Voici quelques-uns de leurs statuts.

Ils sont obligés d'avoir leurs forges et fourneaux scellés en plâtre dans leurs boutiques à six pieds de la rue et en vue ; il leur est aussi défendu de travailler passé les heures indiquées par la police : l'objet de ce statut est de tenir continuellement les Orfèvres en état d'être veillés par les préposés à la police du corps. Les préposés à la police du corps sont les officiers de la cour des monnaies et les gardes Orfèvres.

Tous les ans on fait élection de trois Orfèvres, d'un qui a déjà été garde, et de deux autres qui n'ont point encore passé cette charge : leur exercice est de deux ans ; les trois nouveaux élus avec les trois de l'année précédente forment le collège de six gardes, lesquels font les essais, assoyent la capitation, la perçoivent, visitent les ateliers et les ouvrages de leurs confrères, sans assistance d'aucun officier de police, toutesfais et quand ils le jugent à propos, et gèrent toutes les affaires du corps : ils prêtent serment pour l'exercice de leurs fonctions à la cour des monnaies, et entre les mains du lieutenant-général de police.

Les contestations sur le fait de l'Orfèvrerie se portent en ce qui concerne la police devant le lieutenant-général de police du Châtelet de Paris, et en ce qui concerne le titre des matières et contraventions sur icelles en la cour des monnaies de Paris.

Les veuves des Orfèvres peuvent tenir boutique ouverte, et faire le commerce de l'Orfèvrerie : autrefois même elles avaient un poinçon ; mais lors du règlement de 1679, le ministère craignant qu'elles n'en abusassent, ou que n'étant pas assez instruites, elles ne compromissent trop facilement la réputation de leur poinçon, ordonna qu'aussi-tôt le décès d'un orfévre leurs veuves remettraient le poinçon de leurs maris pour être biffé, leur laissant néanmoins la faculté de faire fabriquer chez elles, en faisant marquer leurs ouvrages du poinçon d'un autre maître, lequel demeurerait garant des ouvrages revêtus de son poinçon, comme s'ils étaient de sa fabrique.

Les Orfèvres qui ne tiennent pas boutique ouverte sont obligés de déposer leurs poinçons au bureau des Orfèvres, pour y être enfermés et scellés jusqu'à ce qu'ils reprennent boutique.

Les Orfèvres ont la faculté de graver tous leurs ouvrages, même sceaux, cachets, lames d'acier, en un mot, tout ce dont ils ont besoin pour l'ornement de leur fabrique.

Le commerce d'Orfèvrerie est interdit à tous marchands assistants ou commerçans qui ne sont pas du corps, il est seulement permis aux marchands merciers de vendre la vaisselle ou autres ouvrages d'Orfèvrerie venant d'Allemagne ou des pays étrangers, à la charge d'en faire la déclaration au bureau, où on met sur ces ouvrages un poinçon à ce destiné.

Il est défendu aux Orfèvres d'acheter, fondre ou déformer aucunes espèces d'or ou d'argent du royaume ayant cours ou décriées.

Les Orfèvres sont aussi tenus, quand ils en sont requis, de donner des bordereaux des marchandises qu'ils vendent, contenant le poids, le titre, le prix de la matière et de la façon séparés l'un de l'autre.

Les Orfèvres sont exempts de toutes créations de maitrises, aux joyeux avénements à la couronne, entrées des rais, reines, ou autres grands avénements. Il n'est point permis aux Orfèvres de travailler dans les lieux privilégiés, et il est défendu aux chefs de tous lieux privilégiés quelconques de donner retraite chez eux aux ouvriers d'Orfèvrerie sans qualité ou ayant qualité.

Le temps de l'apprentissage est de huit années ; on ne peut être reçu apprentif avant dix ans, et passé seize ans.

Les enfants des maîtres sont dispensés de l'apprentissage, et du compagnonage qui est de deux ans pour les apprentifs. On suppose, ce qui est assez naturel, qu'ils ont dû apprendre dans la maison paternelle l'art qu'ils veulent professer : au surplus ni les uns ni les autres ne sont admis sans chef-d'œuvre ; il serait à souhaiter qu'on y tint une main bien sévère, et qu'on rétablit l'ancienne coutume d'exposer publiquement les chef-d'œuvres des aspirants, la crainte d'éprouver une juste critique exciterait l'émulation, effaroucherait l'ignorance, et produirait un effet utîle au progrès de cet art.

Les Orfèvres travaillans à la galerie du Louvre, ont droit de faire des apprentifs de tout âge ; au bout de six années de leur premier apprentif, ils peuvent en prendre un second ; leurs apprentifs sont astreints comme les autres à huit années d'apprentissage, mais ils sont reçus sans faire de chef-d'œuvre et sans frais ; on suppose qu'ayant appris sous de si excellents maîtres, ils sont suffisamment capables. Les ouvriers qui ont travaillé pendant six ans dans la manufacture royale des Gobelins, sont reçus à la maitrise d'Orfèvrerie sans chef-d'œuvre et sans frais. L'hôpital de Trinité jouit du droit de donner la maitrise à deux ouvriers sans qualité tous les huit ans, travaillant l'un en or et l'autre en argent, pourvu qu'ils soient choisis par ledit hôpital, agréés sur leur chef-d'œuvre par les gardes orfévres, et qu'ils aient appris le métier à un enfant dudit hôpital : il y a aussi quatre privilégiés du roi, et deux du duc d'Orléans ; mais ces privilèges sont à vie, et ne donnent point qualité aux enfants : d'ailleurs ces privilegiés ne font point partie du corps de l'Orfèvrerie, et n'en sont point membres ; on voit par ces privilèges qu'il y a encore des moyens de parvenir à la maitrise pour ceux qui n'ont pu l'acquérir à temps.

Quelques personnes dont les vues pour le bien public et pour l'accroissement du commerce sont respectables et dignes des plus grands éloges, regardent les lois d'apprentissage, du compagnonage et du chef-d'œuvre comme inutiles : ils pensent aussi qu'il est injuste de fixer le nombre des maîtres du corps de l'Orfèvrerie, et de refuser place dans ce corps à des hommes d'un talent décidé, parce qu'ils n'ont point fait d'apprentissage, et qu'ils ne sont point fils de marchands : nous pensons comme eux à quelques égards, mais nous ne sommes point d'accord sur tous les points.

1°. La connaissance que nous avons de toutes les parties d'étude nécessaires pour faire un bon artiste, et dont nous avons tracé l'esquisse au mot ORFEVRE, nous porte à croire que huit années d'apprentissage bien employées ne sont pas trop longues pour acquérir toutes les lumières nécessaires à cet art, surtout quand on réflechit qu'il ne suffit pas d'être bon théoriste, mais qu'il faut y joindre une excellente pratique ; il serait à souhaiter seulement que tous les maîtres fussent assez habiles pour former de bons élèves : et comment parviendra-t-on à ne remplir le corps que de bons artistes, si on néglige d'éprouver leur capacité ? Quant à moi, j'ai toujours regardé le chef-d'œuvre comme une chose de première nécessité, et d'un intérêt essentiel au bien du corps et de l'état, à qui il importe beaucoup que l'Orfèvrerie de Paris conserve sa supériorité. On peut me répondre qu'on peut apprendre sans être gêné par des lois : j'en conviens ; mais comme l'équité est la première règle, il faut la consulter, et voir qu'un maître qui perd son temps à montrer à un apprentif, devrait être payé trop chèrement, si les lois ne lui avaient pas assigné les dernières années de l'apprentissage, pour se dédommager sur le travail de son élève des peines et soins qu'il lui a couté dans ses premières années ; et que l'ingratitude et la légèreté étant très-communes chez les jeunes gens, on les verrait trop souvent, s'ils n'étaient astreints par les lais, quitter leurs maîtres aussi-tôt qu'ils sauraient quelque chose, et chercher à jouir de leurs talents, sans s'embarrasser de payer de reconnaissance ceux à qui ils doivent ce qu'ils sont.

2°. Quant aux règles du compagnonage, on n'y tient pas assez la main pour qu'on puisse se plaindre de la gêne de cette loi ; et si on l'a quelquefois mise en vigueur, très-souvent c'est parce qu'on cherchait par tous les moyens possibles à écarter un mauvais sujet. Les bons artistes ne se plaindront jamais de cette loi ; leur intérêt personnel les engage à visiter plusieurs ateliers pour étudier tous les gouts : on ne voit ordinairement que les ignorants, les présomptueux et les indépendants chercher à la franchir.

3°. Il parait ridicule de fixer le nombre des Orfèvres à 300, &, selon les personnes que je prents la liberté de combattre, ce commerce devrait être libre et de la plus grande étendue, parce que le nombre des artistes augmentant, la nécessité d'être employés fait baisser le prix des ouvrages, établit une concurrence de bon marché qui ne peut manquer d'étendre le commerce. Leur principe est juste, et leur conséquence nécessaire : mais ce principe qui peut être vrai pour toutes les autres branches de commerce, cesse de l'être pour celle-ci, à ce que je pense. Si on envisage les sources de l'agrandissement de l'Orfèvrerie de Paris, je crois qu'il est difficîle de révoquer en doute que la sûreté du titre des matières qu'on emploie, et l'excellence du goût des artistes français soient la seule cause de leur grand crédit chez l'étranger, d'où il est aisé d'inférer que plus le nombre des Orfèvres sera resserré, plus ils seront en état d'être veillés, et moins la réputation du poinçon de Paris sera compromise : que moins ils seront en nombre, plus ils seront en état de se faire bien payer, et par conséquent de consacrer plus de temps à l'étude, seul moyen de perpétuer le bon gout, et de l'empêcher de tomber en discrédit : il est vrai que nous sommes totalement contradictoires sur nos principes ; il n'est question que d'examiner lesquels sont les plus vrais et les plus avoués. Fouillons plus avant, et disons, que l'intérêt de l'état est que la main-d'œuvre se soutienne chère, afin que pour peu de valeur intrinseque l'artiste fasse rentrer beaucoup d'argent dans le royaume. Ce principe constant et jamais nié pourrait-il avoir lieu, si on fait baisser la main-d'œuvre sur des objets dont la matière première est toute valeur précieuse et indestructible ?

Un vœu que nous oserions former, et qui serait digne et de la bonté du prince qui règne sur nous et de la sagesse de son gouvernement ; c'est qu'on réduisit presque à rien, si nous l'osons dire, qu'on abolit tout entier les droits qui se prélèvent sur les ouvrages de l'Orfèvrerie ; l'expérience a prouvé que la cherté de ces droits est ce qui nuit le plus à l'étendue de son commerce : il serait à souhaiter au moins que toutes les fois que l'étranger vient se fournir chez nous, il n'en payât aucun, et même qu'on lui remit ceux précédemment payés, en justifiant du transport de ces ouvrages hors du royaume.

4°. Ce serait encore une justice d'ouvrir des portes aux artistes distingués, qui ne peuvent être admis dans le corps, parce qu'ils n'ont point fait d'apprentissage, et ne sont point fils de marchands, etc. il est, ce me semble, un bon moyen d'établir l'émulation et de couronner le talent à cet égard ; c'est d'ordonner que de temps à autre il y aurait un concours où celui dont l'ouvrage serait jugé supérieur fût reçu gratis, admettant à ce concours apprentif, fils de maître, comme ouvrier sans qualité indistinctement ; et joignant aux gardes de l'Orfèvrerie juges nés des chef-d'œuvres, d'autres artistes, même des membres de l'académie de Peinture et de Sculpture ; ce serait, il me semble, un bon moyen pour fermer la bouche aux gens à talents sur l'injustice des lois ; car alors leur sort serait entre leurs mains. Ces sentiments et ces vœux sont le fruit des réflexions d'un citoyen impartial, qui proteste contre tout esprit de parti, de corps ou de compagnie : les seules vues du bien public sont celles qui l'animent et l'engagent à mettre au jour ce qu'il regarde dans la sincérité de son cœur comme des vérités incontestables.