L'(Géographie ancienne et moderne) les anciens donnèrent d'abord ce nom au pays situé sur le grand fleuve Indus en Asie ; et c'est la seule Inde des anciens proprement dite. Ils la divisèrent ensuite en Inde en-deçà du Gange, India intrà Gangem, et en Inde au-delà du Gange, India extrà Gangem.

Je n'ai garde d'entrer dans le détail des peuples et des villes que Ptolomée et les autres géographes mettent dans les Indes en-deçà et en-delà du Gange. Ce détail serait d'autant plus inutile, qu'ils n'en avaient qu'une idée très-confuse, et que les cartes dressées exactement d'après les positions de Ptolomée, nous montrent cette partie du monde très-différemment de son véritable état ; Cellarius a fait un abrège du tout, qu'on peut consulter.

Cependant il importe de remarquer ici que les anciens ont quelquefois nommé Indiens, les peuples de l'Ethiopie ; un seul vers le prouverait.

Ultrà Garamantas et Indos

Proferet imperium.

Ce vers est de Virgile, en parlant d'Auguste, qui ayant effectivement conquis quelques villes d'Ethiopie, obligea ces peuples à demander la paix par des ambassadeurs. De plus, Elien met aussi des indiens auprès des Garamantes dans la Libye ; et pour tout dire, l'Ethiopie est nommée Inde dans Procope.

Mais les Indiens dont parle Xénophon dans sa Cyropédie, ne sont point les peuples de l'Inde proprement dite, qui habitaient entre l'Indus et le Gange, ni les Ethiopiens de Virgile, d'Elien, et de Procope ; ce sont encore d'autres nations qu'il faut chercher ailleurs. M. Freret croit que ce sont les peuples de Colchos et de l'Ibérie. Voyez ses raisons dans les Mém. des Belles-Lettres, Tome VIII.

Pour les Indiens de Cornélius Népos jetés par la tempête sur les côtes de Germanie, si le fait est vrai, ce ne seront vraisemblablement que des Norvégiens ou des Lapons, qui navigeant ou pêchant sur le golfe Bothnique, furent poussés par la tempête dans la mer Baltique, vers la côte méridionale. Leur couleur étrangère, la simplicité des Germains chez lesquels ils abordèrent, l'ignorance où l'on était alors de la Géographie du Nord et du Levant, purent les faire passer pour Indiens. On donnait ce nom aux étrangers venus des régions inconnues, et même par le manque de lumières, sur le rapport de l'Amérique avec les Indes, ne lui a-t-on pas donné le nom d'Indes occidentales ?

Ce ne fut que sous le règne d'Auguste que l'on poussa la navigation vers le nord de la Germanie, jusqu'à la Chersonese cimbrique qui est le Jutland. Ce fut aussi seulement sous cet empereur, que la navigation d'Egypte aux Indes commença à se régler ; alors Gallus gouverneur du pays, fit partir pour les Indes, une flotte marchande de 120 navires, du port de la Souris, , aujourd'hui Casir, sur la mer Rouge. Les Romains flattés par le profit immense qu'ils retiraient de ce trafic, et affriandés à ces belles et riches marchandises qui leur revenaient pour leur argent, cultivèrent avidement ce négoce, et s'y ruinèrent. Tous les peuples qui ont négocié aux Indes, y ont toujours apporté de l'or, et en ont rapporté des marchandises.

Quoiqu'on sache assez que ce commerce n'est pas nouveau, néanmoins c'est un sujet sur lequel M. Huet mérite d'être lu, parce qu'il l'a traité savamment et méthodiquement, soit pour les temps anciens, soit pour le moyen âge.

Darius 509 ans avant J. C. réduisit l'Inde sous sa domination, en fit la douzième préfecture de son empire, et y établit un tribut annuel de 360 talents euboïques ; ce qui, suivant la supputation la plus modérée, montait à environ un million quatre-vingt-quinze mille livres sterlings. Voilà pourquoi Alexandre vangeur de la Grèce, et vainqueur de Darius, poussa sa conquête jusques aux Indes, tributaires de son ennemi. Après les successeurs d'Alexandre, les Indiens vécurent assez longtemps dans la liberté et dans la mollesse qu'inspire la chaleur du climat et la richesse de la terre ; mais nous n'avons connu l'histoire et les révolutions de l'Inde que depuis la découverte qui a porté facilement nos vaisseaux dans ce beau pays.

Personne n'ignore que sur la fin du XV. siècle, les Portugais trouvèrent le chemin des Indes orientales, par ce fameux cap des Tempêtes, qu'Emmanuel roi de Portugal nomma cap de Bonne-Espérance ; et ce nom ne fut point trompeur. Vasco de Gama eut la gloire de le doubler le premier en 1497, et d'aborder par cette nouvelle route dans les Indes orientales, au royaume de Calicut.

Son heureux voyage changea le commerce de l'ancien monde, et les Portugais en moins de 50 ans, furent les maîtres des richesses de l'Inde. Tout ce que la nature produit d'utile, de rare, de curieux, d'agréable, fut porté par eux en Europe : la route du Tage au Gange fut ouverte ; Lisbonne et Goa fleurirent. Par les mêmes mains les royaumes de Siam et de Portugal devinrent alliés ; on ne parlait que de cette merveille en Europe, et comment n'en eut-on pas parlé ? Mais l'ambition qui anima l'industrie des hommes à chercher de nouvelles terres et de nouvelles mers, dont on espérait tirer tant d'avantages, n'a pas été moins funeste que l'ambition humaine à se disputer, ou à troubler la terre connue.

Cependant jouissons en philosophes du spectacle de l'Inde, et portant nos yeux sur cette vaste contrée de l'orient, considérons l'esprit et le génie des peuples qui l'habitent.

Les Sciences étaient peut-être plus anciennes dans l'Inde que dans l'Egypte ; le terrain des Indes est bien plus beau, plus heureux, que le terrain voisin du Nil ; le sol qui d'ailleurs y est d'une fertilité bien plus variée, a dû exciter davantage la curiosité et l'industrie. Les Grecs y voyagèrent avant Alexandre pour y chercher la science. C'est-là que Pythagore puisa son système de la métempsycose ; c'est-là que Pilpay, il y a plus de deux mille ans, renferma ses leçons de morale dans des fables ingénieuses, qui devinrent le livre d'état d'une partie de l'Indoustan. Voyez FABULISTE.

C'est chez les Indiens qu'a été inventé le savant et profond jeu d'échecs ; il est allégorique comme leurs fables, et fournit comme elles des leçons indirectes. Il fut imaginé pour prouver aux rois que l'amour des sujets est l'appui du trone, et qu'ils font sa force et sa puissance. Voyez ECHECS (jeu des).

C'est aux Indes que les anciens gymnosophistes vivants dans une liaison tendre de mœurs et de sentiments, s'éclairaient des Sciences, les enseignaient à la jeunesse, et jouissaient de revenus assurés, qui les laissaient étudier sans embarras. Leur imagination n'était subjuguée, ni par l'éclat des grandeurs, ni par celui des richesses. Alexandre fut curieux de voir ces hommes rares ; ils vinrent à ses ordres ; ils refusèrent ses présents, lui dirent qu'on vivait à peu de frais dans leurs retraites, et qu'ils étaient affligés de connaître un si grand prince, occupé de la funeste gloire de désoler le monde.

L'Astronomie, changée depuis en Astrologie, a été cultivée dans l'Inde de temps immémorial ; on y divisa la route du soleil en douze parties ; leur année commençait quand le soleil entrait dans la constellation que nous nommons le Bélier ; leurs semaines furent toujours de sept jours, et chaque jour porta le nom d'une des sept planètes.

L'Arithmétique n'y était pas moins perfectionnée ; les chiffres dont nous nous servons, et que les Arabes ont apportés en Europe du temps de Charlemagne, nous viennent de l'Inde.

Les idées qu'ont eu les Indiens d'un Etre infiniment supérieur aux autres divinités, marquent au-moins qu'ils n'adoraient autrefois qu'un seul Dieu, et que le polithéisme ne s'est introduit chez eux, que de la manière dont il s'est introduit chez tous les peuples idolâtres. Les Bramines successeurs des Brachmanes, qui l'étaient eux-mêmes des gymnosophistes, y ont répandu l'erreur et l'abrutissement ; ils engagent quand ils peuvent les femmes à se jeter dans des buchers allumés sur le corps de leurs maris. Enfin, la superstition et le despotisme y ont étouffé les Sciences, qu'on y venait apprendre dans les temps reculés.

La nature du climat qui a donné à ces peuples une faiblesse qui les rend timides, leur a donné de même une imagination si vive, que tout les frappe à l'excès. Cette délicatesse, cette sensibilité d'organes, leur fait fuir tous les périls, et les leur fait tous braver.

Par la même raison du climat, ils craient que le repos et le néant sont le fondement de toutes choses, et la fin où elles aboutissent. Dans ces pays où la chaleur excessive accable, le repos est si délicieux, que ce qui réduit le cœur au pur vide, parait naturel ; et Foé législateur de l'Inde, a suivi ce qu'il sentait, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif.

Ce qu'on peut résumer en général du vaste empire, sous le joug duquel sont les pauvres Indiens, c'est qu'il est indignement gouverné par cent tyrants, soumis à un empereur dur comme eux, amolli comme eux dans les délices, et qui dévore la substance du peuple. Il n'y a point-là de ces grands tribunaux permanens, dépositaires des lais, qui protegent le faible contre le fort. On n'en connait aucun ni dans l'Indoustan ou le Mogol, ni en Perse, ni au Japon, ni en Turquie ; cependant si nous jugeons des autres Indiens par ceux de la presqu'île en-deçà du Gange, nous devons sentir combien un gouvernement modéré serait avantageux à la nation. Leurs usages et leurs coutumes, nous présentent des peuples aimables, doux, et tendres, qui traitent leurs esclaves comme leurs enfants, qui ont établi chez eux un petit nombre de peines, et toujours peu sévères.

L'adresse et l'habileté des Indiens dans les Arts mécaniques, fait encore l'objet de notre étonnement. Aucune nation ne les surpasse en ce genre ; leurs orfévres travaillent en filigrame avec une délicatesse infinie. Ces peuples savent peindre des fleurs, et dorer sur le verre. On a des vases de la façon des Indiens propres à rafraichir l'eau, et qui n'ont pas plus d'épaisseur que deux feuilles de papier collées ensemble. Leur teinture ne perd rien de sa couleur à la lessive ; leurs émouleurs fabriquent artistement les pierres à émouler avec de la laque et de l'émeril ; leurs maçons carrellent les plus grandes salles d'une espèce de ciment qu'ils font avec de la brique pilée et de la chaux de coquillages, sans qu'il paraisse autre chose qu'une seule pierre beaucoup plus dure que le tuf.

Leurs toiles et leurs mousselines sont si belles et si fines, que nous ne nous lassons point d'en avoir, et de les admirer. C'est cependant accroupis au milieu d'une cour, ou sur le bord des chemins, qu'ils travaillent à ces belles marchandises, si recherchées dans toute l'Europe, malgré les lois frivoles des princes pour en empêcher le débit dans leurs états. En un mot, comme le dit l'historien philosophe de ce siècle, nourris des productions de leurs terres, vétus de leurs étoffes, éclairés dans le calcul par les chiffres qu'ils ont trouvés, instruits même par leurs anciennes fables, amusés par les jeux qu'ils ont inventés, nous leur devons des sentiments d'intérêt, d'amour et de reconnaissance. (D.J.)

INDES, (Géographie moderne) les modernes moins excusables que les anciens ont nommé Indes, des pays si différents par leur position et par leur étendue sur notre globe, que pour ôter une partie de l'équivoque, ils ont divisé les Indes en orientales et occidentales.

Nous avons déjà parlé des Indes orientales au mot Inde (l'). Nous ajouterons seulement ici, qu'elles comprennent quatre grandes parties de l'Asie, savoir l'Indoustan, la presqu'île en-deçà du Gange, la presqu'île au-delà du Gange, et les îles de la mer des Indes, dont les principales sont celles de Ceylan, de Sumatra, de Java, de Bornéo, les Celebes, les Maldives, les Moluques, auxquelles on joint communément les Philippines et les îles Marianes. Lorsqu'il n'est question que de commerce, on comprend encore sous le nom d'Indes orientales, le Tonquin, la Chine, et le Japon ; mais à parler juste, ces vastes pays, ni les Philippines, moins encore les îles Marianes, ne doivent point appartenir aux Indes orientales, puisqu'elles vont au-delà.

Peu de temps après que les Portugais eurent trouvé la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance, ils découvrirent le Brésil ; et comme on ne connaissait pas alors distinctement le rapport qu'il avait avec les Indes, on le baptisa du même nom ; on employa seulement pour le distinguer le surnom d'occidentales, parce qu'on prenait la route de l'Orient en allant aux véritables Indes, et la route d'Occident pour aller au Brésil. De-là vint l'usage d'appeler Indes orientales, ce qui est à l'orient du cap de Bonne-Espérance, et Indes occidentales, ce qui est à l'occident de ce cap.

On a ensuite improprement étendu ce dernier nom à toute l'Amérique ; et par un nouvel abus, qu'il n'est plus possible de corriger, on se sert dans les relations du nom d'Indiens, pour dire les Amériquains. Ceux qui veulent parcourir l'histoire ancienne des Indiens pris dans ce dernier sens, peuvent consulter Herréra ; je n'ai pas besoin d'indiquer les auteurs modernes, tout le monde les connait ; je dirai seulement que déjà en 1602, Théodore de Bry fit paraitre à Francfort un recueil de descriptions des Indes orientales et occidentales, qui formait 18 vol. in-fol. et cette collection complete est recherchée de nos jours par sa rareté.

Le peuple a fait une division qui n'est rien moins que géographique : il appelle grandes Indes, les Indes orientales, et petites Indes les Indes occidentales. (D.J.)

INDES, COMPAGNIE FRANÇOISE DES (Comm. Droit polit.) Lorsque la France était obligée de recevoir des autres nations les marchandises des Indes, c'était elle qui fournissait à la dépense des vaisseaux étrangers qui les lui portaient. Voilà la considération qui engagea M. Colbert, dont le génie se tourna principalement vers le Commerce, à former en 1664. une Compagnie des Indes occidentales, et une autre des Indes orientales. Le Roi donna pour l'établissement de cette dernière plus de six millions de notre monnaie d'aujourd'hui. On invita les personnes riches à s'y intéresser : les reines, les princes, et toute la cour, fournirent deux millions numéraires de ce temps-là ; les cours supérieures donnèrent douze cent mille livres ; les financiers deux millions ; le corps des marchands 650 mille livres ; en un mot, toute la nation seconda son maître et Colbert.

On conçut d'abord la plus haute idée de cette compagnie orientale, et on en espéra les plus grands succès ; mais la mort des plus habiles directeurs envoyés aux Indes, l'infidélité des autres, leurs divisions, la faute de M. Colbert d'avoir confié la gestion à des financiers plus qu'à des négociants, la guerre de 1667 pour les droits de la reine, qui n'étaient rien moins qu'incontestables ; celle de 1672 contre la Hollande, que Louis XIV. voulait détruire, parce qu'elle était riche et fière ; la perte des escadres envoyées aux Indes dans ce temps-là ; enfin, les guerres ruineuses pour la nation depuis le commencement du siècle jusqu'à la paix d'Utrecht, réduisirent les choses en un tel état, que ce qui a subsisté de cette compagnie, ou plutôt celles qui se formèrent de ses débris en diverses fois jusques en 1719, n'en ont été proprement que l'ombre et le squelete.

Mettons dans ce rang la cession que la Compagnie fit de son commerce et de ses privilèges en 1710 à de riches négociants de S. Malo, qui se chargèrent du négoce des Indes orientales, moyennant dix pour cent qu'ils donnaient du total de la vente des marchandises qu'ils en rapportaient. Ce commerce languit d'abord dans leurs mains, et il était trop faible pour remplir nos besoins. Il nous fallait toujours acheter de nos voisins la plus grande partie des marchandises qui venaient en Europe des pays orientaux, servitude onéreuse à l'état, dont Colbert avait voulu l'affranchir.

Dans cette même vue, pour profiter des grandes dépenses qui avaient été faites à ce sujet depuis 55 ans, et pour ne pas laisser un si beau dessein sans effet, M. Law, cet illustre écossais, auquel nous devons l'intelligence du commerce, et qui cependant a été chassé de France, et est mort dans la misere à Venise ; M. Law, dis je, qui en Mai 1716, avait établi une banque générale en France, et une compagnie de commerce, sous le nom de Compagnie d'occident avec des actions, ôta la compagnie des Indes aux Malouins, et réunit cette compagnie au mois de Mai 1719, à celle d'occident. On nomma la nouvelle compagnie, Compagnie des Indes. C'est celle qui subsiste aujourd'hui ; et elle est le seul vestige qui nous reste du grand et noble système de M. Law.

Cette réunion fit bien-tôt monter les anciennes actions de la compagnie d'occident, qui n'étaient qu'au pair, à 130 pour cent. La confiance augmentant, on souscrivit en moins d'un mois pour plus de 50 millions d'actions. Par arrêt du 11 Octobre 1719, les 50 millions furent poussés jusqu'à 300 millions. En un mot, pour abréger, il y eut sept créations d'actions, montant à 624 mille, nombre à la vérité prodigieux, mais qui n'aurait pas été au-delà des forces de la compagnie, si elle n'avait promis un dividende de 200 livres par action, ce qui était beaucoup au-dessus de son pouvoir : aussi les actions furent-elles réduites à 200 mille dans la suite.

Cependant le crédit de la Compagnie des Indes, soutenu des progrès de la banque royale, fut si singulier, qu'en Novembre 1719, on vit avec une extrême surprise les actions monter à 10000 livres (vingt fois plus que leur première valeur), malgré la compagnie même, qui pour les empêcher de monter, en répandit en une seule semaine pour 30 millions sur la place, sans pouvoir les faire baisser.

Plusieurs causes, comme nous allons le dire d'après M. Dutôt qui a écrit sur ce sujet un livre admirable pour la profondeur et la justesse, contribuèrent à cette prodigieuse augmentation. 1°. L'union de la ferme du tabac. 2°. Celle des compagnies. 3°. Celle des monnaies et affinage. 4°. Celle des fermes générales. 5°. Celle des recettes générales. 6°. Le défaut d'emploi des deniers provenans des remboursements des rentes sur la ville et charges supprimées. 7°. Le prêt de 2500 livres que faisait la banque sur chaque action, moyennant 2 pour cent par an d'intérêt. 8°. Enfin les gains faits, et le désir d'en faire, portèrent les choses à cet excès.

La Compagnie des Indes prêta 160 millions à Sa Majesté pour rembourser pareille somme sur les 2 milliards 62 millions 138 mille livres en principal, que le Roi devait à son avenement à la couronne. La compagnie retenait par ses mains sur les revenus de Sa Majesté pour l'intérêt de son prêt, 8 millions, non compris son bénéfice sur les fermes, sur le tabac, sur les monnaies, et sur son commerce des deux Indes ; de sorte que ses bénéfices pouvaient égaler sa recette au moment que le nombre de ses actions fut réduit à 200 mille.

Cependant l'union de la banque à cette compagnie qui devait ce semble leur servir d'un mutuel appui, devint par la défiance, l'artifice et l'avidité, le terme fatal où commença la décadence de l'une et de l'autre. Les billets de la banque tombèrent dans le discrédit, de même que les actions de la compagnie, le 10 Octobre 1720, temps où les billets de banque furent supprimés, et le crédit de l'état bouleversé. La banque périt entièrement, et la compagnie des Indes fut prête à être entrainée par sa chute, si l'on n'avait fait des efforts depuis 1721 jusqu'en 1725 pour soutenir cette compagnie. Dans ladite année 1725 le Roi donna finalement au mois de Juin deux édits enregistrés au Parlement, l'un portant confirmation des privilèges accordés à la dite compagnie pendant les années précédentes, et l'autre sa décharge pour toutes ses opérations passées.

Ce sont les deux principaux édits qui ont fixé l'état et le commerce de cette compagnie sur le pied où elle est. Je ne suivrai point depuis lors jusqu'à ce jour ses prospérités, ses malheurs, ses vicissitudes, ses traverses, ses contradictions, ses emprunts, ses améliorations, et ceux dont elle est encore susceptible. Tout cela n'est point du ressort de cet ouvrage, et d'ailleurs on ne pourrait guère en dire son sentiment sans risquer de déplaire.

Je me contenterai seulement de remarquer que c'est à tort que dans le temps des adversités de cette compagnie, on proposa sa destruction, et l'abolition du commerce des Indes, comme un établissement à charge à l'état ; les partisans de l'ancienne économie timide, ignorante et resserrée, déclamaient de même en 1664, ne faisant pas réflexion que les marchandises des Indes devenues nécessaires, seraient payées plus chérement à l'étranger. 2°. Si l'on porte aux Indes orientales plus d'espèces qu'on n'en retire, ces espèces qui viennent du Pérou et du Méxique, sont le prix de nos denrées portées à Cadix. 3°. Il faut encore considérer ce commerce par rapport aux épiceries, aux drogues, et aux autres choses qu'il nous procure, que nos provinces ne produisent pas, dont nous ne pouvons nous passer, et que nous serions obligés de tirer de nos voisins. 4°. La construction et l'armement de nos vaisseaux qui les vont chercher, se faisant dans le royaume, l'argent qu'on y emploie n'en sort point : il occupe du monde, il élève des hommes à la mer, c'est un grand avantage pour l'état. Ainsi, bien loin que ce commerce soit à charge à la France, elle ne saurait trop le protéger et l'augmenter. Il ne détruit point les autres branches de négoce qui n'ont jamais été si florissantes. La quantité de vaisseaux pour l'Amérique est presque triplée depuis la régence. Quelles autres lumières voulons-nous pour nous éclairer ? 5°. Enfin il est de la bonne politique de pouvoir être informé avec certitude de tout ce qui se passe dans les autres parties du monde, à cause des établissements qu'y ont les autres nations, ce qui ne se peut faire qu'en y commerçant. Le grand Colbert sentait bien ces avantages, et le gouvernement présent connait de plus en plus cette nécessité et l'utilité de ce commerce, puisqu'il le protège puissamment.

Concluons que tant que cette compagnie sera soutenue et bien dirigée, elle trouvera toujours en elle-même la consommation de ses retours que nous portons même déjà chez nos voisins. Elle a la propriété de Ponticheri qui lui assure le commerce de la côte de Coromandel et de Bengale, les îles de Bourbon et Maurice, la quantité de fonds et de vaisseaux nécessaires, la représentation de ses actions sur la place qui lui font une seconde valeur réelle, circulante, et libre, des fondements peut-être équivalents à ceux de la compagnie des Indes d'Angleterre, et des établissements solides, quoique beaucoup moins étendus que ceux de la Compagnies des Indes orientales de Hollande. Enfin ses retours sont très-considérables, puisqu'ils vont présentement (1752) à plus de 24 millions par an. (D.J.)

INDES, (Compagnie Hollandaise des) Commerce. Il y a en Hollande deux Compagnie des Indes, l'orientale et l'occidentale, dont je vais parler en peu de mots, bien fâché de ne pouvoir m'étendre.

De la Compagnie orientale. Le désespoir et la vengeance, dit M. Savary, et il dit bien vrai, furent les premiers guides qui apprirent le chemin des Indes aux Hollandais, cette nation née pour le commerce. L'Espagne leur ayant fermé tous ses ports, et sous le prétexte de la religion, les persécutant avec une rigueur, pour ne pas dire avec une barbarie extrême, ils entreprirent en 1595 d'aller chercher en Asie le commerce libre et assuré qu'on leur refusait en Europe, afin d'acquérir des fonds pour entretenir leurs armées, et maintenir leurs privilèges et leur liberté.

La nécessité inspira en 1594 à quelques Zélandais encouragés par le P. Maurice, le projet de se frayer une nouvelle route pour la Chine et les Indes orientales par le nord-est, comme on vient de le tenter tout récemment avec quelque vraisemblance de succès ; mais d'un côté les froids extrêmes de la nouvelle Zemble, et de l'autre les glaces impénétrables du détroit de Weigatz, ruinèrent et rebutèrent les escadres qui y furent alors envoyées, de même qu'elles rebutèrent les Anglais qui dès l'an 1553 avaient travaillé à la même recherche.

Cependant, tandis que les armateurs de Zélande tentaient inutilement et malheureusement ce passage, d'autres compagnies prirent avec succès en 1595 la route ordinaire des Portugais, pour se rendre en Asie. Cette dernière entreprise fut si heureuse, qu'en moins de sept ans divers particuliers armèrent jusqu'à dix ou douze flottes qui presque toutes retournèrent avec des profits immenses.

Les états généraux appréhendant que ces diverses compagnies particulières ne se nuisissent, leurs directeurs furent assemblés, et consentirent à l'union, dont le traité fut confirmé par leurs H. P. le 20 Mars 1602, époque bien remarquable, puisqu'elle est celle du plus célèbre, du plus durable, et du plus solide établissement de commerce qui ait jamais été fait dans le monde.

Le premier fonds de cette compagnie fut de 6 millions 600 mille florins (environ 13 millions 920 mille livres de notre monnaie) et les états généraux lui accordèrent un octroi ou concession exclusive pour 21 ans. Par cet octroi déjà renouvellé cinq fois (en 1741), et qui coute à chaque renouvellement environ 2 millions de florins à la compagnie, elle a droit de contracter des alliances, de bâtir des forteresses, d'y mettre des gouverneurs et garnisons, des officiers de justice et de police, en faisant néanmoins les traités au nom de leurs H. P. auquel nom se prêtent aussi les serments des officiers tant de guerre que de justice. Soixante directeurs partagés en diverses chambres, font la régie de la compagnie, et l'on sait qu'il n'est rien de plus sage et de plus prudemment concerté que la police et la discipline avec laquelle tout y est réglé.

Les Hollandais, après avoir été quelque temps sur la défensive, attaquèrent au fond de l'Asie ces mêmes maîtres qui jouissaient alors des découvertes des Portugais, les vainquirent, les chassèrent, et devinrent en moins de 60 ans les souverains de l'orient. La compagnies formée en 1602 gagnait déjà près de 300 pour cent en 1620. Elle a choisi le cap de bonne Espérance pour le lieu des rafraichissements de ses flottes ; elle a établi dans les Indes orientales 40 comptoirs, bâti 25 forteresses, entr'autres en 1619, et pour le centre de son commerce, la ville de Batavia, la plus belle de l'Asie, dans laquelle résident plus de 30 mille Chinois, Javanais, Chalayes, Amboiniens, etc. et où abordent toutes les nations du monde.

De plus, cette compagnie a ordinairement dans les Indes plus de 100 vaisseaux depuis 30 jusqu'à 60 pièces de canon, 12 à 20 mille hommes de troupes réglées, un gouverneur qui ne parait en public qu'avec la pompe des rais, sans que ce faste asiatique, dit M. de Voltaire, corrompe la frugale simplicité des Hollandais en Europe. Heureux ! s'ils savent la conserver en rappelant le commerce général qui s'échappent tous les jours de leurs mains par plusieurs détours, passe dans le nord, ou se fait ailleurs directement sans leur entremise.

En effet il faut convenir que le commerce et cette frugalité sont l'unique ressource des provinces unies ; car quoique leur compagnie orientale se trouve la seule qui ait eu le bonheur de se maintenir toujours avec éclat sur son premier fonds, sans aucun appel nouveau, ses grands succès sont en partie l'effet du hasard qui l'a rendue maîtresse des épiceries ; trésors aussi réels que ceux du Pérou, dont la culture est aussi salutaire à la santé, que le travail des mines est nuisible, trésors enfin dont l'univers ne saurait se passer. Mais si jamais ce hasard, ou plutôt la jalousie éclairée, l'industrie vigilante, offre à quelqu'autre peuple la culture de ces mêmes épiceries si enviées, alors cette célèbre compagnie aura bien de la peine à soutenir les frais immenses de ses armements, de ses troupes, de ses vaisseaux, de la régie de tant de forteresses et de tant de comptoirs. Déja depuis plusieurs années quelques nations de l'Europe sont en concurrence avec elle pour le poivre qu'elle ne fournit presque plus à la France en particulier. Déja,... Mais qu'on jette seulement les yeux sur le sort de la compagnie occidentale.

De la compagnie occidentale. Elle commença en 1621, avec les mêmes lais, les mêmes privilèges que la compagnie orientale, et même avec un fonds plus considérable, car il fut de 7 millions 200000 florins, partagés en actions de 6000 florins argent de banque, ce qui fit en tout 1200 actions, et les états généraux pour favoriser cette compagnie, lui firent présent de trois vaisseaux montés de 600 soldats. Ses conquêtes et ses espérances furent d'abord des plus brillantes. Il parait par les registres de cette compagnie, que depuis l'an 1623 jusqu'en 1636, elle avait équipé 800 vaisseaux tant pour la guerre que pour le commerce dont la dépense montait à 451 millions de florins, et qu'elle en avait enlevé aux Portugais ou aux Espagnols 545 qu'on estimait 60 millions de florins, outre environ 30 millions d'autres dépouilles. Elle fut pendant les premières années en état de faire des répartitions de 20, 25 et 50 pour cent. Elle s'empara de la baie de tous les Saints, de Fernambouc ; et de la meilleure partie du Brésil.

Cependant cette rapide prospérité ne fut pas de longue durée. Ces conquêtes même si glorieuses et si avantageuses l'engagèrent à faire des efforts qui l'épuisèrent : d'autres causes qu'il serait inutîle de rapporter, concoururent à son désastre : il suffira de dire qu'elle perdit ses conquêtes, qu'elle n'a jamais pu se relever, et qu'elle fut dissoute à l'expiration de son second octroi, le 20 Septembre 1674. Alors il se forma une nouvelle compagnie composée des anciens participans et de leurs créanciers ; c'est cette compagnie qui subsiste aujourd'hui, mais seulement avec quelques médiocres établissements en Afrique, une portion dans la société de Surinam, et le reste de son commerce est presque réduit à une traite de Nègres dans le peu de terrain qu'elle possède en Amérique. (D.J.)

INDES ORIENTALES, compagnie des.... en Danemarck, (Commerce) Je me propose de tracer ici l'établissement, les vicissitudes et l'état présent de la compagnie des Indes orientales en Danemarck : ce sera l'extrait fort abrégé d'un mémoire très-curieux sur ce sujet, que M. le comte d'Eckelbath, ci-devant ministre de S. M. D. en France, a bien voulu me communiquer, et pour lequel je lui renouvelle mes remerciements.

Chrétien IV, roi de Danemarck, voyant les avantages que des puissances voisines tiraient de la navigation de l'Inde, résolut d'encourager ses sujets à entreprendre ce même commerce : il y réussit, et il se forma sous ses yeux la première compagnie des Indes Orientales en Danemarck, à laquelle il donna, par sa déclaration du 17 Mars 1616, un octroi pour 12 ans, lui accorda un privilège exclusif, lui fit présent des bâtiments nécessaires pour servir de magasins, lui permit d'employer des pilotes et des matelots de sa flotte, s'intéressa dans cette compagnie, et engagea les seigneurs de sa cour d'en faire autant, en assignant une part sur leurs appointements pour être jointe au fonds de la compagnie.

Comme on s'occupait à équiper trois vaisseaux, qui devaient partir pour les Indes sous la conduite de Roland Crape, et pour tenter d'obtenir de quelque prince indien la permission de fonder un établissement sur la côte de Coromandel ; un événement favorable augmenta les espérances de l'entreprise.

Jean de Wesseck, directeur du comptoir hollandais de Caliacatta et de la côte de Coromandel, envoya en 1611 Marcellus Bosckhouwer, son facteur, à Ceylon, muni de lettres de créance du prince Maurice d'Orange et des états généraux, pour y négocier un traité de commerce avec l'empereur de Candy, le premier et le plus puissant des rois de Ceylon. Sa négociation fut heureuse, il la termina favorablement ; mais quand il voulut s'en retourner, l'empereur, qui l'affectionnait, lui en refusa la permission, sous prétexte qu'il devait rester en sa cour, en qualité de ministre ou d'otage, jusqu'à ce que sa nation eut rempli les conditions du traité, et fourni les troupes et l'artillerie stipulées pour chasser les Portugais de son empire. Cependant les Hollandais, déjà assez occupés de leurs guerres dans l'Inde, négligèrent cette affaire, et le secours promis n'arriva point.

Pendant ce temps-là Bosckhouwer s'avançait toujours dans les bonnes grâces de l'empereur Cenuwieraat Adascyn, qui l'élevait aux plus grandes dignités. Il fut fait prince de Migomme, de Kokelecor, d'Anangepare et de Mivitigale, chevalier de l'ordre du soleil d'or, président du conseil de guerre, premier ministre de toutes les affaires, et amiral général des forces maritimes. Tel est le titre fastueux qu'il se donne dans sa lettre écrite au roi Chrétien IV, datée du cap de Bonne-Espérance le 27 Juillet 1619.

Bosckhouwer passa quatre années à la cour de Candy ; mais voyant que les Hollandais ne pensaient plus à lui, et s'ennuyant d'un esclavage honorable, il persuada l'empereur de lui permettre d'aller lui-même hâter le secours promis, et au cas qu'il ne put l'obtenir des Hollandais, d'en traiter avec d'autres nations. L'empereur lui fit expédier des pleins pouvoirs pour toutes les puissances avec lesquelles il jugerait à-propos de négocier, et Bosckhouwer, chargé de ses lettres, partit de l'île de Ceylon en 1615.

Il se rendit d'abord aux établissements des Hollandais dans l'Inde ; mais les trouvant par-tout en guerre, et par conséquent hors d'état de faire une nouvelle entreprise, il passa la même année en Europe, et arriva en Hollande. La métamorphose d'un facteur en prince, les airs qu'il se donnait, et le cérémonial qu'il exigeait, déplurent à la compagnie des Indes et à ses anciens maîtres. Il en fut piqué ; et apprenant qu'on travaillait en Danemarck à l'établissement d'une nouvelle compagnie des Indes, il partit pour Copenhague, et y arriva au mois de Juin 1617 avec sa femme, dite la princesse de Migomme.

Bosckhouwer fut bien reçu du roi de Danemarck, qui accepta la proposition d'un traité avec l'empereur de Candy, et le signa le 2 d'Aout 1618. En conséquence sa majesté fit armer deux vaisseaux de guerre, l'Elephant et le Christian, avec le Yacht l'Oresund, et en donna le commandement à Ove Giedde, alors âgé de 26 ans, qui mourut en 1661 amiral et sénateur du royaume. La compagnie arma de son côté le David, la Patience et le Copenhague. Tous ces vaisseaux partirent du Sond le 29 Novembre 1618, et firent route ensemble jusqu'au-delà du cap de Bonne-Espérance, où Roland Crape se sépara de M. de Giedde, et se rendit avec les trois vaisseaux de la compagnie, sur la côte de Coromandel, pour laquelle il était destiné.

Après une navigation fort pénible, M. de Giedde arriva le 16 Mai 1620 sur les côtes de Ceylon, et le 12 Juin il jeta l'ancre au port de Cotjares, situé dans la baie de Trinquemale. Les Portugais, qui voulaient encore faire les maîtres de la mer de l'Inde, lui avaient enlevé le Yacht l'Oresund. Mais ce qui dérangea le plus cette expédition, ce fut le décès de Bosckhouwer, qui, après avoir doublé le cap, mourut à bord de M. de Giedde.

L'empereur de Candy reçut d'abord assez bien les Danois, et fit rendre plusieurs honneurs à leur amiral ; mais ayant appris la mort de son ministre, que selon les apparences on avait eu soin de lui cacher en arrivant, il changea de sentiment, refusa de ratifier le traité, et accusa Bosckhouwer d'avoir passé les bornes de son pouvoir, et d'avoir promis au delà de ce qu'il était possible d'exécuter. Les Portugais de leur côté appuyèrent sous main les sentiments de l'empereur, et lui offrirent leur assistance en cas que ces nouveaux hôtes voulussent entreprendre de le chagriner.

M. de Giedde, après être resté quatre mois sans fruit à Ceylon, partit du port de Cotjares, et arriva à Tranquebar, sur la côte de Coromandel, le 25 d'Octobre 1620. En quittant la rade, il eut le malheur de voir son vaisseau le Christian toucher et s'engrever tellement, qu'il fut obligé de l'abandonner. Les Portugais en profitèrent, et garnirent des canons qu'ils tirèrent de ce navire, un fort qu'ils construisirent dans la baie de Trinquemale immédiatement après le départ des Danois.

Roland Crape, pendant ce temps-là, avait fait son trajet fort heureusement. Arrivé à la côte de Coromandel, il s'arrêta devant Carikal, ville maritime du Tanjour, y mit pied à terre, et se rendit auprès du Naïcke, ou prince Malabare, nommé Ragounade, duquel il obtint en propre pour la compagnie, le village de Trangambar, aujourd'hui Tranquebar, à un mille et demi au nord de Carikal. Il y fit bâtir des habitations et un comptoir en maçonnerie, qu'il assura du côté de la terre par deux bastions garnis de fauconneaux, et enferma la place d'un bon mur.

Il jeta encore les fondements d'une citadelle à quatre bastions, et lui donna le nom de Dansborg. Elle a été achevée, et se trouve aujourd'hui (1758) dans un très-bon état.

Après avoir pris tous ces arrangements, pourvu à la sûreté de la colonie, et fait prêter le serment à Roland Crape et aux autres officiers, il mit à la voîle avec le vaisseau l'Eléphant, resta quelque-temps sous Ceylon, arriva à la rade de Copenhague le 30 Mars 1622, et y fut suivi un mois après par le vaisseau le David, capitaine Niels Rosemkranz, chargé pour le compte de la compagnie.

Ce commerce naissant donna d'abord quelque jalousie aux Hollandais, et les états généraux défendirent à tous leurs sujets de s'y intéresser, sous peine de confiscation de leurs biens. Cependant, sur les représentations de M. Carisius, ministre du roi de Danemarck, il fut sursis à l'exécution de ces ordonnances, et on lui déclara qu'on agirait là-dessus d'accord avec les Anglais, et qu'on suivrait leur exemple. Le ministre résident du roi à Londres, le sieur Sinkler, soutenu par M. Carisius, qui y passa en 1619, firent si bien auprès du roi Jacques I. qu'il donna permission à tous ses capitaines expérimentés dans la navigation, aux pilotes et aux matelots de s'engager au service de la compagnie danoise lorsqu'elle pourra en avoir besoin.

Toutefais comme le fonds de la compagnie n'était encore en 1624 que de 189614 reichsdahlers, cette somme se trouva presque absorbée par les acquisitions et les établissements aux Indes ; de sorte que le roi soutint lui seul la dépense de ce commerce à ses propres frais pendant plusieurs années.

En 1639 il nomma quatre directeurs, du nombre desquels était Roland Crape et Guillaume Leyel, natif d'Elsenoèr, qui avait longtemps parcouru la Perse et les Indes. Cette nouvelle direction expédia deux vaisseaux, le Soleil, commandé par Clans Rytter, et le Christianshaven par M. Leyel ; mais l'un de ces deux vaisseaux périt aux Dunes à son retour en 1644, et l'autre fut jeté aux îles Canaries, où le gouverneur espagnol s'en empara.

Leyel ayant cependant trouvé le moyen de se rendre à Tranquebar, acheva les fortifications de Dansborg, continua avec les trois vaisseaux qu'il avait, le commerce de Ceylon et autres endroits de l'Inde ; accueillit les Portugais, qui, expulsés et pourchassés par les Hollandais, se réfugiaient à Tranquebar, et leur permit d'y bâtir une église. Il manda ces petits succès en cour, et fit dans ses derniers rapports, datés du 15 Novembre 1646, des mémoires qui marquaient beaucoup de connaissances et de lumières. Mais le roi Chrétien IV. décéda le 28 Février 1648, et les guerres occupèrent trop le commencement de Fréderic III. pour qu'on pensât à Copenhague aux affaires de Tranquebar.

Leyel mourut peu de temps après. Ses successeurs se brouillèrent avec le Naïck de Tanjour, qui en 1648, mit le siège devant Tranquebar, afin de vanger un more employé à la douanne, et chassé pour ses malversations. Cependant on trouva le moyen d'apaiser le Naïck ; mais la colonie dépérissait sans ressource faute de secours d'Europe, et ne se soutenait que par un petit commerce avec l'intérieur du pays, ayant des démêlés continuels avec les Indiens pour celui de Bellesor ; en un mot, les Danois s'y éteignirent peu-à-peu, de sorte qu'en 1665, il n'en resta vivant qu'un seul homme, Eskild Andersen, qui de canonier qu'il avait été, fut proclamé commandant par les habitants. Celui-ci engagea un sergent, nommé Gert von Hagen, qui servait alors à Nagapatnam, de porter en Danemarck le triste tableau de leurs miseres ; c'est ce qu'il exécuta fidèlement.

Il arriva à Copenhague en 1668, et ses dépêches disposèrent le roi Fréderic III. à faire équiper une frégate pour y transporter une centaine de personnes. Henri Eggers fut envoyé en qualité de commandant. La frégate mouilla heureusement devant Tranquebar en 1669, et y fut reçue avec une joie inexprimable ; mais cette petite recrue ne put rétablir un commerce qui était éteint.

Cependant au commencement du règne de Chrétien V. il se forma une nouvelle compagnie des Indes, qui, le 28 Novembre 1670, obtint un octroi pour 40. ans. Le fonds de cette compagnie consistait en vaisseaux et effets, dont S. M. lui fit présent, estimés 79073 reichsdahlers. Les intéressés y ajoutèrent pour premier paiement la somme de 162800 écus de banque.

En 1673 la compagnie commença à expédier ses vaisseaux pour l'Inde. Les premières années furent assez favorables. En 1680 on avait partagé entre les intéressés, tous frais faits, 48840 écus ; mais ensuite la perte du vaisseau le Dansborg, qui périt sous les îles de Ferroè, et qu'on n'avait pas fait assurer, fit tomber ses actions : les intéressés augmentèrent néanmoins leur fonds de 12 pour cent, 20963 écus de banque. Enfin leur commerce essuya un échec terrible en 1682, par la perte de la loge de Bantam, où les Hollandais avaient tellement gagné le dessus, qu'ils en avaient expulsé les Danois aussi-bien que les Anglais.

Le roi, pour relever le courage abattu de la malheureuse compagnie, lui fit présent en 1685 de quatre frégates, et envoya à Tranquebar, en qualité de son commissaire, Wulff Henri de Callnein, lieutenant-colonel d'infanterie. Cet officier remporta de grands avantages dans la guerre que la colonie eut à soutenir contre les Mores, et depuis 1688 jusqu'en 1698, les intéressés eurent un revenant-bon de 217747 écus. Dans la même année 1698, la paix se conclut avec les mores de Bengale ; et le roi, pour animer le commerce de l'Inde, prolongea pour 40 ans l'octroi donné en 1670 ; ce qui fut confirmé par Fréderic IV.

Depuis 1699 jusqu'en 1709, le négoce de l'Inde rendit encore 189665 écus, ensuite il tomba totalement. La peste, la guerre, les troubles dans l'Inde, le second siège que le Naïck de Tanjour mit devant Tranquebar en 1698, la mauvaise conduite de plusieurs officiers et employés, la perte de 13 de ses vaisseaux, et surtout celle de la plupart de ses établissements, achevèrent de ruiner la compagnie, au point que ne pouvant plus se soutenir, et ne voyant pas de moyens de se relever, les intéressés abandonnèrent entièrement le négoce de l'Inde en 1729, et se séparèrent en 1730, en remettant au roi son octroi, qui avait encore 20 ans à courir. Fréderic IV. fut le seul qui ne perdit point courage. Il tenta de faire continuer un commerce qu'il ne voyait abandonné par ses sujets qu'avec beaucoup de regret ; et quelques particuliers s'étant associés de nouveau par ses pressantes sollicitations, il leur fit expédier une permission d'envoyer deux vaisseaux à Tranquebar, et les deux vaisseaux mirent à la voile.

Jusqu'ici la compagnie danoise s'était bornée au commerce de l'Inde, sans avoir essayé en droiture celui de la Chine, qui, depuis qu'il est connu, a toujours passé pour le plus riche de tous ceux de l'Asie. Cette même année un nommé Pieter Baschers, natif de Bremen, qui avait longtemps vécu dans l'Inde, vint à Copenhague, et présenta un plan pour former ce commerce, et le réunir avec celui de Tranquebar. Ses propositions furent goutées, et S. M. accorda à ceux qui s'y intéresseraient deux octrais, l'un du 10 Février, et l'autre du 15 Mars 1730. On dressa la manière de former les souscriptions, et les associés de l'année précédente eurent la préférence d'y prendre telle part qu'il leur plairait.

Le feu roi de Danemarck, alors prince royal, non-seulement s'intéressa dans ce commerce, mais, pour l'animer encore davantage, il s'en déclara le directeur. On tint une assemblée générale en sa présence, et on y élut du nombre des intéressés, huit syndics (committirse) pour avoir soin de l'intérêt de la société. Les souscriptions s'étant bientôt remplies, on fit partir pour la Chine le Prince-Royal, commandé par le capitaine Tonder, aujourd'hui vice-amiral, et pour Tranquebar les vaisseaux Fréderic IV. et le Lion d'or. Bientôt après on expédia deux autres vaisseaux pour Tranquebar ; savoir, la Reine Anne-Sophie et la Wendela : tous ces vaisseaux revinrent heureusement à Copenhague, excepté le Lion d'or, qui échoua sur les côtes d'Irlande.

Ces premiers arrangements ayant réussi, et leur retour ayant justifié les avantages qu'on pourrait tirer du commerce de la Chine, le prince royal devenu roi sous le nom de Chrétien VI, crut devoir former une compagnie plus étendue, et plus en état de continuer la navigation de l'Inde et de la Chine. Pour cet effet S. M. expédia le 12 Avril 1732, un octroi de 40 ans à la compagnie, lui accorda, avec le titre de compagnie royale des Indes, des prééminences, privilèges et franchises, et ordonna que les intéressés des sociétés de l'an 1729, 1730 et 1731 y seraient admis préférablement.

Ces anciens intéressés et les nouveaux s'unirent, et convinrent d'un règlement, qui prescrirait les opérations de la compagnie. Ensuite on tint une assemblée générale, dans laquelle on élut pour président Chrétien-Louis de Plessen, ministre d'état, et on lui adjoignit quatre directeurs et cinq hauts-participans pour former la direction, pourvoir aux besoins, et veiller au maintien, à la sûreté et aux avantages de la société.

C'est ainsi que se forma en 1732 la compagnie royale danoise des Indes orientales et de la Chine, continuée jusqu'à présent. Son commencement consista en 400 actions, chacune de 250 écus courants de Danemarck, pour faire le fonds constant de la compagnie ; ensuite les intéressés fournirent au prorata par action les frais nécessaires pour l'achat et l'équipement des vaisseaux qu'on avait résolu de mettre en mer. Le produit du fonds constant fut employé en partie à l'acquisition des maisons, magasins et effets que les anciennes compagnies avaient, tant à Copenhague qu'à Tranquebar, et à faire passer dans l'Inde un fonds qui y resterait toujours, pour y soutenir les fabriques. A mesure que le commerce a prospéré, la compagnie a ajouté à ses bâtiments et magasins, et a augmenté le fonds continuel de Tranquebar.

Pour donner aux lecteurs une idée juste de l'état actuel de cette compagnie, je pourrais leur mettre devant les yeux les opérations d'année en année ; mais comme ce détail serait également long et ennuyeux, il suffira de dire que par le résultat que j'en ai tiré, il parait que la nouvelle compagnie, depuis sa naissance en 1732 jusqu'en 1753 exclusivement, a expédié 60 vaisseaux, dont 28 pour Tranquebar, et 32 pour la Chine. Elle en a eu de retour 43 ; savoir, 19 de l'Inde, et 24 de Canton. Sept de ses vaisseaux se sont entièrement perdus, six autres ont échoué, et quatre ont été abandonnés. Malgré ces malheurs, le prix des actions était en 1754, tout assuré et tout fourni, d'onze mille jusqu'à 11600 écus de Danemarck. Le fonds roulant, c'est-à-dire ce que chaque action a contribué à l'achat, équipement et cargaison des vaisseaux arrivés en 1754, ou en mer, se montait par vieilles actions à 7750 écus 2 marcs 6 schellings, qui ajoutés au fonds constant, qui est de 750 écus, donne 8500 écus 2 marcs 6 schellings, prix intrinseque ; le reste, savoir, 2499 écus 3 marcs 10 schellings, est pour l'assurance et le profit de ceux qui vendent des actions au prix de 11600 écus.

Nous ne ferons pas l'énumération des petits établissements et des comptoirs que la compagnie danoise possède actuellement dans l'Inde ; nous dirons seulement que depuis peu elle a fait un fonds à Tranquebar pour renouveller le commerce du poivre, et bâtir une loge sur la côte de Travancoor.

Il est bien singulier qu'après tant de malheurs consécutifs éprouvés pendant plus d'un siècle, cette compagnie, cent fois culbutée, détruite, anéantie, se soutienne encore au milieu de la rivalité du même trafic par les trois puissances maritimes. Mais on ne doit pas douter que la protection constante des rois de Danemarck, les soins que se sont donnés ceux qui successivement en ont été les présidents ; une direction économe, sage, attentive et désintéressée, une liberté entière, exempte de gêne dans les assemblées générales et annuelles, où toutes les opérations se décident, ne soient les vraies sources de la subsistance et de la prospérité de cette compagnie, supérieure à ce que les intéressés osèrent jamais s'en promettre. (D.J.)