Quelqu'amusante que soit cette idée, il est difficîle de se persuader que du temps de David et de Salomon la soie du poisson pinne ait été assez commune dans ces pays-là, pour qu'un si grand nombre de gens pussent en avoir des manteaux : ce qui est certain, c'est que le bysse dont il s'agit ici, était différent du lin ordinaire.

Le passage de S. Luc, chap. XVIe 19. où il est dit dans notre édition latine, conformément au grec, que le mauvais riche était vêtu de pourpre et de bysse, n'embarrasse pas moins les interpretes du nouveau Testament.

Il est d'abord incontestable que toutes les versions espagnole, italienne, française ou autres, qui, pour s'accommoder à nos usages modernes, ont traduit qui était vêtu de pourpre et de soie, s'éloignent également de l'exactitude et du vrai. En effet, le byssus était une toute autre matière que notre soie, comme on peut le prouver évidemment par un grand nombre d'anciens écrivains ; &, pour abreger, par le seul dictionnaire de Pollux, liv. VII. ch. XVIIe

On ne saurait approuver davantage la traduction des jésuites, qui s'habillait d'écarlate et de toîle fine, parce que byssus ne signifie point une toîle fine dans le sens que nous attachons au mot de toile.

M M. de Port-Royal ont rendu plus exactement le terme grec, qui était vêtu de pourpre et de lin ; mais ils n'en ont pas dit assez, car il s'agit ici nécessairement de quelque chose qui est au-dessus du simple lin.

M. Simon l'a bien Ve ; aussi a-t-il traduit, qui se vêtait de pourpre et de fin lin. Il appuie sa traduction d'une très-bonne note. " Il y avait, dit-il, une espèce de fin lin qui était fort cher, et dont les plus grands seigneurs se vêtaient en ce pays-là et dans l'Egypte. Ce riche en avait un habit de couleur de pourpre ".

M M. de Beausobre et Lenfant ont traduit de même, qui allait vêtu de pourpre et de lin très fin ; c'est-à-dire ; ajoutent-ils dans leur note, d'une étoffe de lin fin teinte en pourpre.

Ceci s'accorde parfaitement avec Pline, qui assure que le bysse était une espèce de lin très fin. Pausanias dit la même chose, et remarque que dans toute la Grèce il ne croissait de bysse qu'en Elide. Plusieurs modernes sont du même avis, et en particulier Bochart, qui remarque que le byssus était un lin fort fin, qu'on teignait souvent en pourpre. On peut aussi consulter le vocabulaire grec d'Hésychius, et Leydekker dans sa république des Hébreux.

Ceux qui soutiennent que le byssus n'était autre chose qu'une toîle de coton fort fine, connue seulement aux Indes, et par conséquent très-chère dans les autres pays ; s'appuient du récit de Philostrate, qui raconte qu'Apollonius de Tyane étant aux Indes, observa que tout le byssus dont on se servait en Egypte, venait uniquement des Indes ; mais l'autorité de Philostrate, auteur d'un vrai roman fait sous le titre de la vie d'Apollonius de Tyane, ne saurait détruire des témoignages formels, qui prouvent qu'il y avait d'autre bysse que celui des Indes.

Enfin Philon assure (Philo, de somniis, p. 597. édit. in-fol.) que le byssus est de tous les lins le plus beau, le plus blanc et le plus fort : qu'il n'est point tiré d'une chose mortelle, mais de la terre ; et qu'il devient toujours plus blanc et plus brillant, lorsqu'on le lave comme il faut. Voilà donc l'amiante ou le lin incombustible sous le nom de byssus, dans Philon.

S'il est permis de dire notre sentiment après tant d'habiles critiques qui ont tâché d'éclaircir ce que l'on doit entendre par le byssus des anciens, nous croyons pouvoir conjecturer avec vraisemblance, que ce mot est un terme générique qui signifie dans leurs écrits une matière rare tirée du règne végétal et même minéral, en divers lieux et en divers pays ; de laquelle matière ils faisaient diverses étoffes riches et précieuses. Il y avait le bysse des Indes, d'Egypte, de Grèce, comme nous avons de la porcelaine de divers pays.

Nous ne doutons point encore que sous ce nom les anciens n'aient confondu les cotons, les ouattes, en un mot tout ce qui se filait, et qui était d'un plus grand prix que la laine.

Mais s'il est certain qu'il y avait chez les anciens du bysse tiré du règne végétal, il y a tout lieu de penser qu'ils tiraient aussi du byssus des pinnes-marines. Que dis-je, de penser ? Aristote l'assure positivement, car il nomme byssus la soie de ces coquilles.

On a connu de tout temps l'art de la filer : ainsi l'on ne peut douter qu'elle n'ait été souvent employée pour les habits des grands seigneurs, dans des siècles où la soie n'était que très-peu connue et ne se voyait que rarement.

En effet ce byssus de coquillage, quoique filé grossièrement, parait beaucoup plus beau que la laine, et approche assez de la soie : on en fait encore à-présent des bas et d'autres ouvrages, qui seraient plus recherchés si la soie était moins commune.

Pour filer cette sorte de byssus, on le laisse quelques jours dans la cave pour l'humecter et le ramollir ; ensuite on le peigne pour en séparer la bourre et les autres ordures qui y sont attachées ; enfin on le fîle comme on fait la soie.

Si je connaissais quelqu'ouvrage, quelque traité particulier sur le byssus des anciens, j'y renvoyerais les curieux. Voyez cependant l'article BYSSUS. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.