Cette dépendance réciproque des hommes, par la variété des denrées qu'ils peuvent se fournir, s'étend sur des besoins réels ou sur des besoins d'opinion.

Les denrées d'un pays en général, sont les productions naturelles de ses terres, de ses rivières, de ses mers, et de son industrie.

Les productions de la terre, telles que nous les recevons des mains de la nature, appartiennent à l'Agriculture. Voyez AGRICULTURE.

Les productions de l'industrie se varient à l'infini : mais on peut les ranger sous deux classes.

Lorsque l'industrie s'applique à perfectionner les productions de la terre, ou à changer leur forme, elle s'appelle manufacture. Voyez MANUFACTURE.

Les matières qui servent aux manufactures s'appellent matières premières. Voyez MATIERES PREMIERES.

Lorsque l'industrie crée de son propre fonds, sans autre matière que l'étude de la nature, elle appartient aux Arts libéraux. Voyez ART.

Les productions des rivières ou des mers appartiennent à la Pêche. Voyez PECHE.

La nourriture et le vêtement sont nos seuls besoins réels : l'idée de la commodité n'est dans les hommes qu'une suite de ce premier sentiment, comme le luxe à son tour est une suite de la comparaison des commodités superflues dont jouissent quelques particuliers.

Le Commerce doit son origine à ces trois sortes de besoins ou de nécessités que les hommes se sont imposées ; l'industrie en est le fruit et le soutien tout-à-la-fais : chaque chose qui peut être communiquée à un homme par un autre pour son utilité ou pour son agrément, est la matière du Commerce ; il est juste de donner un équivalent de ce que l'on reçoit. Telle est l'essence du Commerce, qui consiste dans un échange ; son objet général est d'établir l'abondance des matières nécessaires ou commodes ; enfin son effet est de procurer à ceux qu'il occupe les moyens de satisfaire leurs besoins.

La communication générale entre les hommes répandus sur la terre, suppose l'art de traverser les mers qui les séparent, ou la navigation : elle fait un nouveau genre d'industrie et d'occupation entre les hommes. Voyez NAVIGATION.

Les hommes étant convenus que l'or et l'argent seraient le signe des marchandises, et depuis ayant inventé une représentation des métaux mêmes, ces métaux devinrent marchandise ; le commerce qui s'en fait est appelé commerce d'argent ou du change. Voyez CHANGE.

Les peuples intelligens qui n'ont pas trouvé dans leurs terres de quoi suppléer aux trois espèces de besoins, ont acquis des terres dans les climats propres aux denrées qui leur manquaient ; ils y ont envoyé une partie de leurs hommes pour les cultiver, en leur imposant la loi de consommer les productions du pays de la domination. Ces établissements sont appelés colonies. Voyez COLONIE.

Ainsi l'Agriculture, les Manufactures, les Arts libéraux, la Pêche, la Navigation, les Colonies, et le Change, forment sept branches du Commerce ; le produit de chacune n'est point égal, mais tous les fruits en sont précieux.

Lorsque le Commerce est considéré par rapport à un corps politique, son opération consiste dans la circulation intérieure des denrées du pays ou des colonies, l'exportation de leur superflu, et l'importation des denrées étrangères, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Lorsque le Commerce est considéré comme l'occupation d'un citoyen dans un corps politique, son opération consiste dans l'achat, la vente, ou l'échange des marchandises dont d'autres hommes ont besoin, dans le dessein d'y faire un profit.

Nous examinerons le Commerce sous ces deux points de vue particuliers : mais auparavant il est bon de connaître comment il s'est établi dans le monde, et les diverses révolutions qu'il a essuyées.

D'après l'idée générale que nous venons d'en donner, il est constant qu'il a dû exister dès que la terre a eu des habitants ; sa première époque a été le partage des différentes occupations entr'eux.

Caïn cultivait la terre, Abel gardait les troupeaux ; depuis, Tubalcaïn donna des formes au fer et à l'airain : ces divers arts supposent des échanges.

Dans les premiers temps ces échanges se firent en nature, c'est-à-dire que telle quantité d'une denrée équivalait à telle quantité d'une autre denrée : tous les hommes étaient égaux, et chacun par son travail se procurait l'équivalent des secours qu'il attendait d'autrui. Mais dans ces années d'innocence et de paix, on songeait moins à évaluer la matière des échanges, qu'à s'en aider réciproquement.

Avant et après le déluge les échanges dû.ent se multiplier avec la population ; alors l'abondance ou la rareté de certaines productions, soit de l'art, soit de la nature, en augmenta ou en diminua l'équivalent ; l'échange en nature devint embarrassant.

L'inconvénient s'accrut encore avec le Commerce, c'est-à-dire lorsque la formation des sociétés eut distingué les propriétés, et apporté des modifications à l'égalité absolue qui regnait entre les hommes. La subdivision inégale des propriétés par le partage des enfants, les différences dans le terroir, dans les forces, et dans l'industrie, occasionnèrent un superflu de besoin chez les uns de plus que chez les autres : ce superflu dut être payé par le travail de ceux qui en avaient besoin, ou par de nouvelles commodités inventées par l'art ; son usage fut borné cependant tant que les hommes se contentèrent de ce qui était simple.

Sujets à l'injustice, ils avaient eu besoin de législateurs : la confiance établit des juges, le respect les distingua, et bientôt la crainte les sépara en quelque façon de leurs semblables. L'appareil et la pompe furent un des apanages de ces hommes puissants ; les choses rares furent destinées à leur usage, et le luxe fut connu ; il devint l'objet de l'ambition des inférieurs, parce que chacun aime à se distinguer. La cupidité anima l'industrie : pour se procurer quelques superfluités, on en imagina de nouvelles, on parcourut la terre pour en découvrir : l'extrême inégalité qui se trouvait entre les hommes passa jusque dans leurs besoins.

Les échanges en nature devinrent réellement impossibles : l'on convint de donner aux marchandises une mesure commune. L'or, l'argent, et le cuivre, furent choisis pour les représenter. Alors il y eut deux sortes de richesses ; les richesses naturelles, c'est-à-dire les productions de l'Agriculture et de l'industrie ; les richesses de convention ou les métaux.

Ce changement n'altéra point la nature du Commerce, qui consiste toujours dans l'échange d'une denrée, soit pour une autre, soit pour des métaux. On peut le regarder comme une seconde époque du Commerce.

L'Asie qui avait été le berceau du genre humain, se vit peuplée bien avant que les autres parties du monde fussent connues : elle fut aussi le premier théâtre du Commerce, des grands empires, et d'un luxe dont le nôtre est effrayé.

Les vastes conquêtes des Assyriens dans ces riches contrées, le luxe de leurs rais, et les merveilles de Babylone, nous sont garants d'une grande perfection dans les Arts, et par conséquent d'un grand Commerce : mais il parait qu'il était borné à l'intérieur de ces états et à leurs productions.

Les Phéniciens habitants d'une petite contrée de la Syrie, osèrent les premiers franchir la barrière que les mers opposaient à leur cupidité, et s'approprier les denrées de tous les peuples, afin d'acquérir ce qui en faisait la mesure.

Les richesses de l'Orient, de l'Afrique, et de l'Europe, se rassemblèrent à Tyr et à Sydon, d'où leurs vaisseaux répandaient dans chaque contrée du monde le superflu des autres. Ce commerce, dont les Phéniciens n'étaient en quelque façon que les commissionnaires, puisqu'ils n'y fournissaient que très-peu de productions de leur cru, doit être distingué de celui des nations qui trafiquent de leurs propres denrées ; ainsi il a été appelé commerce d'oeconomie ; ç'a été celui de presque tous les anciens navigateurs.

Les Phéniciens s'ouvrirent par les ports d'Elath et d'Esiongaber sur la mer Rouge, le commerce des côtes orientales de l'Afrique, abondantes en or, et celui de l'Arabie si renommée par ses parfums. Leur colonie de Tyle, dans une île du golfe persique, nous indique qu'ils avaient étendu leur trafic sur ces côtes.

Par la navigation de la Méditerranée ils établirent des colonies (voyez COLONIE) dans toutes ses iles, en Grèce, le long des côtes de l'Afrique, en Espagne.

La découverte de ce dernier pays fut la principale source de leurs richesses ; outre les cotons, les laines, les fruits, le fer et le plomb qu'ils en retiraient, les mines d'or et d'argent de l'Andalousie les rendaient maîtres du prix et de la préférence des denrées de tous les pays.

Ils pénétrèrent dans l'Océan le long des côtes, et allèrent chercher l'étain dans les îles Cassiterides, aujourd'hui connues sous le nom de la Grande-Bretagne : ils remontèrent même jusqu'à Thule, que l'on croit communément être l'Irlande.

Tyr effaça par sa splendeur et par son commerce toutes les autres villes des Phéniciens. Enorgueillie de sa longue prospérité, elle osa se liguer contre ses anciens maîtres : toutes les forces de Nabuchodonosor roi de Babylone suffirent à peine à la soumettre, après un siège de treize ans. Le vainqueur ne détruisit que ses murailles et ses édifices ; les effets les plus précieux avaient été transportés dans une île à une demi-lieue de la côte. Les Tyriens y fondèrent une nouvelle ville, à laquelle l'activité du Commerce donna bien-tôt plus de réputation que l'ancienne n'en avait eu.

Carthage, colonie des Tyriens, suivit à-peu-près le même plan, et s'étendit le long des côtes occidentales de l'Afrique. Pour accroitre même son commerce général, et ne le partager qu'avec sa métropole, elle devint conquérante.

La Grèce cependant par son industrie et sa population, vint à figurer parmi les puissances : l'invasion des Perses lui apprit à connaître ses forces et ses avantages ; sa marine la rendit redoutable à son tour aux maîtres de l'Asie : mais remplie de divisions ou de projets de gloire, elle ne songea point à étendre son commerce.

Celui d'Athènes, la plus puissante des villes maritimes de la Grèce, se bornait presqu'à sa subsistance qu'elle tirait de la Grèce même et du Pont-Euxin. Corinthe, par sa situation, fut l'entrepôt des marchandises de l'Asie et de l'Italie ; mais ses marchands ne tentèrent aucune navigation éloignée : elle s'enrichit cependant par l'indifférence des autres Grecs pour le Commerce, et par les commodités qu'elle lui offrait, beaucoup plus que par son industrie.

Les habitants de Phocée, colonie d'Athènes, chassés de leur pays, fondèrent Marseille sur les côtes méridionales des Gaules. Cette nouvelle république, forcée par la stérilité de son territoire de s'adonner à la Pêche et au Commerce, y réussit ; elle donna même l'alarme à Carthage, dont elle repoussa vigoureusement les attaques.

Alexandre parut ; il aima mieux être le chef des Grecs que leur maître : à leur tête il fonda un nouvel empire sur la ruine de celui des Perses. Les suites de sa conquête forment la troisième époque du Commerce.

Quatre grands événements contribuèrent à la révolution qu'éprouva le Commerce sous le règne de ce prince.

Il détruisit la ville de Tyr, et la navigation de la Syrie fut anéantie avec elle.

L'Egypte qui jusqu'alors ennemie des étrangers s'était suffi à elle-même, communiqua avec les autres peuples après sa conquête.

La découverte des Indes et celle de la mer qui est au midi de ce pays en ouvrirent le commerce.

Alexandrie bâtie à l'entrée de l'Egypte, devint la clé du commerce des Indes, et le centre de celui de l'Occident.

Après la mort d'Alexandre, les Ptolemées ses successeurs en Egypte suivirent assidument les vues de ce prince ; ils s'en assurèrent le succès par leurs flottes sur la mer Rouge et sur la Méditerranée.

Pendant ces révolutions, Rome jetait les fondements d'une domination encore plus vaste.

Les petites républiques commerçantes s'appuyèrent de son alliance contre les Carthaginois, dont elles minaient sourdement l'empire maritime. L'intérêt commun les unissait.

Rhodes déjà célèbre par son commerce, et plus encore par la sagesse de ses lois pour les gens de mer, fut de ce nombre. Marseille, l'ancienne alliée des Romains, leur rendit de grands services par ses colonies d'Espagne : réciproquement soutenue par eux, elle accrut toujours sa richesse et son crédit, jusqu'aux temps où forcée de prendre parti dans leurs guerres civiles, elle se vit leur sujette. Lors de son abaissement, Arles, Narbonne, et les autres colonies romaines dans les Gaules, démembrèrent son commerce.

Enfin le génie de Rome prévalut : le commerce de Carthage fut enseveli sous ses ruines. Bientôt l'Espagne, la Grèce, l'Asie, et l'Egypte à son tour, furent des provinces romaines. Mais la maîtresse de l'univers dédaigna de s'enrichir autrement que par les tributs qu'elle imposait aux nations vaincues ; elle se contenta de favoriser le commerce des peuples qui le faisaient sous sa protection. La navigation qu'elle entretenait pour tirer des grains de l'Afrique, ne peut être regardée que comme un objet de police.

Le siège de l'empire transféré à Bizance, n'apporta par conséquent presqu'aucun changement au commerce de Rome : mais la situation de cette ville rebâtie par Constantin sur le détroit de l'Hellespont, y en établit un considérable. Il se soutint longtemps depuis sous les empereurs grecs, et même il trouva grâce devant la politique destructive des Turcs.

La chute de l'empire d'Occident par l'inondation des peuples du Nord, et les invasions des Sarrasins, forment une quatrième époque pour le Commerce.

Il s'anéantit comme les autres Arts sous le joug de la barbarie : réduit presque par-tout à la circulation intérieure nécessaire dans un pays où il y a des hommes, il se réfugia en Italie. Ce pays conserva une navigation, et fit seul le commerce de l'Europe.

Venise, Gènes, Florence, Pise, se disputèrent l'empire de la mer, et la supériorité dans les manufactures. Elles firent longtemps en concurrence le commerce de la Morée, du Levant, de la mer Noire ; celui de l'Inde et de l'Arabie par Alexandrie. Les califes d'Egypte entreprirent en vain de détourner le commerce de cette dernière ville en faveur du Caire, ils ne firent que le gêner : elle rentra sous les Mammelus en possession de ses droits, et elle en jouit encore aujourd'hui.

L'Occident était toujours tributaire des marchands italiens ; chaque pays recevait d'eux les étoffes même dont il leur fournissait la matière : mais ils perdirent une partie de ce commerce, pour n'avoir pas eu le courage de l'augmenter. Ils avaient conservé le système des Egyptiens et des Romains, de finir leurs voyages dans une même année. A mesure que leur navigation s'étendit dans le Nord, il leur fut impossible de revenir aussi souvent dans leurs ports ; ils firent de la Flandre l'entrepôt de leurs marchandises : elle devint par conséquent celui de toutes les matières que les Italiens avaient coutume d'enlever. Les foires de Flandre furent le magasin général du Nord, de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la France. La nécessité établit entre ces pays une petite navigation qui s'accrut d'elle-même. Les Flamands, peuple nombreux et déjà riche par les productions naturelles de ses terres, entreprirent l'emploi des laines d'Angleterre, de leurs lins et de leurs chanvres, à l'exemple de l'Italie. Vers l'an 960 on y fabriqua des draps et des toiles. Les franchises que Baudouin le jeune comte de Flandre accorda à l'industrie, l'encouragèrent au point que ces nouvelles manufactures donnèrent l'exclusion à toutes les autres dans l'Occident. L'Italie se consola de cette perte par la récolte des soies qu'elle entreprit, avec succès, de faire dans ses terres dès l'an 1130, par la conservation du commerce de Cafa, du Levant, et d'Alexandrie, qui entretinrent sa navigation. Mais la Flandre devint le centre des échanges de l'Europe. A mesure que la communication augmentait entre ces divers états, les vues s'étendaient, le Commerce prenait partout de nouvelles forces.

En 1164 la ville de Bremen s'associa avec quelqu'autres, pour se soutenir mutuellement dans le commerce qu'elles faisaient en Livonie. La forme et les premiers succès de cette association promirent tant d'avantages, que toutes les villes de l'Allemagne qui faisaient quelque commerce voulurent y être agrégées. En 1206 on en comptait soixante-deux, depuis Nerva en Livonie jusqu'au Rhin, sous le nom de villes anséatiques. Voyez HANSE.

Plusieurs villes des Pays-Bas, de France, d'Angleterre, de Portugal, d'Espagne, et d'Italie, s'y incorporèrent. La Hanse teutonique fit alors presque tout le commerce extérieur de l'Europe.

Celui de l'intérieur dans la plupart des états avait été jusque-là entre les mains d'un peuple errant, pour qui l'on poussait la haine jusqu'à l'inhumanité. Les Juifs tour-à-tour bannis et rappelés, suivant les besoins des princes, eurent recours à l'invention des lettres de change, dès 1181, pour soustraire leurs richesses à la cupidité et aux recherches. Voyez LETTRE DE CHANGE.

Cette nouvelle représentation de la mesure commune des marchandises, en facilita les échanges : depuis elle forma une nouvelle branche de Commerce. Voyez CHANGE.

Tandis que la Hanse se rendait formidable aux princes mêmes, les comtes de Flandre, en 1301, effarouchaient l'industrie par la révocation de ses franchises. Les ducs de Brabant l'attirèrent par les moyens qu'y avait employés Baudouin le jeune en Flandre, et la perdirent par la même imprudence dont les successeurs de ce comte avaient donné l'exemple. En 1404, après la sédition de Louvain, les ouvriers se répandirent en Hollande et en Angleterre ; d'autres ouvriers de Flandre les y suivirent ; tels furent les commencements des célébres manufactures de la Grande-Bretagne.

La manière de saler les harengs, inventée en 1400, soutint encore quelque temps à Bruges et à l'Ecluse le commerce et les manufactures de Flandre, à la faveur d'une grande navigation.

Pendant le cours de ce siècle, Amsterdam et Anvers s'élevèrent par le commerce. En 1420 les Portugais, à l'aide de la boussole déjà perfectionnée (voyez BOUSSOLE), firent de grands établissements sur les côtes occidentales de l'Afrique. Les navigateurs de Dieppe y avaient entretenu quelque commerce dès l'an 1364 ; mais les guerres des Anglais nous firent perdre le fruit de cette découverte. La France un peu plus tranquille en 1480, vit s'établir à Tours une manufacture de soieries ; et sans les guerres d'Italie, suivies d'autres malheurs plus grands encore, il est vraisemblable que la nation aurait dès ce temps acquis dans le Commerce le rang que lui méritaient son industrie et la fertilité de ses terres.

Bruges par sa prospérité continuait d'effacer toutes les autres villes commerçantes de l'occident de l'Europe : sa révolte contre son prince en 1487 en fut le terme ; sa ruine fut le sceau de la grandeur d'Anvers et d'Amsterdam ; mais Anvers l'emporta par son heureuse situation.

La fin de ce siècle fut célèbre par deux grands événements qui changèrent la face du Commerce. A cette cinquième époque son histoire devint une partie de celle des états.

En 1487 Barthelemi Diaz, capitaine portugais, doubla le cap de Bonne-Espérance, et s'ouvrit la route des Indes orientales. Après lui Vasco de Gama parcourut en conquérant les presqu'iles en-deçà et au-delà du Gange ; Lisbonne fut le magasin exclusif des épiceries et des riches productions de ces contrées, qu'elle distribuait dans Anvers.

L'Egypte qui bornait sa navigation aux premières côtes de la mer des Indes, ne fut pas en état de soutenir la concurrence des Portugais ; la diminution de son commerce entraina la chute de celui des Italiens.

En 1492 Christophle Colomb, génois, découvrit l'Amérique pour le roi de Castille, dont les sujets coururent en foule conquérir les trésors de ce nouveau monde.

Les Espagnols, comme les premiers à habiter l'Amérique, y eurent les plus riches et les plus amples possessions.

Dès 1501 le naufrage d'Alvarès Cabra, capitaine portugais, sur les côtes du Bresil, valut à sa patrie la possession de ce vaste pays et de ses mines.

Ces deux nations négligèrent les Arts et la culture d'Europe, pour moissonner l'or et l'argent dans ces nouvelles provinces, persuadées que propriétaires des métaux qui sont la mesure de toute chose, elles seraient les maîtresses du monde. Elles ont appris depuis que ce qui est la mesure des denrées appartient nécessairement à celui qui vend ces denrées.

Les François ne tardèrent pas à faire des découvertes dans la partie septentrionale. En 1504 nos navigateurs découvrirent le grand banc de Terre-neuve ; et pendant le cours de ce siècle, les Basques, les Bretons, et les Normands prirent possession de plusieurs pays au nom de nos rais. La France déchirée dans son sein par les guerres de religion, fut sourde à tout autre sentiment qu'à celui de sa douleur.

La liberté de conscience et les franchises dont jouissaient les Pays-Bas, et surtout la ville d'Anvers, y avaient attiré un nombre infini de François et d'Allemands, qui dans cette terre étrangère n'eurent de ressource que le Commerce. Il était immense dans ces provinces, lorsque Philippe II. le troubla par l'établissement de nouveaux impôts et de l'inquisition.

La révolte fut générale ; sept provinces se réunirent pour défendre la liberté, et dès 1579 s'érigèrent en république fédérative.

Tandis que l'Espagne faisait la guerre à ses sujets, son prince envahit en 1580 la succession du Portugal et de ses possessions. Ce qui semblait accroitre les forces de cette monarchie, fut depuis le salut de ses ennemis.

La nécessité cependant avait forcé les Hollandais, resserrés dans un territoire stérîle et en proie aux horreurs de la guerre, de se procurer leurs besoins avec économie. La pêche les nourrissait, et leur avait ouvert une navigation considérable du nord au midi de l'Europe, même en Espagne sous pavillon étranger, lorsque deux événements nouveaux concoururent à élever leur commerce.

Les Espagnols prirent Anvers en 1584, et fermèrent l'Escaut pour détourner le Commerce en faveur des autres villes de Flandre. Leur politique ne réussit qu'à leurs ennemis ; la Hollande profita seule de la pêche, de la navigation, des manufactures de toîle et de laine : celles de soie passèrent en Angleterre, où il n'y en avait point encore.

L'abaissement de la Hanse teutonique fut le second événement dont les Hollandais profitèrent. Depuis l'expédition qu'elle fit en 1428 contre Erik roi de Danemark, sa puissance déclina imperceptiblement. Les princes virent avec quelque jalousie leurs principales villes engagées dans une association aussi formidable, et les forcèrent de s'en retirer. Elle se borna aux villes de l'Allemagne. En Angleterre ses privilèges furent révoqués sous la reine Marie ; et dès 1588 les Anglais, sous le règne d'Elisabeth, parvinrent à commencer dans le Nord : Hambourg même les reçut dans son port. La desunion se mit entre les villes associées. Malgré leurs plaintes impuissantes, les Anglais pénétrèrent dans la mer Baltique, dont les Hollandais partagèrent depuis le commerce avec eux presqu'exclusivement aux autres peuples. Aujourd'hui les villes anséatiques sont réduites au nombre de six, dont quatre ont conservé un assez bon commerce dans le nord. Toujours traversées par les Hollandais dans celui du midi, elles n'y ont quelque part qu'à la faveur des intérêts politiques de l'Europe.

L'interdiction des ports de l'Espagne et du Portugal aux sujets des Provinces-Unies, porta leur désespoir et leur fortune à son comble. Quatre vaisseaux partis du Texel en 1594 et 1595, allèrent chercher dans l'Inde, à-travers des périls infinis, les marchandises dont ces provinces étaient rigoureusement privées. Trop faibles encore pour n'être pas des marchands pacifiques, ces habiles républicains intéressèrent pour eux les rois Indiens, qui gémissaient sous le joug impérieux des Portugais. Ceux-ci employèrent en vain la force et la ruse contre leurs nouveaux concurrents, que rien ne dégouta. Le premier usage auquel la compagnie hollandaise destina ses richesses, ce fut d'attaquer ces rivaux à son tour. Son premier effort la rendit maîtresse d'Amboine et des autres îles Moluques en 1605. Déjà assurée du commerce des principales épiceries, ses conquêtes furent immenses et rapides, tant sur les Portugais que sur les Indiens mêmes, qui trouvèrent bientôt dans ces alliés de nouveaux maîtres plus durs encore.

D'autres négociants hollandais avaient entrepris avec le même succès de partager le commerce de l'Afrique avec les Portugais. Une treve de douze ans conclue en 1609 entre l'Espagne et les Provinces-Unies, leur donnèrent le temps d'accroitre et d'affermir leur commerce dans toutes les parties du monde. Dès 1612 elles obtinrent des capitulations très-avantageuses dans le Levant.

En 1621 les conquêtes de la Hollande commencèrent avec la guerre. Une nouvelle société de négociants, sous le nom de compagnie des Indes occidentales, s'empara d'une partie du Bresil, de Curacao, de Saint-Eustache, et fit des prises immenses sur le commerce des Espagnols et des Portugais.

Le Portugal, victime d'une querelle qui n'était point la sienne, s'affranchit en 1640 de la domination espagnole. Jean IV. légitime héritier de cette couronne, conclut en 1641 une treve avec les Hollandais.

Cette treve mal observée de part et d'autre, couta aux Portugais ce qui leur restait dans l'île de Ceylan, où croit la canelle. Ils ne conservèrent dans l'Inde qu'un petit nombre de places peu importantes, dont ils reperdirent depuis une partie pour toujours. Plus heureux en Afrique, ils y reprirent une partie de leurs établissements. Dans l'Amérique leur succès fut complet ; les Hollandais furent entièrement chassés du Bresil.

Ceux-ci plus occupés du commerce des Indes, formèrent un établissement considérable au cap de Bonne-Espérance qui en est la clé, et ne gardèrent dans l'Amérique de postes principaux, que Surinam dans la Guiane, les îles de Curacao et de Saint-Eustache. Ces colonies sont peu importantes pour la culture, mais elles sont la source d'un grand commerce avec les colonies étrangères.

Pendant que les Hollandais combattaient en Europe pour avoir une patrie, et dans l'Inde pour y régner, l'Angleterre s'était enrichie d'une manière moins bruyante et moins hasardeuse : ses manufactures de laine, commerce aussi lucratif, et qui l'était encore plus dans ces temps, portèrent rapidement sa marine à un degré de puissance qui fit échouer toutes les forces de l'Espagne, et la rendit l'arbitre de l'Europe.

Dès l'an 1599, la reine Elizabeth y avait formé une compagnie pour le commerce des Indes orientales. Mais sa prospérité ne lui donna aucune vue de conquête ; elle établit paisiblement divers comptoirs pour son commerce, que l'état prit soin de faire respecter par ses escadres.

Quoique l'Angleterre eut pris possession de la Virginie en 1584, et qu'elle eut disputé la Jamaïque aux Espagnols dès l'an 1596, ce ne fut guère que vers le milieu du dix-septième siècle qu'elle fit de grands établissements dans l'Amérique. La partie méridionale était occupée par les Espagnols, et les Portugais trop forts pour les en chasser. Mais les Anglais ne cherchaient point de mines ; contens de jouir de celles de ces deux nations par la consommation de leurs manufactures, ils cherchaient à augmenter leur industrie en leur ouvrant de nouveaux débouchés. La pêche et la navigation furent leur second objet. L'Amérique septentrionale était plus propre à leurs desseins ; ils s'y répandirent et enlevèrent aux François sans beaucoup de résistance des terres dont ils ne faisaient point d'usage.

En France, le cardinal de Richelieu porta dès les premiers instants de la tranquillité publique ses vues du côté des colonies et du Commerce. En 1626 il se forma par ses soins une compagnie pour l'établissement de Saint-Christophle et des autres Antilles, depuis le dixième degré de l'équateur jusqu'au trentième ; en 1628, une autre compagnie fut chargée de l'établissement de la nouvelle France, depuis les confins de la Floride jusqu'au pôle arctique.

Mais ce puissant génie asservi aux intrigues des courtisans, n'eut jamais le loisir de suivre les vastes projets qu'il avait embrassés pour le bien de la monarchie. C'est cependant à ces faibles commencements que la France doit le salut de son commerce, puisqu'ils lui assurèrent ce qui lui reste de possessions dans l'Amérique, excepté la Louisiane qui ne fut découverte qu'à la fin de ce siècle.

Les Anglais, et surtout les Hollandais, eurent longtemps le profit de ces colonies naissantes ; c'est aussi d'eux qu'elles reçurent les premiers secours qui favorisèrent leur culture. L'année 1664 est proprement l'époque de notre Commerce ; la grande influence qu'il donna à la France dans les affaires de l'Europe en fait une sixième époque générale.

Louis XIV. communiqua à tout ce qui l'environnait un caractère de grandeur ; son habileté lui développa M. Colbert ; sa confiance fut entière ; tout lui réussit.

Les manufactures, la navigation, les arts de toute espèce furent en peu d'années portés à une perfection qui étonna l'Europe et l'alarma. Les colonies furent peuplées ; le Commerce en fut exclusif à leurs maîtres. Les marchands de l'Angleterre et de la Hollande virent par-tout ceux de la France entrer en concurrence avec eux. Mais plus anciens que nous, ils y conservèrent la supériorité ; plus expérimentés, ils prévirent que le Commerce deviendrait la base des intérêts politiques et de l'équilibre des puissances ; ils en firent une science et leur objet capital, dans le temps que nous ne songions encore qu'à imiter les opérations sans en dévoiler le principe ; l'activité de notre industrie équivalut à des maximes, lorsque la révocation de l'édit de Nantes la diminua par la perte d'un grand nombre de sujets, et par le partage qui s'en fit dans tous les pays où l'on voulait s'enrichir : jamais plus grand sacrifice ne fut offert à la religion.

Depuis, chaque état de l'Europe a eu des intérêts de commerce, et a cherché à les agrandir respectivement à ses forces ou à celles de ses voisins, tandis que la France, l'Angleterre et la Hollande se disputent le Commerce général.

La France à qui la Nature a donné un superflu considérable, semble s'occuper plus particulièrement du commerce de luxe.

L'Angleterre, quoique très-riche, craint toujours la pauvreté, ou feint de la craindre ; elle ne néglige aucune espèce de profit, aucuns moyens de fournir aux besoins des autres nations ; elle voudrait seule y pourvoir, tandis qu'elle diminue sans-cesse les siens.

La Hollande supplée par la vente exclusive des épiceries à la médiocrité de ses autres productions naturelles ; son objet est d'enlever avec économie celles de tous les peuples pour les répandre avec profit. Elle est plus jalouse qu'aucun autre état de la concurrence des étrangers, parce que son commerce ne subsiste que par la destruction de celui des autres nations.

L'histoire du Commerce nous présente trois réflexions importantes.

1°. On y a Ve des peuples suppléer par l'industrie au défaut des productions de la terre, et posséder plus de richesses de convention, que ceux qui étaient propriétaires des richesses naturelles. Mais cette industrie consistait toujours à distribuer dans chaque pays les richesses naturelles dont il était dépourvu ; et réciproquement sans industrie aucun peuple n'a possédé abondamment l'or et l'argent qui sont les richesses de convention.

2°. Un peuple perd insensiblement son commerce, s'il ne fait pas tout celui qu'il pourrait entreprendre. En effet toute branche de Commerce suppose un besoin, soit réel, soit d'opinion ; son profit donne les moyens d'une autre entreprise ; et rien n'est si dangereux que de forcer d'autres peuples à se procurer eux-mêmes leurs besoins, ou à y suppléer. L'on a toujours Ve les prodiges de l'industrie éclore du sein de la nécessité ; les grands efforts qu'elle occasionne sont semblables au cours d'un torrent impétueux, dont les eaux luttent avec violence contre les digues qui les resserrent, les renversent à la fin, et se répandent dans les plaines.

3°. Une grande population est inséparable d'un grand commerce, dont le passage est toujours marqué par l'opulence. Il est constant que les commodités de la vie sont pour les hommes l'attrait le plus puissant. Si l'on suppose un peuple commerçant environné de peuples qui ne le sont pas, le premier aura bien-tôt tous les étrangers auxquels son commerce pourra donner un travail et un salaire.

Ces trois réflexions nous indiquent les principes du Commerce dans un corps politique en particulier. L'Agriculture et l'industrie en sont l'essence ; leur union est telle, que si l'une l'emporte sur l'autre, elle vient à se détruire elle-même. Sans l'industrie, les fruits de la terre n'auront point de valeur : si l'Agriculture est négligée, les sources du Commerce sont taries.

L'objet du Commerce dans un état est d'entretenir dans l'aisance par le travail le plus grand nombre d'hommes qu'il est possible. L'Agriculture et l'industrie sont les seuls moyens de subsister : si l'une et l'autre sont avantageuses à celui qu'elles occupent, on ne manquera jamais d'hommes.

L'effet du Commerce est de revêtir un corps politique de toute la force qu'il est capable de recevoir. Cette force consiste dans la population qui lui attirent ses richesses politiques, c'est-à-dire réelles et relatives tout-à-la fais.

La richesse réelle d'un état est le plus grand degré d'indépendance où il est des autres états pour ses besoins, et le plus grand superflu qu'il a à exporter. Sa richesse relative dépend de la quantité des richesses de convention que lui attire son commerce, comparé avec la quantité des mêmes richesses que le Commerce attire dans les états voisins. C'est la combinaison de ces richesses réelles et relatives qui constitue l'art et la science de l'administration du Commerce politique.

Toute opération dans le Commerce d'un état contraire à ces principes, est une opération destructive du Commerce même.

Ainsi il y a un commerce utîle et un qui ne l'est pas : pour s'en convaincre, il faut distinguer le gain du marchand du gain de l'état. Si le marchand introduit dans son pays des marchandises étrangères qui nuisent à la consommation des manufactures nationales, il est constant que ce marchand gagnera sur la vente de ces marchandises : mais l'état perdra, 1°. la valeur de ce qu'elles ont couté chez l'étranger ; 2°. les salaires que l'emploi des marchandises nationales aurait procurés à divers ouvriers ; 3°. la valeur que la matière première aurait produit aux terres du pays ou des colonies ; 4°. le bénéfice de la circulation de toutes ces valeurs, c'est-à-dire l'aisance qu'elle eut répandue par les consommations sur divers autres sujets ; 5°. les ressources que le prince est en droit d'attendre de l'aisance de ses sujets.

Si les matières premières sont du cru des colonies, l'état perdra en outre le bénéfice de la navigation. Si ce sont des matières étrangères, cette dernière perte subsiste également ; et au lieu de la perte du produit des terres, ce sera celle de l'échange des marchandises nationales que l'on aurait fournies en retour de ces matières premières. Le gain de l'état est donc précisément tout ce que nous venons de dire qu'il perdrait dans l'hypothèse proposée ; le gain du marchand est seulement l'excédent du prix de la vente sur le prix d'achat.

Réciproquement le marchand peut perdre, lorsque l'état gagne. Si un négociant envoie imprudemment des marchandises de son pays dans un autre où elles ne sont pas de défaite, il pourra perdre sur la vente ; mais l'état gagnera toujours le montant qui en sera payé par l'étranger, ce qui aura été payé aux terres pour le prix de la matière première, les salaires des ouvriers employés à la manufacturer, le prix de la navigation, si c'est par mer que l'exportation s'est faite, le bénéfice de la circulation, et le tribut que l'aisance publique doit à la patrie.

Le gain que le marchand fait sur l'état des autres sujets, est donc absolument indifférent à l'état qui n'y gagne rien ; mais ce gain ne lui est pas indifférent, lorsqu'il grossit la dette des étrangers, et qu'il sert d'encouragement à d'autres entreprises lucratives à la société.

Avant d'examiner comment les législateurs parviennent à remplir l'objet et l'effet du Commerce, j'exposerai neuf principes que les Anglais, c'est-à-dire le peuple le plus savant dans le Commerce, proposent dans leurs livres pour juger de l'utilité ou du désavantage des opérations de Commerce.

1. L'exportation du superflu est le gain le plus clair que puisse faire une nation.

2. La manière la plus avantageuse d'exporter les productions superflues de la terre, c'est de les mettre en œuvre auparavant, ou de les manufacturer.

3. L'importation des matières étrangères pour être employées dans des manufactures, au lieu de les tirer toutes mises en œuvre, épargne beaucoup d'argent.

4. L'échange de marchandises contre marchandises est avantageux en général, hors les cas où il est contraire à ces principes mêmes.

5. L'importation des marchandises qui empêchent la consommation de celles du pays, ou qui nuisent au progrès de ses manufactures et de sa culture, entraîne nécessairement la ruine d'une nation.

6. L'importation des marchandises étrangères de pur luxe est une véritable perte pour l'état.

7. L'importation des choses de nécessité absolue ne peut être estimée un mal ; mais une nation n'en est pas moins appauvrie.

8. L'importation des marchandises étrangères pour les réexporter ensuite, procure un bénéfice réel.

9. C'est un commerce avantageux que de donner ses vaisseaux à fret aux autres nations.

C'est sur ce plan que doit être guidée l'opération générale du Commerce.

Nous avons défini cette opération, la circulation intérieure des denrées d'un pays ou de ses colonies, l'exportation de leur superflu, et l'importation des denrées étrangères, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Cette définition partage naturellement le Commerce en deux parties, le commerce intérieur et l'extérieur. Leurs principes sont différents, et ne peuvent être confondus sans un grand désordre.

Le commerce intérieur est celui que les membres d'une société font entr'eux. Il tient le premier rang dans le commerce général, comme l'on prise le nécessaire avant le superflu, qui n'en est pas moins recherché.

Cette circulation intérieure est la consommation que les citoyens font des productions de leurs terres et de leur industrie, dont elle est le premier soutien. Nous avons déjà observé que la richesse réelle d'une nation est à son plus haut degré, lorsqu'elle n'a recours à aucune autre pour ses besoins. Les règles établies en conséquence dans les divers états, varient suivant l'abondance des richesses naturelles ; et l'habileté de plusieurs a suppléé par l'industrie aux refus de la nature.

La valeur du commerce intérieur est précisément la somme des dépenses particulières de chaque citoyen pour se nourrir, se loger, se vêtir, se procurer des commodités, et entretenir son luxe. Mais il faut déduire de cette valeur tout ce qui est consommé de denrées étrangères, qui sont une perte réelle pour la nation, si le commerce extérieur ne la répare.

La population est l'âme de cette circulation intérieure ; sa perfection consiste dans l'abondance des denrées du cru du pays en proportion de leur nécessité ; sa conservation dépend du profit que ces denrées donnent à leur propriétaire, et de l'encouragement que l'état leur donne.

Tant que les terres reçoivent la plus grande et la meilleure culture possible, l'usage des denrées de commodité et de luxe ne saurait être trop grand, pourvu qu'elles soient du cru du pays ou de ses colonies.

Leur valeur augmente la somme des dépenses particulières, et se répartit entre les divers citoyens qu'elles occupent.

Il est bon qu'un peuple ne manque d'aucun des agréments de la vie, parce qu'il en est plus heureux. Il cesserait de l'être, si ces agréments et ces commodités épuisaient sa richesse ; il en serait même bientôt privé, parce que les besoins réels sont des créanciers barbares et impatiens : mais lorsque les commodités et le luxe sont une production du pays, leur agrément est accompagné de plusieurs avantages ; leur appas attire les étrangers, les séduit, et procure à l'état qui les possède la matière d'une nouvelle exportation.

Qu'il me soit permis d'étendre ce principe aux Sciences, aux productions de l'esprit, aux Arts libéraux : ce n'est point les avilir que de les envisager sous une nouvelle face d'utilité. Les hommes ont besoin d'instruction et d'amusement : toute nation obligée d'avoir recours à une autre pour se les procurer, est appauvrie de cette dépense qui tourne toute entière au profit de la nation qui les procure.

L'art le plus frivole aux yeux de la raison, et la denrée la plus commune, sont des objets très-essentiels dans le Commerce politique. Philippe II. possesseur des mines de Potozi, rendit deux ordonnances pendant son règne, uniquement pour défendre l'entrée des poupées, des verroteries, des peignes, et des épingles, nommément de France.

Que les modes et leurs caprices soient, si l'on veut, le fruit de l'inconstance et de la legereté d'un peuple ; il n'en est pas moins sur qu'il ne pourrait se conduire plus sagement pour l'intérêt de son commerce et de la circulation. La folie est toute entière du côté des citoyens qui s'y assujettissent, lorsque la fortune le leur défend ; le vrai ridicule est de se plaindre des modes ou du faste, et non pas de s'en priver.

L'abus du luxe n'est pas impossible cependant, à beaucoup près, et son excès serait l'abandon des terres et des arts de première nécessité, pour s'occuper des cultures et des arts moins utiles.

Le législateur est toujours en état de réprimer cet excès en corrigeant son principe ; il saura toujours maintenir l'équilibre entre les diverses occupations de son peuple, soulager par des franchises et par des privilèges la partie qui souffre, et rejeter les impôts sur la consommation intérieure des denrées de luxe.

Cette partie du commerce est soumise aux lois particulières du corps politique ; il peut à son gré permettre, restraindre, ou abolir l'usage des denrées, soit nationales, soit étrangères, lorsqu'il le juge convenable à ses intérêts. C'est pour cette raison que ses colonies sont toujours dans un état de prohibition.

Enfin il faut se souvenir continuellement, que le commerce intérieur s'applique particulièrement à entretenir la richesse réelle d'un état.

Le commerce extérieur est celui qu'une société politique fait avec les autres : il concourt au même but que le commerce intérieur, mais il s'applique plus particulièrement à procurer les richesses relatives. En effet, si nous supposons un peuple commerçant très-riche réellement en denrées dont les autres peuples ne veuillent faire que très-peu d'usage, le commerce intérieur entretiendra soigneusement cette culture ou cette industrie par la consommation du peuple ; mais le commerce extérieur ne s'attachera qu'à la favoriser, sans lui sacrifier les occasions d'augmenter les richesses relatives de l'état. Cette partie extérieure du commerce est si étroitement liée avec les intérêts politiques, qu'elle contracte de leur nature.

Les princes sont toujours dans un état forcé respectivement aux autres princes : et ceux qui veulent procurer à leurs sujets une grande exportation de leurs denrées, sont obligés de se régler sur les circonstances, sur les principes, et les intérêts des autres peuples commerçans, enfin sur le goût et le caprice du consommateur.

L'opération du commerce extérieur consiste à fournir aux besoins des autres peuples, et à en tirer de quoi satisfaire aux siens. Sa perfection consiste à fournir le plus qu'il est possible, et de la manière la plus avantageuse. Sa conservation dépend de la manière dont il est conduit.

Les productions de la terre et de l'industrie sont la base de tout commerce, comme nous l'avons observé plusieurs fais. Les pays fertiles ont nécessairement un avantage pour l'exportation, sur ceux qui le sont moins. Enfin plus les denrées seront nécessaires et parfaites, plus la dépendance des étrangers sera grande.

Une grande population est un des avantages qui met un peuple en état de fournir le plus qu'il est possible aux besoins des autres peuples ; et réciproquement, son commerce extérieur occupe tous les hommes que le commerce intérieur n'aurait pu nourrir.

La population dépend de la facilité que trouvent les citoyens à se procurer une subsistance aisée par le travail, et de leur sûreté. Si ce travail ne suffit pas à leur subsistance, il est d'expérience qu'ils vont se la procurer dans d'autres états. Aussi lorsque des circonstances extraordinaires ont causé ces non-valeurs, le législateur a soin d'en prévenir les effets : il nourrit ses ouvriers, ou leur fournit du travail. De ce que la population est si nécessaire, il s'ensuit que l'oisiveté doit être réprimée : les maisons de travail sont le principal remède que les peuples policés y emploient.

Un peuple ne fournira rien aux autres, s'il ne donne ses denrées à aussi bon marché que les autres peuples qui possèdent les mêmes denrées : s'il les vend moins cher, il aura la préférence dans leur propre pays.

Quatre moyens y conduisent surement : la concurrence, l'économie du travail des hommes, la modicité des frais d'exportation, et le bas prix de l'intérêt de l'argent.

La concurrence produit l'abondance, et celle-ci le bon marché des vivres, des matières premières, des artistes, et de l'argent. La concurrence est un des plus importants principes du Commerce, et une partie considérable de sa liberté. Tout ce qui la gêne ou l'altère dans ces quatre points, est ruineux pour l'état, diamétralement opposé à son objet, qui est le bonheur et la subsistance aisée du plus grand nombre d'hommes possible.

L'économie du travail des hommes consiste à le suppléer par celui des machines et des animaux, lorsqu'on le peut à moins de frais, ou que cela les conserve : c'est multiplier la population, bien loin de la détruire. Ce dernier préjugé s'est soutenu plus longtemps dans les pays qui ne s'occupaient que du commerce intérieur : en effet, si le commerce extérieur est médiocre, l'objet général ne serait pas rempli si l'intérieur n'occupait le plus d'hommes qu'il est possible. Mais si le commerce extérieur, c'est-à-dire la navigation, les colonies, et les besoins des autres peuples peuvent occuper encore plus de citoyens qu'il ne s'en trouve, il est nécessaire d'économiser leur travail pour remplir de son mieux tous ces objets. L'expérience démontre, comme nous l'avons déjà remarqué, que l'on perd son commerce lorsque l'on ne cultive pas tout celui que l'on pourrait entreprendre. Enfin il est évident que la force d'un corps politique dépend du meilleur et du plus grand emploi des hommes, qui lui attirent ses richesses politiques : combinaison qu'il ne faut jamais perdre de vue. L'économie du travail des hommes ne détruira donc point la population, lorsque le législateur ne fera que détourner avec précaution leur travail d'un objet à un autre : ce qui est la matière d'une police particulière.

La modicité des frais d'exportation est la troisième source du bon marché, et par conséquent de la vente des productions d'un pays.

Ces frais sont ceux du transport, et les droits de sortie. Le transport se fait ou par terre, ou par eau. Il est reconnu que la voiture par terre est infiniment plus couteuse. Ainsi dans les états commerçans, les canaux pour suppléer au défaut des rivières navigables, l'entretien et la commodité de celles-ci, la franchise absolue de cette navigation intérieure, sont une partie essentielle de l'administration.

Les droits des douannes (voyez DOUANNE), soit à la sortie, soit dans l'intérieur, sur les productions d'une nation, sont les faits auxquels les étrangers se soumettent avec le plus de peine. Le négociant les regarde comme un excédent de la valeur réelle, et la politique les envisage comme une augmentation de richesse relative.

Les peuples intelligens, ou suppriment ces droits à la sortie de leurs productions, ou les proportionnent au besoin que les autres peuples en ont ; surtout ils comparent le prix de leurs productions rendues dans le lieu de la consommation, avec le prix des mêmes productions fournies en concurrence par les nations rivales. Cette comparaison est très-importante : quoiqu'entre deux peuples manufacturiers la qualité et le prix d'achat des étoffes soient semblables, les droits de sortie ne doivent pas être les mêmes, si le prix du transport n'est pas égal : la plus petite différence décide le consommateur.

Quelquefois le législateur, au lieu de prendre des droits sur l'exportation, l'encourage par des récompenses. L'objet de ces récompenses est d'augmenter le profit de l'ouvrier, lorsqu'il n'est pas assez considérable pour soutenir un genre de travail utîle en concurrence : si la gratification Ve jusqu'à diminuer le prix, la préférence de l'étranger pendant quelques années, suffit pour établir cette nouvelle branche de commerce, qui n'aura bientôt plus besoin de soutien. L'effet est certain ; et la pratique n'en peut être que salutaire au corps politique, comme l'est dans le corps humain la communication qu'un membre fait à l'autre de sa chaleur, lorsqu'il en a besoin.

Un peuple ne fournirait point aux autres le plus qu'il est possible, s'il ne faisait que le commerce de ses propres denrées. Chacun sait par sa propre expérience, qu'il est naturel de se pourvoir de ses besoins dans le magasin qui a les plus grands assortiments, et que la variété des marchandises provoque les besoins. Ce qui se passe chez un marchand, arrive dans la communication générale.

Les peuples commerçans vont chercher chez d'autres peuples les denrées qui leur manquent, pour les distribuer à ceux qui les consomment. Cette espèce de commerce est proprement le commerce d'économie. Une nation habîle ne renonce à aucun ; et quoiqu'elle ait un grand commerce de luxe, si elle a beaucoup d'hommes et beaucoup d'argent à bon marché, il est évident qu'elle les fera tous avec succès. J'avancerai plus : le moment où ses négociants y trouveront de l'avantage, sera l'époque la plus sure de sa richesse.

Parmi ces denrées étrangères, il en est dont le législateur a défendu l'usage dans le commerce intérieur ; mais, comme nous l'avons remarqué, il est dans un état forcé dans la partie du commerce extérieur.

Pour ne pas priver la nation du profit qu'elle peut faire sur les marchandises étrangères, et accroitre conséquemment sa richesse relative, dans quelques états on a établi des ports où l'on permet l'importation franche de tout ce qu'il est avantageux de réexporter : on les appelle ports-francs. Voyez PORT-FRANC.

Dans d'autres états on entrepose ces marchandises ; et pour faciliter la réexportation générale des denrées étrangères, même permises, lorsqu'elle se fait on rend la totalité ou partie des droits d'entrée.

Le commerce extérieur d'un peuple ne sera point à son plus haut degré de perfection, si son superflu n'est exporté, et si ses besoins ne lui sont importés de la manière la plus avantageuse.

Cette exportation et cette importation se font ou par ses propres vaisseaux, ou par ceux d'une autre nation ; voyez NAVIGATION ; par des commissionnaires nationaux, ou par des commissionnaires étrangers. Voyez COMMISSIONNAIRES.

Ainsi il y a un commerce actif et un commerce passif. Il est évident que le commerce passif diminue le bénéfice de l'exportation, et augmente le prix de l'importation. Il est contraire à l'objet du commerce dans un état, puisqu'il dérobe à son peuple le travail et les moyens de subsister ; il en arrête l'effet, puisqu'il diminue la richesse relative de cet état.

Le commerce passif produit encore un autre désavantage : la nation qui s'est emparée du commerce actif d'une autre, la tient dans sa dépendance ; si leur union vient à cesser, celle qui n'a qu'un commerce passif reste sans vigueur : son agriculture, son industrie, ses colonies sont dans l'inaction, sa population diminue, jusqu'à ce que par des efforts dont les progrès sont toujours lents et incertains, elle reprenne un commerce passif.

La différence qui résulte de la compensation des exportations et des importations pendant un certain espace de temps, s'appelle la balance du Commerce. Elle est toujours payée ou reçue en argent ; puisque l'échange des denrées contre les métaux qui en font la mesure, est indispensable lorsque l'on n'a plus d'autre équivalent à donner. Les états soldent entr'eux comme les particuliers.

Ainsi lorsque la balance du commerce d'une nation lui est avantageuse, son fonds capital des richesses de convention est augmenté du montant de cette balance : si elle est désavantageuse, le fonds capital est diminué de toute la somme qui a été payée.

Cette balance doit être envisagée comme particulière et comme générale.

La balance particulière est celle du commerce entre deux états : elle est l'objet des traités qu'ils font entr'eux, pour rétablir autant qu'il se peut l'égalité du commerce. Ces traités règlent la nature des denrées qu'ils pourront se communiquer l'un à l'autre ; les facilités qu'ils apporteront réciproquement à leur introduction ; les droits que les marchandises payeront aux douannes soit d'entrée, soit de l'intérieur.

Si deux nations n'avaient que les mêmes espèces de productions à se communiquer, elles n'auraient point de traités entr'elles que celui de l'humanité et du bon traitement des personnes ; parce que celle des deux qui aurait l'avantage sur l'autre, envahirait enfin son commerce intérieur et extérieur : alors le commerce est réduit entre ces deux nations à celui qu'une troisième leur occasionne par la réexportation dont nous avons parlé.

L'égalité parfaite du commerce entre deux peuples est celle des valeurs, et du nombre d'hommes nécessairement occupés de part et d'autre. Il est presqu'impossible qu'elle se rencontre, et l'on ne calcule ordinairement que l'égalité des valeurs.

Quoique l'on n'évalue pas le nombre des hommes, il semble qu'il devrait être considéré suivant la nécessité réciproque de l'échange. Si la balance n'est pas égale, la différence du nombre des hommes réciproquement employés, ne doit point être considérée par celui qui la gagne : car il est certain que la somme payée en argent augmentera chez lui la circulation intérieure, et par conséquent procurera une subsistance aisée à un plus grand nombre d'hommes.

Lorsqu'un pays est dans la disette absolue d'une denrée, la facilité que l'on apporte pour le rapprocher de l'égalité du commerce, dépend du point de concurrence où est cette denrée : car si d'autres peuples la possèdent également, et qu'ils offrent de meilleures conditions, on perdra l'occasion de vendre la sienne. Si cet état n'a d'échange à offrir que des marchandises de même genre et de même espèce, il convient d'abord de comparer le produit et les avantages de la vente que l'on peut y faire de sa propre denrée, avec la perte qui pourrait résulter de l'introduction des denrées étrangères ; ensuite les moyens que l'on a pour soutenir leur concurrence, et la rendre nulle.

Enfin la confection d'un pareil traité exige une profonde connaissance du commerce des deux nations contractantes, de leurs ressources réciproques, de leur population, du prix et de la qualité des matières premières, du prix des vivres et de la main-d'œuvre, du genre d'industrie, des besoins réciproques, des balances particulières et générales, des finances, du taux de l'intérêt, qui étant bas chez une nation et haut chez l'autre, fait que celle-ci perd où la première gagne : il peut arriver que la balance du commerce avec un pays soit désavantageuse, et que le commerce en soit utile, c'est-à-dire qu'il soit l'occasion ou le moyen nécessaire d'un commerce qui dédommage avec profit de cette perte.

La balance générale du commerce d'une nation est la perte ou le gain qui résulte de la compensation des balances particulières.

Quand même le montant des exportations générales aurait diminué, si celui des importations l'est dans la même proportion, l'état n'a point perdu de son commerce utîle ; parce que c'est ordinairement une preuve que son commerce intérieur aura occupé un plus grand nombre d'hommes.

Par la même raison, quoique les exportations générales soient moindres, si les importations ont diminué dans une plus grande proportion, le commerce utîle s'est accru.

Il est évident qu'entre divers peuples, celui dont la balance générale est constamment la plus avantageuse, deviendra le plus puissant ; il aura plus de richesses de convention, et ces richesses en circulant dans l'intérieur, procureront une subsistance aisée à un plus grand nombre de citoyens. Tel est l'effet du Commerce, quand il est porté à sa perfection dans un corps politique : c'est à les lui procurer que tendent les soins de l'administration ; c'est par une grande supériorité de vues, par une vigilance assidue sur les démarches, les règlements, et les motifs des peuples en concurrence, enfin par la combinaison des richesses réelles et relatives, qu'elle y parvient. Les circonstances varient à l'infini, mais les principes sont toujours les mêmes ; leur application est le fruit du génie qui en embrasse toutes les faces.

Les restrictions que l'intérêt politique apporte au Commerce, ne peuvent être appelées une gêne ; cette liberté si souvent citée et si rarement entendue, consiste seulement à faire facilement le commerce que permet l'intérêt général de la société bien entendu.

Le surplus est une licence destructive du commerce même. J'ai parlé de l'intérêt général bien entendu, parce que l'apparence d'un bien n'en est pas toujours un.

Les fraudes et la mauvaise foi ne peuvent être proscrites trop sévèrement : l'examen de ces points exige des formalités : leur excès détruit la liberté, leur oubli total introduit la licence : on ne doit donc pas les retrancher tout à fait ces formalités, mais les restreindre, et pourvoir à l'extrême facilité de leur exécution.

Nous avons déjà prouvé la nécessité de la concurrence ; elle est l'âme de la liberté bien entendue.

Cette partie de l'administration est une des plus délicates : mais ses principes rentrent toujours dans le plan qui procure à l'état une balance générale plus avantageuse qu'à ses voisins.

Nous nous sommes proposé d'examiner le Commerce comme l'occupation d'un citoyen. Nous n'en parlerons que relativement au corps politique.

Puisque le Commerce en est l'âme, l'occupation qu'un citoyen s'en fait est honnête, comme toutes celles qui sont utiles : mais à mesure que les citoyens rendent de plus grands services, ils doivent être plus distingués ; et le commerce ne sera point encouragé dans les pays qui ne savent point faire ces différences.

On peut s'occuper personnellement du Commerce de trois manières.

Le premier objet est d'acheter les productions de la terre et de l'industrie, pour les revendre par petites parties aux autres citoyens. Ceux qui exercent cette profession sont appelés détailleurs. Voyez DETAILLEURS.

Cette occupation plus commode que nécessaire pour la société, concourt à la circulation intérieure.

Le second objet du Commerce est celui d'un citoyen dont l'industrie entreprend de guider le travail d'un nombre d'autres citoyens, pour donner des formes aux matières premières. Ceux qui s'y appliquent s'appellent manufacturiers. Voyez MANUFACTURIERS.

Cette industrie est très-nécessaire, parce qu'elle augmente les richesses réelles et relatives.

La troisième espèce de commerce est l'occupation d'un citoyen qui fait passer chez l'étranger les productions de sa patrie, pour les échanger contre d'autres productions nécessaires, ou contre de l'argent. Sait que ce commerce se fasse par terre ou par mer, en Europe, ou dans d'autres parties du monde, on le distingue sous le nom de commerce en gros. Celui qui s'y applique est appelé négociant. Voyez NEGOCIANT.

Cette profession est très-nécessaire, parce qu'elle est l'âme de la navigation, et qu'elle augmente les richesses relatives de l'état.

Ces trois manières d'exercer le Commerce ont un devoir commun qui en fait l'activité ; c'est une bonne foi scrupuleuse : leur objet est également commun, c'est le gain : leur effet est différent en ce qu'il contribue plus ou moins à l'effet général du Commerce dans un corps politique. C'est cet effet qui doit les distinguer aux yeux de la patrie, et qui rend plus recommandable chaque particulier, à mesure qu'il y coopère davantage.

Ce n'est pas que le plan immédiat du législateur soit d'avoir des négociants très-puissants : ils lui sont précieux, parce qu'ils ont beaucoup concouru à ses vues ; mais il serait encore plus utile, dans le cas où le Commerce serait borné, d'en avoir beaucoup de riches, qu'un moindre nombre de très-riches. Vingt négociants qui ont chacun cent mille écus, font plus d'affaires et ont entr'eux une plus grande somme de crédit que six millionaires. D'ailleurs les fortunes partagées sont d'une ressource infiniment plus grande pour la circulation et pour les richesses réelles : cependant la grande disproportion des fortunes par le commerce n'est pas onéreuse à l'état, en ce qu'elle circule ordinairement toute entière au profit des arts utiles ; il serait même à souhaiter qu'elles restassent dans le Commerce, parce qu'elles établissent beaucoup de facteurs chez l'étranger : ces facteurs y augmentent les branches du commerce de leur nation, et en outre lui rapportent le bénéfice qu'ils ont fait dans le commerce dont le pays qu'ils habitent est susceptible. Ces fortunes ne sortiraient point du Commerce, si l'état de négociant était aussi honoré qu'il mérite de l'être.

A l'égard des grandes entreprises de Commerce pour le gouvernement, il n'a besoin que de son propre crédit : dès qu'il offrira du profit et de la sûreté, des sociétés solides s'en chargeront au rabais.

Savoir faire le Commerce ou savoir le conduire, sont deux choses très-distinctes. Pour le bien conduire, il faut savoir comment il se fait ; pour le faire avec profit, il est inutîle de savoir comment il doit se conduire. La science du négociant est celle des détails dont il s'occupe ; la science du politique est le parti que l'on peut tirer de ces détails : il faut donc les connaître, et ce n'est que par les négociants que l'on peut s'en instruire. On ne saurait trop converser avec eux pour apprendre, pour délibérer : leurs conseils doivent être admis avec précaution. Nous avons déjà distingué le gain du marchand et le gain de l'état ; et il est clair qu'absorbés dans les détails, les négociants ont rarement le coup-d'oeil général, à moins que par leurs voyages ou par une pratique étendue et raisonnée, ils ne l'aient acquis. Ceux qui sont dans le cas peuvent décider surement.

Le négociant doit à la société dont il est membre, les sentiments qu'un honnête homme, c'est-à-dire un vrai citoyen, a toujours pour elle ; la soumission à ses lais, et un amour de préférence. C'est être coupable devant Dieu et devant les hommes, que d'y manquer, quelque profession que l'on exerce ; mais ce principe ne saurait être trop profondément gravé dans le cœur de ceux qui sont toujours dans une occasion prochaine d'y manquer.

Cependant ce n'est point manquer à cet amour de préférence, que de faire passer d'un pays étranger à un autre les marchandises nécessaires à ses assortiments, quand même ces marchandises seraient proscrites par la société dont on est membre : il est évident que puisque les marchandises ont été nécessaires, c'est contribuer à la richesse relative de sa patrie, que de faire le profit qu'elles auraient donné à la nation qui les possede, si elle en eut fait elle-même la vente.

J'insiste sur cet article particulièrement, par rapport aux négociants d'une nation répandus chez l'étranger : on leur reproche quelquefois ce genre de commerce, par lequel même assez souvent ils sont parvenus à acquérir à leur nation la supériorité dans le pays qu'ils habitent. C'est mal connaître la nature du Commerce, et confondre les principes du commerce extérieur avec ceux du commerce intérieur.

On en peut dire autant de la protection qu'un négociant particulier cherche à se procurer dans un pays étranger : c'est un mauvais citoyen, s'il en préfère une étrangère ; mais il a besoin d'en avoir une.

La matière du Commerce est immense ; on n'a pu qu'ébaucher les premiers principes, dont un esprit droit et réfléchissant tirera aisément les conséquences. Pour s'instruire davantage, on peut consulter l'excellent essai de M. Melon ; les réflexions politiques de M. Dutot, avec leur examen ; le parfait négociant ; le dictionnaire du Commerce ; l'esprit des lois ; les règlements et les ordonnances de France ; les statuts d'Angleterre, et presque tous les livres anglais sur le Commerce, sont les sources les plus sures.

Pour le commerce particulier de chaque état, voyez les mots FRANCE, GRANDE-BRETAGNE, HOLLANDE, ESPAGNE, VENISE, NAPLES, GENES, ÉTAT ECCLESIASTIQUE, PIEMONT, ALLEMAGNE, DANEMARK, SUEDE, MOSCOVIE. Article de M. de V. D. F.

COMMERCE, (Conseil de) Histoire moderne est un conseil que le roi établit en 1700 pour les affaires de Commerce. Il le composa de deux conseillers d'état, et du conseil royal des finances ; d'un secrétaire d'état, de deux maîtres des requêtes, et de douze anciens marchands députés des villes les plus commerçantes du royaume ; à savoir deux de Paris, un de Rouen, un de Lyon, un de Bordeaux, un de Marseille, un de Nantes, un de la Rochelle, un de Saint-Malo, un de Lille, un de Bayonne, et un de Dunkerque. Ce conseil ne décide pas par lui-même souverainement sur les affaires de Commerce : mais les délibérations qu'on y prend sont présentées au roi pour y pourvoir selon qu'il le juge à-propos. (H)

COMMERCE, (Jeu du) ce jeu prend son nom de l'espèce de trafic qu'on y fait des cartes, en les changeant pour d'autres ou pour de l'argent. Le jeu dont on se sert est un jeu entier ; les cartes conservent leur valeur naturelle et ordinaire, excepté que l'as y vaut onze, et emporte le roi, la dame, etc.

On peut jouer au commerce jusqu'à dix, mais non au-dessous de trois. Après avoir Ve à qui fera, celui qui donne les cartes en donne trois à chaque joueur selon leur rang, en commençant par sa droite, les donnant toutes trois à-la-fais ou séparément, comme il lui plait. Chacun met au jeu un des jetons qu'il a devant soi, et dont les joueurs ont d'abord déterminé la valeur. On ne doit se proposer que le point, ou bien de se faire sequence ou tricon. Voyez POINT, SEQUENCE, TRICON ; et l'adresse du joueur consiste à arranger son jeu de façon qu'il fasse l'un de ces trois jeux ; parce qu'il n'y a qu'un d'eux qui puisse gagner. Quand il n'y a point de sequence ni tricon, c'est le plus grand point ; s'il y a plusieurs séquences, c'est la plus haute ; ainsi que le plus haut tricon, lorsqu'il y en a plus d'un au jeu : ainsi l'on voit que le tricon gagne par préférence au point et à la sequence, et la sequence au point seulement. Les règles sont assez manifestées dans ce que nous avons dit de ce jeu, et de son banquier ; nous n'ajouterons donc ici qu'une chose qui lui est commune néanmoins avec presque tous les autres jeux : c'est de refaire lorsque le jeu est faux, ou qu'il y a quelque carte retournée.

L'on jouait quelquefois ce jeu jusqu'à ce qu'un joueur de la compagnie eut perdu son enjeu ; ce qui faisait durer la partie fort longtemps, et d'autres fois la faisait finir sur le champ, selon le malheur d'un joueur, ou le bonheur de tous.