ensemble à préparer la chaudière ; ce que l'on appelle faire la remandure. Ensuite ils se relèvent pour le travail de la cuite ; en sorte que chacun d'eux faisant une de ces quatre opérations, se trouve avoir fait quatre cuites à la fin de la remandure.

Les deux femmes s'appellent aussi femmes de berne ; l'une dite tirari de feu, est occupée à tirer quatre fois par cuite les braises qui tombent de la grille dans le fondrier. Elle emploie à cet usage une espèce de pelle à feu longue de 20 pouces, large de 14, et dont les bords dans le fonds ont un pied d'élévation. Cette pelle est attachée à une grande perche de bois ; on l'appelle épit. L'autre femme dite eteignari, éteint la braise avec de l'eau, à mesure que la première l'a tirée. Toutes les deux sont encore chargées de tirer le sel aux bords du poèlon, lorsqu'il y est formé ; les tiraris de sel dont on a parlé, ne sont que pour la chaudière.

Les seize cuites consécutives qui composent une remandure, produisent communément 1200 quintaux de sel, et consomment environ 90 cordes de bois. Une corde a 8 pieds de couche, sur 4 pieds de hauteur ; et la buche a 3 pieds et demi de longueur. On fait année commune dans les salines de Salins 132 remandures, qui produisent autour de 158000 quintaux de sel blanc comme la neige, et agréable au gout, pour la formation desquels on consomme près de 11800 cordes de bois (x).

Après que la remandure est finie, on enlève le

(s) La vivacité du feu que l'on fait au fourneau se portant contre le fond de la poêle, la tourmente, la bossue, et quelquefois en perce les tables, ou les disjoint. Alors la muire passant par ces ouvertures tombe dans le fourneau, c'est ce que l'on nomme coulée. Pour y remédier, un ouvrier monte sur les traverses de la poêle, rompt avec un outil tranchant à l'endroit qu'on lui indique, l'équille qui couvre la place où la chaudière est percée, et y jette de la chaux vive détrempée. C'est pendant le temps des coulées que se forment les salaigres. La chaleur du fourneau saisissant vivement l'eau qui s'échappe, en attache le sel au fond de la poêle, où, lorsque la coulée est longue et considérable, il forme des espèces de stalactites qui pesent jusqu'à 30 ou 40 livres ; on ne peut les détacher qu'à la fin de la remandure, quand le fourneau est refroidi. Les petits morceaux de salaigres qui se trouvent dans les cendres des ouvroirs ou des fourneaux, se nomment bez. Il n'y a de différence que dans la grosseur.

Il semblerait aux chymistes que ces matières exposées quelquefois pendant dix ou douze jours à une chaleur violente et continuelle, ne peuvent point conserver de salure, parce que l'acide marin emporté par l'activité du feu, doit se dissiper entièrement, et laisser à nud la base alkaline dans laquelle il était engagé. Cependant les salaigres contiennent encore beaucoup de parties salines ; les pigeons en sont très-friands, et ceux qui ont des colombiers recherchent avec empressement cette espèce de pétrification.

Les soins que l'on apporte aujourd'hui aux poêles de Salins empêchant presque entièrement les coulées, et par conséquent la formation des salaigres, les fayanciers qui en faisaient grand usage pour leur fabrication, prennent pour y suppléer, des équilles des poêles. Ils les achetent à un prix plus bas, quoiqu'elles renferment beaucoup plus de sel. On vendait les salaigres 15 liv. le quintal, ce qui était plus cher que le sel, et les équilles leur sont données pour 10 liv.

(t) Le portage des sels enlevés de la chaudière se fait dans des gruaux de la contenance d'environ trente livres. Les aides qui en sont chargés ont chacun 13 sols 4 den. par remandure de la grande saline, et 1 liv. 2 sols 2 den. 2 tiers pour la petite saline.

Le montier de service compte les gruaux de sel sortis de la chaudière, sur le pied de dix pour onze, qui sont effectivement portés dans les magasins. Le onzième est retenu pour prévenir les déchets.

Il y a huit montiers, six à la grande saline et deux à la petite. Leurs fonctions sont de veiller sur toutes les parties du service de la formation des sels ; suivre les opérations des cuites, la fabrication des pains, avoir l'oeil sur l'entretien des rouages, enfin sur tout ce qui a rapport au bien du service.

Ils se relèvent à la grande saline par garde de trois à trois alternativement, pendant 24 heures, tant de jour que de nuit.

(u) Il y a trente six ouvriers et dix-huit femmes de berne.

(x) L'entrepreneur avec qui la ferme générale soustraite pour la formation des sels, et toutes les opérations qui y sont relatives jusqu'à leur délivrance, est tenu tant par son traité (voyez celui de 1756 avec Jean Louis Soyer), que par les arrêts des 24 Mars 1744, et 30 Mars 1756, de réduire la consommation des bois nécessaires pour la cuite des sels, à la quantité de 15784 cordes ; et de former par an 150773 quintaux 40 livres, ou 111684 charges en toute espèce de sels ; les charges évaluées sur le pied de 135 liv. Le prix lui en est payé à raison de 2 liv. 6 sols pour les sels en grains, et de 2 liv. 15 sols pour les sels en pains.

S'il excède la quantité de bois qui lui est accordée, il le paye à raison de 24 liv. la corde ; et si la consommation est moindre, la ferme générale lui donne 3 liv. par corde de bois épargné.

Les bois que l'on amène dans la saline pour la cuite des muires, y sont entassés en piles fort élevées, parce que l'emplacement est étroit. Ces piles se nomment chales ; ceux qui les élèvent enchaleurs, et leur manœuvre enchalage.

peu d'eau qui reste dans la poêle (y), et l'on trouve au fond une croute blanchâtre appelée équille, depuis 1 jusqu'à 3 pouces d'épaisseur, et si dure qu'on ne peut la détacher qu'en la cassant avec des marteaux pointus. Elle est formée du premier sel qui, se précipitant au fond de la poêle, s'y attache, s'y durcit, par la violente chaleur qu'il y éprouve ; la pureté de l'eau salée à Salins fait que l'équille n'y renferme pas beaucoup de matières étrangères ; elles sont presque toutes enlevées par les bassins que l'on met dans la poêle, pour que l'ébullition de l'eau les y fasse déposer, et il s'y en mêle fort peu avec l'équille, dont 18 livres en rendent 17 d'un sel très-bon et très-pur. On la brise sous une meule ; ensuite elle est fondue dans de grands bassins de bois avec les petites eaux du puits amuiré, qui se chargent des parties de sel qu'elle contient. On met assez d'équilles pour que les eaux puissent acquérir quatorze degrés de salure, et alors elles sont aussi envoyées à la cuve du tripot.

Le sel en grains que l'on doit délivrer en cette nature est porté de la chaudière dans des magasins nommés étuailles de sel trié. Il y en a neuf (z) dans la grande saline pour contenir ces sels, et leur faire acquérir le dépôt de six semaines convenu par les traités avec les Suisses, auxquels ils sont destinés. Le temps du dépôt se compte du jour où l'étuaille est remplie. Ces neuf magasins peuvent contenir ensemble 51000 quintaux. Il n'y en a point à la petite saline, où tout le sel en grains est ensuite formé en pains.

De ces neuf magasins, il y en a huit qui ont de grandes cuves au-dessous : l'une est construite en pierre, et les autres en bois ; elles reçoivent l'égoût du sel en grains. La plus petite de ces cuves contient 285 muids, et la plus grande 1700 muids. La neuvième étuaille n'a, au-lieu de cuve, qu'un chéneau qui conduit son égoût au tripot. C'est cet égoût des sels que l'on nomme muire cuite ; elle est ordinairement à 30 degrés (a). On la conduit dans une cuve particulière, où l'on amène aussi des petites eaux à 5 degrés du puits à muire, ainsi que les changeantes du puits d'amont, jusqu'à ce que le mélange total ne soit plus qu'à 14 degrés ; alors l'on envoie encore ces eaux dans la cuve du tripot.

Le sel en grains, que l'on destine à être formé en pains, est porté, au sortir de la chaudière, dans une grande salle appelée ouvroir. Chaque berne a le sien ; l'ouvroir a environ 60 pieds de long sur 30 de large : dans un coin de chacun sont établies de longues tables de bois élevées à hauteur d'appui, dont une partie en plan incliné s'appelle sille, et sert à déposer les sels en grains que l'on apporte de la poêle ; l'autre partie, nommée massou, est faite avec des madriers creusés d'environ 6 pouces, et destinés pour y fabriquer les pains. Un petit bassin reçoit les muires qui s'égouttent du sel déposé sur la sille ; il y est attenant, et on l'appelle l'auge du massou. Cette muire sert pour paitrir le sel dans le massou, et aider ses parties à se serrer plus aisément.

Quatre femmes (b) sont chargées de former et de sécher les pains de sel. Elles ont chacune leurs fonctions particulières : la première se nomme mettari, parce qu'elle remplit l'écuelle ou moule dans lequel elle forme le pain avec le sel qu'elle a paitri.

La seconde se nomme fassari. C'est elle qui donne la dernière forme au pain en passant les mains pardessus pour l'unir, et ôter le sel qui excède l'écuelle ; ensuite elle la renverse dans une autre plus grande, appelée siche, qui est remplie de sel épuré, détache le pain du moule, et le porte sur le sel en grains qui est uni sur la sille.

C'est-là que les deux autres femmes, nommées sécharis, viennent le prendre chacune à leur tour, et le font sécher sur la braise (c) qui est allumée au milieu de l'ouvroir, et répandue dans toute sa longueur.

Six rangs de pains de sel arrangés les uns à côté des autres forment ce que l'on appelle un feu. Il faut ordinairement dix heures pour faire sécher un de ces feux. C'est à cet usage que l'on emploie les braises tirées des fourneaux des bernes ; mais elles ne suffisent pas, et l'on est encore obligé d'en acheter (d).

Après que les pains sont séchés, les sécharis les enlèvent de dessus les braises, et les empilent de chaque côté de l'ouvroir : ensuite vient un ouvrier qui les range dans une espèce de panier de la largeur du pain, et assez haut pour en contenir douze l'un sur l'autre. Il est construit avec deux baguettes courbées et entrelacées de filets d'écorce de tilleul. Cette opération s'appelle enbenater ; celui qui la fait, benatier (e) ; le panier, benaton, et lorsqu'il est rempli de 12 pains de sel, benate, dont quatre font une charge. Lorsque ces sels sont enbenatés, on les porte au-dessus de l'ouvroir dans le magasin, appelé étuaille de sel en pains.

Tous les sels formés dans les salines de Salins se délivrent tant aux cantons suisses, qu'aux habitants de la province de Franche-Comté. Ceux-ci n'ont que du sel en pains, et le sel en grains, appelé sel trié, est uniquement destiné pour les Suisses.

Il y a d'anciens traités entre le roi et les cantons catholiques du corps helvétique pour une fourniture au volume de 8250 bosses de sel en grains. La bosse (f) est un tonneau de sapin, qui a des mesures

(y) Cette eau, qui est le résidu de 16 cuites, s'appelle eau-mère ; elle est très - salée, mais chargée de parties grasses et huileuses. On la mêle avec des eaux faibles pour les fortifier.

(z) Les neuf étuailles des sels en grains ont chacune un nom particulier ; étuaille de Me Français, Pierre vers comtesse ; Pierre vers glapin ; les Allemands vers comtesse ; les Allemands vers glapin ; beauregard ; rozière ; la potesne et les biefs.

Elles ont chacune deux serrures à clés différentes, dont l'une est entre les mains du contrôleur à l'emplissage des bosses, l'autre entre celles des moutiers.

(a) L'eau ne peut jamais avoir plus de 33 degrés de salure ; lorsqu'on l'a portée à ce point, elle est saturée, et ne fond plus le sel qu'on lui présente.

(b) Ces femmes ont pour les quatre 8 livres dix sous de fixe par remandure, et 10 livres 6 sous 8 deniers par 400 champs de sel de toute espèce ; ce qui fait pour chaque ouvrière 2 deniers 27/64 par 75 pains de sel qu'elles forment.

Ces femmes, dites femmes d'ouvroir, sont au nombre de 40, dont 28 à la grande saline, et 12 à la petite.

(c) Lorsque les braises qui ont servi au desséchement des pains de sel sont consumées, on en lessive les cendres pour en extraire les parties salines que les pains de sel y ont laissées. Cette opération a un inconvénient, c'est que si l'on retire le sel marin, on extrait en même temps le sel de cendre qui l'altère : on emploie à cet usage les petites eaux du puits à muire.

(d) Avant d'employer les petites braises au desséchement des sels en pain, on les met sur un crible de fer, pour en séparer la poussière et toutes les parties trop menues ; c'est cette criblure que l'on nomme chanci.

On en distingue de deux espèces dans la saline de Salins ; le chanci noir est la criblure des braises qui sont amenées aux salines ; et le chanci blanc est la criblure de celles que l'on tire des fourneaux des bernes. Cette seconde espèce est beaucoup plus estimée et plus recherchée que la première ; l'une et l'autre se donne en forme de gratification : la délivrance s'en fait dans des besives de bois.

(e) Le benatier est encore chargé de prendre les benates de sel sur la place, à mesure que les poulins les y apportent, et de les arranger sur les voitures des sauniers, après avoir vérifié le compte des charges des benates, et des pains délivrés pour chacune.

(f) Il y a deux espèces de bosses ; les longues et les courtes ; la dimension des premières est fixée à 1 pied 6 pouces 8 lignes de diamètre des fonds mesurés intérieurement à l'endroit des sables, ou traverses : 6 pieds 2 pouces 6 lignes de circonférence extérieure du ventre, et 3 pieds 9 pouces 8 lignes de hauteur dans œuvre entre les deux fonds.

Les bosses courtes doivent avoir 1 pied 9 pouces de diamètre des fonds ; 6 pieds 8 pouces de circonférence, et 3 pieds, pouce 10 lignes de hauteur, mesurés de même que les longues.

La première espèce de bosses est la seule dont on se servait précédemment ; mais la difficulté de trouver une quantité suffisante de douves assez hautes, a obligé en 1745 d'en fabriquer d'une espèce plus courte, en regagnant par la circonférence ce qu'on perdait sur la hauteur : ainsi les bosses longues et les courtes contiennent la même quantité de sel.

Le remplissage des bosses se fait par les manœuvres - aides au poulinage : ils chargent le sel du magasin dans des gruaux, et l'apportent dans la salle, où ils le versent dans la bosse. Après les quatre premiers gruaux versés, l'aide au poulinage destiné à la manœuvre du foulage, entre dans la bosse, foule le sel avec ses pieds, et continue ensuite la même chose de quatre en quatre mesures : cette opération s'appelle piétinage.

Lorsque la bosse est remplie, on la laisse pendant huit jours sur son fonds, après lesquels l'aide au poulinage monte de nouveau sur la bosse, la foule de 18 coups de pilon, et fait remplir de sel le vide qui s'est formé ; ce qui s'appelle fierlinage. Ce mot vient de l'allemand vierling, ou en l'écrivant comme il se prononce, fierling, quart, mesure de Berne. La bosse en doit contenir seize ; ensuite elle est fermée, numérotée, marquée, et mise en rang pour entrer dans les premiers pesages, et être délivrée aux voituriers. Les poulins ont 16 deniers par bosses, pour y apporter le sel, les remplir et fierliner, suivant l'usage que nous avons rapporté.

On appelle envoi, l'expédition de trois ou quatre cent bosses délivrées les jours indiqués pour les chargements aux communautés qui les voiturent d'entrepôt en entrepôt jusqu'à Grandson et Yverdun.

Lorsqu'elles y sont arrivées, elles doivent encore y rester trois semaines en dépôt ; on les mesure de nouveau, et l'entrepreneur des voitures, à qui le fermier passe pour déchet 9 pour 100 en-dedans, c'est-à-dire qu'il lui en livre 100 pour 91 qu'il lui compte, est tenu de les remplir de façon qu'il n'en revienne pas de plaintes.

Il y a deux salles pour le remplissage des bosses ; l'une appelée la grande salle, en contient environ 600 longues et 400 courtes ; la deuxième dite salle de l'ancienne forge, contient 400 bosses longues et 300 courtes.

Chaque salle a pour le pésage des bosses deux balances, dont l'une se meut par un balancier, et l'autre par un cric ; elle a aussi deux portes opposées pour la commodité des voitures, qui entrent par l'une afin de charger les bosses, et sortent par l'autre : chaque porte a deux serrures à clés différentes, qui sont comme celles des étuailles partagées entre le contrôleur à l'emplissage et le moutier.

On appelle pousset le sel qui se répand sur le plancher pendant le remplissage des bosses, et qui, foulé aux pieds par les ouvriers et les voituriers, ressemble à un sable noir et rempli d'ordures. Les habitants de la campagne le mêlent avec la nourriture de leurs bestiaux, et ils l'achetent dix livres dix sols le quintal : on en donne aussi par gratification aux voituriers qui les premiers fraient les chemins fermés par l'abondance des neiges, et à ceux qui perdent des bœufs en voiturant les bosses.

Quatorze ouvriers nommés bossiers travaillent à la fabrication des bosses dans un atelier qui est dans l'intérieur de la saline, et où on leur amène les douves, fonds et cercles nécessaires.

fixes et déterminées. Elle est réputée contenir 560 livres de sel ; ainsi les 8250 bosses forment la quantité de 46200 quintaux.

Ces sels sont fournis par préférence, et rendus aux frais du roi dans les magasins de Granson et Yverdun en Suisse, où ils sont livrés à chaque canton à un prix fort au-dessous de ce qu'il en coute pour la formation et pour la voiture (g).

On fournit de plus 4570 quintaux de sel en 816 bosses pour le remplissage, et pour les déchets que l'on suppose arriver dans la route. Cette quantité est délivrée gratis : ainsi le total des sels en pains fournis aux cantons catholiques en exécution des traités du roi, est de 50770 quintaux.

Indépendamment du sel en grain, on delivre encore chaque année au canton de Fribourg, en vertu des anciens traités du roi, 4300 charges de sel en pain, du poids de 114 livres la charge, ce qui fait 4902 quintaux. Ce sel est levé à Salins aux frais du canton, qui ne le paye non plus que fort au-dessous du prix de la formation.

Outre ces traités sur lesquels le roi donne une indemnité considérable à ses fermiers, il est encore fait par ceux-ci, suivant la possibilité ou la convenance, d'autres traités avec des cantons protestants (h) pour 35 à 40 mille bosses : en sorte que la formation en sel de Salins pour les différents cantons suisses peut être évaluée, année commune, à 90000 quintaux.

Nous avons dit que l'on ne délivrait que du sel en pain aux habitants de la province de Franche-Comté, et cela est vrai, à l'exception des 164 quintaux de sel en grains distribués par gratification, tant aux principaux officiers de la province et de la ville de Salins, qu'aux officiers et employés des salines.

Avant l'établissement de la saline de Montmorot, celle de Salins fournissait toute la province ; mais aujourd'hui elle ne délivre plus, année commune, que 67000 quintaux de sel formé en pains.

Il y a neuf espèces de sel en pain ; et on les distingue par des marques particulières à chacune par leur grosseur et par leur poids. Tous les pains sont de forme ronde ; le dessous est à-peu-près convexe, et le dessus contient les marques distinctives. Les moules de chacune de ces espèces sont étalonnés sur des matrices qui restent au greffe des salines, et dont les originaux sont à la chambre des comptes de Dole.

La délivrance de ces sels est faite une partie par charge ; la charge est composée de quatre benates, et la benate de douze pains ; et l'autre partie en gros pains de 12 et de 18 livres : la destination et les prix en sont différents.

Des neuf espèces de sel rapportées ci-dessus, les trois premières, appelées sel d'ordinaire (i), sont accordées aux villes et communautés qui les font lever (k) chaque mois dans les salines. La quantité de

(g) Les cantons de Lucerne, Ury, Schwitz, Undervald le haut et le bas, et de Zug, paient la bosse de sel, 20 liv. 16 sols 4 den.

Fribourg, qui outre son sel en pains, a encore 1500 bosses de sel trié, le paye 23 liv. 6 sols 8 den. la bosse.

Soleure n'en donne que 22 liv. 1 sol 8 den.

Et le canton de Berne sur lequel on passe, et qui pour raison de ses péages, a 700 bosses de sel, les paye néanmoins beaucoup plus cher ; il en donne 28 liv. 5 sols.

Pour les 4300 charges de sel en pains qui sont fournis de plus à Fribourg, ce canton la paye à raison de 6 liv. la charge.

(h) La ferme générale a traité avec le canton de Zurich pour lui fournir annuellement quatre mille bosses au volume, et au prix de 36 liv. 10 sols par bosse.

Elle a encore traité avec le canton de Berne pour lui fournir par an vingt quatre mille quintaux de sel trié, au prix de 6 liv. 10 sols par quintal. Une partie de cette fourniture est faite par la saline de Salins, et l'autre par celle de Montmorot.

Ces deux traités, tant avec Zurich qu'avec Berne, sont de la même date. Ils sont faits également pour 24 ans, et ont commence au premier Octobre 1744.

(i) Les trois espèces de sel d'ordinaire étant destinées à la fourniture de la Franche-Comté, comme il ne subsistait anciennement dans cette province que trois bailliages, celui d'amont, celui d'aval et celui de Dole, toutes les villes et communautés ont été employées dans les rôles sous ces trois divisions, ainsi que les espèces de sel qui leur sont affectées.

Le gros ordinaire se délivre aux bailliages d'amont et de Dole.

Le petit ordinaire au bailliage d'aval.

Et le sel de porte à quelques communautés du voisinage de Salins, probablement pour les attacher au service des salines.

Quoique ces bailliages aient été supprimés par la création de quatorze nouveaux bailliages, on n'a apporté aucun changement dans l'attribution des sels aux villes et communautés, qui pour cette délivrance, sont toujours réputées appartenir aux anciens bailliages dont elles faisaient partie.

(k) C'est dans les dix premiers jours de chaque mois que les communautés affectées à la saline de Salins, ainsi que les magasineurs, y envoyent lever les premières leur sel d'ordinaire, et les seconds le sel rozière. Les voituriers qui viennent chercher ces sels se nomment sauniers. Le receveur après avoir Ve leur procuration, leur donne un billet de délivrance, qu'ils vont porter à des employés établis sous le nom de contrôleurs aux passavants. Ces commis, au nombre de deux, enregistrent le billet, et expédient ensuite au nom de chaque communauté, avec celui du saunier, les passavants, qui le mois suivant, doivent être rapportés avec la décharge des échevins et des curés des lieux.

Les passavants sont donc des espèces de saufs - conduits qui empêchent que ceux qui en sont munis, ne soient arrêtés par les gardes.

Les sauniers paient 13 deniers pour le chargement de chaque charge de sel levé à la grande saline, et 8 deniers seulement pour celui qu'ils lèvent à la petite. La ferme abandonne ce droit aux poulins qui portent les sels au devant de la saline sur la place où l'on charge les voitures.

Le poulin auquel les sauniers donnent leurs billets de délivrance, les remet à mesure qu'il délivre la quantité de sel énoncée au guette, qui à la porte de la saline, compte sur un chapelet les charges que l'on en sort, et vérifie si elles quadrent avec l'énoncé du billet.

On oblige les sauniers d'amener à Salins douze mesures de blé, en venant lever leur sel ; faute de quoi il leur est refusé. Cette loi est très-sage pour prévenir les disettes auxquelles la ville serait exposée sans cela.

ce sel fut fixée en 1657 ; mais étant devenue insuffisante par l'accroissement des habitants, on y a suppléé par une quatrième espèce, dite sel rosière ou d'extraordinaire. Il en est formé différents magasins où chaque particulier va, suivant ses besoins, en acheter au prix fixé par un tarif.

La cinquième espèce de sel en pains est appelée sel de Fribourg. Voyez ci-dessus.

Les quatre dernières, dont deux sont en gros pains, appelés pour cela gros salés, se délivrent sous le titre de sel de redevance : 1°. pour anciennes fondations faites en faveur des églises, communautés religieuses et hôpitaux de la province : 2°. pour une partie des francs salés des anciens et des nouveaux officiers du parlement, de la chambre des comptes, des chancelleries, et d'autres officiers de la province ; on appelle franc-salé le droit qu'ils ont de lever, les uns gratis, et les autres à un prix très-modique, le sel qui leur est fixé : 3°. pour le rachat du droit de muire que différents particuliers avaient sur les salines.

Ce droit était fort ancien : il venait de ce que divers particuliers, au temps que les salines appartenaient aux seigneurs de Salins, s'étaient associés pour travailler aux voutes qui renferment les sources. Pendant ce travail, ils avaient aussi découvert d'autres sources salées, et ils en avaient séparé quelques-unes qui se mêlaient avec les douces. Ce fut pour les récompenser que le prince leur accorda annuellement une certaine quantité d'eau salée qui se trouva divisée en 419 parts, lorsque les rois d'Espagne prirent possession de la Franche-Comté. Ces parts étaient appelées quartier, et chaque quartier était de 30 seaux d'eau salée.

Les rois d'Espagne devenus maîtres des salines formèrent le dessein de réunir ces quartiers à leur domaine. Ils n'y trouvèrent de difficulté que de la part des gens d'église qui en possédaient la plus grande partie, vraisemblablement ensuite des dons qu'on leur en avait fait. L'affaire fut portée à Rome, où elle ne fut cependant pas décidée à l'avantage des ecclésiastiques. Leurs portions furent estimées, et l'on en créa des rentes et redevances en sel, comme l'on avait fait pour l'achat des droits des autres particuliers qui s'étaient prêtés de bonne grâce à cet arrangement. Ce sont ces rentes et redevances, qu'on appelle rachat de droit de muire. (l)

Tous les bois qui se trouvent dans les quatre lieues autour de la ville de Salins ont été affectés pour la fourniture des salines, par un règlement de la cour du premier Avril 1727. Les forêts comprises dans ces quatre lieues, que l'on nomme l'arrondissement des salines (m) forment ensemble un total de 45340 arpens, dont environ les deux tiers sont au roi, et le reste appartient tant aux communautés qu'aux particuliers, qui ne sont pas les maîtres d'en disposer, et auxquels l'on n'accorde que le bois nécessaire à leurs usages. On leur paie le surplus à un prix fixé par la cour.

Le roi a établi par arrêt du 18 Janvier 1724, un commissaire général pour l'administration et la police des bois, ainsi que pour les chemins et rivières de l'arrondissement. Cette administration est connue sous le nom de réformation des salines. Elle connait tant au civil qu'au criminel, de toutes matières concernant la police et l'administration des forêts.

La réformation est composée d'un commissaire général, d'un subdélégué, d'un lieutenant, d'un procureur du roi, d'un substitut du procureur du roi, de deux gardes-marteaux, d'un ingénieur et directeur des ouvrages, d'un receveur des épices et amendes, de deux arpenteurs, d'un garde-général collecteur des amendes, de deux gardes-généraux, et de 38 autres gardes particuliers.

Il y a encore dans cette saline une autre juridiction, à laquelle la maitrise des eaux et forêts de Salins a été réunie en 1692. Elle connait tant au civil qu'au criminel, et sauf l'appel à la chambre des comptes de Dole, de tout ce qui concerne les gabelles, conformément aux édits de 1703 et 1705. Elle est en même temps établie pour faire la visite des sources, et connaître de la police intérieure des salines. Cette juridiction a pour chef un juge visiteur des salines et maître particulier des eaux et forêts ; ses autres officiers sont les mêmes qu'à la réformation.

Le revenu annuel des salines de Salins peut être évalué, tous frais faits, aux environs de sept cent mille livres, dont quatre cent cinquante mille viennent de la Suisse. Il était plus considérable avant que la moitié de la Franche-Comté se fournit en sel de Montmorot.

SALINE DE MONTMOROT. Cette saline, remarquable par ses bâtiments de graduation, est située à 8 lieues sud-ouest de Salins, dans une petite plaine, entre la ville de Lons-le-Saunier, et le village dont elle porte le nom.

Il y a déjà eu autrefois à Lons-le-Saunier des salines qui ont longtemps été les seules de la Franche-Comté. On prétend qu'elles existaient avant la venue des Romains dans les Gaules. La ville était connue sous le nom latin Laedo, tiré du grec, qui veut dire flux et reflux. D'anciens mémoires assurent qu'on en observait un dans les eaux salées du puits de Lons - le - Saunier, et que c'est de - là que cette ville a pris son nom. D'autres soutiennent que le mot de Lons, son ancienne dénomination française, à laquelle on a ajouté le-Saunier depuis trois siècles seulement, signifiait un vaisseau de 24 muids qui recevoit

(l) L'entrepreneur des salines a pour la partie des bois grand nombre d'employés, dont voici les noms et les fonctions.

Deux visiteurs des bois taillis chargés de suivre l'exploitation des forêts appartenant tant au roi qu'aux communautés.

Trais taxeurs, dont deux à la saline et un au chantier de la ville. Ils sont établis à l'entrée des deux salines pour taxer aux voituriers le montant de leurs voitures : si le voiturier est mécontent il fait mouler son bois.

Deux buralistes ; ils retirent des mains des voituriers les billets des taxeurs, et leur en donnent d'autres sur lesquels ils vont se faire payer du prix de leur voiture chez le payeur des bois.

Un garde visiteur ; il est chargé de faire des visites dans les maisons des villages, autour des forêts et des routes, d'empêcher le vol des bois, et remplacer au besoin les visiteurs et les taxeurs.

Trais commis aux entrepôts ; ils font les fonctions de buralistes et de taxeurs pour les bois qui arrivent à leurs entrepôts.

Cinq commis tailleurs des futaies de sapin ; ils sont préposés à l'exploitation des futaies, et des bois taillis sous futaies ; font façonner les douves et bois de construction, réduire ce qui n'y est pas propre en bois de corde, et les délivrent aux voituriers.

(m) Par arrêt du 4 Aout 1750, les bois situés dans les deux lieues excédentes les quatre premières, furent encore mis sous la juridiction de la réformation, et affectés en cas de besoin, au service des salines.

Mais cette nouvelle affectation n'a pas encore été exécutée, à cause des différents ordres que le ministre a donnés pour y surseoir ; il y a même apparence que l'on pourra s'en passer toujours, si l'on continue à bien administrer les bois compris dans les quatre premières lieues de l'arrondissement.

les eaux salées, et duquel elles coulaient dans les chaudières. Mais l'une de ces opinions n'est pas plus certaine que l'autre ; et elles pourraient bien n'être toutes les deux que le fruit de l'imagination échauffée de quelques étymologistes. Pendant les travaux que l'on a faits dans le puits de Lons-le-Saunier pour l'établissement de la nouvelle saline, on n'y a point remarqué ce flux et reflux dont il est parlé. D'ailleurs le mot de Lons vient probablement de celui de Laedo, et c'est sans raison qu'on lui Ve chercher une étymologie particulière.

Si l'on ignore en quel temps les salines de Lons-le-Saunier furent établies, la cause et l'époque de leur destruction ne sont pas moins inconnues. On a trouvé dans les creusages qui ont été faits, une grande quantité de poulies, de rouages, d'arbres de roue à demi brulés, et l'on peut conjecturer de-là, que ces salines périrent par le feu.

La ville de Lons-le-Saunier, dans une requête présentée en 1650 au conseil des finances du roi d'Espagne, exposa que ses anciennes salines avaient été détruites en 1290, pour mettre celles de Salins en plus grande valeur ; et qu'elle avait obtenu sur ces dernières 96 charges de sel par mois. Ce droit lui avait été accordé en forme de dédommagement par Marie de Bourgogne et Charles V. son petit-fils ; elle en avait joui jusqu'aux guerres, et aux pestes des années 1636 et 1637 ; et elle demandait à y être rétablie. Elle obtint ce qu'elle désirait ; mais enfin cet ancien droit a été réduit en argent, et c'est pour l'acquitter que le roi lui accorde encore à présent 1000 liv. par année pour les salines de Salins.

Cependant, quoique la chute de celles de Lons-le-Saunier soit fixée dans l'acte que nous venons de citer, à l'année 1290, il est certain qu'elle est postérieure à cette époque. Philippe de Vienne, en 1294, légua par son testament à Alaïs sa fille, abbesse de l'abbaye de Lons-le-Saunier 18 montées de muire à prendre au puits de Lons-le-Saunier, pour elle et pour les abbesses qui lui succéderaient.

C'est au commencement du xiv. siècle qu'on peut vraisemblablement rapporter la destruction de ces salines, et l'on ne trouve point de titre plus moderne qui en fasse mention.

Quoi qu'il en sait, il parait certain que les eaux qu'on y bouillissait étaient meilleures que celles dont la nouvelle saline fait usage. Si elles n'eussent été qu'à 2, 7 et 9 degrés, comme on les voit aujourd'hui, il eut fallu une dépense trop considérable pour en tirer le sel ; les bâtiments de graduation n'étaient pas connus alors. Quand ces anciennes salines furent abandonnées, on tâcha d'en perdre les sources en les noyant dans les eaux douces ; l'on n'a pu ensuite les en séparer entièrement ; et c'est à ce mélange encore subsistant, que nous devons attribuer la faiblesse des eaux que Montmorot emploie à présent.

Ce n'est qu'en 1744, que cette nouvelle saline a été établie, avec des bâtiments de graduation, dont les trois ailes forment un demi-cercle, qu'elle ferme en partie par le devant. Les puits dont elle tire ses eaux salées, sont situés à différentes distances hors de son enceinte, ainsi que les bâtiments de graduation. Ce sont de véritables puits, dont les sources saillissent presque toutes du fond. Ils n'ont rien de curieux, et ne méritent pas que l'on en donne ici la description. Ils sont, comme à Salins, au nombre de trois.

Le puits de Lons-le Saunier, ainsi nommé parce qu'il se trouve dans cette ville, fournit dans 24 heures, depuis 1400 jusqu'à 1700 muids d'eau seulement à 2 degrés. Elle est un peu chaude, et le thermomètre plongé dans ce puits monte de 4 degrés. Les eaux élevées par des pompes, sont conduites dans des canaux souterrains à la distance d'un quart de lieue, jusqu'à l'aîle de graduation, dite de Lons-le-Saunier.

Le puits Cornoz est éloigné de 34 taises de l'aîle de graduation, à laquelle il donne son nom, et où ses eaux vont se rendre. Il forme deux puits placés l'un à côté de l'autre, dans une même enceinte, pour recevoir deux différentes sources. L'une a 7 degrés et donne environ 200 muids d'eau par 24 heures ; et l'autre 3 degrés, n'en fournit que 12.

Le puits de l'étang du Saloir renferme plusieurs sources salées, qui, par des canaux souterrains, sont conduits à une demi-lieue, dans le bâtiment de graduation, dit du puits Cornoz. La principale à 9 degrés tombe dans le puits où elle se rend par un petit canal taillé dans le roc, et elle fournit 53 muids d'eau par 24 heures. Différentes autres sources à 3 et 4 degrés sortent du fond de ce même puits, et forment un mélange d'eaux de 6 à 7 degrés, dont le produit varie depuis 63 jusqu'en 73 muids par 24 heures.

On voyait autrefois dans le même endroit un étang qui y avait été formé pour submerger les sources salées, et c'est de-là que ce puits a pris le nom de l'étang du Saloir. Il fut creusé en 1733 à 57 pieds 4 pouces de profondeur, à laquelle on trouva le rocher d'où sortait la principale source salée ; et dès ce temps on établit là une saline, qui fournissait environ dix mille quintaux de sel. Mais elle fut supprimée quand l'on construisit celle de Montmorot, où furent amenées les eaux du puits de l'étang du Saloir.

Ce puits, le plus important des trois par le degré de salure où sont ses eaux, fut mal construit dans les commencements. Il est tout entouré d'eaux douces, qu'on n'en détourna pas avec assez de soin, en sorte qu'elles y pénétrèrent, et affoiblirent de beaucoup les sources salées. On leur a depuis creusé un puisard où elles vont se rendre près du puits à muire, et d'où elles sont élevées par des pompes. Mais cet ouvrage nécessaire n'a pas rendu aux sources leur même degré, qui, en 1734, était à 11, et se trouve réduit à 8 ou à 9, encore n'est-on pas assuré qu'elles restent longtemps dans le même état ; elles varient beaucoup. La principale source, qui était entièrement perchée dans le roc, est descendue en partie, et pousse plus de sa moitié par le fond du puits. Plus bas est une source d'eau douce fort abondante, que l'on force à remonter sur elle-même pour la conduire au puisard. Il est fort à craindre que les sources salées continuent à descendre, et s'enfonçant davantage, ne se perdent entièrement dans les eaux douces. Il faudrait donc chercher à parer cet accident, qui ébranlerait la saline, et faire de nouvelles fouilles, pour tâcher de découvrir de nouvelles sources.

Les bâtiments de graduation ont été inventés pour épargner la grande quantité de bois que l'on consommerait en faisant entièrement évaporer par le feu les eaux à un faible degré de salure ; car sur 100 livres d'eau, il y en aura 98 à évaporer, si elles ne contiennent que 2 livres de sel. Si au-contraire elles en renferment 16, il n'y aura que 84 livres d'eau à évaporer. Par conséquent dans ce dernier cas on brulera un septième de bois de moins que dans le premier, pour avoir 7 fois plus de sel.

Ainsi, supposons qu'il faille 3 pieds de bois cubes pour évaporer un muid d'eau, on ne brulera que 252 pieds de bois pour avoir 16 muids de sel, si on se sert d'une eau à 16 degrés. Si au-contraire elle n'est qu'à 2 seulement, pour avoir la même quantité de sel, il faudra bruler 2353 pieds de bois. La raison en est sensible. Dans le premier cas, 100 muids d'eau contenant 16 muids de sel, il n'en reste que 84 à évaporer ; mais dans le second, il faut 800 muids d'eau pour en avoir 16 de sel ; et l'on a par conséquent 784 muids à évaporer. Voilà donc 700 muids de plus, pour lesquels il faut consommer 2100 pieds de bois, que l'on eut épargnés dans la totalité en se servant d'une eau à 16 degrés.

Ce léger calcul suffit pour démontrer que si l'on bouillissait des eaux à 2, 3 et 4 degrés, la dépense en bois excéderait de beaucoup la valeur du sel que l'on retirerait. Mais on a trouvé le moyen de les employer avantageusement, en les faisant passer par des bâtiments de graduations ; ainsi nommés, parce que les eaux s'y graduent, c'est-à-dire, y acquièrent de nouveaux degrés de salure, à mesure que l'air, emportant leurs parties douces, qui sont les plus légères, les fait diminuer en volume.

Les bâtiments de graduation de la saline de Montmorot sont divisés en trois ailes, ou corps séparés, étendus sur quatre niveaux, et placés à différentes expositions.

L'aîle de Lons-le-Saunier, alignée de l'est-sud-est à l'ouest-nord-ouest, a 147 fermes, ou 1764 pieds de longueur. Elle ne reçoit uniquement que les eaux à 2 degrés, provenant de Lons-le-Saunier. On appelle ferme une étendue de 12 pieds renfermée entre deux piliers.

L'aîle du puits Cornoz, alignée du sud au nord, contient 78 fermes, ou 936 pieds. Elle reçoit les eaux des deux puits Cornoz et de l'étang du Saloir.

L'aîle de Montmorot, alignée du sud-sud-ouest au nord-nord-est, a sur deux différents niveaux 162 fermes ou 1944 pieds : plus basse que les deux autres ailes, elle reçoit leurs eaux, déjà graduées en partie, et acheve de leur faire acquerir le dernier degré de salure qu'elles doivent avoir, pour être de-là renvoyées aux baissoirs ou bassins construits près des poêles.

Ces trois ailes ont ensemble 1944 pieds de longueur, sur la hauteur commune de 25 pieds, et communiquent l'une à l'autre par des canaux de bois qui conduisent les eaux à-proportion des besoins et de la graduation plus ou moins favorable.

Dans toute la longueur de chaque bâtiment règne un bassin ou réservoir construit en madriers de sapin joints et serrés avec soin, pour recevoir et retenir les eaux salées. Il est posé horizontalement sur des piliers de pierre, et a 24 pieds de largeur dans œuvre sur 1 pied 6 pouces de profondeur : les trois contiennent ensemble 17688 muids d'eau.

Au-dessus et dans le milieu des bassins sont élevées deux masses parallèles d'épines, distantes de trois pieds l'une de l'autre ; elles ont chacune 4 pieds 9 pouces de largeur dans le bas, et 3 pieds 3 pouces dans le haut, et forment une ligne de 22 pieds et demi de hauteur sur la même longueur que les bassins.

L'on a placé au sommet de chaque colonne d'épines, des cheneaux de 10 pouces de profondeur, sur un pied de largeur. Ils sont percés des deux côtés de 3 en 3 pieds, et distribuent par des robinets les eaux qui coulent dans d'autres petits cheneaux, creusés de 6 lignes, longs de 3 pieds, sur 2 à 3 pouces de large, et crenelés par les bords. C'est par ces petites entailles que ceux-ci partagent les eaux qu'ils reçoivent, et les étendent goutte-à-goutte sur toutes les surfaces d'épines, dont les pointes les subdivisent encore et les atténuent à l'infini.

Au milieu de ces deux rangs de cheneaux, et sur le vide qui se trouve entre les deux masses d'épines, est un plancher pour faire le service des graduations, ouvrir et fermer les robinets, suivant le vent plus ou moins fort, et le côté d'où il vient. Tout l'édifice est surmonté d'un couvert, pour empêcher les eaux pluviales de se mêler avec les salées.

Cinq roues de 28 pieds de diamètres, que fait mouvoir successivement la petite rivière de Valière, portent à leur axe des manivelles de fonte qui, en tournant, tirent et poussent des balanciers, dont le mouvement prolongé jusque dans les bâtiments, y fait jouer 40 pompes. Elles sont dressées dans les bassins, d'où elles élèvent les eaux salées dans les cheneaux graduans, et leur en fournissent à-proportion de ce qu'ils en distribuent sur les épines.

L'art de graduer consiste donc à étendre les surfaces des eaux, et à les exposer à l'air, pour les faire tomber en pluie à-travers une longue masse d'épines. Par-là les parties les plus légères, qui sont les douces, se volatilisent et se dissipent, tandis que les autres, plus pesantes par le sel qu'elles contiennent, se précipitent dans le bassin, d'où elles sont remontées pour être de nouveau exposées à l'air, jusqu'à ce qu'elles aient acquis le degré de salure que l'on se propose. Celui auquel on les bouillit communément à Montmorot, est de 12 à 13 ; lorsqu'on leur en fait acquérir davantage, elles n'ont pas le temps de se dégager entièrement des parties étrangères, grasses et terreuses, qui doivent tomber au fond de la poêle avant que le sel se déclare.

Il entre ordinairement par jour aux bâtiments de graduation 1200 muids d'eau, et il s'en évapore 900, ce qui ferait par 100 pieds de bâtiment, une évaporation d'environ 18 muids d'eau : on a tiré ce jour commun sur l'année entière de 1759.

Il faut observer qu'il y a des temps, tels que ceux des fortes gelées, où l'on ne gradue point du tout, parce que l'eau se gelant dans les pompes et sur les épines, ferait briser toute la machine. Mais la violence même du froid qui empêche l'évaporation des eaux, y supplée en les graduant par congélation. On perd alors en entier les eaux faibles du puits de lons-le-saunier, et l'on remplit les bassins avec celles des puits Cornoz et de l'étang du Saloir, qui sont à 6 et à 9 degrés. Il n'y a que le flegme, ou les parties douces qu'elles contiennent qui se gèlent. Quand elles le sont, on casse la glace, et l'on renvoie aux baissoirs, ou réservoirs établis près des poêles, l'eau salée, qui dans les grands froids acquiert ainsi par la seule congélation, jusqu'à 4 et 5 degrés de plus. Mais le degré n'est pas égal dans tous les bassins ; il est toujours relatif à la quantité des parties douces contenues dans l'eau, et qui sont les seules susceptibles de gelée : en sorte que l'on acquiert quelquefois du degré sur les eaux faiblement salées, tandis qu'on n'en acquiert point de sensible sur celles qui le sont beaucoup.

Les temps les plus favorables pour la graduation, sont les temps secs avec un air modéré. Les grands vents perdent beaucoup d'eau ; ils la jettent hors des bâtiments, et emportent à la fois les parties salées et les douces. Lorsque l'air est très humide, et pendant les brouillards fort épais, l'eau, loin d'acquérir de nouveaux degrés, perd quelquefois un peu de ceux qu'elle avait déjà. Elle se gradue, mais faiblement, par les temps presque calmes. L'air, comme un corps spongieux, passant sur les surfaces de l'eau, s'imbibe et se charge de leurs parties les plus légères. Aussi les grandes chaleurs ne produisent-elles pas la graduation la plus avantageuse, parce que l'air se trouvant alors condensé par les exhalaisons de la terre, perd de sa porosité, et conséquemment de son effet.

Nous pensons qu'il y aurait un moyen de tirer encore un plus grand avantage des différentes températures de l'air, dont dépend absolument la graduation. Il faudrait construire un bâtiment à trois rangs parallèles d'épines, où les vents les plus violents gradueraient toutes les eaux, sans les perdre. S'ils emportaient celles de la première et de la seconde ligne, ils les laisseraient tomber à la troisième, qui achevant de rompre leur impétuosité déjà affoiblie, ne leur laisserait plus jeter au-dehors que les parties de l'eau les plus légères. Un second bâtiment à deux rangs d'épines, servirait pour les temps où l'air est médiocrement agité. Enfin il y en aurait un troisième à un seul rang, et c'est sur celui-ci que l'on graduerait les eaux, lorsque l'air presque tranquille, ne pouvant agir qu'à-travers une seule masse d'épines, perdrait entièrement sa force s'il en rencontrait une seconde, et y laisserait retomber les parties douces qu'il aurait emportées de la première.

Les eaux en coulant sur les épines, y laissent une matière terreuse, sans salure et sans gout, qui s'y durcit tellement au bout de 7 à 8 ans, que l'air n'y pouvant plus passer, on est obligé de les renouveller. Les épines de leur côté rendent l'eau graisseuse, et lui donnent une couleur rousse. C'est pour cette raison que dans les salines où il y a des bâtiments de graduation, le sel n'est jamais si blanc que lorsqu'on bouillit les eaux telles qu'elles sortent de leurs sources.

Les eaux graduées au degré qu'on se propose, ou auquel l'on peut les amener, sont conduites par des tuyaux de sapin, dans deux réservoirs placés derrière les bernes, et de-là sont distribuées aux poêles qui y répondent. Ces bassins que l'on nomme baissoirs, forment un carré long de 44 pieds, sur 10 de large et 5 de profondeur ; ils contiennent chacun 262 muids d'eau.

Il y a six poêles à Montmorot, dont chacune forme aussi un carré long de 26 pieds, sur 22 de largeur et 18 pouces de profondeur, et contient environ 100 muids d'eau. C'est dans les angles où l'eau ne bouillit jamais, que le schelot s'amasse en plus grande quantité. La première poêle est la seule qui ait derrière elle un poèlon : encore le sel que l'on y forme est-il si brun, et si chargé de parties étrangères, que l'on est ordinairement obligé de le refondre.

La cuite ne se divise dans cette saline, qu'en deux opérations ; le salinage et le soccage.

On entend par salinage, tout le temps qui est employé à faire réduire l'eau salée, jusqu'à ce que le sel commence à se déclarer à sa surface. Il s'opère toujours par un feu vif, et dure plus ou moins, ce qui Ve de 16 à 24 heures, suivant le degré de salure qu'ont les eaux. C'est pendant ce temps que l'eau jette une écume qu'il faut enlever avec soin, et que le schelot, c'est-à-dire que les matières terreuses, et autres parties étrangères renfermées dans les eaux, s'en dégagent et se précipitent au fond de la poêle. Mais il faut pour cela une forte ébullition : aussi dans les poèlons où l'eau ne bouillit point, l'on ne tire jamais de schelot. Il reste mêlé avec le sel, qui pour cette raison est plus brun, plus pesant et bien moins pur que celui formé dans les poêles. On y amasse toujours la quantité de 16 pouces de muire brisante, c'est-à-dire d'eau dont le sel commence à paraitre ; ce qui oblige de remplir la poêle à plusieurs reprises, lorsque l'ébullition a diminué le volume d'eau salée que l'on y avait mise.

Le schelot que l'on tire des poêles dans de petits bassins nommés augelots, que l'on met sur les bords, et où il Ve se précipiter, parce que l'eau est plus tranquille, sert à former à Montmorot les sels purgatifs d'epsom et de glauber, et la potasse qui sert à la fusion des matières dans les verreries. Voyez SEL D'EPSON, DE GLAUBER et POTASSE.

Le soccage comprend tout le temps que le sel reste à se former. Il commence dès que l'eau qui bouillit dans la poêle est parvenue à 24 ou 25 degrés. C'est alors de la muire brisante, au-dessus de laquelle nagent de petites lames de sel, qui s'accrochant les unes aux autres en forme cubique, s'entraînent mutuellement au fond de la poêle. Plus le feu est lent pendant le soccage, et plus le grain du sel est gros. Sa qualité en est meilleure aussi, parce qu'il se dégage plus exactement des graisses et des autres vices que l'eau renferme encore. Cette seconde et dernière opération dure 16 heures pour les sels destinés à être mis en grains, 20 heures pour les sels en grains ordinaires, et 70 heures pour ceux à gros grains. Ces trois différentes espèces de sel sont les seules que l'on forme à Montmorot.

Lorsque le sel est formé, il reste encore au fond de la poêle des eaux qui n'ont pas été réduites, et que l'on nomme eaux-mères. Elles sont amères, pleines de graisse, de bitume, et fort chargées de sel d'epsom et de glauber. Elles sont très-difficiles à réduire, et il faut avoir grand soin de ne pas mettre la poêle à siccité, pour qu'elles ne communiquent pas au sel les vices qu'elles contiennent. Elles en ont plus ou moins, suivant que les eaux salées dont l'on se sert sont plus ou moins pures. Le sel, au sortir de la poêle, est imbibé de ces eaux qu'il faut laisser égoutter. Lorsqu'elles sont sorties des sels, elles prennent le nom d'eaux-grasses ; mais leur nature est toujours à-peu-près la même que celle des eaux-mères. L'une et l'autre sont très-vicieuses à Montmorot, et il serait à désirer qu'on n'en fit aucun usage.

Neuf cuites font une remandure qui dure plus ou moins, suivant l'espèce de sel qu'on veut former.

L'on fait par année, à cette saline, environ 60 mille quintaux de sel, dont la moitié est délivrée en pains, à différents cantons suisses, suivant des traités particuliers faits avec la ferme générale, et l'autre moitié formée en pains, est vendue à différents bailliages de la province. Mais comme Salins fournit de plus aux Suisses les 38 mille quintaux que Montmorot donne pour lui à la province, il s'ensuit toujours que cette dernière saline fait entrer en France environ 350 mille livres par année.

Le sel que Montmorot délivre à la province, était séché sur les braises, ainsi qu'on le pratique à Salins ; mais il se trouvait toujours une odeur fort désagreable dans la partie inférieure des pains, qui d'ailleurs brulée par l'activité du feu, avait la dureté du gypse, beaucoup d'amertume, et fort peu de salure. Ces défauts excitèrent des réclamations de la part de la Franche-Comté, et donnèrent lieu à plusieurs remontrances de son parlement ; le roi en conséquence envoya dans la province, en 1760, un commissaire pour examiner si les plaintes étaient fondées, et pour faire l'analyse des sels de Montmorot.

On n'a trouvé dans cette saline aucune matière pernicieuse ; les sels en grains que l'on en tire sont très-bons, et les défauts dont l'on se plaignait justement dans les sels en pains, ne provenaient que du vice de leur formation.

Les eaux grasses à Montmorot contiennent beaucoup de sels d'epsom et de glauber, sont amères et chargées de graisse et de bitume. Cependant l'on s'en servait pour paitrir les sels destinés à être mis en pains. Quand l'on porte les pains de sel sur les braises, on les y pose sur le côté, en sorte que les eaux grasses dont ils étaient imprégnés, descendant de la partie supérieure à la partie basse qui touche le brasier, s'y trouvaient saisies par la violence de la chaleur. Là les graisses dont elles sont chargées se brulaient, et par leur combustion donnaient une odeur insupportable d'urine de chat à cette partie toujours pleine de taches et de trous par les vides qu'elles y laissaient, et les charbons qu'elles y formaient. Le sel d'epsom s'y desséchait aussi ; et au-lieu de s'égoutter dans les cendres avec l'eau qui l'entrainait, il restait adhérant au bas du pain, où il formait, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des espèces de grumeaux jaunâtres et d'une grande amertume.

L'on a essayé de former à Montmorot les pains de sel avec de l'eau douce, et alors ils ont été beaucoup moins défectueux que quand ils étaient pêtris avec l'eau grasse ; mais tant qu'ils ont été séchés sur les braises, on leur a toujours trouvé un peu de l'odeur dont nous avons parlé ; et l'on n'est parvenu à les en garantir entièrement que par le moyen des étuves faites pour leur desséchement. C'est un canal où l'on conduit la chaleur de la poêle à côté de laquelle il est construit. Il est couvert de plaques de fer qui s'échauffent par ce courant de feu, et sur lesquelles on met les pains de sel, après y avoir fait une légère couche de cendre pour que le sel ne touche pas le fer.

Il y a à présent à Montmorot deux étuves divisées chacune en deux corps, et séchant ensemble cent charges de sel. Nous joignons ici le plan de celle qui est au deuxième ouvroir. Les pains de sel formés, non plus avec l'eau grasse, mais avec l'eau qui sort des bâtiments de graduation, et séchés doucement par la chaleur modérée des étuves, sont très - beaux, et n'ont ni odeur ni amertume ; mais il ne souffre pas si bien le transport, et tombe plus tôt en déliquescence. Les plaintes de la province ont cessé, et le sel en pains de Montmorot n'est plus actuellement fort inférieur à celui que Salins fournit. Il est beaucoup moins pénétrant ; et en général les fromages salés avec le sel de Montmorot ne sont pas si-tôt faits, et ont besoin de plus de temps pour prendre le sel, que ceux que l'on sale avec celui de Salins. Au reste, cette différence n'en apporte aucune dans leur qualité qui est également bonne. Mais le préjugé contraire est si fort universel, qu'il aurait peut-être fallu le respecter, parce que les fromages font une branche considérable du commerce de la Franche-Comté.

Explication des plans des nouvelles étuves établies aux salines de Montmorot.

1. Poêle à cuire les sels.

2. Ouvroir où l'on forme les sels en pains, et où on les faisait dessécher étendus sur les braises.

3 et 4. Premier et second corps d'étuve nouvellement construites pour faire dessécher les sels en pains.

5. Entrée du fourneau sous la poêle.

6. Ouverture pour le passage de la fumée que l'on ferme ou que l'on ouvre par un empêlement, pour ôter ou prendre la chaleur ; la conduire aux étuves pour les échauffer.

7. Tranchées creusées de 15 à 18 pouces, sur la largeur de 5 pieds, couvertes de larges pierres, soutenues au milieu par un petit mur marqué 8, laquelle tranchée conduit la chaleur aux étuves.

8. Est encore un petit mur de brique construit dans la partie inférieure de l'étuve pour supporter les platines de fer, sur lesquelles sont placées sept rangées de pain de sels dans l'étuve du quatrième ouvroir, et six seulement dans celle du deuxième ouvroir ; dans lequel petit mur on a pratiqué de petits intervalles pour que la chaleur puisse s'étendre plus également dans chaque collatéral de l'étuve.

9. Désigne des tuyaux construits à l'extrémité de chaque corps d'étuve, pour passer la fumée ; le premier débouche dans la berne, à-travers le mur que l'on a percé à cet effet, et le second est monté pardessus les combles : on a pratiqué un glissoir dans chaque tuyau de l'étuve du quatrième, pour retenir la chaleur, et la renvoyer en entier alternativement dans un seul corps d'étuve, suivant que l'exige le service.

10. Désigne, dans les plans de coupe, les terrains rapportés pour élever l'étuve quelques pouces au-dessus du niveau du dessous de la poêle, pour donner une légère montée à la fumée, et la faire tirer plus rapidement au débouché.

11. Sont des grands volets que l'on peut baisser ou élever, au moyen des poulies, suivant le degré d'évaporation qui se fait au commencement du desséchement, et pour tenir la chaleur concentrée, lorsque la grande évaporation est faite, et précipiter le desséchement des pains.

L'étuve au deuxième ouvroir est couverte dans les temps nécessaires, par des tables que l'on ôte lors du chargement de l'étuve, dont le service se fait par les côtés sans qu'il soit besoin d'entrer dedans, n'ayant de largeur en tout que ce qu'il en faut pour que les secharis puissent atteindre le milieu ; ce qui ne se pratique pas de même à l'étuve du quatrième ouvroir, où il est nécessaire d'entrer dans l'étuve, ce qui en rend le service moins prompt.

12. Trotoirs pour le service de l'étuve au second ouvroir.

13. Sille et massous.

14. Cuve qui reçoit l'égoût de la sille.

15. Autre cuve où les formari ou fassari prennent l'eau nécessaire lors de la formation.

La différence des deux étuves consiste en ce qu'au second ouvroir, chaque corps d'étuve a son canal particulier qui y conduit la chaleur dès le fourneau de la poêle, où chaque canal a son empâlement, au-lieu qu'à l'étuve du quatrième, le canal est commun pour les deux corps ; la première contient environ 40 charges, et l'autre 60. Les deux derniers articles sont de M. l'abbé FENOUILLOT.

SALINES DES ILES ANTILLES, ce sont des étangs d'eau de mer, ou grands réservoirs formés par la nature au milieu des sables, dans des lieux arides, entourés de rochers et de petites montagnes dont la position se trouve ordinairement dans les parties méridionales de presque toutes les îles Antilles ; ces étangs sont souvent inondés par les pluies abondantes, et ce n'est que dans la saison seche, c'est-à-dire vers les mois de Janvier et de Février, que le sel se forme ; l'eau de la mer étant alors très-basse, et celle des étangs n'étant plus renouvellée, il s'en fait une si prodigieuse évaporation par l'excessive chaleur du soleil, que les parties salines n'ayant plus la quantité d'humidité nécessaire pour les tenir en dissolution, sont contraintes de se précipiter au fond et sur les bords des étangs, en beaux crystaux cubes, très-gros, un peu transparents et d'une grande blancheur. Il se rencontre des cantons dont l'athmosphère qui les environne est si chargée de molecules salines, qu'un bâton planté dans le sable à peu de distance des étangs, se trouve en vingt-quatre heures totalement couvert de petits crystaux brillans, fort adhérents ; c'est ce qui a fait imaginer à quelques espagnols du pays de former des croix de bois, des couronnes, et d'autres petits ouvrages curieux.

Les îles de Saint-Jean-de-Portorico, de Saint-Christophe, la grande terre de la Guadeloupe, la Martinique et la Grenade, ont de très-belles salines, dont quelques-unes pourraient fournir la cargaison de plusieurs vaisseaux ; le sel qu'elles produisent est d'un usage journalier, mais il n'est pas propre aux salaisons des viandes qu'on veut conserver longtemps ; on prétend qu'il est un peu corrosif. M. le Romain.

SALINE, (Commerce) ce mot se dit ordinairement des poissons de mer que l'on a fait saler pour les conserver. Il se fait en France et dans les pays étrangers un négoce très-considérable de saline. Les poissons qui en font le principal objet, sont la morue, le saumon, le maquereau, le hareng, l'anchois et la sardine.

SALINES, la vallée des (Géographie sacrée) vallée de la Palestine que les interpretes de l'Ecriture mettent communément au midi de la mer Morte, du côté de l'Idumée. M. Halifax dans sa relation de Palmyre, parle d'une grande plaine remplie de sel, d'où l'on en tire pour tout le pays. Cette plaine est environ à une lieue de Palmyre, et elle s'étend vers l'Idumée orientale, dont la capitale était Bozza. Il est assez vraisemblable que cette plaine de sel est la vallée des salines de l'Ecriture. (D.J.)