Travail de la vache noire, ou, comme on dit, retournée. Le Corroyeur, en recevant la peau tannée, commence par l'humecter à plusieurs reprises ; il se sert pour cela d'un balai qu'il trempe dans de l'eau. Il roule la peau humectée, puis il la jette sur la claie, et la foule aux pieds. Cette manœuvre s'appelle le défoncement. La claie est un assemblage de bâtons flexibles, entrelacés dans des traverses emmortaisées sur deux montants. Le défoncement se donne ou à pied nud, ou avec un soulier qu'on appelle l'escarpin, qui ne diffère du soulier ordinaire que par des bouts de cuir-fort dont il est revêtu au bout et au talon. On appelle ces garnitures contreforts. La peau pliée d'abord de la tête à la queue, et les pattes dans le pli, est arrêtée avec un pied, et frappée fortement avec le talon de l'autre. Ce travail s'appelle le refoulement. On donne à la peau des refoulements en tout sens ; on la change de face, et on la tient sur la claie, et sous les pieds ou l'escarpin, tant qu'on y aperçoit des inégalités un peu considérables. Voyez dans la Planche du Corroyeur un ouvrier en A, qui défonce et refonce sur la claie. Alors on la déploie, pour être écharnée ou drayée : on se sert indistinctement de ces deux mots. Ceux qui disent écharnée, appellent le couteau à écharner, écharnoir : ceux qui disent drayée, l'appellent drayoire. La drayoire est une espèce de couteau à deux manches, tant soit peu tranchant et affilé, qu'on voit fig. 3. La peau est jetée sur le chevalet ; et l'ouvrier la fixant entre son corps et le bout du chevalet, enlève avec la drayoire, qu'on nomme aussi couteau à revers, tout ce qui peut y rester de chair après le travail de la tannerie. On voit en B un ouvrier au chevalet. La construction du chevalet est si simple, qu'il serait superflu de l'expliquer.

Lorsque la peau est drayée ou écharnée, on fait un trou à chaque patte de derrière ; on passe dans ces trous une forte baguette qui tient la peau étendue, et on la suspend à l'air à des chevilles, à l'aide du crochet qu'on voit fig. 1. On appelle cela mettre à l'essui.

Quand elle est à moitié seche, on l'humecte comme au défoncement, et on la refoule sur la claie pendant deux ou trois heures plus ou moins, selon que les fosses qu'on y remarque, et qu'il faut effacer, sont plus ou moins considérables. Cette manœuvre, qu'on appelle retenir, se donne sur la peau pliée et dépliée en tout sens, comme au défoncement. La peau retenue se remet à l'essui, mais on la laisse secher entièrement, pour l'appointer, c'est-à-dire lui donner un dernier refoulement à sec.

Cela fait, on la corrompt. Ce travail s'exécute avec un instrument de bois d'un pied ou environ de longueur sur six pouces de largeur, plat d'un côté, arrondi de l'autre, traversé à sa surface arrondie, selon sa largeur, de rainures parallèles, qui forment comme des espèces de longues dents, et garni à son côté plat d'une manicle de cuir. On appelle cet instrument une pomelle. Il y en a de différentes sortes, selon les différentes manœuvres. Voyez les fig. 8. 10. 11. L'ouvrier passe la main dans la manicle, place la peau sur un établi, et conduit la pomelle en tout sens sur la peau, en long, en large, de chair et de fleur. Il faut observer que la peau dans cette manœuvre n'est pas couchée à plat, et que la portion que l'ouvrier corrompt, est toujours comme roulée de dessous en dessus ; de cette manière la pomelle en agit d'autant mieux sur le pli. Voyez fig. D, un ouvrier qui corrompt et tire à la pomelle.

Lorsque la peau a été corrompue et tirée à la pomelle, on la met en suif. Pour cet effet on a du suif dans une grande chaudière ; on le fait chauffer le plus chaud qu'on peut, on en puise plein un petit chauderon : on a de la paille, on y met le feu ; on passe la peau à plusieurs reprises au-dessus de ce feu, afin de l'échauffer, d'ouvrir ses pores, et de la disposer à boire mieux le suif. On prend une espèce de lavette faite de morceaux d'étoffe de laine ; on appelle cette lavette paine ou gipon. Voyez la fig. 5. On la trempe dans le chauderon de suif, et on la passe de fleur et de chair sur toutes les parties de la peau. Ce premier travail ne suffit pas pour mettre la peau convenablement en suif ; on le réitère en entier, c'est-à-dire qu'on la repasse sur un nouveau feu de paille, et qu'on l'imbibe derechef de suif avec le gipon. On la met ensuite tremper dans un tonneau d'eau froide, du soir au lendemain, c'est-à-dire environ dix à douze heures. On la tire de ce bain pour la refouler, et en faire sortir toute l'eau : elle est pliée dans ce travail, comme au défoncement. Lorsqu'on s'aperçoit qu'elle est assez foulée, on la crêpit. Pour la crêpir, on tourne la fleur en haut, où le côté de chair est posé sur la table ; on prend la pomelle, et on la conduit sur toute cette surface, puis on la rebrousse. Rebrousser, c'est mettre le côté de chair en haut, et passer la pomelle sur le côté de la fleur. Pour bien entendre cette manœuvre, il faut se rappeler que pour se servir de la pomelle on roule la partie sur laquelle on travaille, de dessous en dessus, et que par conséquent il faut que le côté qu'on veut travailler, soit toujours appliqué contre la table, et l'autre côté en haut.

Quand la peau est crêpie de chair et rebroussée de fleur, on l'étend sur la table ; on l'essuie fortement avec des écharnures, ou ces pièces de chair qui ont été enlevées de la peau avec la drayoire, puis on l'étire. On a pour cette manœuvre un morceau de fer plat, épais de cinq à six lignes, et large par en-bas de cinq à six pouces ; la partie étroite forme la poignée, et la partie large et circulaire est en plan incliné, et arrondie par son tranchant. Voyez l'étire, fig. 2. On conduit cet instrument à force de bras, de fleur, sur toute la peau, pour l'unir et l'étendre ; c'est ce que fait l'ouvrier C : alors la peau est prête à recevoir le noir.

Le noir est composé de noix de galles et de ferrailles, qu'on fait chauffer dans de la bière aigre ; ou bien on laisse le tout tremper dans un tonneau pendant un mois en été, et deux en hiver, à moins qu'on ne tienne le tonneau à la cave. On donne le noir à la peau avec une brosse ordinaire, ou un gipon ; on la trempe plusieurs fois dans la teinture, et on la passe sur la peau de fleur : jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que la couleur a bien pris : si le noir graissait, ce serait parce qu'il serait trop épais ; alors on y jetterait un ou deux seaux d'eau. Quand ce premier noir est donné et que la peau est essorée ou à demi-seche, on la retient : la retenir dans ce cas-ci, c'est l'étendre sur la table et y repasser de fleur, et fortement l'étire, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que la peau est bien unie, et que le grain est bien écrasé : c'est le terme.

Alors on donne un second noir, appelé noir de soie ; c'est un mélange de noix de galle, de couperose, et de gomme arabique ; on a soin d'étendre bien également la couleur ; on fait sécher entièrement la peau. On la remet seche sur la table. On a de la bière aigre, on en charge la peau avec un morceau d'étoffe, on la plie de patte en patte ; on prend une moyenne pomelle de bois, on la passe sur la fleur qui touche par conséquent la table, puis on rebrousse sur la fleur avec une pomelle de liège : cela s'appelle corrompre des quatre quartiers, et couper le grain.

Après l'avoir rebroussée, on la charge encore de bière, qu'on chasse avec une torche de crin bouillie dans de la lie de chapelier : après quoi on prend le valet qu'on voit fig. 12. ; on serre par son moyen la peau sur la table, du côté de la tête : ce valet est un morceau de fer recourbé, dans la courbure duquel la table et le cuir peuvent être reçus ; il a un pouce de largeur, sur environ un pied de long. On acheve de nettoyer la peau avec l'étire, d'abord du côté de la fleur, ensuite du côté de la chair ; avec cette différence que l'étire qui sert de chair est un peu tranchante. On l'essuie de fleur et de chair, après ce travail ; on se sert pour cela d'un vieux bas d'estame, qu'on appelle le bluteau : après quoi on l'éclaircit.

Cette façon se donne seulement de fleur : on se sert pour cela du suc de l'épine-vinette, qu'on a laissé macérer et fermenter pendant vingt-quatre heures, après l'avoir écrasée. On lustre le côté de fleur seulement, avec ce suc.

Quand la peau est lustrée, il ne reste plus qu'à lui donner le grain : on entend par le grain, ces espèces de gersures qu'on aperçoit à la peau. Pour les commencer, on a plié la peau la fleur en dedans, et on l'a pressée à l'étire en plusieurs sens, comme nous l'avons dit plus haut. Et pour l'achever, on la dresse ou plie la fleur en-dedans, après son premier lustre ; 1°. de quatre faux quartiers, c'est-à-dire des quatre coins, mais un peu de biais : 2°. de travers, c'est-à-dire en long, oeil contre oeil ; 3°. en large, ou de queue en tête : on fixe le grain en pressant fortement la peau avec l'étire, fleur en-dedans, dans tous ces sens. Puis on passe la peau au second lustre, qui se compose de bière, d'ail, de vinaigre, de gomme arabique, et de colle de Flandre, le tout bouilli ensemble, mais appliqué à froid. Ce lustre appliqué, on la plie, et on la pend la fleur en-dedans, en faisant passer la cheville dans les deux yeux.

Travail des veaux noirs à chair grasse. On les mouille d'abord, puis on les boute sur le chevalet jusqu'à la tête : le boutoir est un couteau à deux manches, droit, peu tranchant ; c'est pourquoi on l'appelle aussi couteau sourd. Après avoir bouté la partie de la peau qui doit l'être, on travaille la tête avec la drayoire, ce qui s'appelle dégorger. La chair étant un peu plus épaisse à la tête qu'ailleurs, on se sert du couteau à revers ou de la drayoire pour cette partie, et du couteau sourd pour le reste. Ces deux opérations nettoient la peau de la chair que le tanneur peut y avoir laissée. Après cela on la fait sécher entièrement, et on la ponce, c'est-à-dire qu'on passe une petite pierre forte et dure sur tout le côté de la chair, afin d'achever de le nettoyer. Ce travail est suivi de la manœuvre par laquelle on corrompt ; on corrompt la peau de quatre quartiers, on la rebrousse de queue en tête, on la met en suif, et on l'acheve comme la vache.

Travail des moutons noirs. On commence par les ébourer à l'étire : ce travail les nettoie du tan qui y est resté attaché ; on les mouille, on les foule et roule sur la claie ; on leur donne l'huîle du côté de la fleur seulement ; on les met au bain d'eau fraiche, on en fait sortir l'eau à l'étire, ce qui s'appelle écouler ; on leur donne le noir ; on les repasse ; on les retient ; on les seche entièrement ; on les corrompt ; on les rebrousse, et on les pare à la lunette. Le paroir est un chevalet, qui n'est pas plus difficîle à concevoir que celui du travail des vaches noires, quoiqu'il soit fort différent. La peau est fixée à la partie supérieure sur un rouleau, ou sur une corde au défaut de rouleau ; l'ouvrier passe autour de lui la lisière qui correspond aux deux branches de sa tenaille : cette lisière descend au bas de ses fesses qui la tirent suffisamment pour que la tenaille morde ferme l'extrémité de la peau, l'approche de lui, et la tende ; la peau lui présente la chair. Sa lunette est un instrument de fer, semblable à un palet, d'un pied de diamètre ou environ, percé dans le milieu, et tranchant sur toute sa circonférence ; les bords du trou sont garnis de peau. L'ouvrier passe la main dans cette ouverture qui a six ou sept pouces de diamètre, et conduit le tranchant de la lunette sur toute la surface de la peau, pour en enlever le peu de chair qui a pu échapper à l'étire. Le reste du travail s'expédie comme à la vache noire. Voyez fig. E, un ouvrier qui pare ; fig. 6. la tenaille avec son cordon ; et fig. 7. sa lunette.

Travail du cuir lissé. Il n'y en a que de bœufs et de vaches. On les mouille, on les foule, on les tire à la pomelle ; on les rebrousse, on les boute ; on en continue le travail comme aux vaches noires, jusqu'au suif qu'on donne très-fort, et à plusieurs reprises de fleur et de chair. On les met au bain à l'eau fraiche ; on continue, comme nous l'avons prescrit pour la vache retournée, jusqu'au second lustre, après lequel on les met en presse entre deux tables pour les aplatir. Pendant tout ce travail, on n'a ni corrompu ni dressé.

Mais le noir n'est pas la seule couleur que les Corroyeurs donnent aux peaux ; ils en fabriquent en jaune, rouge, verd, et blanc. Voici la manière dont la préparation en est décrite dans le dictionnaire de Commerce. Nous ne répondons pas de leur succès, les ouvriers étant vraisemblablement aussi cachés, lorsque M. Savari faisait son ouvrage, qu'ils le sont aujourd'hui. Le jaune se compose de graine d'Avignon et d'alun, demi-livre de chacun sur trois pintes d'eau, qu'on réduit au tiers. Le rouge, de bois de Bresil, deux livres sur quatre seaux d'eau : réduisez le tout à moitié par l'ébullition ; tirez au clair, remettez sur le Bresil même quantité d'eau que la première fais, réduisez encore à moitié par une ébullition de six heures ; rejetez la première teinture sur cette seconde, et laissez-les toutes deux environ deux heures sur le Bresil, et sur le feu. Le verd, de gaude ; mettez une botte de gaude sur six seaux d'eau ; laissez bouillir le tout pendant quatre heures à petit-feu ; ajoutez ensuite quatre livres de verd-de-gris. Le blanc ne demande aucune préparation particulière, c'est la couleur même du cuir passé en huîle ; couleur qui est d'autant plus belle, que le jaunâtre en est plus éclatant. Pour passer ces peaux en blanc, on les commence comme pour les autres couleurs ; ensuite on les passe en huile, ou au dégrais des Chamoiseurs. Voyez CHAMOISEURS. Quand elles sont seches, on les refoule à sec, on les corrompt, on les rebrousse des quatre quartiers, on les repare à la lunette ; on les refoule à sec encore une fais, on les ponce, on les corrompt derechef et rebrousse de quatre quartiers ; et pour les redresser de grain, on les corrompt de travers, et de queue en tête. On n'apprête ainsi que des vaches et des veaux, qu'on appelle façon d'Angleterre.

La différence des teintures n'en apporte point aux travaux ; il faut seulement observer que celles qu'on destine à être passées en jaune, ne se passent point en alun, parce qu'il en entre dans leur teinture. Voyez l'article CHAMOISEUR, sur la manière de passer les peaux en couleur jaune. Voici donc le travail qu'il faut donner aux peaux qu'on veut teindre. On commence par les brosser du côté de la fleur avec des brosses ni molles ni rudes ; on les trempe dans l'eau ; on les foule dans l'eau, on les défonce au sortir de l'eau ; on les draye, boute, ou ébourre, selon leur qualité ; on les seche, on les remet au bain pour peu de temps ; on les refoule dans ce bain, on les écoule à l'étire, on leur donne une huîle légère du côté de chair seulement, on les met à essorer ; on les retient avec une étire de cuivre, on les seche entièrement ; on les humecte avec le gipon d'une eau d'alun, faite d'une livre de cet ingrédient sur trois pintes d'eau, on les met essorer ; on les défonce, au moins pendant deux à trois heures ; on continue le travail, crépissant des quatre quartiers, rebroussant de travers, et séchant entièrement jusqu'au moment où il faut les teindre : alors on leur donne de fleur la couleur qu'on souhaite, d'abord de queue en tête, puis de travers. On les met sécher, on leur donne la seconde couleur quand elles sont toutes seches, on les rebrousse, et on les finit comme les vaches retournées. Cela fait, on les décrasse au couteau de revers sur le chevalet ; on les ponce, on les retire des quatre quartiers et de travers ; on leur donne leur lustre, avec le blanc d'œuf battu dans une pinte de la couleur ; on les seche entièrement, ou on les essore seulement ; on a une lisse de verre, comme on la voit figure 13, et on la passe sur toute la peau. La lisse des Corroyeurs n'est pas différente, ni pour la matière, ni pour la forme de celle des Lingeres ; elle est seulement plus pesante et plus forte.

Travail des vaches étirées. Après qu'elles ont été mouillées, on les rebrousse avec une pomelle à larges dents, sans les avoir foulées ni défoncées ; on les draye au chevalet, on les rebrousse des quatre quartiers et de queue en tête ; on les mouille de fleur et de chair, avec un gipon de serge, mais le mouillage est leger de chair ; on les étend sur la table, on les retient avec l'étire de cuivre, puis on les presse à demi-seches entre deux tables.

Travail des cuirs gris. Ils se fabriquent comme les lissés ; mais on ne les passe point en teinture, et on ne les lisse point.

CORROYER DU SABLE, chez les Fondeurs, c'est le passer plusieurs fois sous le bâton et le couteau, pour le rendre plus maniable, en écraser toutes les mottes, et le disposer à prendre plus exactement les diverses empreintes des modèles qu'on veut jeter en cuivre. Voyez FONDEUR EN SABLE.

CORROYER DU BOIS, (Menuiserie) c'est le dresser pour le mettre en œuvre, au moyen d'une demi-varlope et de la varlope.

CORROYER LA TERRE GLAISE : les Potiers de terre, les Fournalistes, les Sculpteurs, et les Fontainiers, se servent de ce terme pour exprimer la façon qu'ils donnent à la terre glaise qu'ils veulent employer dans leurs ouvrages, en la pétrissant et la remuant, soit avec les mains, soit avec les pieds. Voyez POTERIE.

* CORROYER LE FER, (Serrurerie, Taillanderie, Coutellerie, et autres ouvriers en fer) c'est le préparer à la forge pour différents ouvrages. Cette première opération consiste à le battre sur l'enclume, pour en ôter les pailles, l'allonger, le reforger, le resouder, etc.

CORROYER se dit encore de l'action d'un forgeron qui de plusieurs barres de fer qu'il soude ensemble, n'en fait qu'une. Si l'union de ces barres est bien intime et bien faite, on dit de la barre entière qu'elle est bien corroyée.