Moïse, par exemple, défend de consulter ces sortes de gens, sous peine de mort ; Lévit. xix. 31. Ne vous détournez point après ceux qui ont l'esprit de Python, n'y après les devins, etc. Lévitiq. xx. 6. Quant à la personne qui se détournera après ceux qui ont l'esprit de Python et après les devins, en paillardant après eux, je mettrai ma face contre cette personne là ; et je la retrancherai du milieu de son peuple. ç'eut été manquer contre les lois d'une saine politique dans le plan de la théocratie hébraïque, de ne pas sévir contre ceux qui dérogeaient au culte du seul Dieu de vérité, en allant consulter les ministres de l'esprit tentateur ou du père du mensonge ; d'ailleurs Moïse qui avait été à la cour de Pharaon aux prises avec les magiciens privilégiés de ce prince, savait par sa propre expérience de quoi ils étaient capables, et que pour leur résister, il ne fallait pas moins qu'un pouvoir divin et surnaturel ; par-là même il voulait par une défense si sage, prévenir le danger et les funestes illusions, dans lesquelles tombent nécessairement ceux qui ont la faiblesse de courir après les ministres de l'erreur.

Nous lisons dans l'Exode, ch. VIIe Ve 10. 11. que Pharaon frappé de voir que la verge qu'Aaron avait jetée devant lui et ses serviteurs, s'était métamorphosée en un dragon, fit aussi venir les sages, les enchanteurs et les magiciens d'Egypte, qui par leur enchantement, firent la même chose ; ils jetèrent donc chacun leurs verges, et elles devinrent des dragons ; mais la verge d'Aaron engloutit leurs verges.

Nous connaissons peu la signification des termes de l'original ; la vulgate n'en traduit que deux, les envisageant sans doute comme des synonymes inutiles ; chacamien signifie des sages, mais de cette sagesse qu'on peut prendre en bonne et mauvaise part, ou pour une vraie sagesse, ou pour cette sagesse dissimulée, maligne, dangereuse et fausse par-là même ; ainsi dans tous les temps, il y a eu des hommes assez politiques et habiles pour faire servir l'apparence de la Philosophie à leurs intérêts temporels, souvent même à leurs passions.

Mécasphim vient du mot caschaph, qui marque toujours dans l'écrit, une divination, ou une explication des choses cachées ; ainsi ce sont des devins, tireurs d'horoscopes, interprêtes de songes, ou diseurs de bonne aventure, : Les carthumiens sont des magiciens, enchanteurs, ou gens qui par leur art et leur habileté fascinent les yeux, et semblent opérer des changements phantastiques ou véritables, dans les objets ou dans les sens ; tels furent les gens que Pharaon opposa à Moïse et Aaron, et ils firent la même chose par leurs enchantements. Les termes de l'original expriment le grimoire, ces paroles cachées que prononçaient sourdement et en marmottant les magiciens, ou ceux qui voulaient passer pour l'être ; c'est en effet l'être à demi que de persuader aux simples que des mots vides de sens prononcés d'une voix rauque, peuvent produire des miracles ; combien d'auteurs se sont fait une réputation à la faveur de leur obscurité ? cette espèce de magie est la seule qui se pratique aujourd'hui avec succès.

Il serait très-difficile, pour ne pas dire impossible, de décider si le miracle de la métamorphose des verges en serpens fut bien réel et constaté de la part des magiciens de Pharaon ; le pour et le contre sont également plausibles et peuvent se soutenir ; mais les rabbins dans la vie de Moïse, présentent cet événement d'une manière encore plus glorieuse pour ce chef des Hébreux : vie de Moïse, publiée par M. Gaulmin, l'an 1629 ; ils disent que Balaam voyant que la verge de Moïse convertie en dragon, avait dévoré les leurs aussi changées en serpens, soutint qu'en cela il n'y avait point de miracle, puisque le dragon est un animal vorace et carnassier, mais qu'il fallait voir si la verge de bois restant verge mangerait aussi les leurs ; Moïse accepta le défi, on jeta les verges à terre, celle de Moïse sans changer de forme consuma celles des magiciens.

Les chefs des magiciens de Pharaon ne sont point nommés dans l'exode, mais S. Paul nous a conservé leurs noms ; il les appelle Jamnès et Mambrès : ces mêmes noms se trouvent dans les paraphrases chaldéennes, dans le Talmud, la Gemare et d'autres livres hébreux ; les rabbins veulent qu'ils aient été fils du faux prophète Balaam, qu'ils accompagnaient leur père lorsqu'il vint vers Balac, roi de Moab. Les Orientaux les nomment Sabour et Gadour ; ils les craient venus de la Thébaïde, et disent que leur père étant mort depuis longtemps, leur mère leur avait conseillé, avant que de se rendre à la cour, d'aller consulter les manes de leur père sur le succès de leur voyage ; ils l'évoquèrent en l'appelant par son nom ; il ouit leur voix et leur répondit, et après avoir appris d'eux le sujet qui les amenait à son tombeau, il leur dit ; prenez garde si la verge de Moïse et d'Aaron se transformait en serpent pendant le sommeil de ces deux grands magiciens, car les enchantements qu'un magicien peut faire, n'ont nul effet pendant qu'il dort ; et sachez, ajoute le mort, que s'il arrive autrement à ceux-ci, nulle créature n'est capable de leur résister. Arrivés à Memphis, Sabour et Gadour apprirent, qu'en effet la verge de Moïse et d'Aaron se changeait en dragon qui veillait à leur garde, dès qu'ils commençaient à dormir, et ne laissait approcher qui que ce fût de leurs personnes ; étonnés de ce prodige, ils ne laissèrent pas de se présenter devant le roi avec tous les autres magiciens du pays, qui s'y étaient rendus de toutes parts, et que quelques-uns font monter au nombre de soixante-dix mille ; car Giath et Mossa célèbres magiciens, se présentèrent aussi devant Pharaon avec une suite des plus nombreuses ; Siméon, chef des magiciens et souverain pontife des Egyptiens, y vint aussi suivi d'un très-grand cortege.

Tous ces magiciens ayant Ve que la verge de Moïse s'était changée en serpent, jetèrent aussi par terre les cordes et baguettes qu'ils avaient remplies de vif argent ; dès que ces baguettes furent échauffées par les rayons du soleil, elles commencèrent à se mouvoir ; mais la verge miraculeuse de Moïse se jeta sur elles et les dévora en leur présence. Les Orientaux ajoutent, si l'on en croit M. Herbelot, que Sabour et Gadour se convertirent, et renoncèrent à leur vaine profession en se déclarant pour Moïse ; Pharaon les regardant comme gagnés par les Israèlites pour favoriser les deux frères hébreux, leur fit couper les pieds et les mains, et fit attacher leurs corps à un gibet.

Les Persans enseignent que Moïse fut instruit dans toutes les sciences des Egyptiens, par Jamnès et Mambrès, voulant réduire tout le miracle à un fait assez ordinaire ; c'est que les disciples vont souvent plus loin que leur maître ; Chardin, voyage de Perse, tom. III. pag. 207.

Pline parle d'une sorte de grands magiciens, qui ont pour chef Moïse, Jannès et Jotapel, ou Jocabel, juifs ; il y a toute apparence que par ce dernier il veut désigner Joseph, que les Egyptiens ont toujours regardé comme un de leurs sages les plus célèbres.

Daniel parle aussi des magiciens et des devins de Chaldée sous Nabucodonosor : il en nomme de quatre sortes ; Chartumins, des enchanteurs ; Asaphins, des devins interpretes de songes, ou tireurs d'horoscopes ; Mecasphins, des magiciens, des sorciers ou gens qui usaient d'herbes, de drogues particulières, du sang des victimes et des os des morts pour leurs opérations superstitieuses ; Casdins, des Chaldéens, c'est-à-dire, des astrologues qui prétendaient lire dans l'avenir par l'inspection des astres, la science des augures, et qui se mêlaient aussi d'expliquer les songes et d'interprêter les oracles. Tous ces honnêtes gens étaient en grand nombre, et avaient dans les cours des plus grands rois de la terre un crédit étonnant ; on ne décidait rien sans eux ; ils formaient le conseil dont les décisions étaient d'autant plus respectables, qu'étant pour l'ordinaire les ministres de la religion, ils savaient les étayer de son autorité, et qu'ils avaient l'art de persuader à des rois crédules, qui ne connaissaient pas les premiers éléments de la Philosophie, à des peuples si ignorants, qu'à peine se trouvait-il parmi eux un esprit assez ami du vrai pour oser douter ; qu'ils avaient, dis-je, l'art de persuader à de tels juges, qu'ils étaient les premiers confidents de leurs dieux : on aurait sans doute peine à croire un renversement d'esprit si incompréhensible, s'il ne nous était rapporté par des auteurs dignes de foi, puisqu'on les regarde comme divinement inspirés.

Le peuple juif était trop grossier pour s'affranchir de ce joug de la superstition ; il semble au contraire, que la grâce que l'Eternel lui faisait de lui envoyer fréquemment des prophetes pour l'instruire de sa volonté, lui ait tourné en piège à cet égard ; l'autorité de ces prophetes, leurs miracles, le libre accès qu'ils avaient auprès des rais, leur influence dans les délibérations et les affaires publiques, les faisait considérer par la multitude, et excitait parlà même l'envie toute naturelle d'avoir part à ces distinctions et de s'arroger pour cela le don de prophétie ; en sorte que si l'on a dit de l'Egypte, que tout y était Dieu, il fut un temps qu'on pouvait dire de la Palestine que tout y était prophète ; parmi ce nombre prodigieux de voyans, il y en eut sans doute plus de faux que de vrais ; les premiers voulurent s'accréditer par des miracles, et cette pieuse obscurité dans les discours qui a toujours fait merveille pour en imposer au peuple, il fallut pour cela avoir recours aux Sciences et aux Arts occultes : la magie fut mise en œuvre, on en vint même à élever autel contre autel ; pour soutenir la gloire des divers objets d'un culte souvent idolâtre, rarement raisonnable et presque toujours assez superstitieux pour fournir bien des ressources à ceux qui aspiraient à passer pour magiciens.

Ainsi, quoique les lois divines et humaines sévissent contre cet art illusoire, il fut pratiqué dans presque tous les temps par un grand nombre d'imposteurs ; si les temps évangéliques furent féconds en démoniaques, ils ne furent pas stériles en magiciens et devins, il parait même que ceux qui professaient ces peu philosophiques métiers, ne faisaient pas mal leurs affaires, témoins les reproches amers du maître de cette pauvre servante, délivrée d'un esprit de Python, sur la perte considérable que lui causait cette guérison, Ve que son domestique lui valait beaucoup par ses divinations ; et Simon, ce riche magicien de Samarie, qui par ses enchantements avait su renverser l'esprit de tout le peuple, se disant être un grand personnage, auquel grands et petits étaient attachés, au point de l'appeler la grande vertu de Dieu. Act. apost. chap. VIIIe . 9. et suiv. Au reste, il n'est personne qui n'ait ses apologistes, Judas a eu les siens comme instrument dans la main de Dieu pour le salut de l'humanité ; Simon en a trouvé un qui le présente comme un suppôt de satan, sincèrement converti, et qui voulait par l'acquisition d'un pouvoir divin, rompre un pacte qu'il avait avec le diable, et s'attacher à détruire autant son empire qu'il avait travaillé à l'établir par ses sortiléges ; mais S. Pierre n'a pas fourni les matériaux de cette apologie ; et le négoce du magicien Simon est si fort décrié dans l'église, qu'il faudrait une éloquence plus que magique pour rétablir aujourd'hui sa réputation des plus délabrée ; l'auteur des actes des Apôtres ne s'explique point sur les choses curieuses qui renfermaient les livres que brulèrent dévotement les Ephésiens, nouveaux convertis à la foi chrétienne, il se contente de dire que le prix de ces livres supputés fut trouvé monter à cinquante mille pièces d'argent ; si ces choses curieuses étaient de la magie, comme il y a tout lieu de le croire, assurément les adorateurs de la grande Diane étaient de très-petits philosophes, qui avaient de l'argent de reste et payaient chèrement de mauvaises drogues.

Je reviens aux magiciens de Pharaon : on agite une grande question au sujet des miracles qu'ils ont opérés et que rapporte Moïse ; bien des interpretes veulent que ces prestiges n'aient été qu'apparents, qu'ils sont dû. uniquement à leur industrie, à la souplesse de leurs doigts ; en sorte que s'ils en imposèrent à leurs spectateurs, cela ne vint que de la précipitation du jugement de ceux-ci, et non de l'évidence du miracle, à laquelle seule ils auraient dû donner leur consentement.

D'autres veulent que ces miracles aient été bien réels, et les attribuent aux secrets de l'art magique et à l'action du démon ; lequel de ces deux partis est le plus conforme à la raison et à l'analogie de la foi, c'est ce qu'il est également difficîle et dangereux de décider, et il faudrait être bien hardi pour s'ériger en juge dans un procès si célèbre.

L'illusion des tours de passe-passe, l'habileté des joueurs de gobelets, tout ce que la mécanique peut avoir de plus étonnant et de plus propre à surprendre, et à faire tomber dans l'erreur ; les admirables secrets de la chimie, les prodiges sans nombre qu'ont opéré l'étendue de la nature, et les belles expériences qui l'ont dévoilée jusques dans les plus secrètes opérations, tout cela nous est connu aujourd'hui jusqu'à un certain point ; mais il faut en convenir, nous ne connaissons que peu ou point du tout le démon, et les puissances infernales qui dépendent de lui ; il semble même que grâce au goût de la Philosophie, qui gagne et prend insensiblement le dessus, l'empire du démon Ve tous les jours en déclinant.

Quoi qu'il en sait, Moïse nous dit que les magiciens de Pharaon ont opéré des miracles, vrais ou faux, et que lui-même soutenu du pouvoir divin, en a fait de beaucoup plus considérables, et a griévement affligé l'Egypte, parce que le cœur de son roi était endurci ; nous devons le croire religieusement, et nous applaudir de n'en avoir pas été les spectateurs.

Nous renvoyons ce qu'il nous reste à dire sur cette matière à l'article MAGIE.