On doit distinguer les Alchimistes en vrais, et en faux ou fous. Les Alchimistes vrais sont ceux qui, après avoir travaillé à la Chimie ordinaire en physiciens, poussent plus loin leurs recherches, en travaillant par principes et méthodiquement à des combinaisons curieuses et utiles, par lesquelles on imite les ouvrages de la nature ; ou qui les rendent plus propres à l'usage des hommes, soit en leur donnant une perfection particulière, soit en y ajoutant des agréments qui, quoiqu'artificiels, sont dans certains cas plus beaux que ceux qui viennent de la simple nature dénuée de tout art, pourvu que ces agréments artificiels soient fondés sur la nature même, et l'imitent dans son beau.

Ceux au contraire qui, sans savoir bien la Chimie ordinaire, ou qui même, sans en avoir de teinture, se jettent dans l'Alchimie sans méthode et sans principes, ne lisant que des livres énigmatiques qu'ils estiment d'autant plus qu'ils les comprennent moins, sont de faux Alchimistes qui perdent leur temps et leur bien, parce que travaillant sans connaissance, ils ne trouvent point ce qu'ils cherchent, et font plus de dépenses que s'ils étaient instruits, parce qu'ils emploient souvent des choses inutiles, et qu'ils ne savent pas sauver certaines matières qu'on peut retirer des opérations manquées.

D'ailleurs ils ont pour les charlatants autant de goût que pour les livres énigmatiques : ils ne se soucient pas d'un bon livre qui parle clairement, mais ne flatte point leur cupidité, comme font les livres énigmatiques auxquels on ne comprend rien, et auxquels les gens entêtés du fabuleux, ou du moins du mystérieux, donnent le sens qu'ils veulent y trouver, et qui est plus suivant leur imagination ; aussi ces faux Alchimistes s'ennuyeront aux discours d'un homme instruit de cette science, qui la dévoile, et qui réduit ses opérations à leur juste valeur : ils écouteront plus volontiers des hommes à secrets aussi ignorants qu'eux, mais qui font profession d'exciter leur curiosité.

Il faut dans toute chose, et surtout dans celles de cette nature, éviter les extrémités : on doit éviter également d'être superstitieux, ou incrédule. Dire que l'Alchimie n'est qu'une science de visionnaires, et que tous les Alchimistes sont des fous ou des imposteurs, c'est porter un jugement injuste d'une science réelle à laquelle des gens sensés et de probité peuvent s'appliquer : mais aussi il faut se garantir d'une espèce de fanatisme dont sont particulièrement susceptibles ceux qui s'y livrent sans discernement, sans conseil et sans connaissances préliminaires, en un mot sans principes. Or les principes des sciences sont des choses connues ; on y doit passer du connu à l'inconnu : si en Alchimie, comme dans les autres sciences, on passe du connu à l'inconnu, on pourra en tirer autant et plus d'utilité que de certaines autres sciences ordinaires. (M)