Leurs autres fêtes principales étaient celles de la Pâque, de la Pentecôte, des trompettes, de l'expiation, des tabernacles, de la dédicace du temple, de sa purification par Judas Macchabée nommée encenies, celle qu'ils appelaient purin. Voyez PAQUES, PENTECOTE, TROMPETTES, EXPIATION, ENCENIES, PURIN, etc.

Les Juifs modernes font encore quelques autres fêtes marquées dans leur calendrier, mais dont la plupart sont d'une institution récente, et étaient inconnues aux anciens. Il faut ajouter deux observations générales sur toutes les fêtes des Juifs : la première, qu'elles commençaient toutes le soir, et finissaient le lendemain au soir ; la seconde, qu'ils s'abstenaient en ces jours-là de toute œuvre servile, et qu'ils poussaient même quelquefois cette abstinence, à l'égard du sabbat, jusqu'à la superstition, en demeurant dans le repos et l'inaction pour les choses nécessaires à la vie, et même pour leur défense, lorsqu'ils étaient attaqués par leurs ennemis. (G).

FETES DES PAYENS, (Histoire ancienne) Numa partagea les jours de l'année en festi, profesti, et intercisi : les premiers étaient consacrés aux dieux, les seconds étaient accordés aux hommes pour vacquer à leurs propres affaires, et les derniers étaient partagés entre les dieux et les hommes.

Les jours de fête, dies festi, étaient encore divisés, suivant Macrobe, saturn. c. xxj. en sacrifices, épulae ou banquets, ludi ou jeux, et feriae, féries. Voyez FERIES, etc. Dies profesti étaient partagés en fasti, comitiales, comperendini, stati, et praeliares. Voyez FASTES, etc.

Les jours de fêtes on ne rendait point la justice, c'est-à-dire que les tribunaux étaient fermés ; le négoce et le travail des mains cessait, et le peuple les passait en réjouissances. On offrait des sacrifices ; on faisait des festins ; on célebrait des jeux : il y en avait de fixes appelés annales ou stativi, et de mobiles. Les premières fêtes chez les Grecs étaient ces assemblées solennelles de toute la nation où l'on célebrait des jeux, comme les olympiques, les pythiens, les isthmiens, et les néméens. A l'imitation des Grecs, les Romains donnaient les jours de fêtes des jeux ou dans le cirque, ludi circenses, ou des spectacles sur le théâtre, ludi scenici ; c'était aux dépens de l'état pour l'ordinaire, et le soin en roulait sur les principaux magistrats, qui dans certaines occasions, en faisaient eux-mêmes les frais. Parmi les fêtes, il y en avait de fixées qui revenaient tous les mois, les néoménies chez les Grecs, c'est-à-dire les jours de la nouvelle lune, les calendes, ou le premier jour du mois chez les Latins, les nones qui se célebraient le 3 ou le 7 du mois, et les ides le 13 ou le 15. Ces fêtes étaient consacrées à Jupiter et à Junon.

Sans entrer ici dans un détail d'autant plus inutîle du nom et des céremonies propres à chacune de ces fêtes chez les anciens, qu'on les trouvera dans ce Dictionnaire chacune à leur article, qu'il nous suffise de remarquer que quoique ces fêtes paraissent occuper la plus considérable partie de l'année, il ne faut cependant pas s'imaginer que tous les jours fussent employés en solennités qui empêchassent l'artisan de travailler, ni personne de vacquer à ses affaires ; car de ces fêtes un très-petit nombre obligeait généralement tout le monde ; la plupart des autres n'étaient, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que des dévotions particulières affectées à certaines communautés ou sociétés, tantôt aux prêtres de Jupiter, tantôt à ceux de Mars, un jour aux sacrificateurs de Minerve, un autre aux Vestales : ainsi le public n'y était pas régulièrement obligé ; dans la plupart, on ne s'abstenait ni de travailler ni de rendre la justice dans les tribunaux ; et Jules Capitolin remarque que l'empereur Antonin regla qu'il y aurait trois cent trente jours dans l'année où l'on pourrait vacquer librement à ses affaires : en sorte qu'il n'en restait plus que trente-cinq qui fussent universellement fêtés.

Il y avait outre cela des fêtes qui ne revenaient qu'après un certain nombre d'années révolues, comme les jeux capitolins qui ne se célebraient que tous les cinq ans, les jeux séculaires qu'on ne renouvellait qu'au bout de cent ans, et d'autres fêtes qui recommençaient tous les dix, vingt, ou trente ans, et qui étaient généralement observées. (G)

FETES DES MAHOMETANS. La fête des Mahométans par chaque semaine est le vendredi : ce jour est pour eux ce qu'est pour nous le dimanche, et ce qu'était pour les Juifs le sabbat, c'est-à-dire le jour de la prière publique. Ils ont outre cela deux fêtes solennelles : la première appelée la fête des victimes, qui se fait le dixième jour du dernier mois de leur année ; la seconde est celle du bairam, qui termine le ramadhan ou carême. Voyez BAIRAM et RAMADHAN.

FETES DES CHINOIS. Ces peuples célebrent deux fêtes solennelles dans l'année, en mémoire de Confucius, et d'autres moins solennelles en d'autres jours de l'année. Ils offrent aussi deux fois l'an des sacrifices solennels aux esprits de leurs ancêtres défunts, et d'autres moins solennels chaque mois dans la nouvelle et dans la pleine lune, le premier jour de l'an, et dans les solstices. Le quinzième jour de la première lune de leur année, ils allument, en signe de fête, un grand nombre de feux et de lanternes. Le cinquième jour de la cinquième lune, et le quinzième jour de la huitième, sont encore pour eux des jours de fêtes. Voyez CHINOIS. Les indiens orientaux font aussi des solennités, tant en autonne que dans les autres saisons, en l'honneur de leurs idoles. Les sauvages d'Amérique ont aussi les leurs. Voyez FETES DES MORTS. Enfin il n'est point de peuple qui n'ait eu ses fêtes, pour peu qu'il ait professé quelque religion. (G)

FETES DES CHRETIENS, (Histoire ecclésiastique) Les fêtes prises en général et dans leur institution, sont proprement des jours de réjouissance établis dans les premiers temps pour honorer les princes et les héros, ou pour remercier les dieux de quelque événement favorable. Telles étaient les fêtes chez les peuples policés du paganisme, et telle est à-peu-près l'origine des fêtes parmi les Chrétiens ; avec cette différence néanmoins, que, dans l'institution de nos fêtes, les pasteurs ont eu principalement en vue le bien de la religion et le maintien de la piété.

En révérant par des fêtes des hommes qu'une vie sainte et mortifiée a rendus recommandables, ils ont voulu nous proposer leur exemple, et nous rappeler le souvenir de leurs vertus ; mais surtout en instituant leurs fêtes, ils ont voulu consacrer les grands événements de la religion ; événements par lesquels Dieu nous a manifesté ses desseins, sa bonté, sa puissance. Telles sont dans le Christianisme la naissance du Sauveur, et sa résurrection ; telles sont encore l'ascension, la descente du S. Esprit, etc.

Les fêtes, qui n'étaient pas d'abord en grand nombre, se multiplièrent dans la suite à l'excès ; à la fin tout le monde en a senti l'abus. Ce fut l'un des premiers objets de réforme parmi les Protestants. On a de même supprimé bien des fêtes parmi les Catholiques ; et il semble que l'usage soit aujourd'hui de les retrancher presque partout. Ces changements au reste se font tous les jours par les évêques, sans que l'église ni le gouvernement aient rien déterminé là-dessus ; ce qui serait néanmoins beaucoup plus convenable, pour établir l'uniformité du culte dans les différents diocèses.

Quand l'esprit de piété n'anime point les fidèles dans la célébration des fêtes, ce qui n'est que trop ordinaire aujourd'hui parmi nous, il est certain qu'elles nuisent sensiblement à la religion ; c'est une vérité que Dieu a pris soin d'annoncer lui-même par la bouche d'Isaïe, et que M. Thiers, entr'autres modernes, a bien développée de nos jours.

On n'a pas démontré de même, quant à l'intérêt national, à quel point le public était lésé dans la cessation des travaux, prescrite aux jours de fêtes. C'est là néanmoins une discussion des plus intéressantes ; et c'est à quoi cet article est principalement destiné.

Les biens physiques et réels, je veux dire les fruits de la terre et toutes les productions sensibles de la nature et de l'art, en un mot les biens nécessaires pour notre subsistance et notre entretien, ne se produisent point d'eux-mêmes, surtout dans ces climats ; la providence les a comme attachés et même proportionnés au travail effectif des hommes. Il est visible que si nous travaillons davantage, nous augmenterons par cela même la quantité de nos biens ; et cette augmentation sera plus sensible encore, si nous faisons beaucoup moins de dépense. Or je trouve qu'en diminuant le nombre des fêtes, on remplirait tout-à-la-fais ces deux objets ; puisque multipliant par-là les jours ouvrables, et par conséquent les produits ordinaires du travail, on multiplierait à proportion toutes les espèces de biens, et de plus on sauverait des dépenses considérables, qui sont une suite naturelle de nos fêtes ; sur quoi je fais les observations suivantes.

On compte environ trente-sept fêtes à Paris, mais il y en a beaucoup moins en plusieurs provinces. Après une suppression qui s'est faite dans quelques diocèses, il s'y en trouve encore vingt-quatre : partons de ce point-là, et supposons vingt-quatre fêtes actuellement chommées dans tout le royaume. Maintenant je suppose qu'on ne réserve que le lundi de Pâque, l'Ascension, la Notre-dame d'Aout, la Toussaint, et le jour de Noë, je suppose ; dis-je, qu'on laisse ces cinq fêtes telles à-peu-près qu'elles sont à présent, et qu'on transporte les autres au dimanche.

On sait qu'il est consacré par-tout aux plus grandes fêtes de l'année, telles que Pâque, la Pentecôte, la Trinité : les autres fêtes les plus solennelles, comme Noel, la Circoncision, l'Epiphanie, l'Assomption, la Toussaint, se chomment également le dimanche, quand elles tombent ce jour-là, sans qu'on y trouve aucun inconvénient.

Je m'imagine donc que les plus religieux ne désapprouveront pas l'arrangement proposé, surtout si l'on se rappelle que la loi d'un travail habituel et pénible fut la première et presque la seule imposée à l'homme prévaricateur, et qu'elle entre ainsi beaucoup mieux que les fêtes dans le système de la vraie piété. Maledicta terra in opère tuo ; in laboribus comèdes ex eâ cunctis diebus vitae tuae.... in sudore vultus tui vesceris panne. Genèse, 3. 17. 19. En effet, l'établissement arbitraire de nos fêtes n'est-il pas une violation de la loi divine qui nous assujettit à travailler durant six jours, sex diebus operaberis ? Exode 20. 9. Et peut-il être permis à l'homme de renverser un ordre que Dieu a prescrit lui-même, ordre d'ailleurs qui tient essentiellement à l'économie nationale ? ce qui est au reste si notoire et si constant, que si les supérieurs ecclésiastiques instituaient de nos jours de nouvelles fêtes, de même que des jeunes, des abstinences, etc. le ministère public, plus éclairé qu'autrefois, ne manquerait pas d'arrêter ces entreprises, qui ne peuvent avoir lieu qu'après une discussion politique, et de l'aveu du gouvernement ; et qui ne se sont formées pour la plupart que dans les premiers accès d'une ferveur souvent mal ordonnée, ou dans ces siècles d'ignorance et de barbarie, qui n'avaient pas de justes notions de la piété.

Au surplus, il est certain qu'en considérant les abus inséparables des fêtes, la transposition que je propose est à désirer pour le bien de la religion ; attendu que ces saints jours consacrés par l'Eglise à la piété, deviennent dans la pratique des occasions de crapule et de libertinage, souvent même de batteries et de meurtres ; excès déplorables qui font dire à Dieu par Isaïe, et cela sur le même sujet : " A quoi bon tant de victimes ? Que sert de répandre pour moi le sang des animaux ? Ce n'est point-là ce que j'exige de vous ; j'abhorre vos sacrifices, vos cérémonies, vos fêtes, le sabbat même tel que vous l'observez ; je ne vois dans tout cela que de l'abus et du désordre capable d'exciter mon indignation. En vain vous éleverez les mains vers moi, ces mains sont souillées de sang, je n'écouterai point vos prières ; mais purifiez votre cœur, ne méditez plus de projets iniques, cessez d'être méchants et pervers, observez la justice, pratiquez la bienfaisance, secourez les opprimés, défendez la veuve et l'orphelin ; après cela venez à moi, venez en toute assurance, et quand vous seriez tout noircis de crimes, je vous rendrai plus blancs que la neige ". Quò mihi multitudinem victimarum vestrarum, dicit Dominus... ? Quis quaesivit haec de manibus vestris... ? incensum abominatio est mihi. Neomeniam et sabbatum et festivitates alias non feram, iniqui sunt coetus vestri ; calendas vestras et solennitates vestras odivit anima mea.... Cum extenderitis manus vestras, avertam oculos meos à vobis ; cum multiplicaveritis orationem, non exaudiam, manus enim vestrae sanguine plenae sunt. Lavamini, mundi estote, auferte malum cogitationum vestrarum ab oculis meis, quiescite agère perversè, discite benefacère, quaerite judicium, subvenite oppresso, judicate pupillo ; defendite viduam ; et venite et arguite me, dicit Dominus. Si fuerint peccata vestra ut coccinum, quasi nix dealbabuntur ; et si fuerint rubra quasi vermiculum, velut lana alba erunt. Si volueritis et audieritis me, bona terrae comedetis. Quod si nolueritis et me ad iracundiam provocaveritis, gladius devorabit vos, quia os Domini locutum est. Isaïe, ch. j. Ve 11, 12, 13, 14, &c.

Qui ne voit par-là que nos fêtes, dès-là qu'elles sont profanées par le grand nombre, nous éloignent véritablement du but qu'on s'est proposé dans leur institution ?

Mais du reste en les portant comme on a dit aux dimanches, les âmes pieuses s'en occuperaient comme auparavant, et comme elles s'en occupent dès-à-présent toutes les fois qu'elles tombent ces jours-là. Rien ne convient mieux en effet pour sanctifier le jour du Seigneur, que d'y faire mémoire des Saints, de les invoquer, chanter leurs louanges ; leur gloire est celle de Dieu même : mirabilis Deus in Sanctis suis. Psaumes 67. On peut donc remplir ces pieux devoirs au jour du dimanche, sans perdre civilement des jours que Dieu a destinés au travail. Sex diebus operaberis. Revenons à notre calcul.

Supposant comme on a dit, vingt-quatre fêtes pour tout le royaume, et les chommant désormais le dimanche, à l'exception des cinq des plus solennelles, c'est dix-neuf fêtes épargnées en faveur de nos travaux ; cependant comme il en tombe toujours quelques-unes au dimanche, ce qui les diminue d'autant, ne comptons que sur seize journées acquises par la transposition des fêtes.

Nous pouvons évaluer les journées pour hommes et pour femmes dans les campagnes éloignées à six sous prix commun pour toutes les saisons, et c'est mettre les choses fort au-dessous du vrai. Mais, la bonne moitié de nos travailleurs, je veux dire tous ceux qui sont employés dans les villes considérables et dans les campagnes qui en sont voisines, tous ceux-là, dis-je, gagnent au moins du fort au faible quatorze sous par jour. Mettons donc quatorze sous pour la plus forte journée, et six sous pour la plus faible, c'est-à-dire dix sous pour la journée commune.

Nous pouvons mettre au moins cinq sous de perte réelle pour un travailleur, en ce qu'il dépense de plus aux jours de fêtes, pour la parure, pour la bonne chère et la boisson ; article important, et qui pourrait être porté plus haut, puisqu'une fête outre la perte et les dépenses du jour, entraîne bien souvent son lendemain. Voilà donc du plus au moins à toute fête quinze sous de vraie perte pour chaque travailleur ; or quinze sous multipliés par seize fêtes qu'on suppose transportées au dimanche, font pour lui une perte actuelle de douze francs toutes les années.

Je conviens qu'il peut y avoir quelques ouvriers et autres petites gens, surtout dans les campagnes, qui en non-travail et surcrait de dépenses, ne perdent pas quinze sous par jour de fête ; mais combien en trouvera-t-on d'autres qui perdent infiniment davantage ? Un bon ouvrier dans les grandes villes, un homme qui travaille avec des compagnons, un chef, un maître de manufacture, un voiturier que le respect d'une fête arrête avec ses chevaux, un laboureur qui perd une belle journée, et qui, au milieu de l'ouvrage demeure à rien faire lui et tout son monde, un maître maçon, un maître charpentier, etc. tous ces gens-là, dis-je, comptant le non-travail et l'augmentation de dépense ne perdent-ils que quinze sous par jour de fête ? D'autre côté les négociants, les gens de plume et d'affaires, qui tous profitent moins pendant les fêtes ; et qui font eux et leur famille beaucoup plus de dépense, ne perdent-ils aussi que quinze sous chacun ? On en jugera sans peine, pour peu qu'on connaisse leur façon de vivre.

Maintenant sur dix-huit à vingt-millions d'ames que l'on compte dans le royaume, supposons huit millions de travailleurs, y compris les artisans, manufacturiers, laboureurs, vignerons, voituriers, marchands, praticiens, gens d'affaires, etc. y compris encore un grand nombre de femmes tant marchandes qu'ouvrières, qui toutes perdent aux fêtes à-peu-près comme les hommes. Or s'il y a huit millions de travailleurs en France à qui l'on puisse procurer de plus tous les ans seize jours de travail et d'épargne, à quinze sous par jour, ou comme on a Ve à douze francs par année, c'est tout d'un coup quatre-vingt-seize millions de livres que les fêtes nous enlèvent, et que nous gagnerions annuellement si l'on exécutait ce que je propose.

En effet, l'argent n'entrant dans le royaume, et surtout les biens physiques ne s'y multipliant qu'à proportion du travail et de l'épargne, nous les verrons croitre sensiblement dès que nous travaillerons davantage, et que nous dépenserons moins. Conséquemment tous nos ouvrages, toutes nos marchandises et denrées deviendront plus abondantes et à meilleur compte, et nos manufactures ne seront pas moins fructueuses que celles des Anglais, des Allemands, et des Hollandais, à qui la suppression des fêtes est devenue extrêmement profitable.

Au reste, outre la perte du temps et les frais superflus qui s'ensuivent de nos fêtes, elles dérangent tellement les foires et les marchés, que les commerçans voituriers et autres ne savent bien souvent à quoi s'en tenir là-dessus ; ce qui cause immanquablement de l'inquiétude et du dommage ; au lieu que si nos fêtes étaient supprimées ou mises au dimanche ; les marchés ordinaires ne seraient plus dérangés. A l'égard des foires qui suivraient les fêtes transposées, on pourrait les fixer au lundi d'après chaque fête, elles y seraient beaucoup mieux qu'aux jours maigres qui ne sont jamais commodes pour la tenue des foires.

Quoi qu'il en soit ; il est certain que les fêtes nuisent plus qu'on ne saurait dire à toutes sortes d'entreprises et de travaux, et qu'elles contribuent même à débaucher les ouvriers : elles leur fournissent de fréquentes occasions de s'enivrer ; et l'habitude de la crapule une fois contractée, se réveille malheureusement au milieu même de leur occupation ; on ne l'éprouve que trop tous les jours, pour peu qu'on fasse travailler. On voit avec chagrin que les ouvrages languissent, et que rien ne se finit qu'avec beaucoup de lenteur ; le tout au grand dommage du public, sur qui tombent ces retardements et ces pertes. On peut dire encore que la décision des procès et l'expédition des autres affaires souffrent beaucoup des fêtes, et il n'est pas jusqu'aux études classiques qui n'en soient fort dérangées.

Les Arméniens, en partie catholiques, et tous négociants des plus habiles, sentant le préjudice que leur causaient les fêtes, les ont toutes mises au dimanche, à l'exception de quatre. Voyez état présent de l'Empire ottoman, page 406. Une disposition semblable fut proposée à Rome en 1741 ou 1742 ; et après une discussion de plusieurs années sur cette matière importante, le pape Benait XIV. à-présent regnant, a laissé toute liberté en Italie de retrancher ou de modifier le nombre des fêtes : c'est pourquoi, disent des journalistes non suspects en cette matière, " plusieurs évêques de ce pays-là ont considéré que les dimanches et quatre ou cinq grandes solennités suffisaient au peuple, et qu'il ne fallait pas lui laisser dans une multitude d'autres fêtes, le prétexte ou l'occasion de perdre son temps, son argent, son innocence, et le fruit de l'instruction des pasteurs. En conséquence, nous dit-on, les retranchements ont été faits ; et après quelques petites contradictions, qui étaient le cri de la coutume plutôt que de la piété, tout le monde a été content ". Journ. de Trév. I. vol. de Mai 1754.

Pareil retranchement s'est fait dans les états du roi de Prusse et dans les Pays-Bas catholiques (Gazette de France, 21 Aout 1751) : un autre enfin tout récemment dans l'Autriche et pays héréditaires, où l'on a supprimé tout-d'un-coup vingt-quatre fêtes (Mercure d'Avril 1754) ; de sorte que dans tout le monde chrétien nous sommes aujourd'hui presque les seuls esclaves sur cela de l'ignorance et de la coutume ; et qu'ainsi nos voisins, si glorieux autrefois de nous imiter, ne veulent plus nous laisser que l'honneur de marcher sur leurs traces.

Supposé donc l'abus des fêtes une fois bien reconnu, je crois, sauf meilleur avis, que la distribution suivante serait tout ensemble commode et raisonnable ; et pour commencer par la Circoncision, elle sera fixée au premier dimanche de Janvier ; les Rois seront fêtés le second dimanche du même mois ; sainte Génevieve sera mise au dimanche suivant.

La Purification viendra toujours le premier dimanche de Février, S. Matthias le dernier dimanche du même mois. L'Annonciation sera chommée le premier dimanche ou tel autre que l'on voudra du mois de Mars.

Au surplus on fêtera le lundi de Pâque, afin de procurer du loisir aux peuples pour satisfaire au devoir pascal : c'est ainsi qu'en ont usé quelques évêques. Mais pour ce qui est de la Pentecôte, il n'y aura pas plus de fêtes qu'à la Trinité ; et cela, comme on l'a dit, parce que ce temps, si propre pour toutes sortes de travaux, devient, au moyen des fêtes, un temps de plaisir, d'excès et de libertinage ; ce qui nuit également aux bonnes mœurs et à l'économie publique : Neomeniam et sabbatum, et festivitates alias non feram ; iniqui sunt coetus vestri. Isaïe j. 13.

La fête de S. Jacques et S. Philippe tombera au premier dimanche de Mai. On ne touchera point à l'Ascension ; mais la Fête-Dieu sera transportée au dimanche d'après la Trinité, et la petite Fête-Dieu au dimanche suivant.

La S. Jean viendra le dernier dimanche de Juin, et la S. Pierre le premier dimanche de Juillet, S. Jacques et S. Christophe le dernier dimanche du même mois.

La fête de S. Laurent se chommera le premier dimanche du mois d'Aout ; l'Assomption sera mise au samedi suivant ; et le vendredi, veille de la fête, sera jeune à l'ordinaire. S. Barthelemi et S. Louis seront fêtés les deux derniers dimanches du même mois.

La Nativité vient naturellement le premier dimanche de Septembre ; S. Matthieu et S. Michel, les deux derniers dimanches du même mois. S. Denis et S. Simon seront chommés en deux dimanches d'Octobre.

La fête de tous les Saints sera fixée au samedi qui précédera le premier dimanche de Novembre, et les Trépassés au lendemain, ou, si l'on veut, au lundi subséquent ; mais avec ordre de la police d'ouvrir de bonne-heure les ateliers et les boutiques. Saint Marcel, S. Martin et S. André se chommeront aussi le dimanche, et dans le mois de Novembre. La Conception, S. Thomas, S. Etienne et S. Jean occuperont les dimanches du mois de Décembre.

Les Innocens seront supprimés par-tout, comme ils le sont déjà dans plusieurs diocèses ; mais le jour de Noë sera fêté séparément le samedi, veille du dernier dimanche de l'année. Au reste la raison de convenance pour fixer les plus grandes fêtes au samedi, c'est pour en augmenter la solennité en les rapprochant du dimanche, et surtout pour faire tomber le jeune au vendredi.

Les fêtes de patron peuvent aussi être chommées le dimanche ; et feu M. Languet, curé de S. Sulpice, en a donné l'exemple à tout Paris. Plut au ciel que les curés et autres supérieurs ecclésiastiques voulussent bien établir partout la même pratique ! Du reste plusieurs paroisses ont deux patrons, et conséquemment deux fêtes : mais, en bonne foi, c'en est trop, et rien n'est plus nuisible pour les gens laborieux : on pourrait en épargner une, indépendamment de toute autre nouveauté, en fêtant les deux patrons dans un seul jour.

Je ne dois pas oublier un abus qui mériterait bien l'attention de la police : c'est que les communautés des arts et du négoce ne manquent point de fermer boutique le jour de leur prétendue fête, il y a même des communautés qui en ont deux par an ; et quoiqu'il n'y ait rien de plus arbitraire que de pareilles institutions, elles font payer une amende à ceux de leur corps qui vendent ou qui travaillent ces jours-là. Si ce n'est pas là de l'abus, j'avoue que je n'y connais rien. Je voudrais donc rejeter ces sortes de fêtes au dimanche, ou mieux encore les supprimer tout à fait, attendu qu'elles sont toujours moins favorables à la piété qu'à la fainéantise et à l'ivrognerie : iniqui sunt coetus vestri, calendas vestras et solennitates vestras odivit anima mea. Isaïe j. 13.

On me permettra bien de dire un mot des fêtes de palais, et surtout des fêtes de collège, du lundi, des processions du recteur, etc. Tout cela n'est appuyé, ce me semble, que sur le penchant que nous avons à la paresse ; mais tout cela n'entre point dans l'esprit des fondateurs, et ne s'accorde point avec le service du public. Il vaudrait mieux faire son devoir et son métier, veiller, instruire et former la jeunesse, que de s'amuser, comme des enfants, à faire des processions et des tournées qui embarrassent la voie publique, et qui ne sont d'aucune utilité. Encore serait-ce demi-mal, si l'on y employait des fêtes ou des congés ordinaires ; mais on s'en donne bien de garde : la tournée ne serait pas complete , si l'on ne perdait un jour entier à la faire, sans préjudice de tant d'autres congés qui emportent la meilleure partie de l'année, et qui nuisent infiniment au bien des études et à l'institution des mœurs.

Au reste, l'arrangement qu'on a Ve ci-devant, est relatif aux fêtes chommées à Paris : mais s'il se fait là-dessus un règlement pour tout le royaume, il sera aisé d'arranger le tout pour le mieux et d'une manière uniforme. En général, il est certain que moins il y aura de fêtes, plus on aura de respect pour les dimanches et pour les fêtes restantes, et surtout moins il y aura de misérables. Une grande commodité qui s'ensuivrait pour le public, c'est que les jeunes qui précédent les fêtes, tomberaient toujours le vendredi ou le samedi, et conséquemment s'observeraient avec moins de répugnance que lorsqu'ils viennent à la traverse au milieu des jours gras : outre que ce nouvel ordre fixant la suite du gras et du maigre, ce serait, en considérant les choses civilement, un avantage sensible pour le ménage et pour le commerce, qui seraient en cela moins dérangés.

J'observerai à cette occasion, qu'au lieu d'entremêler, comme on fait, les jours gras et les jours maigres, il conviendrait, pour l'économie générale et particulière, de restraindre aux vendredis et samedis tous les jours de jeune et d'abstinence, non compris le carême.

On pourrait donc, dans cette vue de commodité publique, supprimer l'abstinence des Rogations, aussi-bien que celle de S. Marc. Quant aux processions que l'on fait ces jours-là, on devrait, pour le bien des travailleurs, les rejeter sur autant de dimanches, dont le loisir, après tout, ne saurait être mieux rempli que par ces exercices de piété.

A l'égard du maigre qu'on nous épargnerait, je trouve, si l'on veut, une compensation facîle ; ce serait de rétablir dans tout le royaume l'abstinence de cinq ou six samedis qu'il y a de Noë à la Purification.

Quant aux jeunes, il me semble, Ve le relâchement des Chrétiens, qu'il y en a trop aujourd'hui, et qu'il en faudrait supprimer quelques-uns ; par exemple, ceux de S. Laurent, S. Matthieu, S. Simon et S. André, aussi-bien que les trois mercredis des quatre-temps de la Trinité, de la S. Michel et de Noë : pour lors il n'y aurait plus, outre le carême, que douze jours de jeune par année ; savoir six jours pour les quatre-temps, et six autres jours pour les vigiles de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre, de l'Assomption, de la Toussaint, et de Noë.

Ainsi, hors le carême qui demeure en son entier, on ne verrait que les vendredis et samedis sujets au jeune et au maigre ; arrangement beaucoup plus supportable, et qui nous exposerait moins à la transgression du précepte, ce qui est fort à considérer pour le bien de la religion et la tranquillité des consciences.

J'ajoute enfin que pour procurer quelque douceur aux pauvres peuples, et pour les soulager, autant qu'il est possible, en ce qui est d'institution arbitraire, nos magistrats et nos évêques, loin d'appesantir le joug de Jesus-Christ, devraient concourir une bonne fois pour assurer l'usage des œufs en tout temps : j'y voudrais même joindre l'usage de la graisse, lequel pourrait être permis en France, comme il l'est, à ce qu'on dit, en Espagne et ailleurs. Et, pour parler en chrétien rigide, il vaudrait mieux défendre dans le jeune toutes les liqueurs vineuses, de même que le café, le thé, le chocolat ; interdire alors les cabarets aux peuples, hors les cas de nécessité, que de leur envier de la graisse et des œufs. Ils ont communément ces denrées pour un prix assez modique, au lieu qu'ils ne peuvent guère atteindre au beurre, encore moins au poisson, et que les moindres légumes sont souvent rares et fort chers ; ce qui ferait peut-être une raison pour fixer la fête de Pâque au premier dimanche de Mai, dans la vue de rapprocher le carême des herbes et légumes du printemps.

A l'égard des grands et des riches de toutes conditions et de toutes robes, ces sortes de lois ne sont pas proprement faites pour eux ; et si quelques-uns se privent de certains mets, ils savent bien d'ailleurs s'en procurer d'excellents : alligant onera gravia. Matth. xxiij. 4.

N'en disons pas davantage ; et concluons que pour diminuer le scandale des transgressions, pour tranquilliser les âmes timorées, et surtout pour l'aisance et la douceur d'une vie d'ailleurs remplie d'amertume, le libre usage de la graisse et des œufs doit être établi par-tout, et pour tous les temps de l'année.

Je dois encore remarquer ici que la transposition des fêtes serait un objet d'économie pour la fabrique des églises, puisqu'il y aurait moins de dépense à faire en cire, ornements, service, etc. Il s'ensuivrait encore un autre avantage considérable, en ce que ce serait un moyen de rendre simple et uniforme l'office divin. En effet, comme il n'y a pas d'apparence que pour une fête ainsi transposée on changeât sensiblement l'office ordinaire du dimanche, il est à croire qu'on y laisserait les mêmes pseaumes et autres prières qu'on y fait entrer, et qu'il n'y aurait de changement que pour les oraisons et les hymnes appropriées aux fêtes.

Ce serait pareillement une occasion favorable pour réformer le bréviaire, le chant, et les cérémonies, tant des paroisses que des communautés et collégiales.

Tout cela aurait besoin de révision, et pourrait devenir plus simple et plus uniforme ; d'autant mieux que les arrangements proposés se faisant de l'autorité du roi et des évêques, seraient en conséquence moins confus et moins variables. Il n'est pas douteux que ces changements n'inspirassent plus de respect, et ne donnassent plus de goût pour le service divin ;au lieu que les variétés bizarres qu'on y voit aujourd'hui, formant une espèce de science peu connue des fidèles, je dis même des gens instruits, plusieurs se dégoutent de l'office paroissial, et perdent les précieux fruits qu'ils en pourraient tirer. A quoi contribue bien encore le peu de commodité qu'il y a dans nos églises ; il y manque presque toujours ce qui devrait s'y trouver gratis pour tout le monde, je veux dire le moyen d'y être à l'aise, et proprement assis ou à genoux.

En effet n'est-on pas un peu scandalisé de voir l'attention de nos pasteurs à se procurer leurs aises et leurs commodités dans les églises, et de voir en même temps leur quiétude et leur indifférence sur la position incommode et peu décente où s'y trouvent la plupart des fidèles, ordinairement pressés et coudoyés dans la foule, étourdis par le bruit des cloches et des orgues, importunés par des mendiants, interpellés pour des chaises, enfin mis à contribution par des quêteuses jeunes et brillantes ? Qui pourrait compter avec cela sur quelques moments d'attention ?

J'ajouterai à ces réflexions, que les messes en plusieurs églises ne sont point assez bien distribuées ; il arrive souvent qu'on en commence deux ou trois à-la-fais, et qu'ensuite il se passe un temps considérable sans qu'on en dise : de sorte qu'un voyageur, une femme occupée de son ménage, et autres gens semblables, ne trouvent que trop de difficulté pour satisfaire au précepte.

On dirait à voir certains célébrants, qu'ils regardent la messe comme une tâche rebutante et pénible dont il faut se libérer au plus vite, et sans égard pour la commodité des fidèles.

Quelqu'un s'étant plaint de ce peu d'attention dans une communauté près de Paris, on lui répondit honnêtement, que la communauté n'était pas faite pour le public. Il ne s'attendait pas à cette réponse, et il en fut fort scandalisé : mais c'est tout ce qu'il en arriva, et les choses allèrent leur train à l'ordinaire. Une conduite si peu religieuse et si peu chrétienne nuit infiniment à la piété.

Une dernière observation que je fais sur les arrangements exposés ci-dessus, c'est qu'ils ôteraient tout prétexte, ce me semble, à la plupart des railleries et des reproches que font les Déistes et les Protestants sur la religion. On sait que s'ils attaquent cette religion sainte, c'est moins dans ses fondements inébranlables, que dans sa forme et dans ses usages indifférents : or toutes les propositions de ce mémoire tendent à leur ôter les occasions de plainte et de murmure. Aussi bien convaincu que les pratiques arbitraires, usitées dans l'église romaine, lui ont plus attiré d'ennemis que tous les articles de la créance catholique, je pense, à l'égard des Protestants, que si l'on se rapprochait un peu d'eux sur la discipline, ils pourraient bien se rapprocher de nous sur le dogme.

Première objection. Le grand avantage que vous envisagez dans la suppression des fêtes, c'est l'épargne des dépenses superflues qui se font ces jours-là, et que l'on éviterait, dites-vous, en rejetant les fêtes au dimanche : mais cette épargne prétendue est indifférente à la société, d'autant que l'argent déboursé par les uns, Ve nécessairement au profit des autres, je veux dire à tous ceux qui travaillent pour la bonne chère et la parure, pour les amusements, les jeux, et les plaisirs. L'un gagne ce que l'autre est censé perdre, et par-là tout rentre dans la masse. Ainsi le dommage que vous imaginez dans certaines dépenses, et le gain que vous croyez apercevoir dans certaines épargnes, sont absolument chimériques.

REPONSE. La grande utilité que j'envisage dans l'exécution de mon projet, n'est point l'épargne qu'on gagne par la suppression des fêtes, puisque je ne la porte qu'au tiers du gain total que je démontre. En effet j'estime à dix sous par jour de fête la perte que fait chaque travailleur par la cessation des travaux, et je ne mets qu'à cinq sous l'augmentation de dépense : ainsi l'épargne dont il s'agit n'est que la moindre partie des avantages qu'on trouverait dans la diminution des fêtes. La principale utilité d'un tel retranchement, consiste dans l'augmentation des travaux, et conséquemment des fruits qu'un travail continu ne peut manquer de produire. Mais indépendamment de ce défaut dans l'objection, je soutiens quant au fond, que le raisonnement qu'on oppose là-dessus est frivole et mal fondé : car enfin la question dont il s'agit ne roule point sur l'argent qui se dépense durant les fêtes, et que je veuille épargner en faveur du public. Il est bien certain que l'argent circule et qu'il passe d'une main à l'autre dans le commerce des amusements et des plaisirs ; mais tout cela ne produit rien de physique, et n'empêche point la perte générale et particulière qu'entraîne toujours le divertissement et l'oisiveté. Si chacun pouvait se réjouir et dépenser à son gré, sans que la masse des biens diminuât, ce serait une pratique des plus commodes : malheureusement cela n'est pas possible ; on voit au contraire que des dépenses inutiles et mal-placées, loin de soutenir le commerce et l'opulence générale, ne produisent au vrai que des anéantissements et de la ruine : le tout indépendamment de l'espèce, qui ne sert en tout cela que de véhicule.

Et qu'on ne dise point, comme c'est l'ordinaire, que les amusements, les jeux, les festins, etc. occupent et font vivre bien du monde, et qu'ils produisent par conséquent une heureuse circulation : car c'est une raison pitoyable. Avec ce raisonnement, on Ve montrer que la plupart des pertes et des calamités publiques et particulières, sont de vrais biens politiques.

La guerre qu'on regarde comme un fléau, n'est plus un malheur pour l'état, puisqu'enfin elle occupe et fait vivre bien du monde. Une maladie contagieuse qui desole une ville ou une province, n'est point encore un grand mal, Ve qu'elle occupe avec fruit tous les suppôts de la Médecine, etc. et suivant le même raisonnement, celui qui se ruine par les procès ou par la débauche, se rend par-là fort utîle au public, d'autant qu'il fait le profit de ceux qui servent ses excès ou ses folies ; que dis-je, un incendiaire en brulant nos maisons mérite des récompenses, attendu qu'il nous met dans l'heureuse nécessité d'employer bien du monde pour les rétablir, et un machiniste, au contraire, en produisant des facilités nouvelles pour diminuer le travail et la peine dans les gros ouvrages, ne peut mériter que du blâme pour une malheureuse découverte qui doit faire congédier plusieurs ouvriers.

Pour moi je pense que l'enrichissement d'une nation est de même nature que celui d'une famille. Comment devient-on riche pour l'ordinaire ? Par le travail et par l'économie ; travail qui enfante de nouveaux biens ; économie qui sait les conserver et les employer à-propos. Ce n'est pas assez pour enrichir un peuple, de lui procurer de l'occupation. La guerre, les procès, les maladies, les jeux, et les festins occupent aussi réellement que les travaux de l'agriculture, des fabriques, ou du commerce : mais de ces occupations les unes sont fructueuses et produisent de nouveaux biens, les autres sont stériles et destructives.

Je dis plus, quand même le goût du luxe et des superfluités ferait entrer de l'argent dans le royaume, cela ne prouverait point du tout l'accroissement de nos richesses, et n'empêcherait pas les dommages qui suivent toujours la dissipation et la prodigalité. Voilà sur cela mon raisonnement.

L'Europe entière possède au moins trois fois plus d'espèces qu'elle n'en avait il y a trois cent ans ; elle a même pour en faciliter la circulation bien des moyens qu'on n'avait pas encore trouvés. L'Europe est-elle à proportion plus riche qu'elle n'était dans ces temps-là ? Il s'en faut certainement beaucoup. Les divers états, royaumes, ou républiques, ne connaissaient point alors les dettes nationales ; presque tous aujourd'hui sont obérés à ne pouvoir s'en relever de longtemps. On ne connaissait point aussi pour lors ce grand nombre d'impositions dont les peuples d'Europe sont chargés de nos jours.

Les arts, les métiers, les négoces étaient pour tout le monde d'un abord libre et gratuit ; au lieu qu'on n'y entre à-présent qu'en déboursant des sommes considérables. Les offices et les charges de judicature, les emplois civils et militaires étaient le fruit de la faveur ou du mérite ; maintenant il faut les acheter, si l'on y veut parvenir : par conséquent il était plus facîle de se donner un état, et de vivre à son aise en travaillant ; et dès-là il était plus facîle de se marier et d'élever une famille. On sent qu'il ne fallait qu'être laborieux et rangé. Qu'il s'en faut aujourd'hui que cela suffise !

Je conclus de ces tristes différences, que nous sommes réellement plus agités, plus pauvres, plus exposés aux chagrins et aux miseres, en un mot moins heureux et moins opulents, malgré les riches buffets et les tas d'or et d'argent si communs de nos jours.

L'acquisition des métaux précieux, ni la circulation des espèces ne sont donc pas la juste mesure de la richesse nationale ; et comme je l'ai dit, ce n'est point sur cela que doit rouler la question présente.

Il s'agit simplement de savoir si le surcrait de dépense qui se fait toujours pendant les fêtes, n'occasionne pas quelque diminution des biens réels ; et si les excès, les festins, et autres superfluités communes en ces sortes de jours, bien que profitables à quelques particuliers, ne sont pas véritablement dommageables à la société : sur quoi l'on peut établir comme un axiome de gouvernement, que l'augmentation ou la diminution des biens physiques, est la mesure infaillible de l'enrichissement ou de l'appauvrissement des états ; et qu'ainsi un travail continu de la part des sujets augmentant à coup sur la quantité de ces biens, doit être beaucoup plus avantageux à la nation, que les superfluités et les dépenses qui accompagnent les fêtes parmi nous.

Il est visible en effet, qu'une portion considérable des biens les plus solides se prodigant chez nous durant les fêtes, la masse entière de ces vrais biens est nécessairement diminuée d'autant ; perte qui se répand ensuite sur le public et sur les particuliers : car il n'est pas vrai, comme on le dit, que l'un gagne tout ce que l'autre dépense. Le buveur, l'homme de bonne-chère et de plaisir, qui dissipe un louis mal-à-propos, perd à la vérité son louis à pur et à plein ; mais le cabaretier, le traiteur qui le reçoit, ne le gagne pas également : à peine y fait-il un quart ou un cinquième de profit, le reste est en pure perte pour la société. En un mot toute consommation de vivres ou d'autres biens dont on use à contretemps et dont on prive souvent sa famille, devient une véritable perte que l'argent ne répare point en passant d'une main à l'autre : l'argent reste, il est vrai ; mais le bien s'anéantit. Il en résulte que si par la suppression des fêtes nous étions tout-à-coup délivrés des folles dépenses qui en sont la suite inévitable, ce serait sans contredit une épargne fructueuse et une augmentation sensible de notre opulence ; outre que les travaux utiles, alors beaucoup mieux suivis qu'à présent, produiraient chez nous une abondance générale.

Pour mieux développer cette vérité, supposons que la nation française dépensât durant une année moitié moins de toute sorte de biens ; que néanmoins les choses fussent arrangées de façon que chacun travaillât moitié davantage ou moitié plus fructueusement, et qu'en conséquence toutes les productions de nos terres, fabriques, et manufactures, devinssent deux ou trois fois plus abondantes ; n'est-il pas visible qu'à la fin d'une telle année la nation se trouverait infiniment plus à l'aise, ou pour mieux dire, dans l'affluence de tous biens, quand même il n'y aurait pas un sou de plus dans le royaume ?

Si cet accroissement de richesses est constant pour une année entière, il l'est à proportion pour six mois, pour quatre, ou pour deux ; et il l'est enfin à proportion pour tant de fêtes qu'il s'agit de supprimer, et qui nous ôtent à Paris un douzième des jours ouvrables. En un mot, il est également vrai dans la politique et dans l'économie, également vrai pour le public et pour les particuliers, que le grand moyen de s'élever et de s'enrichir est de travailler beaucoup, et d'éviter la dépense : c'est par ce louable moyen que des nations entières se sont agrandies, et c'est par la même voie que tant de familles s'élèvent encore tous les jours. Voyez EPARGNE.

Mais, poursuit-on, qu'on dise et qu'on fasse tout ce que l'on voudra, il est toujours vrai que si le public gagnait à la suppression des fêtes, certaines professions y perdraient infailliblement, comme les Cabaretiers, les Traiteurs, et les autres artisans du luxe et des plaisirs.

A cela je pourrais dire : sait, que quelques professions perdent, pourvu que la totalité gagne sensiblement. Plusieurs gagnent aux maladies populaires ; s'avise-t-on de les plaindre parce que leur gain diminue avec le mal épidémique ? Le bien et le plus grand bien national ne doit-il pas l'emporter sur ces considérations particulières ?

Au reste, je veux répondre plus positivement, en montrant que les professions que l'on croit devoir être lésées dans la suppression des fêtes, n'y perdront ou rien ou presque rien. Qui ne voit en effet que si les moindres particuliers gagnent à cette suppression, tant par l'augmentation de leurs gains que par la cessation des folles dépenses, ils pourront faire alors et feront communément une dépense plus forte et plus raisonnable ? Tel, par exemple, qui dissipe 30 sous pour s'enivrer un jour de fête, et qui en conséquence fait maigre chère et bait de l'eau le reste du temps ; au lieu de faire cette dépense ruineuse pour le ménage et pour la santé, fera la même dépense dans le cours de la semaine, et boira du vin tous les jours de travail ; ce qui sera pour lui une nourriture journalière, et une source de joie, d'union, et de paix dans sa famille.

Remarquez que les raisonnements qui sont voir en ceci l'avantage des particuliers, prouvent en même temps une augmentation de gain pour les fermiers des aides : ainsi l'on se persuade qu'ils ne seront point alarmés des arrangements que nous proposons.

Au surplus, ce que nous disons du vin se peut dire également de la viande et des autres denrées. Le surcrait d'aisance où sera chaque travailleur influera bien-tôt sur sa table ; il fera beaucoup moins d'excès à la vérité, mais fera meilleure chère tout les jours ; et les professions qui travaillent pour la bouche, loin de perdre à ce changement verront augmenter leur commerce.

J'en dis autant de la dépense des habits. Quand une fois les fêtes seront rejetées au dimanche, on aura moins de frais à faire pour l'élégance et la parure superflue ; et c'est pourquoi l'on s'accordera plus volontiers le nécessaire et le commode : et non-seulement chaque ménage, mais encore chaque branche de commerce y trouvera des utilités sensibles.

J'ajoute enfin que si ces nouveaux arrangements faisaient tort à quelques professions, c'est un si petit objet, comparé à l'économie publique et particulière, qu'il ne mérite pas qu'on y fasse attention. D'ailleurs ces pretendus torts, s'il en est, ne se font pas sentir tout d'un coup. Les habitudes vicieuses ne sont que trop difficiles à déraciner, et les réformes dont il s'agit iront toujours avec assez de lenteur : de sorte que la profession qui sera moins employée se tournera insensiblement d'un autre côté, et chacun trouvera sa place comme auparavant.

II. Objection. Vous ne prenez pas garde que vous donnez dans un relâchement dangereux ; et que dans un temps où les fidèles ne sont déjà que trop portés à secouer le joug de l'austérité chrétienne, vous faites des propositions qui ne respirent que l'aisance et la douceur de la vie.

REPONSE. Je ne vois pas sur quoi fondé l'on m'accuse de tendre au relâchement par les diverses propositions que je fais dans cet écrit : ce n'est point sans-doute sur ce que je propose de supprimer la plupart de nos fêtes ; c'est là une proposition rebattue, qui n'est pas plus de moi que de mille autres. Plusieurs de nos évêques ont déjà commencé la réforme ; &, comme on l'a dit ci-devant, presque toutes les nations chrétiennes nous ont donné l'exemple, en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas, et jusqu'en Arménie. En un mot, ce qu'il y a de moi proprement dans ce plan de la transposition des fêtes, c'est la simple exposition des avantages qui en résulteraient et pour la religion et pour l'économie publique ; avantages au reste que je n'ai point vus démontrés ailleurs.

On vous passe bien cela, dira-t-on ; mais ne proposez-vous pas l'usage perpétuel de la graisse et des œufs ? N'insinuez-vous pas encore la suppression de certains jours d'abstinence, et même de quelques jeunes prescrits par l'église ?

A l'égard de la graisse et des œufs, c'est une espèce de condescendance autorisée en plusieurs endroits, et qui se doit par justice et par humanité, à la triste situation du peuple et des pauvres : car, je l'ai dit et je le répete, cela ne fait rien aux riches de tous états et de tous ordres ; ils se mettent au-dessus de la règle pour la plupart ; et au pis aller, la mer et les rivières leur fournissent pour le maigre des mets délicats et succulents.

Il est vrai que les arrangements indiqués ci-dessus emportent l'abolition de quatre jours d'abstinence, et de six ou sept jours de jeune : mais premièrement cela vaut-il la peine d'en parler ? d'ailleurs n'ai-je pas proposé le rétablissement du maigre pour les cinq ou six samedis que l'on compte de Noë à la Chandeleur, et dans lesquels on permet le gras en plusieurs endroits du royaume ? N'ai-je pas encore proposé un jeune plus rigide et plus édifiant, lorsque j'ai suggeré l'interdiction du vin et de mille autres délicatesses peu conformes à l'esprit du jeune ? Je ne vois donc pas que la saine Morale risque beaucoup avec moi : et si quelques-uns me trouvent trop relâché, combien d'autres me trouveront trop sévère ?

C'est en vain que Jesus-Christ nous apprend à négliger les traditions humaines, pour nous attacher à l'observation de la loi ; nous voulons toujours tenir, comme les Juifs, à des observances et à des institutions arbitraires. Cependant les austérités, les mortifications, et les autres pratiques de notre choix, nous sont bien moins nécessaires que la patience et la résignation dans nos maux. En effet, la vie n'est-elle point assez traversée, assez malheureuse ? et n'est-il point en ce monde assez d'occasions de souffrir, sans nous assujettir sans-cesse à des embarras et des peines de création libre ? Notre fardeau est-il trop leger, pour que nous y ajoutions de nous-mêmes ? et le chemin du ciel est-il trop large, pour que nous travaillions à le retrécir ?

On dira sans-doute que les abstinences multipliées et prescrites par l'église sont autant de moyens sagement établis pour modérer la fougue de nos passions, pour nous contenir dans la crainte du Seigneur, et pour nous faciliter l'observation de ses commandements.

Toutes ces raisons pouvaient être bonnes dans ces siècles heureux où les peuples fervens et soutenus par de grands exemples, étaient parfaitement dociles à la voix des pasteurs : mais aujourd'hui que l'indépendance et la tiédeur sont générales, aujourd'hui que l'irréligion et le scandale sont montés à leur comble, telle observance qui fut jadis un moyen de salut, n'est le plus souvent pour nous qu'une occasion de chute : inventum est mihi mandatum quod erat ad vitam, hoc esse ad mortem. Rom. VIIe chap. Xe

Par conséquent, Ve l'état languissant où le Christianisme se trouve de nos jours, on ne saurait multiplier nos devoirs sans nous exposer à des transgressions presque inévitables, qui attirent de plus en plus la colere de Dieu sur nous. C'est donc plutôt sagesse que relâchement d'adoucir la rigueur des préceptes humains, et de diminuer, autant qu'il est possible, le poids des abstinences qui parait trop onéreux au commun des fidèles, et qui ne fait plus que des prévaricateurs.

Du reste, obligés que nous sommes de conserver pour Dieu, dans tous les temps, cet amour de préférence que nous lui devons, et qui est si puissamment disputé par les créatures ; obligés d'aimer nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs, et de souffrir sans murmure les afflictions et les chagrins de la vie ; obligés enfin de combattre sans relâche nos passions et nos penchans, pour mépriser le monde et ses plaisirs, pour ne ravir ni ne désirer le bien ou la femme du prochain, et pour détester constamment et de bonne foi tout ce qui n'est pas légitimé par le sacrement, n'avons-nous point en ce peu de préceptes dictés par Jesus-Christ lui-même, de quoi soutenir notre vigilance et de quoi exercer notre vertu, sans être surchargés tous les jours par des traditions humaines ?

Enfin, de quoi s'agit-il dans tout ce que je propose ? de quelques adoucissements fort simples, et qui, à le bien prendre, ne valent pas les frais de la contradiction ; adoucissements néanmoins qui applaniraient bien des difficultés, et qui rendraient l'observation du reste beaucoup plus facîle : au lieu que les institutions arbitraires, mais en même temps gênantes et répétées à tout moment, sont capables de contrister des gens d'ailleurs réglés et vertueux. Il semble qu'elles atiédissent le courage, et qu'elles énervent une piété qui se doit toute entière à de plus grands objets. Aussi, que de chrétiens qui prennent le change, qui fidèles à ces pratiques minutieuses, négligent l'observation des préceptes, et à qui l'on pourrait appliquer ce que le Seigneur disait aux Pharisiens : relinquentes mandatum dei, tenetis traditiones hominum ! Marc. chap. VIIe 8.

J'ajoute enfin, comme je l'ai déjà dit, que ces pratiques peu nécessaires indisposent non-seulement les Protestants, mais encore tous ceux qui ont de la pente au libertinage du cœur et de l'esprit, et qu'elles les révoltent d'ordinaire sans espérance de retour.

Tout cela mûrement considéré, on ne peut, ce me semble, mieux faire que de transporter presque toutes nos fêtes au dimanche, réduire à quelque chose de plus simple et de plus uniforme nos offices, nos chants, nos cérémonies, etc. accorder pour tous les temps l'usage libre de la graisse et des œufs ; et sans toucher au carême pour le reste, déclarer les vendredis et samedis seuls sujets au maigre ; supprimer à cette fin l'abstinence des Rogations et celle de S. Marc ; à l'égard des jeunes passagers annexés à telles saisons ou telles fêtes, les restraindre à deux jours pour les quatre-temps ; plus aux vigiles de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre, de l'Assomption de la Toussaint, et de Noë.

Pour lors ce petit nombre de jeunes tombant aux jours maigres ordinaires s'observerait plus facilement, et ne dérangerait plus ni le ménage ni le commerce ; et je crois enfin que tous ces changements sont fort à souhaiter, tant pour l'enrichissement de la nation et l'aisance générale des petits et des médiocres, que pour empêcher une infinité de prévarications et de murmures. Je me flatte que les gens éclairés ne penseront pas autrement ; et que loin d'apercevoir dans ces propositions aucun risque pour la discipline ou pour les mœurs, ils y trouveront de grands avantages pour la religion et pour la politique : en un mot, on éviterait par-là des scandales et des transgressions sans nombre qui nuisent infiniment à la piété ; et de plus, on augmenterait les richesses du royaume de cent millions par an, comme je l'ai prouvé. Si cela n'est pas raisonnable, qu'on me dise ce que c'est que raison. Voyez DIMANCHE. Article de M. FAIGUET.

FETES MOBILES, (Chronologie) on appelle ainsi celles qui ne sont point fixement attachées à un certain jour du même mois, mais qui changent de place chaque année : il y en a quatre, Pâque, l'Ascension, la Pentecôte, la Fête -Dieu. Les trois dernières dépendent de la première, et en sont toujours à la même distance ; d'où il s'ensuit que Pâque changeant de place, elles doivent en changer aussi. Pâque ne peut être plutôt que le 22 Mars, et plutard que le 25 Avril. Voyez PASQUE. L'Ascension, qui vient quarante jours après, ne peut être plutôt que le 30 Avril, et plutard que le 3 Juin. La Pentecôte, qui vient dix jours après l'Ascension, ne peut être plutôt que le 10 Mai, et plutard que le 13 Juin. Et enfin la Fête -Dieu, qui vient dix jours après la Pentecôte, ne peut être plutôt que le 21 Mai, et plutard que le 24 Juin.

La mobilité de la fête de Pâque entraîne celle de beaucoup d'autres jours, entr'autres du mercredi des Cendres, premier jour de carême, de la Septuagesime, etc.

Le mercredi des Cendres, qui est le premier jour de carême, ne peut être plutôt que le 4 Février dans les années communes, et que le 5 dans les bissextiles ; et il ne peut être, dans quelqu'année que ce sait, plutard que le 10 Mars. La Septuagesime ne peut être plutôt que le 18 Janvier dans les années communes, et que le 19 dans les bissextiles ; et elle ne peut être plutard que le 21 Février dans les années communes, et que le 22 dans les bissextiles.

Il y a dans l'année un autre jour mobîle qui ne dépend point de la fête de Pâque, c'est le premier dimanche de l'Avent. Il doit y avoir quatre dimanches de l'Avent avant Noë ; ainsi quand la lettre dominicale est B, et que par conséquent Noë tombe un dimanche (car B est la lettre du 25 Décembre), le quatrième dimanche de l'Avent doit être le dimanche d'auparavant : alors le premier dimanche de l'Avent tombe le 27 Novembre, c'est le plutôt qu'il puisse arriver. Au contraire quand la lettre dominicale est A, et que par conséquent Noë tombe un lundi, le dimanche précédent est le quatrième dimanche de l'Avent : alors le premier dimanche tombe le 3 Décembre : c'est le plutard qu'il puisse tomber.

Il y a encore des fêtes qui n'étant pas mobiles par elles-mêmes, le deviennent par les circonstances. Par exemple, l'Annonciation, qui est le 25 Mars, quand elle tombe dans la quinzaine de Pâque, se remet après la quinzaine, le lendemain de Quasimodo ; ce qui arrive toutes les fois que Pâque tombe au-dessus du 2 Avril.

Les anciens computistes, pour trouver les fêtes mobiles, se servaient de certains chiffres qu'ils appelaient claves terminorum (voyez TERME PASCAL), et que les modernes ont appelés clés des fêtes mobiles. On peut voir l'usage de ces chiffres dans l'art de vérifier les dates, pag. xlij. de la préface. Ils sont aujourd'hui devenus inutiles, ou du moins on ne s'en sert plus. Pour les avoir, on ajoute 19 au chiffre de l'année précédente ; et si la somme surpasse 39 jours, on ôte 30 : ainsi le cycle de ces clés est de dix-neuf ans. Elles sont marquées pour chaque année dans l'art de vérifier les dates, jusqu'en 1582, année de la réformation du calendrier.

On pourrait aussi mettre parmi les fêtes mobiles les Quatre-temps, qui tombent le premier mercredi après les Cendres, le premier après la Pentecôte, le premier après le 14 Septembre, et le premier après le 13 Décembre (voyez QUATRE-TEMS) : mais cette dénomination de fêtes mobiles n'est point en usage pour les Quatre-temps. (O)

FETE-DIEU, (Théologie) fête très-solennelle instituée pour rendre un culte particulier à Jesus-Christ dans le sacrement de l'eucharistie. L'Eglise a toujours célébré la mémoire de l'institution de ce sacrement le jeudi de la semaine-sainte, qui en est comme l'anniversaire ; mais parce que les longs offices et les cérémonies lugubres de cette semaine ne lui permettent pas d'honorer ce mystère avec toute la solennité requise, elle a jugé à propos d'en établir une fête particulière le jeudi d'après l'octave de la Pentecôte, c'est-à-dire après le dimanche de la Trinité. Ce fut le pape Urbain IV. français de nation, né au diocèse de Troie., qui institua cette solennité par toute l'Eglise l'an 1264 ; car elle l'était déjà auparavant dans celle de Liege, dont Urbain avait été archidiacre avant que d'être élevé au souverain pontificat. Il fit composer pour cette fête, par saint Thomas d'Aquin, un office qui est très-beau, et très-propre à inspirer la piété. Les vues de ce pape n'eurent pas d'abord tout le succès qu'il en attendait, parce que l'Italie était alors violemment agitée par les factions des Guelphes et des Gibelins ; mais au concîle général de Vienne, tenu en 1311 sous le pape Clément V. en présence des rois de France, d'Angleterre et d'Aragon, la bulle d'Urbain IV. fut confirmée, et l'on en ordonna l'exécution par toute l'Eglise. L'an 1316, le pape Jean XXII. y ajouta une octave pour en augmenter la solennité, avec ordre de porter publiquement le S. Sacrement en procession ; ce qui s'exécute ordinairement avec beaucoup de pompe et de décence, les rues étant tapissées et jonchées de fleurs, le clergé en bel ordre, et revêtu des plus riches ornements ; le saint Sacrement est porté sous un dais, et d'espace en espace dans les rues et les places publiques sont des chapelles ou reposoirs fort ornés, où l'on fait une station que le célébrant termine par la bénédiction du saint-sacrement : on la donne aussi tous les jours à la grande messe et le soir au salut pendant l'octave. Dans la plupart des diocèses de France il y a pendant cette même octave des prédications, pour entretenir la foi du peuple sur le mystère de l'eucharistie. Cette fête se célèbre à Angers avec une magnificence extraordinaire ; et la procession, qu'on y nomme le sacre, sacrum, est célèbre par le concours des peuples et des étrangers. On prétend qu'elle y fut instituée dès l'an 1019, pour faire amende honorable à Jesus-Christ des erreurs de Berenger, archidiacre de cette ville, et chef des sacramentaires. Voyez BERENGARIENS. (G)

FETE DES MORTS ou FESTIN DES MORTS, (Histoire moderne) cérémonie de religion très-solennelle en l'honneur des morts, usitée parmi les Sauvages d'Amérique, qui se renouvelle tous les huit ans parmi quelques nations, et tous les dix ans chez les Hurons et les Iroquais.

Voici la description qu'en donne le P. de Charlevoix, dans son journal d'un voyage d'Amérique, p. 377. " On commence, dit cet auteur, par convenir du lieu où se fera l'assemblée, puis on choisit le roi de la fête, dont le devoir est de tout ordonner, et de faire les invitations aux villages voisins. Le jour marqué étant venu, les Sauvages s'assemblent, et vont processionnellement deux à deux au cimetière. Là chacun travaille à découvrir les corps, ensuite on demeure quelque temps à considérer en silence un spectacle si capable de fournir les plus sérieuses réflexions. Les femmes interrompent les premières ce religieux silence, en jetant des cris lamentables qui augmentent encore l'horreur dont tout le monde est pénétré.

Ce premier acte fini, on prend ces cadavres, on ramasse les ossements secs et détachés, on les met en paquets ; et ceux qui sont marqués pour les porter, les chargent sur les épaules. S'il y a des corps qui ne soient pas entièrement corrompus, on en détache les chairs pourries et toutes les ordures ; on les lave, et on les enveloppe dans des robes de castors toutes neuves. Ensuite on s'en retourne dans le même ordre qu'on avait gardé en venant ; et quand la procession est rentrée dans le village, chacun dépose dans sa cabane le dépôt dont il était chargé. Pendant la marche, les femmes continuent leurs éjaculations, et les hommes donnent les mêmes marques de douleur qu'au jour de la mort de ceux dont ils viennent de lever les tristes restes : et ce second acte est suivi d'un festin dans chaque cabane, en l'honneur des morts de sa famille.

Les jours suivants on en fait de publics, accompagnés de danses, de jeux, de combats, pour lesquels il y a des prix proposés. De temps en temps on jette de certains cris, qui s'appellent les cris des ames. On fait des présents aux étrangers, parmi lesquels il y en a quelquefois qui sont envoyés à 150 lieues, on en reçoit d'eux. On profite même de ces occasions pour traiter des affaires communes, ou de l'élection d'un chef... Tout, jusqu'aux danses, y respire je ne sai quoi de lugubre, et on y sent des cœurs percés de la plus vive douleur.... Au bout de quelques jours on se rend encore processionnellement dans une grande salle du conseil, dressée exprès ; on y suspend contre les parais, les ossements et les cadavres, dans le même état où on les a tirés du cimetière ; on y étale les présents destinés pour les morts. Si parmi ces tristes restes il se trouve ceux d'un chef, son successeur donne un grand repas en son nom, et chante sa chanson. En plusieurs endroits les corps sont promenés de bourgade en bourgade, et reçus par-tout avec de grandes démonstrations de douleur et de tendresse. Par-tout on leur fait des présents, et on les porte enfin à l'endroit où ils doivent être déposés pour toujours.... Toutes ces marches se font au son des instruments, accompagnés des plus belles voix, et chacun y marche en cadence.

La dernière et commune sépulture est une grande fosse qu'on tapisse des plus belles pelletteries et de ce qu'on a de plus précieux. Les présents destinés pour les morts, sont placés à part. A mesure que la procession arrive, chaque famille s'arrange sur des espèces d'échafauds dressés autour de la fosse ; et au moment que les corps sont déposés, les femmes recommencent à crier et à pleurer ; ensuite tous les assistants descendent dans la fosse, et il n'est personne qui n'en prenne un peu de terre, qui se conserve précieusement. Ils s'imaginent que cette terre porte bonheur au jeu. Les corps et les ossements sont arrangés par ordre, couverts de fourrures toutes neuves, et par-dessus d'écorces, sur lesquelles on jette des pierres, du bois et de la terre. Chacun se retire ensuite chez soi, etc. "

FETE DE L 'O ou DES O, (Théologie) que l'on appelle autrement la fête de l'attente des couches de la Vierge. Elle fut établie en Espagne au dixième concîle de Tolede, tenu en 656 sous le règne de Recesuinde, roi des Wisigoths alors maîtres de l'Espagne et du temps de S. Eugène III. évêque de Tolede. On y ordonna que la fête de l'Annonciation de N. D. et de l'Incarnation du Verbe divin, se célébrerait huit jours avant Noë ; parce que le 25 de Mars, auquel ces mystères ont été accomplis, arrive ordinairement en carême, et assez souvent dans la semaine de la Passion et dans la solennité de Pâque, où l'Eglise est occupée d'autres objets et de cérémonies différentes. Saint Ildephonse, successeur d'Eugène, confirma cet établissement, et ordonna que cette fête serait aussi appelée de l'attente des couches de N. D. On lui donna encore le nom de fête des O ou de l'O, parce que durant cette octave on chante après le cantique Magnificat, chaque jour, une antienne solennelle qui commence par O, qui est une exclamation de joie et de désir, comme O Adonaï ! O rex gentium ! O radix Jesse ! O clavis David ! &c.

Dans l'église de rome et dans celle de France, il n'y a point de fête particulière sous ce nom ; mais depuis le 15 Décembre jusqu'au 23 inclusivement, on y chante tous les jours à vêpres, au son des cloches, une de ces antiennes.

FETE DES ANES, (Histoire moderne) cérémonie qu'on faisait anciennement dans l'église cathédrale de Rouen le jour de Noë. C'était une procession où certains ecclésiastiques choisis représentaient les prophetes de l'ancien Testament qui avaient prédit la naissance du Messie. Balaam y paraissait monté sur une ânesse, et c'est ce qui avait donné le nom à la fête. On y voyait aussi Zacharie, sainte Elisabeth, saint Jean-Baptiste, Siméon, la sybille Erythrée, Virgile, à cause de son églogue, Sicelides Musae, etc. Nabuchodonosor, et les trois enfants dans la fournaise. La procession, qui sortait du cloitre, étant entrée dans l'église, s'arrêtait entre un nombre de personnes qui étaient rangées des deux côtés pour marquer les Juifs et les Gentils, auxquels les chantres disaient quelques paroles ; puis ils appelaient les prophetes l'un après l'autre, qui prononçaient chacun un passage touchant le Messie. Ceux qui faisaient les autres personnages, s'avançaient en leur rang, les chantres leur faisant la demande, et chantant ensuite les versets qui se rapportaient aux Juifs et aux Gentils ; et après avoir représenté le miracle de la fournaise, et fait parler Nabuchodonosor, la sybille paraissait la dernière, puis tous les prophetes et les chœurs chantaient un motet qui terminait la cérémonie. Ducange, gloss. (G)

FETE DES FOUS, (Histoire moderne) réjouissance pleine de désordres, de grossieretés et d'impiétés, que les sous-diacres, les diacres et les prêtres même faisaient dans la plupart des églises durant l'office divin, principalement depuis les fêtes de Noë jusqu'à l'Epiphanie.

Ducange, dans son glossaire, en parle au mot kalendae, et remarque qu'on la nommait encore la fête des sous-diacres ; non pas qu'il n'y eut qu'eux qui la fêtassent, mais par un mauvais jeu de mots tombant sur la débauche des diacres, et cette pointe signifiait la fête des diacres saouls et ivres.

Cette fête était réellement d'une telle extravagance, que le lecteur aurait peine à y ajouter foi, s'il n'était instruit de l'ignorance et de la barbarie des siècles qui ont précédé la renaissance des Lettres en Europe.

Nos dévots ancêtres ne croyaient pas déshonorer Dieu par les cérémonies bouffonnes et grossières que je vais décrire, dérivées presque toutes du Paganisme, introduites en des temps peu éclairés, et contre lesquelles l'Eglise a souvent lancé ses foudres sans aucun succès.

Par la connaissance des Saturnales on peut se former une idée de la fête des fous, elle en était une imitation ; et les puérilités qui règnent encore dans quelques-unes de nos églises le jour des Innocens, ne sont que des vestiges de la fête dont il s'agit ici.

Comme dans les Saturnales les valets faisaient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous les jeunes clercs et les autres ministres inférieurs officiaient publiquement pendant certains jours consacrés aux mystères du Christianisme.

Il est très-difficîle de fixer l'époque de la fête des fous, qui dégénéra si promptement en abus monstrueux. Il suffira de remarquer sur son ancienneté, que le concîle de Tolede, tenu en 633, fit l'impossible pour l'abolir ; et que S. Augustin, longtemps auparavant, avait recommandé qu'on châtiât ceux qui seraient convaincus de cette impiété. Cedrenus, hist. pag. 639. nous apprend que dans le dixième siècle Théophylacte, patriarche de Constantinople, avait introduit cette fête dans son diocèse ; d'où l'on peut juger sans peine qu'elle s'étendit de tous côtés dans l'église grecque comme dans la latine.

On élisait dans les églises cathédrales, un évêque ou un archevêque des fous, et son élection était confirmée par beaucoup de bouffonneries qui servaient de sacre. Cet évêque élu officiait pontificalement, et donnait la bénédiction publique et solennelle au peuple, devant lequel il portait la mitre, la crosse, et même la croix archiépiscopale. Dans les églises qui relevaient immédiatement du saint siège, on élisait un pape des fous, à qui l'on accordait les ornements de la papauté, afin qu'il put agir et officier solennellement, comme le saint père.

Des pontifes de cette espèce étaient accompagnés d'un clergé aussi licentieux. Tous assistaient ces jours-là au service divin en habits de mascarade et de comédie. Ceux-ci prenaient des habits de pantomimes ; ceux-là se masquaient, se barbouillaient le visage, à dessein de faire peur ou de faire rire. Quand la messe était dite, ils couraient, sautaient et dansaient dans l'église avec tant d'impudence, que quelques-uns n'avaient pas honte de se mettre presque nuds : ensuite ils se faisaient trainer par les rues dans des tombereaux pleins d'ordures, pour en jeter à la populace qui s'assemblait autour d'eux. Les plus libertins d'entre les séculiers se mêlaient parmi le clergé, pour jouer aussi quelque personnage de fou en habit ecclésiastique. Ces abus vinrent jusqu'à se glisser également dans les monastères de moines et de religieuses. En un mot, dit un savant auteur, c'était l'abomination de la désolation dans le lieu saint, et dans les personnes qui par leur état devaient avoir la conduite la plus sainte.

Le portrait que nous venons de tracer des désordres de la fête des fous, loin d'être chargé, est extrêmement adouci ; le lecteur pourra s'en convaincre en lisant la lettre circulaire du 12 Mars 1444, adressée au clergé du royaume par l'université de Paris. On trouve cette lettre à la suite des ouvrages de Pierre de Blais ; et Sauval, tom. II. pag. 624. en donne un extrait qui ne suffit que trop sur cette matière.

Cette lettre porte que pendant l'office divin les prêtres et les clercs étaient vêtus, les uns comme des bouffons, les autres en habits de femme, ou masqués d'une façon monstrueuse. Non contens de chanter dans le chœur des chansons déshonnêtes, ils mangeaient et jouaient aux dés sur l'autel, à côté du prêtre qui célébrait la messe. Ils mettaient des ordures dans les encensoirs, et couraient autour de l'église, sautant, riant, chantant, proférant des paroles sales, et faisant mille postures indécentes. Ils allaient ensuite par toute la ville se faire voir sur des chariots. Quelquefois, comme on l'a dit, ils sacraient un évêque ou pape des fous, qui célébrait l'office, et qui revêtu d'habits pontificaux, donnait la bénédiction au peuple. Ces folies leur plaisaient tant, et paraissaient à leurs yeux si bien pensées et si chrétiennes, qu'ils regardaient comme excommuniés ceux qui voulaient les proscrire.

Dans le registre de 1494 de l'église de S. Etienne de Dijon, on lit qu'à la fête des fous on faisait une espèce de farce sur un théâtre devant une église, où on rasait la barbe au préchantre des fous, et qu'on y disait plusieurs obscénités. Dans les registres de 1521, ibid. on voit que les vicaires couraient par les rues avec fifres, tambours et autres instruments, et portaient des lanternes devant le préchantre des fous, à qui l'honneur de la fête appartenait principalement.

Dans le second registre de l'église cathédrale d'Autun, du secrétaire Rotarii, qui commence en 1411 et finit en 1416, il est dit qu'à la fête des fous, follorum, on conduisait un âne, et que l'on chantait, hé, sire âne, he, hé, et que plusieurs allaient à l'église déguisés en habits grotesques ; ce qui fut alors abrogé. Cet âne était honoré d'une chape qu'on lui mettait sur le dos. On nous a conservé la rubrique que l'on chantait alors, et le P. Théophîle Raynaud témoigne l'avoir Ve dans le rituel d'une de nos églises métropolitaines.

Il y a un ancien manuscrit de l'église de Sens, où l'on trouve l'office des fous tout entier.

Enfin, pour abreger, presque toutes les églises de France ont célébré la fête des fous sans interruption pendant plusieurs siècles durant l'octave des Rais. On l'a marquée de ce nom dans les livres des offices divins : festum fatuorum in Epiphaniâ et ejus octavis.

Mais ce n'est pas seulement en France que s'étendirent les abus de cette fête ; ils passèrent la mer, et ils regnaient peut-être encore en Angleterre vers l'an 1530 : du moins dans un inventaire des ornements de l'église d'Yorck, fait en ce temps-là, il est parlé d'une petite mitre et d'un anneau pour l'évêque des fous.

Ajoutons ici que cette fête n'était pas célébrée moins ridiculement dans les autres parties septentrionales et méridionales de l'Europe, en Allemagne, en Espagne, en Italie, et qu'il en reste encore çà et là des traces que le temps n'a point effacées.

Outre les jours de la Nativité de Notre Seigneur, de S. Etienne, de S. Jean l'Evangeliste, des Innocens, de la Circoncision, de l'Epiphanie, ou de l'octave des Innocens, que se célébrait la fête des fous, il se pratiquait quelque chose de semblable le jour de S. Nicolas et le jour de sainte Catherine dans divers diocèses, et particulièrement dans celui de Chartres. Tout le monde sait, dit M. Lancelot, hist. de l'acad. des Inscript. tome IV. qu'il s'était introduit pendant les siècles d'ignorance, des fêtes différemment appelées des fous, des ânes, des innocens, des calendes. Cette différence venait des jours et des lieux où elles se faisaient ; le plus souvent c'était dans les fêtes de Noë, à la Circoncision ou à l'Epiphanie.

Quoique cette fête eut été taxée de paganisme et d'idolatrie par la Sorbonne en 1444, elle trouva des apologistes qui en défendirent l'innocence par des raisonnements dignes de ces temps-là. Nos prédécesseurs, disaient-ils, graves et saints personnages, ont toujours célébré cette fête ; pouvons-nous suivre de meilleurs exemples ? D'ailleurs la folie qui nous est naturelle, et qui semble née avec nous, se dissipe du moins une fois chaque année par cette douce recréation ; les tonneaux de vin creveraient, si on ne leur ouvrait la bonde pour leur donner de l'air : nous sommes des tonneaux mal reliés, que le puissant vin de la sagesse ferait rompre, si nous le laissions bouillir par une dévotion continuelle. Il faut donc donner quelquefois de l'air à ce vin, de peur qu'il ne se perde et ne se répande sans profit.

L'auteur du curieux traité contre le paganisme du rait-bait, prétend même qu'un docteur de Théologie soutint publiquement à Auxerre sur la fin du XV. siècle, que la fête des fous n'était pas moins approuvée de Dieu que la fête de la Conception immaculée de Notre-Dame, outre qu'elle était d'une tout autre ancienneté dans l'Eglise.

Aussi les censures des évêques des XIIIe et XIVe siècles eurent si peu d'efficace contre la pratique de la fête des fous, que le concîle de Sens, tenu en 1460 et en 1485, en parle comme d'un abus pernicieux qu'il fallait nécessairement retrancher.

Ce fut seulement alors que les évêques, les papes et les conciles se réunirent plus étroitement dans toute l'Europe, pour abroger les extravagantes cérémonies de cette fête. Les constitutions synodales du diocèse de Chartres, publiées en 1550, ordonnèrent que l'on bannit des églises les habits des fous qui sont des personnages de théâtre. Les statuts synodaux de Lyon, en 1566 et 1577, défendirent toutes les farces de la fête des fous dans les églises. Le concîle de Tolede, en 1566, entra dans le sentiment des autres conciles. Le concîle provincial d'Aix, en 1585, ordonna que l'on fit cesser dans les églises, le jour de la fête des Innocens, tous les divertissements, tous les jeux d'enfants et de théâtre qui y avaient subsisté jusqu'alors. Enfin le concîle provincial de Bordeaux, tenu à Cognac en 1620, condamna sevèrement les danses et les autres pratiques ridicules qui se faisaient encore dans ce diocèse le jour de la fête des fous.

Les séculiers concoururent avec le clergé pour faire cesser à jamais la fête des fous, comme le prouve l'arrêt du parlement de Dijon du 19 Janvier 1552 : mais malgré tant de forces réunies, l'on peut dire que la renaissance des Lettres contribua plus dans l'espace de cinquante ans à l'abolition de cette ancienne et honteuse fête, que la puissance ecclésiastique et séculière dans le cours de mille ans. Article de M(D.J.)

Nous allons joindre à ce mémoire, en faveur de plusieurs lecteurs, la description de la fête des fous, telle qu'elle se célébrait à Viviers, et cette description sera tirée du vieux rituel manuscrit de cette église.

Elle commençait par l'élection d'un abbé du clergé ; c'était le bas-chœur, les jeunes chanoines, les clercs et enfants-de-chœur qui le faisaient. L'abbé élu et le Te Deum chanté, on le portait sur les épaules dans la maison où tout le reste du chapitre était assemblé. Tout le monde se levait à son arrivée, l'évêque lui-même, s'il y était présent. Cela était suivi d'une ample collation, après laquelle le haut-chœur d'un côté et le bas-chœur de l'autre, commençaient à chanter certaines paroles qui n'avaient aucune suite : sed dum earum cantus saepius et frequentius per partes continuando cantatur, tanto amplius ascendendo eleyatur in tantum, quod una pars cantando, clamando E FORT CRIDAR vincit aliam. Tunc enim inter se ad invicem clamando, sibilando, ululando, cachinnando, deridendo, ac cum suis manibus demonstrando, pars victrix, quantum potest, partem adversam deridere conatur et superare, jocosasque trufas sine taedis breviter inserre. A parte abatis HEROS, alter chorus et NOLIE NOLIERNO ; à parte abatis AD FONS SANCTI BACON, alii KYRIE ELEISON, &c.

Cela finissait par une procession qui se faisait tous les jours de l'octave. Enfin le jour de saint Etienne, paraissait l'évêque fou ou l'évêque des fous, episcopus stultus. C'était aussi un jeune clerc, différent de l'abbé du clergé. Quoiqu'il fût élu dès le jour des Innocens de l'année précédente, il ne jouissait, à proprement parler, des droits de sa dignité que ces trois jours de S. Etienne, de S. Jean, et des Innocens. Après s'être revêtu des ornements pontificaux, en chape, mitre, crosse, etc. suivi de son aumônier aussi en chape, qui avait sur sa tête un petit coussin au lieu de bonnet, il venait s'asseoir dans la chaire épiscopale, et assistait à l'office, recevant les mêmes honneurs que le véritable évêque aurait reçus. A la fin de l'office, l'aumônier disait à pleine voix, silete, silete, silentium habete : le chœur répondait, Deo gratias. L'évêque des fous, après avoir dit l'adjutorium, etc. donnait sa bénédiction, qui était immédiatement suivie de ces prétendues indulgences que son aumônier prononçait avec gravité :

De part mossenhor l'évesque

Que Dieu vos done grand mal al bescle

Aves una plena banasta de pardos

E dos des de raycha de sot lo mento.

C'est-à-dire, de par monseigneur l'évêque, que Dieu vous donne grand mal au foie, avec une pleine pannerée de pardons, et deux doigts de rache et de gale rogneuse dessous le menton. Les autres jours les mêmes cérémonies se pratiquaient, avec la seule différence que les indulgences variaient. Voici celles du second jour, qui se repétaient aussi le troisième :

Mossenhor quez ayssi presenz

Vos dona Xe banastas de mal de dents

Et a vos autras donas a tressi

Dona una cua de rossi.

Ce qu'on peut rendre par ces mots : monseigneur qui est ici présent, vous donne vingt pannerées de mal de dents ; et ajoute aux autres dons qu'il vous a faits, celui d'une queue de rosse.

Ces abus, quelques indécents et condamnables qu'ils fussent, n'approchaient pas encore des impiétés qui se pratiquaient dans d'autres églises du royaume, si l'on en croit la lettre circulaire citée ci-dessus, des docteurs de la faculté de Paris, envoyée en 1444 à tous les prélats de France, pour les engager à abolir cette détestable coutume.

Belet docteur de la même faculté, qui vivait plus de deux cent ans auparavant, écrit qu'il y avait quatre sortes de danses ; celle des lévites ou diacres, celle des prêtres, celle des enfants ou clercs, et celle des sous-diacres. Théophîle Raynaud témoigne qu'à la messe de cette abominable fête, le jour de saint Etienne on chantait une prose de l'âne, qu'on nommait aussi la prose des fous ; et que le jour de S. Jean on en chantait encore une autre, qu'on appelait la prose du bœuf. On conserve dans la bibliothèque du chapitre de Sens, un manuscrit en vélin avec des miniatures, où sont représentées les cérémonies de la fête des fous. Le texte en contient la description. Cette prose de l'âne s'y trouve ; on la chantait à deux chœurs, qui imitaient par intervalles et comme pour refrain, le braire de cet animal.

Cet abus a regné dans cette église, comme dans presque toutes les autres du royaume ; mais elle a été une des premières à le réformer, comme il parait par une lettre de Jean Leguise évêque de Troie., à Tristan de Salasar archevêque de Sens. Elle porte entr'autres ; que aucuns gens d'église de cette ville (de Troie.), sous umbre de leur fête aux fous, ont fait plusieurs grandes mocqueries, dérisions, et folies contre l'onneur et révérence de Dieu, et au grand contempt et vitupere des gens d'église et de tout l'état ecclésiastique... ont éleu et fait un arcevesque des fols ; lequel, la veille et jour de la circoncision de Notre-Seigneur, fit l'office... vêtu in pontificalibus, en baillant la bénédiction solennelle au peuple ; et avec ledit arcevesque, en allant parmi la ville, faisait porter la croix devant ly, et baillant la bénédiction en allant en grand dérision et vitupere de la dignité arciépiscopale ; et quand on leur a dit que c'était mal fait, ils ont dit que ainsi le fait-on à Sens, et que vous même avez commandé et ordonné faire ladite feste, combien que soye informé du contraire, etc. En effet l'évêque de Troie. aurait eu mauvaise grâce de s'adresser à son métropolitain pour faire cesser cet abus, si celui-ci en eut toléré un semblable dans sa propre cathédrale. Cette lettre est de la fin du quinzième siècle, et il parait par-là que cette fête était déjà abolie dans l'église de Sens. Elle l'était également en beaucoup d'autres, conformément aux décisions de plusieurs conciles, par le zèle et la vigilance qu'apportèrent les évêques à retrancher des abus si criants.

Quelques autres auteurs parlent de la coutume établie dans certains diocèses, où sur la fin de Décembre les évêques jouaient familièrement avec leur clergé, à la paume, à la boule, à l'imitation, disent-ils, des saturnales des Payens : mais cette dernière pratique, qu'on regarderait aujourd'hui comme indécente, n'était mêlée d'aucune impiété, comme il en regnait dans la fête des fous. D'autres auteurs prétendent que les Latins avaient emprunté cette dernière des Grecs : mais il est plus vraisemblable que la première origine de cette fête vient de la superstition des Payens qui se masquaient le premier jour de l'an, et se couvraient de peaux de cerfs ou de biches pour représenter ces animaux ; ce que les Chrétiens imitèrent nonobstant les défenses des conciles et des pères. Dans les siècles moins éclairés, on crut rectifier ces abus en y mêlant des représentations des mystères ; mais, comme on voit, la licence et l'impiété prirent le dessus ; et de ce mélange bizarre du sacré et du profane, il ne résulta qu'une profanation des choses les plus respectables.

Si malgré ces détails quelqu'un est encore curieux d'éclaircissements sur cette matière, il peut consulter les ouvrages de Pierre de Blais ; Thiers, traité des jeux ; l'histoire de Bretagne, tome I. pag. 586 ; Mezerai, abrégé de l'histoire de France, tom. I. pag. 578. éd. in -4°. dom Lobineau, histoire de Paris, tom. I. pag. 224. dom Marlot, histoire de Rheims, tome II. page 769. et enfin les mémoires de du Tillot, pour servir à l'histoire de la fête des fous, imprimés à Lausanne en 1751, in -12. Article de M(D.J.)

FETE DES INNOCENS : cette fête était comme une branche de l'ancienne fête des fous, et on la célébrait le jour des Innocens. Elle n'a pas disparu sitôt que la première ; puisque Naudé, dans sa plainte à Gassendi en 1645, témoigne qu'elle subsistait encore alors dans quelques monastères de Province. Cet auteur raconte qu'à Antibes, dans le couvent des Franciscains, les religieux prêtres ni le gardien n'allaient point au chœur le jour des Innocens, et que les frères lais qui vont à la quête, ou qui travaillent au jardin et à la cuisine, occupaient leurs places dans l'église, et faisaient une manière d'office avec des extravagances et des profanations horribles. Ils se revêtaient d'ornements sacerdotaux, mais tous déchirés, s'il en trouvaient, et tournés à l'envers. Ils tenaient des livres à rebours, où ils faisaient semblant de lire avec des lunettes qui avaient de l'écorce d'orange pour verre. Ils ne chantaient ni hymnes, ni pseaumes, ni messes à l'ordinaire ; mais tantôt ils marmotaient certains mots confus, et tantôt ils poussaient des cris avec des contorsions qui faisaient horreur aux personnes sensées. Thiers, traité des jeux. Voyez FETE DES FOUS.

On a conservé dans quelques cathédrales et collégiales, l'usage de faire officier ce jour-là les enfants de-chœur, c'est-à-dire de leur faire porter chape à la messe et à vêpres, et de leur donner place dans les hautes stalles, pour honorer la mémoire des enfants égorgés par l'ordre d'Hérode. C'est une pratique pieuse qui n'étant accompagnée d'aucune indécence, ne se ressent en rien de la mascarade contre laquelle Naudé s'est élevé si justement, et encore moins de l'ancienne fête des fous. (G)

FETES, (Jurisprudence) on ne peut faire aucun explait les jours de fêtes et dimanche, ni rendre aucune ordonnance de justice, si ce n'est dans les cas qui requièrent célérité. Voyez AJOURNEMENT et EXPLOIT.

Le conseil du roi s'assemble les jours de fêtes et dimanche comme les autres jours, attendu l'importance des matières qui y sont portées.

C'est au juge laïc et non à l'official, à connaître de l'inobservation des fêtes commandées par l'église, contre ceux qui les ont transgressées en travaillant à des œuvres serviles un jour férié. Voyez Fevret en son traité de l'abus, liv. IV. ch. VIIIe n°. 3.

FETES DE PALAIS, sont certains jours fériés ou de vacations, auxquels les tribunaux n'ouvrent point. On peut néanmoins ces jours-là faire tous exploits, ces jours de fêtes n'étant point chommés. (A)

FETE DE VILLAGE : le droit de l'annoncer par un cri public, est un droit seigneurial. Voyez ce qui en a été dit ci-devant au mot CRI DE LA FETE. (A)

FETE, (Beaux-arts) solennité ou réjouissance, et quelquefois l'une et l'autre, établie ou par la religion, ou par l'usage, ou occasionnée par quelque événement extraordinaire, qui intéresse un état, une province, une ville, un peuple, etc.

Ce mot a été nécessaire à toutes les nations : elles ont toutes eu des fêtes. On lit dans tous les historiens, que les Juifs, les Payens, les Turcs, les Chinois ont eu leurs solennités et leurs réjouissances publiques. Les uns dérivent ce mot de l'hébreu , qui signifie feu de Dieu : les autres pensent qu'il vient du mot latin feriari : quelques savants ont écrit qu'il tirait son origine du grec , qui veut dire foyer, &c.

Toutes ces étymologies paraissent inutiles : elles indiquent seulement l'antiquité de la chose que notre mot fête nous désigne.

Nous passerons rapidement sur les fêtes de solennité et de réjouissance des Juifs, des Payens, et de l'Eglise. Il y en a qui furent établies par les lois politiques, telles que celles qu'on célébrait en Grèce. Celles des Juifs émanaient toutes de la loi de Moyse ; et les réjouissances ou solennités des Romains, tenaient également à la religion et à la politique.

On les connaitra successivement dans l'Encyclopédie, si on veut bien les chercher à leurs articles. Voyez BACCHANALES, SATURNALES, TABERNACLES, etc. et les articles précédents.

Il ne sera point question non plus des fêtes de notre sainte religion, dont les plus considérables sont ou seront aussi détaillées sous les mots qui les désignent. On se borne ici à faire connaître quelques-unes de ces magnifiques réjouissances qui ont honoré en différents temps les états, les princes, les particuliers même, à qui les Arts ont servi à manifester leur gout, leur richesse, et leur génie.

Les bornes qui me sont prescrites m'empêcheront aussi de parler des fêtes des siècles trop reculés : les triomphes d'Alexandre, les entrées des conquérants, les superbes retours des vainqueurs romains dans la capitale du monde, sont répandus dans toutes nos anciennes histoires. Je ne m'attache ici qu'à rassembler quelques détails, qui forment un tableau historique des ressources ingénieuses de nos Arts dans les occasions éclatantes. Les exemples frappent l'imagination et l'échauffent. On peint les actions des grands hommes aux jeunes héros, pour les animer à les égaler ; il faut de même retracer aux jeunes esprits, qu'un penchant vif entraîne vers les Arts, les effets surprenans dont ils ont avant nous été capables : à cette vue, on les verra prendre peut-être un noble essor pour suivre ces glorieux modèles, et s'échauffer même de l'espoir tout-puissant de les surpasser quelque jour.

Je prents pour époque en ce genre des premiers jets du génie, la fête de Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie ; il la donna dans Tortone vers l'année 1480, à Galéas duc de Milan, et à la princesse Isabelle d'Aragon sa nouvelle épouse.

Dans un magnifique salon entouré d'une galerie, où étaient distribués plusieurs joueurs de divers instruments, on avait dressé une table tout à fait vide. Au moment que le duc et la duchesse parurent, on vit Jason et les argonautes s'avancer fièrement sur une symphonie guerrière ; ils portaient la fameuse taison-d'or, dont ils couvrirent la table après avoir dansé une entrée noble, qui exprimait leur admiration à la vue d'une princesse si belle, et d'un prince si digne de la posséder.

Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta un récit, dans lequel il racontait l'adresse dont il venait de se servir pour ravir à Apollon qui gardait les troupeaux d'Admette, un veau gras dont il faisait hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu'il le mit sur la table, trois quadrilles qui le suivaient exécutèrent une entrée.

Diane et ses nymphes succédèrent à Mercure : La déesse faisait suivre une espèce de brancard doré ; sur lequel on voyait un cerf : c'était, disait-elle, un Actéon qui était trop heureux d'avoir cessé de vivre, puisqu'il allait être offert à une nymphe aussi aimable et aussi sage qu'Isabelle.

Dans ce moment une symphonie mélodieuse attira l'attention des convives ; elle annonçait le chantre de la Thrace ; on le vit jouant de sa lyre et chantant les louanges de la jeune duchesse.

" Je pleurais, dit-il, sur le mont Apennin la mort de la tendre Euridice ; j'ai appris l'union de deux amants dignes de vivre l'un pour l'autre, et j'ai senti pour la première fais, depuis mon malheur, quelque mouvement de joie ; mes chants ont changé avec les sentiments de mon cœur ; une foule d'oiseaux a volé pour m'entendre, je les offre à la plus belle princesse de la terre, puisque la charmante Euridice n'est plus ".

Des sons éclatants interrompirent cette mélodie ; Atalante et Thésée conduisant avec eux une troupe leste et brillante, représentèrent par des danses vives une chasse à grand bruit : elle fut terminée par la mort du sanglier de Calydon, qu'ils offrirent au jeune duc en exécutant des ballets de triomphe.

Un spectacle magnifique succéda à cette entrée pittoresque : on vit d'un côté Iris sur un char trainé par des paons, et suivie de plusieurs nymphes vêtues d'une gase légère, qui portaient des plats couverts de ces superbes oiseaux.

La jeune Hébé parut de l'autre, portant le nectar qu'elle verse aux dieux ; elle était accompagnée des bergers d'Arcadie chargés de toutes les espèces de laitages, de Vertumne et de Pomone qui servirent toutes les sortes de fruits.

Dans le même temps l'ombre du délicat Apicius sortit de terre ; il venait prêter à ce superbe festin les finesses qu'il avait inventées, et qui lui avaient acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.

Ce spectacle disparut, et il se forma un grand ballet composé des dieux de la mer et de tous les fleuves de Lombardie. Ils portaient les poissons les plus exquis, et ils les servirent en exécutant des danses de différents caractères.

Ce repas extraordinaire fut suivi d'un spectacle encore plus singulier. Orphée en fit l'ouverture ; il conduisait l'hymen et une troupe d'amours : les grâces qui les suivaient entouraient la foi conjugale, qu'ils présentèrent à la princesse, et qui s'offrit à elle pour la servir.

Dans ce moment Sémiramis, Helene, Médée, et Cléopatre interrompirent le récit de la foi conjugale, en chantant les égarements de leurs passions. Celle-ci indignée qu'on osât souiller, par des récits aussi coupables, l'union pure des nouveaux époux, ordonna à ces reines criminelles de disparaitre. A sa voix, les amours dont elle était accompagnée fondirent, par une danse vive et rapide, sur elles, les poursuivirent avec leurs flambeaux allumés, et mirent le feu aux voiles de gase dont elles étaient coiffées.

Lucrèce, Pénélope, Thomiris, Judith, Porcie et Sulpicie, les remplacèrent en présentant à la jeune princesse les palmes de la pudeur, qu'elles avaient méritées pendant leur vie. Leur danse noble et modeste fut adroitement coupée par Bacchus, Silene et les Egypans, qui venaient célébrer une noce si illustre ; et la fête fut ainsi terminée d'une manière aussi gaie qu'ingénieuse.

Cet assemblage de tableaux en action, assez peu relatifs peut-être l'un à l'autre, mais remplis cependant de galanterie, d'imagination, et de variété, fit le plus grand bruit en Italie, et donna dans la suite l'idée des carrousels réguliers, des operas, des grands ballets à machines, et des fêtes ingénieuses avec lesquelles on a célébré en Europe les grands événements. Voyez le traité de la danse, liv. I. ch. IIe pag. 2, et les articles BALLET, OPERA, SPECTACLE.

On aperçut dès-lors que dans les grandes circonstances, la joie des princes, des peuples, des particuliers même, pouvait être exprimée d'une façon plus noble, que par quelques cavalcades monotones, par de tristes fagots embrasés en cérémonie dans les places publiques et devant les maisons des particuliers ; par l'invention grossière de tous ces amphithéâtres de viandes entassées dans les lieux les plus apparents, et de ces dégoutantes fontaines de vin dans les coins des rues ; ou enfin par ces mascarades déplaisantes qui, au bruit des fifres et des tambours, n'apprêtent à rire qu'à l'ivresse seule de la canaille, et infectent les rues d'une grande ville, dont l'extrême propreté dans ces moments heureux, devrait être une des plus agréables démonstrations de l'allégresse publique.

Dans les cours des rois on sentit par cet exemple, que les mariages, les victoires, tous les événements heureux ou glorieux, pouvaient donner lieu à des spectacles nouveaux, à des divertissements inconnus, à des festins magnifiques, que les plus aimables allégories animeraient ainsi de tous les charmes des fables anciennes ; enfin que la descente des dieux parmi nous embellirait la terre, et donnerait une espèce de vie à tous les amusements que le génie pouvait inventer ; que l'art saurait mettre en mouvements les objets qu'on avait regardés jusqu'alors comme des masses immobiles, et qu'à force de combinaisons et d'efforts, il arriverait au point de perfection dont il est capable.

C'est sur ce développement que les cours d'Italie imitèrent tour-à-tour la fête de Bergonce de Botta ; et Catherine de Médicis en portant en France le germe des beaux Arts qu'elle avait Ve renaître à Florence, y porta aussi le goût de ces fêtes brillantes, qui depuis y fut poussé jusqu'à la plus superbe magnificence et la plus glorieuse perfection.

On ne parlera ici que d'une seule des fêtes de cette reine, qui avait toujours des desseins, n'eut jamais de scrupules, et qui sut si cruellement se servir du talent dangereux de ramener tout ce qui échappait de ses mains, à l'accomplissement de ses vues.

Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d'Espagne, vint la joindre avec le duc d'Albe, que la régente voulait entretenir : c'est-là qu'elle déploya tous les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d'un ministre qui en connaissait de plus grands, et les ressources d'une fine galanterie vis-à-vis d'une foule de courtisans divisés, qu'elle avait intérêt de distraire de l'objet principal qui l'avait amenée.

Les ducs de Savoye et de Lorraine, plusieurs autres princes étrangers, étaient accourus à la cour de France, qui était aussi magnifique que nombreuse. La reine qui voulait donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de gout, et d'invention. Voyez les mémoires de la reine de Navarre.

Dans une petite île située dans la rivière de Bayonne, couverte d'un bois de haute-futaie, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissaient à un salon de forme ronde, qu'on avait pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs furent suspendus aux arbres, et on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes et des princesses du sang, était dressée dans le milieu du salon ; en sorte que rien ne leur cachait la vue des douze berceaux où étaient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derrière les berceaux et cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d'honneur des deux reines, vêtues élégamment partie en nymphes, partie en nayades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortaient du bois leurs apportaient tout ce qui était nécessaire pour le service.

On avait à peine joui quelques moments de cet agréable coup-d'oeil, qu'on vit successivement paraitre pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs et de danseuses, représentant les habitants des provinces voisines, qui dansèrent les uns après les autres les danses qui leur étaient propres, avec les instruments et les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent : des amphithéâtres de verdure et un parquet de gason furent mis en place comme par magie : le bal de cérémonie commença, et la cour s'y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étaient alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

C'est ainsi que le goût pour les divers ornements que les fables anciennes peuvent fournir dans toutes les occasions d'éclat à la galanterie, à l'imagination, à la variété, à la pompe, à la magnificence, gagnait les esprits de l'Europe depuis la fête ingénieuse de Bergonce de Botta.

Les tableaux merveilleux qu'on peut tirer de la fable, l'immensité de personnages qu'elle procure, la foule de caractères qu'elle offre à peindre et à faire agir, sont en effet les ressources les plus abondantes. On ne doit pas s'étonner si elles furent saisies avec ardeur et adoptées sans scrupule, par les personnages les plus graves, les esprits les plus éclairés, et les âmes les plus pures.

J'en trouve un exemple qui fera connaître l'état des mœurs du temps, dans une fête publique préparée avec toute la dépense possible, et exécutée avec la pompe la plus solennelle. Je n'en parle que d'après un religieux aussi connu de son temps par sa piété, que par l'abondance de ses recherches et de ses ouvrages sur cette matière. C'est à Lisbonne que fut célebrée la fête qu'il Ve décrire.

" Le 31 * Janvier (1610), après l'office solennel du matin et du soir, sur les quatre heures après midi, deux cent arquebusiers se rendirent à la porte de Notre-Dame de Lorette, où ils trouvèrent une machine de bois d'une grandeur énorme, qui représentait le cheval de Troie.

Ce cheval commença dès-lors à se mouvoir par de secrets ressorts, tandis qu'au tour de ce cheval se représentaient en ballets les principaux événements de la guerre de Troie.

Ces représentations durèrent deux bonnes heures, après quoi on arriva à la place S. Roch, où est la maison professe des Jésuites.

Une partie de cette place représentait la ville de Troie avec ses tours et ses murailles. Aux approches du cheval, une partie des murailles tomba ; les soldats grecs sortirent de cette machine, et les Troie.s de leur ville, armés et couverts de feux d'artifice, avec lesquels ils firent un combat merveilleux.

Le cheval jetait des feux contre la ville, la ville contre le cheval ; et l'un des plus beaux spectacles fut la décharge de dix-huit arbres tous chargés de semblables feux.

Le lendemain, d'abord après le diné, parurent sur mer au quartier de Pampuglia, quatre brigantins richement parés, peints et dorés, avec quantité de banderoles et de grands chœurs de musique. Quatre ambassadeurs, au nom des quatre parties du monde, ayant appris la béatification d'Ignace de Loyola, pour reconnaître les bienfaits que toutes les parties du monde avaient reçus de lui, venaient lui faire hommage, et lui offrir des présents, avec les respects des royaumes et des provinces de chacune de ces parties.

Toutes les galeres et les vaisseaux du port saluèrent ces brigantins : étant arrivés à la place de la marine, les ambassadeurs descendirent, et montèrent en même temps sur des chars superbement ornés, et accompagnés de trois cent cavaliers, s'avancèrent vers le collège, précedés de plusieurs trompettes.

Après quoi des peuples de diverses nations, vétus à la manière de leur pays, faisaient un ballet très agréable, composant quatre troupes ou quadrilles pour les quatre parties du monde.

Les royaumes et les provinces, représentés par autant de génies, marchaient avec ces nations et les peuples différents devant les chars des ambassadeurs de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, dont chacun était escorté de soixante-dix cavaliers.

La troupe de l'Amérique était la première, et entre ses danses elle en avait une plaisante de jeunes enfants déguisés en singes, en guenons, et en perroquets. Devant le char étaient douze nains montés sur des haquenées ; le char était tiré par un dragon.

La diversité et la richesse des habits ne faisaient pas le moindre ornement de cette fête, quelques-uns ayant pour plus de deux cent mille écus de pierreries ".

Les trois fêtes qu'on a mis sous les yeux des lecteurs, doivent leur faire pressentir que ce genre très-peu connu, et sur lequel on a trop négligé d'écrire, embrasse cependant une vaste étendue, offre à l'imagination une grande variété, et au génie une carrière brillante.

Ainsi pour donner une idée suffisante sur cette matière, on croit qu'une relation succincte d'une fête plus générale, qui fit dans son temps l'admiration de l'Angleterre, et qui peut-être pourrait servir de modèle dans des cas semblables, ne sera pas tout à fait inutîle à l'art.

Entre plusieurs personnages médiocres qui entouraient le cardinal de Richelieu, il s'était pris de quelque amitié pour Durand, homme maintenant tout à fait inconnu, et qu'on n'arrache aujourd'hui à son obscurité, que pour faire connaître combien les préférences ou les dédains des gens en place, qui donnent toujours le ton de leur temps, influent peu cependant sur le nom des artistes dans la postérité.

Ce Durand, courtisan sans talents d'un très-grand ministre, en qui le défaut de goût n'était peut-être que celui de son siècle, avait imaginé et conduit le plus grand nombre des fêtes de la cour de Louis XIII. Quelques français qui avaient du génie trouvèrent les accès difficiles et la place prise : ils se répandirent dans les pays étrangers, et ils y firent éclater l'imagination, la galanterie et le gout, qu'on ne leur avait pas permis de déployer dans le sein de leur patrie.

La gloire qu'ils y acquirent rejaillit cependant sur elle ; et il est flatteur encore pour nous aujourd'hui, que les fêtes les plus magnifiques et les plus galantes qu'on ait jamais données à la cour d'Angleterre, aient été l'ouvrage des Français.

Le mariage de Frédéric cinquième comte Palatin

* On transcrit tout ceci, mot-à-mot, du traité des Ballets, du père Menestrier, jésuite.

du Rhin, avec la princesse d'Angleterre, en fut l'occasion et l'objet. Elles commencèrent le premier jour par des feux d'artifice en action sur la Tamise ; idée noble, ingénieuse, et nouvelle, qu'on a trop négligée après l'avoir trouvée, et qu'on aurait dû employer toujours à la place de ces desseins sans imagination et sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée, et du bruit.

Ces feux furent suivis d'un festin superbe, dont tous les dieux de la fable apportèrent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caractères *. Un bal éclairé avec beaucoup de gout, dans des salles préparées avec grande magnificence, termina cette première nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précédaient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumières, cachées avec art aux yeux du peuple, et qui portaient toutes sur plusieurs grouppes de personnages qui y étaient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vue par des toiles peintes en nuages, on avait rangé une foule de joueurs d'instruments ; on jouissait ainsi de l'effet, sans en apercevoir la cause, et l'harmonie alors a les charmes de l'enchantement.

Les personnages qu'on voyait sur ces chariots étaient ceux qui allaient représenter un ballet devant le roi, et qui formaient par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne saurait à la vérité être admise dans le palais, mais qui dans des occasions doit toujours être comptée pour beaucoup plus qu'on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, et le ballet commença. Le sujet était le temple de l'honneur, dont la justice était établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l'Inde, le dieu des richesses, l'ambition, le caprice, cherchèrent en vain à s'introduire dans ce temple ; l'honneur n'y laissa pénétrer que l'amour et la beauté, pour chanter l'hymne nuptial des deux nouveaux époux.

Rien n'est plus ingénieux que cette composition, qui respirait par-tout la simplicité et la galanterie.

Deux jours après, trois cent gentilshommes représentant toutes les nations du monde, et divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d'art. Ils étaient précédés et suivis d'un nombre infini d'instruments, qui jouaient sans-cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s'être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arrivèrent au palais du roi où ils dansèrent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande-Bretagne au reste de la terre (a) était le sujet de ce spectacle.

Le théâtre représentait le globe du monde : la vérité, sous le nom d'Alithie, était tranquillement couchée à un des côtés du théâtre. Après l'ouverture, les Muses exposèrent le sujet.

Atlas parut avec elles ; il dit qu'ayant appris d'Archimède que si on trouvait un point fixe, il serait aisé d'enlever toute la masse du monde, il était venu en Angleterre, qui était ce point si difficîle à trouver, et qu'il se déchargerait désormais du poids qui l'avait accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage et du plus éclairé des rais.

Après ce récit, le vieillard accompagné de trois muses, Uranie, Terpsicore, et Clio, s'approcha du globe, et il s'ouvrit.

L'Europe vêtue en reine en sortit la première suivie de ses filles, la France, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, et la Grèce : l'Océan et la Méditerranée l'accompagnaient, et ils avaient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre, et l'Achelous.

Chacune des filles de l'Europe avait trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menait avec elle un Basque, un Bas-Breton ; l'Espagne, un Arragonais et un Catalan : l'Allemagne, un Hongrois, un Bohémien, et un Danois ; l'Italie, un Napolitain, un Vénitien, et un Bergamasque ; la Grèce, un Turc, un Albanais, et un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant-ballet ; et des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortege brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caractères avec les personnages qui étaient déjà sur la scène.

Atlas fit ensuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple et naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d'Angleterre, et par des présents magnifiques qu'elles lui firent.

L'objet philosophique de tous les articles de cet Ouvrage, est de répandre, autant qu'il est possible, des lumières nouvelles sur les différentes opérations des Arts ; mais on est bien loin de vouloir s'arroger le droit de leur prescrire des règles, dans les cas mêmes où ils opèrent à l'aventure, et où nulle loi écrite, nulle réflexion, nul écrit, ne leur a tracé les routes qu'ils doivent suivre. L'honneur de la législation ne tente point des hommes qui ne savent qu'aimer leurs semblables ; ils écrivent moins dans le dessein de les instruire, que dans l'espérance de les rendre un jour plus heureux.

C'est l'unique but et la gloire véritable des Arts. Comme on doit à leur industrie les commodités, les plaisirs, les charmes de la vie, plus ils seront éclairés, plus leurs opérations répandront d'agréables délassements sur la terre ; plus les nations où ils seront favorisés auront des connaissances, et plus le goût fera naître dans leur âme des sentiments délicieux de plaisir.

C'est dans cette vue qu'on s'est étendu sur cet article. On a déjà dû apercevoir, par le détail où on est entré, que le point capital dans ces grands spectacles, est d'y répandre la joie, la magnificence, l'imagination, et surtout la décence : mais une qualité essentielle qu'il faut leur procurer avec adresse, est la participation sage, juste, et utile, qu'on doit y ménager au peuple dans tous les cas de réjouissance générale. On a démélé sans peine dans les fêtes de Londres, que les préparatifs des spectacles qu'on donna à la cour, furent presque tous offerts à la curiosité des Anglais. Outre les feux d'artifice donnés sur la Tamise, on eut l'habileté de faire partir des quartiers les plus éloignés de Londres, et d'une manière aussi élégante qu'ingénieuse, les acteurs qui devaient amuser la cour. On donnait ainsi à tous les citoyens la part raisonnable qui leur était dû. des plaisirs qu'allaient prendre leurs maîtres.

Le peuple, qu'on croit faussement ne servir que de nombre, nos numerus summus, etc. n'est pas moins cependant le vrai trésor des rois : il est, par son industrie et sa fidélité, cette mine féconde qui fournit sans-cesse à leur magnificence ; la nécessité le ranime, l'habitude le soutient, et l'opiniâtreté de ses travaux devient la source intarissable de leurs forces, de leur pouvoir, de leur grandeur. Ils doivent donc lui donner une grande part aux réjouissances solennelles, puisqu'il a été l'instrument secret des avantages glorieux qui les causent. Voyez FETES DE LA COUR, DE LA VILLE, DES PRINCES DE FRANCE, etc. FESTINS ROYAUX, ILLUMINATIONS, etc. FEU D'ARTIFICE. (B)

* Cette partie était imitée de la fête de Bergonce de Botta.

(a) En opposition à cet ancien proverbe, et toto divisos orbe Britannos.

FETES DE LA COUR DE FRANCE. Les tournois et & les carrousels, ces fêtes guerrières et magnifiques, avaient produit à la cour de France en l'année 1559 un événement trop tragique pour qu'on put songer à les y faire servir souvent dans les réjouissances solennelles. Ainsi les bals, les mascarades, et surtout les ballets qui n'entrainaient après eux aucun danger, et que la reine Catherine de Médicis avait connus à Florence, furent pendant plus de 50 ans la ressource de la galanterie et de la magnificence française.

L'ainé des enfants de Henri II. ne regna que dix-sept mois ; il en couta peu de soins à sa mère pour le distraire du gouvernement, que son imbécillité le mettait hors d'état de lui disputer ; mais le caractère de Charles IX. prince fougueux, qui joignait à quelque esprit un penchant naturel pour les Beaux-Arts, tint dans un mouvement continuel l'adresse, les ressources, la politique de la reine : elle imagina fêtes sur fêtes pour lui faire perdre de vue sans-cesse le seul objet dont elle aurait dû toujours l'occuper. Henri III. devait tout à sa mère ; il n'était point naturellement ingrat ; il avait la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l'esprit leger, le cœur gâté, l'âme faible. Catherine profita de cette vertu et de ces vices pour arriver à ses fins : elle mit en jeu les festins, les bals, les mascarades, les ballets, les femmes les plus belles, les courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce prince malheureux sur un trône entouré de précipices : sa vie ne fut qu'un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, et troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l'objet que je me propose ici, je crois devoir choisir parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées durant ce règne, celles qu'on donna en 1581 pour le mariage du duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine, belle-sœur du roi. Je ne fais au reste que copier d'un historien contemporain les détails que je vais décrire.

" Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse et Marguerite de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudemont, sœur de la reine, furent fiancés en la chambre de la reine, et le dimanche suivant furent mariés à trois heures après midi en la paraisse de S. Germain de l'Auxerrais.

Le roi mena la mariée au moutier, suivie de la reine, princesses, et dames tant richement vêtues, qu'il n'est mémoire en France d'avoir Ve chose si somptueuse. Les habillements du roi et du marié étaient semblables, tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu'il n'était possible de les estimer ; car tel accoutrement y avait qui coutait dix mille écus de façon : et toutefois, aux dix-sept festins qui de rang et de jour à autre, par ordonnance du roi, furent faits depuis les nôces, par les princes, seigneurs, parents de la mariée, et autres des plus grands de la cour, tous les seigneurs et dames changèrent d'accoutrements, dont la plupart étaient de toîle et drap d'or et d'argent, enrichis de broderies et de pierreries en grand nombre et de grand prix.

La dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présents, devises, musique, livrées, que le bruit était que le roi n'en serait pas quitte pour cent mille écus.

Le mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de nôces en l'hôtel de son abbaye S. Germain des Prés, et fit faire à grands frais sur la rivière de Seine, un grand et superbe appareil d'un grand bac accommodé en forme de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princesses, et les mariés devaient passer du louvre au pré-aux-clercs, en pompe moult solennelle ; car ce beau char triomphant devait être tiré par-dessus l'eau par d'autres bateaux déguisés en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, et autres monstres marins, en nombre de vingt-quatre, en aucun desquels étaient portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes, clairons, cornets, violons, haut-bois, et plusieurs musiciens d'excellence, même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le trajet devaient donner maints passe-temps, tant au roi qu'à 50000 personnes qui étaient sur le rivage ; mais le mystère ne fut pas bien joué, et ne put-on faire marcher les animaux, ainsi qu'on l'avait projeté ; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu'à sept, aux Tuileries, le mouvement et acheminement de ces animaux, sans en apercevoir aucun effet, dépité, dit, qu'il voyait bien que c'étaient des bêtes qui commandaient à d'autres bêtes ; et étant monté en coche, s'en alla avec la reine et toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs et de fruits, comme si c'eut été en Mai ou en Juillet et Aout.

Le dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre ; et après le festin, le ballet de Circé et de ses nymphes ".

Le triomphe de Jupiter et de Minerve était le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique de la reine ; il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, et les plus grands seigneurs de la cour.

Balthazar de Boisjoyeux, qui était dans ce temps un des meilleurs joueurs de violon de l'Europe, fut l'inventeur du sujet, et en disposa toute l'ordonnance. L'ouvrage est imprimé, et il est plein d'inventions d'esprit ; il en communiqua le plan à la reine, qui l'approuva : enfin tout ce qui peut démontrer la propriété d'une composition se trouve pour lui dans l'histoire. D'Aubigné cependant, dans sa vie qui est à la tête du baron de Foeneste, se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de loin pour les vols littéraires.

" Le lundi 16, en la belle et grande lice dressée et bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux flambeaux.

Le mardi 17, autre combat à la pique, à l'estoc, au tronçon de la lance, à pied et à cheval ; et le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d'Espagne, coursiers, et autres en combattant s'avançaient, se retournaient, contournaient au son et à la cadence des trompettes et clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau et plaisant : mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi et jeudi, fut la musique de voix et d'instruments la plus harmonieuse et la plus déliée qu'on ait jamais ouie (on la devait au goût et aux soins de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillèrent avec effroyable épouvantement et contentement de toutes personnes, sans qu'aucun en fût offensé ".

La partie éclatante de cette fête, qui a été saisie par l'historien que j'ai copié, n'est pas celle qui méritait le plus d'éloges : il y en eut une qui lui fut très-supérieure, et qui ne l'a pas frappé.

La reine et les princesses qui représentaient dans le ballet les nayades et les néréïdes, terminèrent ce spectacle par des présents ingénieux qu'elles offrirent aux princes et seigneurs, qui, sous la figure de tritons, avaient dansé avec elles. C'étaient des médailles d'or gravées avec assez de finesse pour le temps : peut-être ne sera-t-on pas fâché d'en trouver ici quelques-unes. Celle que la reine offrit au roi représentait un dauphin qui nageait sur les flots ; ces mots étaient gravés sur les revers : delphinum, ut delphinum rependat, ce qui veut dire :

Je vous donne un dauphin, et j'en attens un autre.

Madame de Nevers en donna une au duc de Guise sur laquelle était gravé un cheval marin avec ces mots : adversus semper in hostem, prêt à fondre sur l'ennemi. Il y avait sur celle que M. de Genevois reçut de madame de Guise un arion avec ces paroles : populi superat prudentia fluctus ;

Le peuple en vain s'émeut, la prudence l'apaise.

Madame d'Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle était gravée une baleine avec cette belle maxime : cui sat, nil ultrà ;

Avoir assez, c'est avoir tout.

Un physite, qui est une espèce d'orque ou de baleine, était représenté sur la médaille que madame de Joyeuse offrit au marquis de Pons ; ces mots lui servaient de devise : sic famam jungère famae ;

Si vous voulez pour vous fixer la renommée,

Occupez toujours ses cent voix.

Le duc d'Aumale reçut un triton tenant un trident, et voguant sur les flots irrités ; ces trois mots étaient gravés sur les revers : commovet et sedat ;

Il les trouble et les calme.

Une branche de corail sortant de l'eau, était gravée sur la médaille que madame de l'Archant présenta au duc de Joyeuse ; elle avait ces mots pour devise : eadem natura remansit ;

Il change en vain, il est le même.

Ainsi la cour de France, troublée par la mauvaise politique de la reine, divisée par l'intrigue, déchirée par le fanatisme, ne cessait point cependant d'être enjouée, polie et galante. Trait singulier et de caractère, qui serait sans-doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs, sous un roi efféminé, n'y avait été poussé jusqu'à la licence la plus effrénée ; ce qui est toujours une tache pour le souverain, une flétrissure pour les courtisans, et une contagion funeste pour le peuple.

On ne s'est point refusé à ce récit, peut-être trop long, parce qu'on a cru qu'il serait suffisant pour faire connaître le goût de ce temps, et que moyennant cet avantage il dispenserait de bien d'autres détails. Les règnes suivants prirent le ton de celui-ci. Henri IV. aimait les plaisirs, la danse, et les fêtes. Malgré l'agitation de son administration pénible, il se livra à cet aimable penchant ; mais par une impulsion de ce bon esprit, qui reglait presque toutes les opérations de son règne, ce fut Sully, le grave, le sevère, l'exact Sully, qui eut l'intendance des ballets, des bals, des mascarades, de toutes les fêtes, en un mot, d'un roi aussi aimable que grand, et qui méritait à tant de titres de pareils ministres.

Il est singulier que le règne de Louis XIII. et le ministère du plus grand génie qui ait jamais gouverné la France, n'offrent rien sur cet article, qui mérite d'être rapporté. La cour pendant tout ce temps ne cessa d'être triste, que pour descendre jusqu'à une sorte de joie basse, pire cent fois que la tristesse. Presque tous les grands spectacles de ce temps, qui étaient les seuls amusements du roi et des courtisans français, ne furent que de froides allusions, des compositions triviales, des fonds misérables. La plaisanterie la moins noble, et du plus mauvais gout, s'empara pour lors sans contradiction du palais de nos rais. On croyait s'y être bien réjoui, lorsqu'on y avait exécuté le ballet le maître Galimathias, pour le grand bal de la douairière de Billebahaut, et de son fanfan de Sotteville.

On applaudissait au duc de Nemours, qui imaginait de pareils sujets ; et les courtisans toujours persuadés que le lieu qu'ils habitent, est le seul lieu de la terre où le bon goût réside, regardaient en pitié toutes les nations qui ne partageaient point avec eux des divertissements aussi délicats.

La reine avait proposé au cardinal de Savoie, qui était pour lors chargé en France des négociations de sa cour, de donner au roi une fête de ce genre. La nouvelle s'en répandit, et les courtisans en rirent. Ils trouvaient du dernier ridicule, qu'on s'adressât à de plats montagnards, pour divertir une cour aussi polie que l'était la cour de France.

On dit au cardinal de Savoie les propos courants. Il était magnifique, et il avait auprès de lui le comte Philippe d'Aglié. Voyez BALLET. Il accepta avec respect la proposition de la reine, et il donna à Monceaux un grand ballet, sous le titre de gli habitatori di monti, ou les montagnards.

Ce spectacle eut toutes les grâces de la nouveauté ; l'exécution en fut vive et rapide, et la variété, les contrastes, la galanterie dont il était rempli, arrachèrent les applaudissements et les suffrages de toute la cour.

C'est par cette galanterie ingénieuse, que le cardinal de Savoie se vengea de la fausse opinion que les courtisans de Louis XIII. avaient pris d'une nation spirituelle et polie, qui excellait depuis longtemps dans un genre que les François avaient gâté.

Telle fut la nuit profonde, dont le goût fut enveloppé à la cour de Louis XIII. Les rayons éclatants de lumière, que le génie de Corneille répandait dans Paris, n'allèrent point jusqu'à elle : ils se perdirent dans des nuages épais, qui semblaient sur ce point séparer la cour de la ville.

Mais cette nuit et ses sombres nuages ne faisaient que préparer à la France ses plus beaux jours, et la minorité de Louis XIV. y fut l'aurore du goût et des Beaux-Arts.

Sait que l'esprit se fût developpé par la continuité des spectacles publics, qui furent, et qui seront toujours un amusement instructif ; soit qu'à force de donner des fêtes à la cour, l'imagination s'y fût peu-à-peu échauffée ; soit enfin que le cardinal Mazarin, malgré les tracasseries qu'il eut à soutenir et à détruire, y eut porté ce sentiment vif des choses aimables, qui est si naturel à sa nation, il est certain que les spectacles, les plaisirs, pendant son ministère, n'eurent plus ni la grossiereté, ni l'enflure, qui furent le caractère de toutes les fêtes d'éclat du règne précédent.

Le cardinal Mazarin avait de la gaieté dans l'esprit, du goût pour le plaisir dans le cœur, et dans l'imagination moins de faste que de galanterie. On trouve les traces de ce qu'on vient de dire dans toutes les fêtes qui furent données sous ses yeux. Benserade fut chargé, par son choix, de l'invention, de la conduite, et de l'exécution de presque tous ces aimables amusements. Un ministre a tout fait dans ces occasions qui paraissent, pour l'honneur des états, trop frivoles, et peut-être même dans celles qu'on regarde comme les plus importantes, lorsque son discernement a su lui suggérer le choix qu'il fallait faire.

La fête brillante que ce ministre donna dans son palais au jeune roi, le 26 Février 1651, justifia le choix qu'il avait fait de Benserade. On y représenta le magnifique ballet de Cassandre. C'est le premier spectacle où Louis XIV. parut sur le théâtre : il n'avait alors que treize ans : il continua depuis à y étaler toutes ses grâces, les proportions marquées, les attitudes nobles, dont la nature l'avait embelli, et qu'un art facîle et toujours caché, rendait admirables, jusqu'au 13 Février 1669, où il dansa pour la dernière fois dans le ballet de Flore.

Sa grande âme fut frappée de ces quatre vers du Britannicus de Racine :

Pour toute ambition, pour vertu singulière,

Il excelle à conduire un char dans la carrière,

A disputer des prix indignes de ses mains,

A se donner lui-même en spectacle aux Romains.

On ne s'attachera point à rapporter les fêtes si connues de ce règne éclatant ; on sait dans les royaumes voisins, comme en France, qu'elles furent l'époque de la grandeur de cet état, de la gloire des arts, et de la splendeur de l'Europe : elles sont d'ailleurs imprimées dans tant de recueils différents ; nos pères nous les ont tant de fois retracées, et avec des transports d'amour et d'admiration si expressifs, que le souvenir en est resté gravé pour jamais dans les cœurs de tous les Français. On se contente donc de présenter aux lecteurs une réflexion qu'ils ont peut-être déjà faite ; mais au moins n'est-elle, si l'on ne se trompe, écrite encore nulle part.

Louis XIV. qui porta jusqu'au plus haut degré le rare et noble talent de la représentation, eut la bonté constante dans toutes les fêtes superbes, qui charmèrent sa cour et qui étonnèrent l'Europe, de faire inviter les femmes de la ville les plus distinguées, et de les y faire placer sans les séparer des femmes de la cour. Il honorait ainsi, dans la plus belle moitié d'eux-mêmes, ces hommes sages, qui gouvernaient sous ses yeux une nation heureuse. Que ces magnifiques spectacles doivent charmer un bon citoyen, quand ils lui offrent ainsi entre-mêlés dans le même tableau, ces noms illustres qui lui rappellent à la fois et nos jours de victoire, et les sources heureuses du doux calme dont nous jouissons ! Voyez les mémoires du temps, et les diverses relations des fêtes de Louis XIV. surtout de celle de 1668.

La minorité de Louis XV. fournit peu d'occasions de fêtes : mais la cérémonie auguste de son sacre à Rheims, fit renaître la magnificence qu'on avait vue dans tout son éclat, sous le règne florissant de Louis XIV. Voyez FETES DES PRINCES DE LA COUR DE FRANCE, etc.

Elle s'est ainsi soutenue dans toutes les circonstances pareilles ; mais celles où elle offrit ce que la connaissance et l'amour des Arts peuvent faire imaginer de plus utîle et de plus agréable, semblent avoir été réservées au successeur du nom et des qualités brillantes du cardinal de Richelieu. En lui mille traits annonçaient à la cour l'homme aimable du siècle, aux Arts un protecteur, à la France un général. En attendant ces temps de trouble, où l'ordre et la paix le suivirent dans Genèse et ces jours de vengeance, où une forteresse qu'on croyait imprenable devait céder à ses efforts, son génie s'embellissait sans s'amollir, par les jeux riants des Muses et des Graces.

Il éleva dans le grand manège la plus belle, la plus élégante, la plus commode salle de spectacle, dont la France eut encore joui. Le théâtre était vaste ; le cadre qui le bordait, de la plus élégante richesse, et la découpure de la salle, d'une adresse assez singulière, pour que le Roi et toute la cour pussent voir d'un coup-d'oeil le nombre incroyable de spectateurs qui s'empressèrent d'accourir aux divers spectacles qu'on y donna pendant tout l'hiver.

C'est-là qu'on pouvait faire voir successivement et avec dignité les chefs-d'œuvre immortels qui ont illustré la France, autant que l'étendue de son pouvoir, et plus, peut-être, que ses victoires. C'était sans-doute le projet honorable de M. le maréchal de Richelieu. Une salle de théâtre une fois élevée le suppose. La fête du moment n'était qu'un prétexte respectable, pour procurer à jamais aux Beaux-Arts un azyle digne d'eux, dans une cour qui les connait et qui les aime.

Une impulsion de goût et de génie détermina d'abord l'illustre ordonnateur de cette fête, à rassembler, par un enchainement théâtral, tous les genres dramatiques.

Il est beau d'avoir imaginé un ensemble composé de différentes parties, qui, séparées les unes des autres, forment pour l'ordinaire toutes les espèces connues. L'idée vaste d'un pareil spectacle, ne pouvait naître que dans l'esprit d'un homme capable des plus grandes choses : et si, à quelques égards, l'exécution ne fut pas aussi admirable qu'on pouvait l'attendre, si les efforts redoublés des deux plus beaux génies de notre siècle, qui furent employés à cet ouvrage, ont épuisé leurs ressources sans pouvoir porter ce grand projet jusqu'à la dernière perfection, cet événement a du moins cet avantage pour les Arts, qu'il leur annonce l'impossibilité d'une pareille entreprise pour l'avenir.

La nouvelle salle de spectacle, construite avec la rapidité la plus surprenante, par un essor inattendu de mécanique, se métamorphosait à la volonté en une salle étendue et magnifique de bal. Peu de moments après y avoir Ve la représentation pompeuse et touchante d'Armide, on y trouvait un bal le plus nombreux et le mieux ordonné. Les amusements variés et choisis se succédaient ainsi tous les jours ; et la lumière éclatante des illuminations, imaginées avec gout, embellies par mille nouveaux desseins, relatifs à la circonstance, et dont la riche et prompte exécution, paraissait être un enchantement, prêtait aux nuits les plus sombres tous les charmes des plus beaux jours. Voyez SALLE DE SPECTACLE, ILLUMINATION, FEU D'ARTIFICE, etc.

Le ton de magnificence était pris, et les successeurs de M. le maréchal de Richelieu avaient dans leur cœur le même désir de plaire, dans leur esprit un fonds de connaissances capables de le bien soutenir, et cette portion rare de gout, qui dans ces occasions devient toujours comme une espèce de mine abondante de moyens et de ressources.

M. le duc d'Aumont, premier gentilhomme de la chambre, qui succéda à M. le maréchal de Richelieu, tenta une grande partie de ce que celui-ci avait courageusement imaginé ; mais il eut l'adresse de recourir au seul moyen qui pouvait lui procurer le succès, et il sut éviter l'obstacle qui devait le faire échouer. Dans un grand théâtre, avec d'excellents artistes, des acteurs pleins de zèle et de talents, que ne peut-on pas espérer du secours du merveilleux, pourvu qu'on sache s'abstenir de le gâter par le mélange burlesque du comique ? Sur ce principe, M. le duc d'Aumont fit travailler à un ouvrage, dont il n'y avait point de modèle. Un combat continuel de l'art et de la nature en était le fond, l'amour en était l'âme, et le triomphe de la nature en fut le dénouement.

On n'a point Ve à la fois sur les théâtres de l'Europe un pareil assemblage de mouvements et de machines, si capables de répandre une aimable illusion, ni des décorations d'un dessein plus brillant, plus agréable et plus susceptible d'expression. Les meilleurs chanteurs de l'opéra ; les acteurs de notre théâtre les plus surs de plaire ; tous ceux qui brillaient dans la danse française, la seule que le génie ait inventée, et que le goût puisse adopter, furent entre-mêlés avec choix dans le cours de ce superbe spectacle. Aussi vit-on Zulisca amuser le roi, plaire à la cour, mériter les suffrages de tous les amateurs des Arts, et captiver ceux de nos meilleurs artistes.

Le zèle de M. le Duc de Gesvres fut éclairé, ardent, et soutenu, comme l'avait été celui de ses prédécesseurs ; il semblait que le Roi ne se servit que de la même main pour faire éclater aux yeux de l'Europe son amour pour les Arts ; et sa magnificence.

Le 2d mariage de M. le Dauphin en 1747 ouvrit une carrière nouvelle à M. le duc de Gesvres, et il la remplit de la manière la plus glorieuse. Les bals parés et masqués donnés avec l'ordre le plus désirable, de brillantes illuminations, voyez ILLUMINATION ; les feux d'artifice embellis par des desseins nouveaux, voyez FEU D'ARTIFICE ; tout cela préparé sans embarras, sans confusion, conservant dans l'exécution cet air enchanteur d'aisance, qui fait toujours le charme de ces pompeux amusements, ne furent pas les seuls plaisirs qui animèrent le cours de ces fêtes. Le théâtre du manège fournit encore à M. le duc de Gesvres des ressources dignes de son goût et de celui d'une cour éclairée.

Outre les chefs-d'œuvre du théâtre français, qu'on vit se succéder sur un autre théâtre moins vaste d'une manière capable de rendre leurs beautés encore plus séduisantes, les opéra de la plus grande réputation firent revivre sur le théâtre du manège l'ancienne gloire de Quinault, créateur de ce beau genre, et de Lully, qui lui prêta tous ces embellissements nobles et simples qui annoncent le génie et la supériorité qu'il avait acquise sur tous les musiciens de son temps.

M. le duc de Gesvres fit plus ; il voulut montrer combien il désirait d'encourager les beaux Arts modernes, et il fit représenter deux grands ballets nouveaux, relatifs à la fête auguste qu'on célebrait, avec toute la dépense, l'habileté, et le goût dont ces deux ouvrages étaient susceptibles. L'année galante fit l'ouverture des fêtes et du théâtre ; les fêtes de l'hymen et de l'amour furent choisies pour en faire la clôture.

Ainsi ce théâtre, superbe édifice du goût de M. le maréchal de Richelieu, était devenu l'objet des efforts et du zèle de nos divers talents ; on y jouit tour-à-tour des charmes variés du beau chant français, de la pompe de son opéra, de toutes les grâces de la danse, du feu, de l'harmonieux accord de ses symphonies, des prodiges de machines, de l'imitation habîle de la nature dans toutes les décorations.

On ne s'en tint point aux ouvrages choisis pour annoncer par de nobles allégories les fêtes qu'on voulait célebrer ; on prit tous ceux qu'on crut capables de varier les plaisirs. M. le maréchal de Richelieu avait fait succéder à la Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire, et Jupiter vainqueur des Titants, spectacle magnifique, digne en tout de l'auteur ingénieux et modeste (M. de Bonneval, pour lors intendant des menus-plaisirs du Roi), qui avait eu la plus grande part à l'exécution des belles idées de M. le maréchal de Richelieu. Il est honorable pour les gens du monde, qu'il se trouve quelquefois parmi eux, des hommes aussi éclairés sur les Arts.

On vit avec la satisfaction la plus vive Zelindor, petit opéra dont les paroles et la musique ont été inspirées par les grâces, et dont toutes les parties forment une foule de jolis tableaux de la plus douce volupté.

C'est-là que parut pour la première fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble et de la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de grandes images et de tableaux ridicules, ouvrage produit par la gaieté, enfant de la saillie, et notre chef-d'œuvre de génie musical qui n'eut pas alors tout le succès qu'il méritait.

Le ballet de la Félicité, allégorie ingénieuse de celle dont jouissait la France, parut ensuite sous l'administration de M. le duc d'Aumont, et Zulisca, dont nous avons parlé, couronna la beauté des spectacles de l'hiver 1746. On a détaillé l'année 1747.

Les machines nouvelles qui, pendant le long cours de ces fêtes magnifiques, parurent les plus dignes de louange, furent, 1°. celle qui d'un coup-d'oeil changeait une belle salle de spectacle en une magnifique salle de bal : 2°. celle qui servit aux travaux et à la chute des Titants, dans l'opéra de M. de Bonneval, mis en musique par M. de Blamont sur-intendant de celle du Roi, auteur célèbre des fêtes grecques et romaines : 3°. les cataractes du Nil et le débordement de ce fleuve. Le vol rapide et surprenant du dieu qui partait du haut des cataractes, et se précipitait au milieu des flots irrités en maître suprême de tous ces torrents réunis pour servir sa colere, excita la surprise, et mérita le suffrage de l'assemblée la plus nombreuse et la plus auguste de l'univers. Cette machine formait le nœud du second acte des fêtes de l'Hymen et de l'Amour, opéra de MM. de Cahusac et Rameau, qui fit la clôture des fêtes de cette année.

Elles furent suspendues dans l'attente d'un bonheur qui intéressait tous les Français. La grossesse enfin de madame la dauphine ranima leur joie ; et M. le duc d'Aumont, pour lors premier gentilhomme de la chambre de service, eut ordre de faire les préparatifs des plaisirs éclatants, où la cour espérait de pouvoir se livrer.

Je vais tracer ici une sorte d'esquisse de tous ces préparatifs, parce qu'ils peuvent donner une idée juste des ressources du génie français, et du bon caractère d'esprit de nos grands seigneurs dans les occasions éclatantes.

On a Ve une partie de ce qu'exécuta le goût ingénieux de M. le duc d'Aumont dans son année précédente. Voyons en peu de mots ce qu'il avait déterminé d'offrir au roi, dans l'espérance où l'on était de la naissance d'un duc de Bourgogne. L'histoire, les relations, les mémoires, nous apprennent ce que les hommes célèbres ont fait. La Philosophie Ve plus loin ; elle les examine, les peint, et les juge sur ce qu'ils ont voulu faire.

M. le duc d'Aumont avait choisi pour servir de théâtre aux différents spectacles qu'il avait projetés, le terrain le plus vaste du parc de Versailles, et le plus propre à la fois à fournir les agréables points de vue qu'il voulait y ménager pour la cour, et pour la curiosité des François que l'amour national et la curiosité naturelle font courir à ces beaux spectacles.

La pièce immense des Suisses était le premier local où les yeux devaient être amusés pendant plusieurs heures par mille objets différents.

Sur les bords de la pièce des Suisses, en face de l'orangerie, on avait placé une ville édifiée avec art, et fortifiée suivant les règles antiques.

Plusieurs fermes joignant les bords du bassin, élevées de distance en distance sur les deux côtés, formaient des amphithéâtres surmontés par des terrasses ; elles portaient et soutenaient les décorations qu'on avait imaginées en beaux paysages coupés de palais, de maisons, de cabanes même. Les parties isolées de ces décorations étaient des percées immenses que la disposition des clairs, des obscurs, et les positions ingenieuses des lumières devaient faire paraitre à perte de vue.

Tous ces beaux préparatifs avaient pour objet l'amusement du Roi, de la famille royale, et de la cour, qui devaient être placés dans l'orangerie, et de la multitude qui aurait occupé les terrasses supérieures, tous les bas côtés de la pièce des Suisses, etc.

Voici l'ingénieux, l'élégant, et magnifique arrangement qui avait été fait dans l'orangerie.

En perspective de la pièce des Suisses et de toute l'étendue de l'orangerie, on avait élevé une grande galerie terminée par deux beaux salons de chaque côté, et suivie dans ses derrières de toutes les pièces nécessaires pour le service. Un grand salon de forme ronde était au milieu de cette superbe galerie : l'intérieur des salons, de la galerie, et de toutes les parties accessoires, était décoré d'architecture d'ordres composés. Les pilastres étaient peints en lapis ; les chapiteaux, les bases, les corniches étaient rehaussés d'or ; et la frise peinte en lapis était ornée de guirlandes de fleurs.

Dans les parties accessoires, les panneaux étaient peints en breche violette, et les bords d'architecture en blanc veiné. Les moulures étaient dorées, ainsi que les ornements et les accessoires.

On avait rassemblé dans les plafonds les sujets les plus riants de l'Histoire et de la Fable : ils étaient comme encadrés par des chaines de fleurs peintes en coloris, portées par des grouppes d'amours et de génies jouans, avec leurs divers attributs.

Les trumeaux et les panneaux étaient couverts des glaces les plus belles ; et on y avait multiplié les girandoles et les lustres, autant que la symétrie et les places l'avaient permis.

C'est dans le salon du milieu de cette galerie que devait être dressée la table du banquet royal.

L'extérieur de ces édifices orné d'une noble architecture, était décoré de riches pentes à la turque, avec portiques, pilastres, bandeaux, architraves, corniches, et plusieurs grouppes de figures allégoriques à la fête. Tous les ornements en fleurs étaient peints en coloris ; tous les autres étaient rehaussés d'or : au tour intérieur de l'orangerie, en face de la galerie, on avait construit un portique élégant dont les colonnes séparées étaient fermées par des cloisons peintes des attributs des diverses nations de l'Europe. Les voutes représentaient l'air, et des génies en grouppes variés et galans, qui portaient les fleurs et les fruits que ces divers climats produisent. Dans les côtés étaient une immense quantité de girandoles cachées par la bâtisse ingénieuse, à différents étages, sur lesquels étaient étalés des marchandises, bijoux, tableaux, étoffes, etc. des pays auxquels elles étaient censées appartenir.

Dans le fond était élevé un théâtre ; il y en avait encore un dans le milieu et à chacun des côtés : aux quatre coins étaient des amphithéâtres remplis de musiciens habillés richement, avec des habits des quatre parties de l'Europe. Tout le reste était destiné aux différents objets de modes, d'industrie, de magnificence, et de luxe, qui caractérisent les mœurs et les usages des divers habitants de cette belle partie de l'univers.

Au moment que le roi serait arrivé, cinquante vaisseaux équipés richement à l'antique, de grandeurs et de formes différentes ; vingt frégates et autant de galeres portant des troupes innombrables de guerriers répandus sur les ponts et armés à la grecque, auraient paru courir à pleines voiles contre la ville bâtie : le feu de ces vaisseaux et celui de la ville était composé par un artifice singulier, que la fumée ne devait point obscurcir, et qui aurait laissé voir sans confusion tous ses desseins et tous ses effets. Les assaillans après les plus grands efforts, et malgré la défense opiniâtre de la ville, étaient cependant vainqueurs ; la ville était prise, saccagée, détruite ; et sur ses débris s'élevait tout-à-coup un riche palais à jour. Voyez FEU D'ARTIFICE.

Le festin alors devait être servi ; et comme un changement rapide de théâtre, toutes les différentes parties de l'orangerie, telles qu'on les a dépeintes, se trouvaient frappées de lumière ; le palais magique du fond de la pièce des Suisses, les fermes qui représentaient à ses côtés les divers paysages, la suite de maisons, les coupures de campagne, etc. qu'on a expliquées plus haut, se trouvaient éclairés sur les divers desseins de cette construction, ou suivant les différentes formes des arbres dont la campagne était couverte.

Les deux côtés du château, toute la partie des jardins qui aboutissait en angle sur l'orangerie et sur la pièce des Suisses, étaient remplis de lumières qui dessinaient les attributs de l'amour et ceux de l'hymen. Des ruches couvertes d'abeilles figurées par des lampions du plus petit calibre et multipliées à l'infini, offraient une allégorie ingénieuse et saillante de la fête qu'on célébrait, et de l'abondance des biens qui devaient la suivre. Les trompettes, les tymbales, et les corps de musique des quatre coins de l'orangerie, devaient faire retentir les airs pendant que le Roi, la Reine, et la famille royale, dans le salon du milieu, et toute la cour, à vingt autres tables différentes, jouiraient du service le plus exquis. Après le soupé, le premier coup-d'oeil aurait fait voir cette immensité de desseins formés au loin par la lumière, et cette foule de personnages répandus dans l'enceinte de l'orangerie représentant les différentes nations de l'Europe, et placés avec ordre dans les cases brillantes où ils avaient été distribués.

On devait trouver, au sortir de la galerie, en jouissant de la vue de toutes les richesses étrangères, qui avaient été rassemblées sous les beaux portiques, un magnifique opéra, qui, au moment de l'arrivée du roi, aurait commencé son spectacle.

Au sortir du grand théâtre, la cour aurait suivi le Roi sous tous les portiques : les étoffes, le gout, les meubles élégans, les bijoux de prix, auraient été distribués par une loterie amusante et pleine de galanterie, à toutes les dames et à tous les seigneurs de la cour.

Le magnifique spectacle de ce séjour, après qu'on aurait remonté le grand escalier, et qu'on aurait aperçu l'illumination du bassin, de l'orangerie, des deux faces du château, et des deux parties des jardins qui y répondent, aurait servi de clôture aux fêtes surprenantes de ce jour tant désiré.

L'attente de la nation fut retardée d'une année ; et alors des circonstances qui nous sont inconnues lièrent sans-doute les mains zélées des ordonnateurs. Sans autre fête qu'un grand feu d'artifice, ils laissèrent la cour et la ville se livrer aux vifs transports de joie que la naissance d'un prince avait fait passer dans les cœurs de tous les Français. Voyez FETES DE LA VILLE DE PARIS.

Les douceurs de la paix et un accroissement de bonheur, par la naissance de Monseigneur le duc de Berry, firent renaître le goût pour les plaisirs. M. le duc d'Aumont fut chargé en 1754 des préparatifs des spectacles. Le théâtre de Fontainebleau fut repris sous œuvre, et exerça l'adresse féconde du sieur Arnoult, machiniste du roi, aidée des soins actifs de l'ordonnateur et du zèle infatigable des exécutants. On vit représenter avec la plus grande magnificence, six différents opéra français qui étaient entremêlés les jours qu'ils laissaient libres des plus excellentes tragédies et comédies de notre théâtre.

L'ouverture de ce théâtre fut faite par la naissance d'Osiris, prologue allégorique à la naissance de monseigneur le duc de Berry ; on en avait chargé les auteurs du ballet des fêtes de l'hymen et de l'amour, qui avaient fait la clôture des fêtes du mariage : ainsi les talents modernes furent appelés dans les lieux même où les anciens étaient si glorieusement applaudis. Le petit opéra d'Anacréon, ouvrage de ces deux auteurs ; Alcimadure, opéra en trois actes précédé d'un prologue, et en langue languedocienne, de M. Mondonville, eurent l'honneur de se trouver à la suite de Thésée, cet ouvrage si fort d'action ; d'Alceste, le chef-d'œuvre du merveilleux et du pathétique ; enfin de Thétis, opéra renommé du célèbre M. de Fontenelle. On a Ve ce poète philosophe emprunter la main des grâces pour offrir la lumière au dernier siècle. Il jouit à la fois de l'honneur de l'avoir éclairé, et des progrès rapides que doivent à ses efforts les Lettres, les Arts, et les Sciences dans le nôtre.

M. Blondel de Gagny, Intendant pour lors des menus-plaisirs du Roi, seconda tout le zèle de l'ordonnateur. Par malheur pour les Arts et les talents, qu'il sait discerner et qu'il aime, il a préféré le repos aux agréments dont il était sur de jouir dans l'exercice d'une charge à laquelle il était propre. Tous les sujets différents qui pendant cinquante jours avaient déployé leurs talents et leurs efforts pour contribuer au grand succès de tant d'ouvrages, se retirèrent comblés d'éloges, encouragés par mille attentions, récompensés avec libéralité. (B)

FETES DE LA VILLE DE PARIS. On a Ve dans tous les temps le zèle et la magnificence fournir à la capitale de ce royaume des moyens éclatants de signaler son zèle et son amour pour nos rais. L'histoire de tous les règnes rappelle aux Parisiens quelque heureuse circonstance que leurs magistrats ont célébrée par des fêtes. Notre objet nous borne à ne parler que de celles qui peuvent honorer ou éclairer les Arts.

Le mariage de Madame, infante, offrit à feu M. Turgot une occasion d'en donner une de ce genre ; on croit devoir la décrire avec quelque détail. L'administration de ce magistrat sera toujours trop chère aux vrais citoyens, pour qu'on puisse craindre à son égard d'en trop dire.

Le Roi, toute la famille royale lui firent espérer d'honorer ses fêtes de leur présence ; il crut devoir ne leur offrir que des objets dignes d'eux.

On était en usage de prendre l'hôtel de ville pour le centre des réjouissances publiques. Les anciennes rubriques, que les esprits médiocres révèrent comme des lois sacrées, ne sont pour les têtes fortes que des abus ; leur destruction est le premier degré par lequel ils montent bientôt aux plus grandes choses. Telle fut la manière constante dont M. Turgot se peignit aux Français, pendant le cours de ses brillantes prevôtés. Il pensa qu'une belle fête ne pouvait être placée sur un terrain trop beau, et il choisit l'éperon du pont-neuf sur lequel la statue d'Henri IV. est élevée, pour former le point de vue principal de son plan.

Ce lieu, par son étendue, par la riche décoration de divers édifices qu'il domine et qui l'environnent, surtout par le bassin régulier sur lequel il est élevé, pouvait faire naître à un ordonnateur de la trempe de celui-ci, les riantes idées des plus singuliers spectacles. Voici celles qu'il déploya aux yeux les plus dignes de les admirer.

On vit d'abord s'élever rapidement sur cette espèce d'esplanade un temple consacré à l'hymen ; il était dans le ton antique ; ses portiques étaient de cent-vingt pieds de face, et de quatre-vingt pieds de haut, sans y comprendre la hauteur de l'appui et de la terrasse de l'éperon, qui servait de base à tout l'édifice, et qui avait quarante pieds de hauteur.

Le premier ordre du temple était composé de trente-deux colonnes d'ordre dorique, de quatre pieds de diamètre et trente-trois pieds de fust, formant un carré long de huit colonnes de face, sur quatre de retour.

Elles servaient d'appui à une galerie en terrasse de cent cinq pieds de long, ornée de distance en distance de belles statues sur leurs piés-d'estaux. Au dessus de la terrasse, et à l'à-plomb des colonnes du milieu, s'élevait un socle antique formé de divers compartiments ornés de bas-reliefs, et couronné de douze vases.

Deux massifs étaient bâtis dans l'intérieur, afin d'y pratiquer des escaliers commodes. Le socle au reste formait une seconde terrasse de retour avec les bases, chapiteaux, entablements, et balustrades, servants d'appui à une galerie en terrasse de cent cinq pieds de long, divisée par des pié-d'estaux. Au dessus de cette terrasse, et à l'à-plomb des colonnes du milieu ; s'élevait un socle en attique, formé de compartiments ornés de bas-reliefs, et couronné de douze vases ; deux corps solides étaient construits dans l'intérieur, dans lesquels on avait pratiqué des escaliers.

Toute la construction de cet édifice était en relief, ainsi que les plafonds, enrichis de compartiments en mosaïque, guillochés, rosettes, festons, etc. à l'imitation des anciens temples, et tels qu'on le voit au panthéon, dont on avait imité les ornements ; à la réserve cependant des bases que l'on jugea à propos de donner aux colonnes, pour s'accommoder à l'usage du siècle : elles y furent élevées sur des socles d'environ quatre pieds de haut, servants comme de repos aux balustrades de même hauteur qui étaient entre les entre-colonnements. C'est la seule différence que le nouvel édifice eut avec ceux de l'antiquité, où les colonnes d'ordre dorique étaient presque toujours posées sur le rez-de-chaussée, quoique sans base. A cela près, toutes les proportions y furent très-bien gardées. Ces colonnes avaient huit diamètres un quart de longueur, qui est la véritable proportion que l'espace des entre-colonnements exige de cette ordonnance : il devait y avoir un second ordre ionique ; mais le temps trop court pour l'exécution, força de s'en tenir au premier ordre dorique, qui se grouppant avec le massif, pour monter au haut de l'édifice, formait un très-beau carré long.

Vingt-huit statues isolées, de ronde bosse, de dix pieds de proportion, représentant diverses divinités avec leurs symboles et attributs, étaient posées sur les pié-d'estaux de la balustrade, à l'à-plomb des colonnes.

On préféra pour tout cet édifice et pour ses ornements, la couleur de pierre blanche à celle des différents marbres qu'on aurait pu imiter ; outre que la couleur blanche a toujours plus de relief, surtout aux lumières et dans les ténèbres, la vraisemblance est aussi plus naturelle et l'illusion plus certaine : aussi ce temple faisait-il l'effet d'un édifice réel, construit depuis longtemps dans la plus noble simplicité de l'antique sans ornement postiche, et sans mélange d'aucun faux brillant. Telle renaitra de nos jours la belle et noble Architecture ; nous la reverrons sortir des mains d'un moderne qui manquait à la gloire de la nation : le choix éclairé de M. le marquis de Marigny a su le mettre à sa place. C'est-là le vrai coup de maître dans l'ordonnateur. Le talent une fois placé, les beautés de l'art pour éclore en foule n'ont besoin que du temps.

La terrasse en saillie qui portait le temple, était décorée en face d'une architecture qui formait trois arcades et deux pilastres en avant-corps dans les angles : on voyait aussi dans chacun des deux côtés, une arcade accompagnée de ses pilastres. Toute cette décoration était formée par des refends et bossages rustiques : et elle était parfaitement d'accord avec le temple. Tous les membres de l'architecture étaient dessinés par des lampions ; et l'intérieur des arcades, à la hauteur de l'imposte, était préparé pour donner dans le temps une libre issuè à des cascades, des nappes, des torrents de feu, qui firent un effet aussi agréable que surprenant.

Sur la terrasse du temple s'élevait un attique porté par des colonnes intérieures, et orné de panneaux chargés de bas-reliefs : des vases ornés de sculpture étaient posés au haut de l'attique, à l'à-plomb des colonnes.

Les corps solides des escaliers étaient ornés d'architecture et de bas-reliefs, de niches, de statues, etc.

Aux deux côtés de cet édifice s'élevaient, le long des parapets du pont-neuf, trente-six pyramides, dont dix-huit de quarante pieds de haut, et dix-huit de vingt-six, qui se joignaient par de grandes consoles, et qui portaient des vases sur leur sommet. Cette décoration, préparée particulièrement pour l'illumination, accompagnait le bâtiment du milieu ; elle était du dessein de feu M. Gabriel, premier architecte du Roi : la premier était du chevalier Servandoni.

Décoration de la Rivière, illumination, &c.

Dans le milieu du canal que forme la Seine, et vis-à-vis le balcon préparé pour leurs Majestés, s'élevait un temple transparent, composé de huit portiques en arcades et pilastres, avec des figures relatives au sujet de la fête. Il formait un salon à huit pans, du milieu desquels s'élevait une colonne transparente qui avait le double de la hauteur du portique, et qui était terminée par un globe aussi transparent, semé de fleurs-de-lis et de tours. Tous les châssis de ce temple, qui semblait consacré à Apollon, étaient peints, et présentaient aux yeux mille divers ornements : il paraissait construit sur des rochers, entre lesquels on avait pratiqué des escaliers qui y conduisaient.

Ce salon disposé en gradins, et destiné pour la musique, était rempli d'un très-grand nombre des plus habiles symphonistes. Le concert commença d'une manière vive et bruyante, au moment que le Roi parut sur son balcon ; il se fit entendre tant que dura la fête, et ne fut interrompu que par les acclamations réitérées du peuple.

Entre le temple et le pont-neuf étaient quatre grands bateaux en monstres marins ; il y en avait quatre autres dans la même position entre le temple et le pont-royal, et tout-à-coup on jouit du spectacle de divers combats des uns contre les autres. Ces monstres vomissaient de leurs gueules et de leurs narines, des feux étincelans d'un volume prodigieux et de diverses couleurs : les uns traçaient en l'air des figures singulières ; les autres tombant comme épuisés dans les eaux, y reprenaient une nouvelle force, et y formaient des pyramides et des gerbes de feu, des soleils, etc.

Une joute commença la fête. Il y avait deux troupes de jouteurs, l'une à la droite, et l'autre à la gauche du temple. Chacune était composée de vingt jouteurs et de trente-six rameurs. Les maîtres de la joute étaient dans des bateaux particuliers. Tous les jouteurs étaient habillés de blanc uniformément, et à la légère ; leurs vêtements, leurs bonnets et leurs jarretières étaient ornés de touffes de rubans de différentes couleurs, avec des écharpes de taffetas, etc. Ils joutèrent avec beaucoup d'adresse, de force et de résolution, et avec un zèle et une ardeur admirables. La ville récompensa les deux jouteurs victorieux par un prix de la valeur de vingt pistoles chacun, et d'une médaille.

A la première obscurité de la nuit on vit paraitre l'illumination ; elle embellissait les mouvements de la multitude, en éclairant les flots de ce peuple innombrable répandu sur les quais. On jouissait à-la-fais des lumières qui éclairaient les échafauds, de celles qui brillaient aux fenêtres, aux balcons, et sur des terrasses richement et ingénieusement ornées ; ce qui se joignant à la variété des couleurs des habits, et à la parure recherchée et brillante des hommes et des femmes, dont la clarté des lumières relevait encore l'éclat, faisait un coup-d'oeil et divers points de perspective dont la vue était éblouie et séduite.

L'illumination commença par le temple de l'hymen, dont tout l'entablement était profilé de lumières, ainsi que les balustrades, sur lesquelles s'élevaient de grands lustres ou girandoles en ifs dans les entre-colonnes, formés par plus de cent lumières chacun. Toute la suite des pyramides et pilastres chantournés, avec leurs pié-d'estaux réunis par des consoles, dont on a parlé, élevés sur les parapets du pont à droite et à gauche, était couverte d'illuminations, ainsi que toute la décoration de la terrasse en saillie, dont les refends et les ceintres étaient profilés, et chargés de gros lampions et de terrines.

Ce qui répondait parfaitement à la magnificence de cette illumination, c'était de voir le long des deux quais, sur le pont-neuf et le pont-royal, des lustres composés chacun d'environ quatre-vingt grosses lumières, suspendus aux mêmes endroits où l'on met ordinairement les lanternes de nuit.

Mais voici une illumination toute nouvelle. Quatre-vingt petits bâtiments de différentes formes, dont la mâture, les vergues, les agrès et les cordages étaient dessinés par de petites lanternes de verre, et mouvantes, au nombre de plus de dix mille, entrèrent dans le grand canal du côté du pont-neuf ; et après diverses marches figurées, elles se divisèrent en quatre quadrilles, et bordèrent les rivages de la Seine entre le pont-neuf et le pont-royal.

Un même nombre de bateaux de formes singulières, et chargés de divers artifices, se mêlèrent avec symétrie aux premiers ; le salon octogone, transparent, paraissait comme au centre de cette brillante et galante fête, et semblait sortir du sein des feux et des eaux.

On ne s'aperçut point de la fuite du jour ; la nuit qui lui succéda, était environnée de la plus brillante lumière.

Le signal fut donné, et dans le même instant le temple de l'hymen, tous les édifices qui bordent des deux côtés les quais superbes qui servaient de cadre à ce spectacle éclatant, le pont-royal et le pont-neuf, les échafauds qui étaient élevés pour porter cette foule de spectateurs, les amphithéâtres qui remplissaient les terrains depuis les bords de la Seine jusqu'à fleur des parapets, tout fut illuminé presqu'au même moment : on ne vit plus que des torrents de lumière soumis à l'art du dessein, et formant mille figures nouvelles, embellies par des contrastes, détachées avec adresse les unes des autres, ou par les formes de l'architecture sur lesquelles elles étaient placées, ou par l'ingénieuse variété des couleurs dont on avait eu l'habileté d'embellir les feux divers de la lumière.

Feu d'artifice.

Le bruit de l'artillerie, le son éclatant des trompettes, annoncèrent tout-à-coup un spectacle nouveau. On vit s'élancer dans les airs de chaque côté du temple de l'hymen, un nombre immense de fusées qui partirent douze à douze des huit tourelles du pont-neuf ; cent quatre-vingt pots à aigrette et plusieurs gerbes de feu leur succédèrent. Dans le même temps on vit briller une suite de gerbes sur la tablette de la corniche du pont ; et le grand soleil fixe, de soixante pieds de diamètre, parut dans toute sa splendeur au milieu de l'entablement. Directement au-dessous on avait placé un grand chiffre d'illumination de couleurs différentes, imitant l'éclat des pierreries, lequel, avec la couronne dont il était surmonté, avait trente pieds de haut ; et aux côtés, vis-à-vis les entre-colonnes du temple, on voyait deux autres chiffres d'artifice de dix pieds de haut, formant les noms des illustres époux, en feu bleu, qui contrastait avec les feux différents dont ils étaient entourés.

On avait placé sur les deux trotoirs du pont-neuf, à la droite et à la gauche du temple, au-delà de l'illumination des pyramides, deux cent caisses de fusées de cinq à six douzaines chacune. Ces caisses tirées cinq à la fais, succédèrent à celles qu'on avait Ve partir des tourelles, à commencer de chaque côté, depuis les premières, auprès du temple, et successivement jusqu'aux extrémités à droite et à gauche.

Alors les cascades ou nappes de feu rouge sortirent des cinq arcades de l'éperon du pont-neuf ; elles semblaient percer l'illumination dont les trois façades étaient revêtues, et dont les yeux pouvaient à peine soutenir l'éclat. Dans le même temps un combat de plusieurs dragons commença sur la Seine, et le feu d'eau couvrit presque toute la surface de la rivière.

Au combat des dragons succédèrent les artifices dont les huit bateaux de lumières étaient chargés. Au même endroit, dans un ordre différent, étaient trente-six cascades ou fontaines d'artifices d'environ trente pieds de haut, dans de petits bateaux, mais qui paraissaient sortir de la rivière.

Ce spectacle des cascades, dont le signal avait été donné par un soleil tournant, avait été précédé d'un berceau d'étoiles produit par cent soixante pots à aigrettes, placés au bas de la terrasse de l'éperon.

Quatre grands bateaux servant de magasin à l'artifice d'eau, étaient amarrés près des arches du pont-neuf, au courant de la rivière, et quatre autres pareils du côté du pont-royal. L'artifice qu'on tirait de ces bateaux, consistait dans un grand nombre de gros et petits barrils chargés de gerbes et de pots, qui remplissaient l'air de serpenteaux, d'étoiles et de genouillières. Il y avait aussi un nombre considérable de gerbes à jeter à la main, et de soleils tournant sur l'eau.

La fin des cascades fut le signal de la grande girande sur l'attique du temple, qui était composée de près de six mille fusées. On y mit le feu par les deux extrémités au même instant ; et au moment qu'elle parut, les deux petites girandes d'accompagnement, placées sur le milieu des trotoirs du pont-neuf, de chaque côté, composées chacune d'environ cinq cent fusées, partirent, et une dernière salve de canon termina cette magnifique fête.

Tout l'artifice était de la composition de M. Elric, saxon, capitaine d'Artillerie dans les troupes du roi de Prusse.

Le lendemain, 30 Aout, M. Turgot voulut encore donner un nouveau témoignage de zèle au Roi, à madame Infante, et à la famille royale. Il était un de ces hommes rares qui ont l'art de rajeunir les objets ; ils les mettent dans un jour dont on ne s'était pas avisé avant eux, ils ne sont plus reconnaissables. Telle fut la magie dont se servit alors feu M. Turgot. Il trouva le secret de donner un bal magnifique qui amusa la Cour et Paris toute la nuit, dans le local le moins disposé peut-être pour une pareille entreprise. M. le maréchal de Richelieu parut en 1745 avoir hérité du secret de ce magistrat célèbre. Voyez FETES DE LA COUR DE FRANCE.

Bal de la ville de Paris, donné dans son hôtel la nuit du 30 Aout 1739.

Trais grandes salles dans lesquelles on dansa, avaient été préparées avec le plus de soin, et décorées avec autant d'adresse que d'élégance. L'architecture noble de la première, qu'on avait placée dans la cour, était composée d'arcades et d'une double colonnade à deux étages, qui contribuaient à l'ingénieuse et riche décoration dont cette salle fut ornée. Pour la rendre plus magnifique et plus brillante par la variété des couleurs, toute l'architecture fut peinte en marbre de différentes espèces ; on y préféra ceux dont les couleurs étaient les plus vives, les mieux assorties, et les plus convenables à la clarté des lumières et aux divers ornements de relief rehaussés d'or, qui représentaient les sujets les plus agréables de la fable, embellis encore par des positions et des attributs relatifs à l'objet de la fête.

Au fond de cette cour changée en salle de bal, on avait construit un magnifique balcon en amphithéâtre, qui était rempli d'un grand nombre de symphonistes. L'intérieur de toutes ces arcades était en gradins, couverts de tapis en forme de loges, d'une très-belle disposition, et d'une grande commodité pour les masques, auxquels on pouvait servir des rafraichissements par les derrières. Elle était couverte d'un plafond de niveau, et éclairée d'un très-grand nombre de lustres, de girandoles et de bras à plusieurs branches, dont l'ordonnance décelait le goût exquis qui ordonnait tous ces arrangements.

La grande salle de l'hôtel de ville, qui s'étend sur toute la façade, servait de seconde salle ; elle était décorée de damas jaune, enrichi de fleurs en argent : on y avait élevé un grand amphithéâtre pour la symphonie. Les embrasures et les croisées étaient disposées en estrades et en gradins, et la salle était éclairée par un grand nombre de bougies.

La troisième salle était disposée dans celle qu'on nomme des gouverneurs ; on l'avait décorée d'étoffe bleue, ornée de galons et gaze d'or, ainsi que l'amphithéâtre pour la symphonie : elle était éclairée par une infinité de lumières placées avec art.

On voyait par les croisées de ces deux salles, tout ce qui se passait dans la première : c'était une perspective ingénieuse qu'on avait ménagée pour multiplier les plaisirs. On communiquait d'une salle à l'autre par un grand appartement éclairé avec un art extrême.

Auprès de ces trois salles on avait dressé des buffets décorés avec beaucoup d'art, et munis de toutes sortes de rafraichissements, qui furent offerts et distribués avec autant d'ordre et d'abondance que de politesse.

On compte que le concours des masques a monté à plus de 12000 depuis les huit heures du soir, que le bal commença, jusqu'à huit heures du matin. Toute cette fête se passa avec tout l'amusement, l'ordre et la tranquillité qu'on pouvait désirer, et avec une satisfaction et un applaudissement général.

Les ordres avaient été si bien donnés, que rien de ce qu'on aurait pu désirer n'y avait été oublié. Les précautions avaient été portées jusqu'à l'extrême, et tous les accidents quelconques avaient dans des endroits secrets, les remèdes, les secours, les expédiens qui peuvent les prévenir ou les réparer. La place de Greve et toutes les avenues furent toujours libres, en sorte qu'on abordait à l'hôtel de ville commodément, sans accidents et sans tumulte. Des fallots sur des poteaux, éclairaient la place et le port de la Greve, jusque vers le Pont-Marie, où l'on avait soin de faire défiler et ranger les carosses ; il y avait des barrières sur le rivage, pour prévenir les accidents.

Toutes les dispositions de cette grande fête ont été conservées dans leur état parfait pendant huit jours, pour donner au peuple la liberté de les voir.

Les grands effets que produisit cette merveilleuse fête, sur plus de 600000 spectateurs, sont restés gravés pour jamais dans le souvenir de tous les Français. Aussi le nom des Turgots sera-t-il toujours cher à une nation sensible à la gloire, et qui mérite plus qu'une autre de voir éclore dans son sein les grandes idées des hommes. Voyez ILLUMINATION, FEU d'ARTIFICE, &c.

Il y a eu depuis des occasions multipliées, où la ville de Paris a fait éclater son zèle et sa magnificence, ainsi la convalescence du plus chéri de nos Roi, son retour de Metz (voyez FESTINS ROYAUX), nos victoires, les deux mariages de monseigneur le Dauphin ont été célébrés par des fêtes, des illuminations, des bals, des feux d'artifice ; mais un trait éclatant, supérieur à tous ceux que peuvent produire les arts, un trait qui fait honneur à l'humanité, et digne en tout d'être éternisé dans les fastes de l'Europe, est l'action généreuse qui tint lieu de fête à la naissance de monseigneur le duc de Bourgogne.

Six cent mariages faits et célébrés aux dépens de la ville, furent le témoignage de son amour pour l'état, de son ardeur pour l'accroissement de ses forces, de l'humanité tendre qui guide ses opérations dans l'administration des biens publics.

Dans tous les temps cette action aurait mérité les louanges de tous les gens de bien, et les transports de reconnaissance de la nation entière. Une circonstance doit la rendre encore plus chère aux contemporains, et plus respectable à la postérité.

Au moment que le projet fut proposé à la ville, les préparatifs de la plus belle fête étaient au point de l'exécution. C'est à l'hôtel de Conty que devait être donné le spectacle le plus ingénieux, le plus noble, le moins ressemblant qu'on eut imaginé encore. Presque toutes les dépenses étaient faites. J'ai vu, j'ai admiré cent fois tous ces magnifiques préparatifs. On avait pris des précautions infaillibles contre les caprices du temps, l'évenement aurait illustré pour jamais et l'ordonnateur, et nos meilleurs artistes occupés à ce superbe ouvrage. Le succès paraissait sur. La gloire qui devait le suivre fut sacrifiée, sans balancer, au bien plus solide de donner à la patrie de nouveaux citoyens. Quel est le vrai français qui ne sente la grandeur, l'utilité, la générosité noble de cette résolution glorieuse ? Quelle admirable leçon pour ces hommes superficiels, qui croient se faire honneur de leurs richesses en se livrant à mille gouts frivoles ! Quel exemple pour nos riches modernes, qui ne restituent au public les biens immenses qu'ils lui ont ravis, que par les dépenses superflues d'un luxe mal entendu, qui, en les déplaçant, les rend ridicules !

Toutes les villes considérables du royaume imitèrent un exemple aussi respectable ; et l'état doit ainsi à l'hotel-de-ville de sa capitale, une foule d'hommes nés pour l'aimer, le servir, et le défendre. (B)

FETES DES GRANDES VILLES DU ROYAUME DE FRANCE. C'est ici qu'on doit craindre les dangers d'une matière trop vaste. Rien ne serait plus agréable pour nous, que de nous livrer à décrire par des exemples aussi honorables que multipliés les ressources du zêle de nos compatriotes, dans les circonstances, où leur amour pour le sang de leurs rois a la liberté d'éclater. On verrait dans le même tableau la magnificence constante de la ville de Lyon embellie par le goût des hommes choisis qui la gouvernent, toujours marquée au coin de cet amour national, qui fait le caractère distinctif de ses citoyens. A côté des fêtes brillantes, qui ont illustré cette ville opulente, on serait frappé des ressources des habitants de nos beaux ports de mer, dans les circonstances où le bonheur de nos rais, ou la gloire de la patrie, leur ont fourni les occasions de montrer leur adresse et leur amour. On trouverait dans le cœur de la France, sous les yeux toujours ouverts de nos Parlements, des villes plus tranquilles, mais moins opulentes, suppléer dans ces moments de joie, à tous les moyens faciles qu'offre aux autres la fortune par l'activité, l'élégance, les nouveautés heureuses, les prodiges imprévus que fournit à l'industrie et au bon esprit la fécondité des talents et des arts. Telles seraient les fêtes de Toulouse, de Rennes, de Rouen, de Dijon, de Mets, etc. que nous pourrions décrire ; mais on s'attache ici au nécessaire. Les soins qu'on a pris à Bordeaux, lors du passage de notre première dauphine dans cette ville, sont un précis de tout ce qui s'est jamais pratiqué de plus riche, de plus élégant dans les différentes villes du royaume ; et les arts différents, qui se sont unis pour embellir ces jours de gloire, ont laissé dans cette occasion aux artistes plusieurs modèles à méditer et à suivre.

On commence cette relation du jour que madame la dauphine arriva à Bayonne ; parce que les moyens qu'on prit pour lui rendre son voyage agréable et facile, méritent d'être connus des lecteurs qui savent apprécier les efforts et les inventions des arts.

Madame la dauphine arriva le 15 Janvier 1745 à Bayonne. Elle passa sous un arc de triomphe de quarante pieds de hauteur, au-dessus duquel étaient accollées les armes de France et celles d'Espagne, soutenues par deux dauphins, avec cette inscription : Quam bene perpetuis sociantur nexibus ambo ! De chaque côté de l'arc de triomphe régnaient deux galeries, dont la supérieure était remplie par les dames les plus distinguées de la ville, et l'autre l'était par cinquante-deux jeunes demoiselles habillées à l'espagnole. Toutes les rues par lesquelles madame la dauphine passa, étaient jonchées de verdure, tendues de tapisseries de haute-lisse, et bordées de troupes sous les armes.

Une compagnie de basques qui était allée au-devant de cette princesse à une lieue de la ville, l'accompagna en dansant au son des flutes et des tambours jusqu'au palais épiscopal, où elle logea pendant son séjour à Bayonne.

Dès que le jour fut baissé, les places publiques, l'hôtel de ville et toutes les rues furent illuminées ; le 17 madame la dauphine partit de Bayonne, et continua sa route.

En venant de Bayonne, on entre dans la généralité de Bordeaux par les landes de captioux, qui contiennent une grande étendue de pays plat, où on n'aperçoit que trois ou quatre habitations dispersées au loin, avec quelques arbres aux environs.

L'année précédente, l'intendant de Guienne prévoyant le passage de l'auguste princesse que la France attendait, fit au-travers de ces landes aligner et mettre en état un chemin large de quarante-deux pieds, bordés de fossés de six pieds.

Vers le commencement du chemin, dans une partie tout à fait unie et horizontale, les pâtres du pays, huit jours avant l'arrivée de madame la dauphine, avaient fait planter de chaque côté, à six pieds des bords extérieurs des fossés, 300 pins espacés de 24 pieds entr'eux ; ils formaient une allée de 1200 taises de longueur, d'autant plus agréable à la vue, que tous ces pins étaient entièrement semblables les uns aux autres, de 8 à 9 pieds de tige, de 4 pieds de tête, et d'une grosseur proportionnée. On sait la propriété qu'ont ces arbres, d'être naturellement droits et toujours verts.

Au milieu de l'allée on avait élevé un arc de triomphe de verdure, présentant au chemin trois portiques. Celui du milieu avait 24 pieds de haut sur 16 de large, et ceux des côtés en avaient 17 de haut sur quatre de large. Ces trois portiques étaient répétés sur les flancs, mais tous trois de hauteur seulement de 17 pieds, et de 9 de largeur : le tout formant un carré long sur la largeur du chemin, par l'arrangement de 16 gros pins, dont les têtes s'élevaient dans une juste proportion au-dessus des portiques. Les ceintres de ces portiques étaient formés avec des branchages d'autres pins, de chênes verts, de lierres, de lauriers et de myrtes, et il en pendait des guirlandes de même espèce faites avec soin, soit pour leurs formes, soit pour les nuances des différents verts. Les tiges des pins, par le moyen de pareils branchages, étaient proprement ajustées en colonnes torses : de la voute centrale de cet arc de triomphe champêtre, descendait une couronne de verdure, et au-dessus du portique du côté que venait madame la dauphine, était un grand cartouche verd, où on lisait en gros caractères : A la bonne arribado de noste dauphino.

On voyait sur la même façade cette autre inscription latine ; les six mots dont elle était composée furent rangés ainsi :

Jubet amor,

Fortuna negat,

Natura juvat.

Les pâtres, au nombre de trois cent, étaient rangés en haie entre les arbres, à commencer de l'arc de triomphe du côté que venait madame la dauphine ; ils avaient tous un bâton, dont le gros bout se perdait dans une touffe de verdure. Ils étaient habillés uniformément comme ils ont coutume d'être en hiver, avec une espèce de surtout de peau de mouton, fournie de sa laine, des guêtres de même, et sur la tête, une toque appelée vulgairement barret, qui était garnie d'une cocarde de rubans de soie blanche et rouge.

Outre ces trois cent pâtres à pied, il y en avait à leur tête cinquante habillés de même, montés sur des échasses d'environ 4 pieds. Ils étaient commandés par un d'entr'eux, qui eut l'honneur de présenter par écrit à madame la dauphine, leur compliment en vers dans leur langage.

Le compliment fut terminé par mille et mille cris de vive le Roi, vive la Reine, vive monseigneur le Dauphin, vive madame la dauphine.

Les députés du corps de ville de Bordeaux vinrent à Castres le 26. Ils furent présentés à madame la dauphine, et le lendemain elle arriva à Bordeaux sur les trois heures et demie du soir, au bruit du canon de la ville et de celui des trois forts. La princesse trouva à la porte S. Julien un arc de triomphe très-beau que la ville avait fait élever.

Le plan que formait la base de cet édifice, était un rectangle de 60 pieds de longueur et de 18 pieds de largeur, élevé de soixante pieds de hauteur, non compris le couronnement. Ses deux grandes faces étaient retournées d'équerre sur le grand chemin, ornées d'architecture d'ordre dorique, enrichies de sculpture et d'inscriptions. Il était ouvert dans son milieu par une arcade de plein ceintre, en chacune de ses deux faces, qui étaient réunies entr'elles par une voute en berceau, dont les naissances portaient sur quatre colonnes isolées, avec leurs arriere-pilastres, ce qui formait un portique de 14 pieds de largeur sur 30 pieds de hauteur.

Les deux côtés de cet édifice en avant-corps formaient deux carrés, dont les angles étaient ornés par des pilastres corniers et en retour, avec leurs bases et chapiteaux portant un entablement qui regnait sur les quatre faces de l'arc de triomphe. La frise était ornée de ses triglifes et métopes, enrichis alternativement de fleurs-de-lis et de tours en bas relief. La corniche l'était de ses mutules, et de toutes les moulures que cet ordre prescrit.

Au-dessus de cet entablement s'élevait un attique, où étaient les compartiments qui renfermaient des inscriptions que nous rapporterons plus bas.

A l'à-plomb de huit pilastres, et au-dessus de l'attique, étaient posés huit vases, quatre sur chaque face, au milieu desquelles étaient deux grandes volutes en adoucissement, qui servaient de support aux armes de l'alliance, dont l'ensemble formait un fronton, au sommet duquel était un étendart de 27 pieds de hauteur sur 36 de largeur, avec les armes de France et d'Espagne.

Les entre-pilastres au pourtour étaient enrichis de médaillons, avec leurs festons en sculpture : au bas desquels et à leur à-plomb étaient des tables refouillées, entourées de moulures ; l'imposte qui regnait entre deux, servait d'architrave aux quatre colonnes et aux quatre pilastres, portant le ceintre avec son archivolte.

Cet édifice, qui était de relief en toutes ses parties, était feint de marbre blanc. Il était exécuté avec toute la sévérité des règles attachées à l'ordre dorique.

Sur le compartiment de l'attique, tant du côté de la campagne que de celui de la ville, était l'inscription suivante : Anagramma numericum. Unigenito regis filio Ludovico, et augustae principi Hispaniae, connubio junctis, civitas Burdegalensis et sex viri erexerunt. *

Au-dessous de cette inscription et dans la frise de l'entablement, était ce vers tiré de Virgile.

Ingredere, et votis jam nunc assuesce vocari. **

Les médaillons en bas-relief des entre-pilastres, placés au-dessus des tables refouillées et impostes ci-dessus décrits, renfermaient les emblêmes suivants.

Dans l'un, vers la campagne, on voyait la France tenant d'une main une fleur-de-lis, et de l'autre une corne d'abondance.

Elle était habillée à l'antique, avec un diadème sur la tête et un écusson des armes de France à ses pieds. L'Espagne était à la gauche, en habit militaire, comme on la voit dans les médailles antiques, avec ces mots pour âme, concordia aeterna, union éternelle ; dans l'exergue était écrit, Hispania, Gallia ; l'Espagne, la France.

Dans l'autre, aussi vers la campagne, la ville de Bordeaux était représentée par une figure, tenant une corne d'abondance d'une main, et faisant remarquer de l'autre son port. Derrière elle on voyait son ancien amphithéâtre, vis-à-vis la Garonne, qui était reconnaissable par un vaisseau qui paraissait arriver : l'inscription, Burdigalensium gaudium, et dans l'exergue ces mots, adventus Delphinae 1745 ; l'arrivée de madame la dauphine remplit de joie la ville de Bordeaux.

Du côté de la ville, l'emblème de la droite représentait un miroir ardent qui reçoit les rayons du soleil, et qui les réfléchit sur un flambeau qu'il allume ; et pour légende, coelesti accenditur igne, le feu qui l'a allumé vient du ciel.

Dans l'autre, on voyait la déesse Cybele assise entre deux lions, couronnée de tours, tenant dans sa main droite les armes de France, et dans sa gauche une tige de lis. Pour légende, ditabit olympum nova Cybeles, cette nouvelle Cybele enrichira l'olympe de nouveaux dieux.

Sur les côtés de cet arc de triomphe, étaient deux médaillons sans emblème. Au premier, felici adventui, à l'heureuse arrivée. Au second, venit expectata dies, le jour si attendu est arrivé.

Madame la dauphine trouva auprès de cet arc de triomphe de corps de ville qui l'attendait. Le comte de Segur était à la tête. Le corps de ville eut l'honneur d'être présenté à madame la dauphine par M. Desgranges, et de la complimenter : le comte de Segur porta la parole.

Le compliment fini, le carrosse de madame la dauphine passa lentement sous l'arc de triomphe, et entra dans la rue Bouhaut. Toutes les maisons de cette rue, qui a plus de deux cent taises de long en

* Anagramme numérique. La ville et les jurats de Bordeaux ont érigé cet arc de triomphe en l'honneur du mariage de monseigneur le Dauphin, fils unique du Roi, et de madame infante d'Espagne.

** Arrivez, auguste Princesse, et recevez avec bonté l'hommage de nos cœurs.

ligne presque droite, et que l'Intendant avait eu soin de faire paver de neuf, pour que la marche y fût plus douce, étaient couvertes des plus belles tapisseries.

Au bout de la rue, madame la dauphine vit la perspective du palais que l'on y avait peint. De la porte de S. Julien on découvre du fond de la rue Bouhaut, à la distance d'environ deux cent taises, les faces des deux premières maisons qui forment l'embouchure de la rue du Cahernan, qui est à la suite et sur la même direction que la précédente. Celle de la droite, qui est d'un goût moderne et fort enrichie d'architecture, présentait un point de vue agréable, bien différente de celle de la gauche, qui n'était qu'une masure informe.

Pour éviter cette difformité et corriger le défaut de symétrie, on y éleva en peinture le pendant de la maison de la droite ; et entre les deux on forma une grande arcade, au-dessus de laquelle les derniers étages de ces deux maisons étaient prolongés, de façon qu'ils s'y réunissaient, et que par leur ensemble elles présentaient un palais de marbre lapis et bronze, richement orné de peintures et dorures, avec les armes de France et d'Espagne accompagnées de plusieurs trophées et attributs rélatifs à la fête.

Ce bâtiment, dont le portique ou arcade faisait l'entrée de la rue de Cahernan, produisait un heureux effet ; le carosse de madame la dauphine tourna à droite pour entrer sur les fossés où était le corps des six régiments des troupes bourgeoises. Elle passa sous un nouvel arc de triomphe, placé vis-à-vis les fenêtres de son appartement.

La rue des Fossés est très-considérable, tant par sa longueur, qui est de plus de 400 taises, que par sa largeur, d'environ 80 pieds : on s'y replie sur la droite dans une allée d'ormeaux, qui règne au milieu et sur toute la longueur de la rue.

On avait élevé dans cette allée un superbe corps de bâtiment isolé, de 32 pieds en carré, sur 48 pieds de hauteur, qui répondait exactement aux fenêtres de l'appartement préparé pour madame la dauphine.

L'avantage de cette situation avait animé l'architecte à rendre ce morceau d'architecture digne des regards de l'auguste princesse pour laquelle il était destiné.

Cet ouvrage, qui formait un arc de triomphe, était ouvert en quatre faces par quatre arcades, chacune de 32 pieds de hauteur sur 16 pieds de largeur, dont les opposées étaient réunies par deux berceaux qui perçaient totalement l'édifice, et formaient par leur rencontre une voute d'arête dans le milieu.

Ce bâtiment, quoique sans colonnes et sans pilastres, était aussi riche qu'élégant. Les ornements y étaient en abondance, et sans confusion ; le tout en sculpture de relief et en dorure, sur un fond de marbre de différentes couleurs.

Ces ornements consistaient en seize tables saillantes, couronnées de leurs corniches, et accompagnées de leurs chutes de festons.

Seize médailles entourées de palmes, avec les chiffres en bas-relief de monseigneur le Dauphin et de madame la dauphine.

Quatre impostes avec leurs frises couronnaient les quatre corps solides sur lesquels reposait l'édifice, et entre lesquels étaient les arcades ou portiques, dont les voutes étaient enrichies de compartiments de mosaïque, parsemés de fleurs-de-lis, et de tours de Castille dorées.

On avait suspendu sous la clé de la voute d'arête une couronne de six pieds de diamètre, et de hauteur proportionnée, garnie de lauriers et de fleurs, avec des guirlandes dans le même goût : ouvrage que madame la dauphine pouvait apercevoir sans-cesse de ses fenêtres.

Au-dessus des impostes et à côté de chaque archivolte, étaient deux panneaux refouillés et enrichis de moulures.

L'entablement qui couronnait cet édifice, était d'ordre composite, avec architrave, frise en corniche, enrichie de ses médaillons et de rosettes, dont les profils et saillies étaient d'une élégante proportion.

Quatre écussons aux armes de France et d'Espagne étaient posés aux quatre clés des ceintres, et s'élevaient jusqu'au haut de l'entablement. Ces armes étaient accompagnées de festons et chutes de fleurs.

L'édifice était terminé par des acrotères ou pié-d'estaux couronnés de leurs vases, posés à l'à-plomb de quatre angles, dont les intervalles étaient remplis de balustrades qui renfermaient une terrasse de 30 pieds en carré, sur quoi était élevée une pyramide de 40 pieds de hauteur, pour recevoir l'appareil d'un feu d'artifice qui devait être exécuté le soir de l'arrivée de madame la dauphine.

Cet édifice avait environ 86 pieds d'élevation, y compris la pyramide.

Madame la dauphine entra enfin dans la cour de l'hôtel de ville destiné pour son palais, pendant le séjour qu'elle ferait à Bordeaux.

A l'entrée de la cour, était l'élite d'un régiment des troupes bourgeoises, dont les jurats avaient composé la garde de jour et de nuit.

Les gardes de la porte et ceux de la prevôté occupaient la première salle de l'hôtel de ville ; la porte de cette salle était gardée au-dehors par les troupes bourgeoises.

Les cent-suisses occupaient la seconde salle ; les gardes-du-corps la troisième.

Dans la quatrième, il y avait un dais garni de velours cramoisi, avec des galons et des franges d'or ; le ciel et le dossier étaient ornés dans leurs milieux des écussons des armes de France et d'Espagne, d'une magnifique broderie en or et argent ; sous ce dais, un fauteuil doré sur un tapis de pied, avec un carreau, le tout de même velours, garni de galons, glands, et crépines d'or.

La chambre de madame la dauphine était meublée d'une belle tapisserie, avec plusieurs trumeaux de glace, tables en consoles, lustres et girandoles ; on n'y avait pas oublié, non plus que dans la pièce précédente, le portrait de monseigneur le Dauphin.

Les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, vinrent recevoir les ordres de madame la dauphine, et lui offrir les présents de la ville.

A l'entrée de la nuit il fut fait une illumination générale, tant dans la ville que dans les fauxbourgs ; et sur les huit heures on tira un feu d'artifice. On servit ensuite le souper de madame la dauphine, pendant lequel plusieurs musiciens placés dans une chambre voisine, exécutèrent des symphonies italiennes.

Le 28 la ville offrit des présents aux dames et aux seigneurs de la cour de madame la dauphine, et aux principaux officiers de sa maison.

A midi madame la dauphine se rendit à l'église métropolitaine, accompagnée des dames et seigneurs de sa cour, et des principaux officiers de sa maison.

Elle entra dans cette église par la porte royale, dont le parvis était jonché de fleurs naturelles.

On avait aussi fait orner cette porte de guirlandes de fleurs semblables, et on y avait mis les armes de France et d'Espagne, et de monseigneur le Dauphin, celles du chapitre au-dessous.

Cette princesse fut haranguée par le doyen du chapitre, et conduite processionnellement jusqu'au milieu du chœur ; et quand la messe fut finie, le chapitre qui s'était placé dans les stalles, en sortit pour aller au milieu du chœur prendre madame la dauphine, et la précéder processionnellement jusqu'à la porte royale.

Ce jour elle reçut les compliments de toutes les cours : elle alla ensuite à l'opéra ; l'amphithéâtre était réservé pour cette princesse et sa cour.

On avait fait au milieu de la balustrade, sur la longueur de huit pieds, un avancement en portion de cercle de trois pieds de saillie ; madame la dauphine se plaça dans un fauteuil de velours cramoisi, sur un tapis de pied vis-à-vis cette saillie circulaire, qui était aussi couverte d'un tapis de pareil velours bordé d'un galon d'or.

Il y eut d'abord un prologue à l'honneur de monseigneur le Dauphin et de madame la dauphine * : ensuite on joua deux actes des Indes galantes, celui des Incas, et celui des Fleurs, et on y joignit deux ballets pantomimes ; et cette princesse sortant de l'opéra et rentrant par la principale porte de l'hôtel de ville, trouva un nouveau spectacle : c'était un palais de l'hymen illuminé.

Dans le fond de l'hôtel de ville, en face de la principale entrée qui est sur la rue des Fossés, on avait construit un temple d'ordre ionique. Ce temple qui désignait le palais de l'hymen, avait 90 pieds de largeur sur 45 pieds de hauteur, non compris le sommet du fronton.

Le porche était ouvert par six colonnes isolées, qui formaient un exastile.

Aux deux extrémités se trouvaient deux corps solides, flanqués par deux pilastres de chaque côté.

Les six colonnes et les quatre pilastres avec leurs entablements, étaient couronnés par un fronton de 71 pieds de long.

On montait dans ce porche de 61 pieds 6 pouces de long, sur 9 pieds de large par sept marches de 59 pieds de long.

Les colonnes avaient 27 pieds de hauteur, 3 pieds de diamètre, et 6 pieds d'entre-colonne, appelé systile.

La porte et les croisées à deux étages étaient en face des autres colonnes.

Le plafond du porche que portaient les colonnes, était un compartiment régulier de caisses carrées, coupées par des plates-bandes, ornées de moulures dans le goût antique.

Cet ouvrage était exécuté avec toute la sévérité et l'exactitude des règles de l'ordre ionique. Les colonnes, leurs bases, leurs chapiteaux, l'entablement, le fronton et le tympan enrichi de sculpture, représentaient les armes de France et d'Espagne ornées de festons : le tout en général était de relief, avec une simple couleur de pierre sur tous les bois et autres matières employées à la construction de ce palais. Les chambranles des croisées et de la porte, leurs plates-bandes et appuis ornés de leurs moulures, imitaient parfaitement la réalité ; les châssis des mêmes croisées étaient à petit bois, garnies de leurs carreaux de verre effectif, avec des rideaux couleur de feu qui paraissaient au derrière. Les deux ventaux de la porte étaient d'assemblage, avec panneaux en saillie sur leurs bâtis, les cadres avec leurs moulures de relief, pour recevoir des emblèmes qui furent peints en camayeu. Tout était si bien concerté, que cet ouvrage pouvait passer pour un chef-d'œuvre.

Au milieu de l'entablement de ce palais était une table avec un cadre doré, qui occupait en hauteur celle de l'architrave et de la frise, et en largeur celle de quatre colonnes. Elle renfermait en lettres dorées, l'inscription suivante : Ad honorem connubii augustissimi et felicissimi Ludovici Delphini Franciae, et Mariae Theresiae Hispaniae, hoc aedisicium erexit et dedicavit civitas Burdigalensis *.

En face de l'édifice sur chacun des deux corps solides, était un médaillon renfermant un emblême. Celui de la droite représentait deux lis, qui fleurissent d'eux-mêmes et sans culture étrangère ; ce qui faisait allusion au prince et à la princesse, en qui le sang a réuni toutes les grâces et toutes les vertus. Cela était exprimé par l'inscription, nativo cultu florescunt.

L'emblème de la gauche représentait deux amours qui soutenaient les armes de France et d'Espagne, avec ces mots, propagini imperii gallicani, à la gloire de l'empire français.

Un troisième médaillon qui couronnait la porte d'entrée du palais, renfermait un emblème qui représentait deux mains jointes tenant un flambeau allumé, avec l'inscription, fides et ardor mutuus, l'union et la tendresse mutuelle de deux époux.

Sur les retours des corps solides, dans l'intérieur du porche, étaient deux autres médaillons sans emblème : au premier, amor aquittanicus : au second, fidelitas aquittanica : l'amour et la fidélité inviolables de la Guienne.

La façade sous le porche était éclairée d'un grand nombre de pots-à-feu non-apparents, et attachés près-à-près au derrière des colonnes, depuis leur base jusqu'à leur chapiteau ; ce qui lui donnait un éclat très-brillant. Les corniches du fronton et celles de tout l'entablement, étaient aussi illuminées de quantité de terrines, dont les lumières produisaient un fort bel effet.

Lorsque la princesse fut dans son appartement, elle vit l'illumination de l'arc de triomphe, placé vis-à-vis ses fenêtres. On fit les mêmes illuminations les vendredi, samedi, et dimanche suivants, et chaque fois dans un goût différent.

Après le souper de madame la dauphine, il y eut un bal dans la salle de spectacle ; et comme cette salle fait partie de l'hôtel de ville, elle s'y rendit par la porte de l'intérieur.

Le 29 madame la dauphine, suivie de toute sa cour, sortit de l'hôtel de ville en carrosse à huit chevaux, pour se rendre sur le port de Bordeaux, et y voir mettre à l'eau un vaisseau percé pour 22 canons, du port d'environ 350 tonneaux.

Sur le chemin que cette princesse devait faire pour aller au port, à l'extrémité de la rue des Fossés, à quelque distance de la porte de la ville, on avait élevé une colonne d'ordre dorique de 6 pieds de diamètre, de 50 pieds de hauteur compris sa base et son chapiteau.

Le piédestal qui avait 18 pieds de hauteur, était orné, sur les quatre angles de sa corniche, de quatre dauphins et autres attributs ; ses quatre faces étaient décorées de tables avec moulures, qui renfermaient quatre inscriptions ; la première en français, la seconde en espagnol, la troisième en italien, et la quatrième en latin.

Au-haut du chapiteau, un amortissement de 8 pieds de haut, sur lequel était posé un globe de 6 pieds de diamètre : ce globe était d'azur, parsemé de fleurs-de-lis et de tours de Castille.

On avait placé au-dessus de ce globe un étendard de 20 pieds de hauteur, sur 30 pieds de largeur, où étaient les armes de France et d'Espagne.

Cette colonne était feinte de marbre blanc veiné, ainsi que le piédestal ; les moulures, ornements, vases, et chapiteaux, étaient en dorure, et toutes ces hauteurs réunies formaient une élevation de 102 pieds.

* Les paroles sont de Fuzelier, la musique est de M. Rameau.

* La ville de Bordeaux a élevé ce palais en l'honneur du très-auguste et très-heureux mariage de Louis dauphin de France, et de Marie Thérese infante d'Espagne.

Madame la dauphine s'arrêta auprès de cette colonne, tant pour la considérer que pour lire les quatre inscriptions composées en quatre différentes langues.

Elle alla ensuite sur le port, et fut placée dans un fauteuil sous une espèce de pavillon tapissé, couvert d'un voile, dont les bords étaient garnis d'une guirlande de laurier.

Le vaisseau ayant été béni, madame la dauphine lui donna son nom, et sur le champ il fut lancé à l'eau.

Madame la dauphine, après avoir admiré quelque temps ce point de vue, fut conduite dans une salle où les officiers de la bouche avaient préparé sa collation.

La princesse se retira ensuite aux flambeaux, et se rendit à l'hôtel des fermes du roi.

Cet hôtel compose une des façades latérales de la place royale, construite sur le bord de la Garonne ; il avait été fait pour en illuminer les façades extérieures et intérieures, de grands préparatifs qui ne purent réussir ce jour-là, quant à la façade extérieure, parce qu'un vent de nord violent qui y donnait directement, éteignait une partie des lampions et des pots-à-feu à mesure qu'on les allumait. La même raison empêcha que l'illumination des vaisseaux que les jurats avaient ordonnée, et que madame la dauphine devait voir de cet hôtel, ne put être exécutée.

Quant à la façade intérieure, comme elle se trouvait à l'abri du vent, l'illumination y eut un succès entier.

Les préparatifs n'avaient pas été moindres pour le dedans de la maison ; on avait garni les piliers des voutes, les escaliers, les plafonds, et les corridors d'une infinité de placards à double rang, portant chacun deux bougies.

Les appartements du premier étage destinés pour recevoir madame la dauphine et toute sa cour, étaient richement meublés et éclairés par quantité de lustres qui se répétaient dans les glaces.

Dans une chambre à côté de celle de la princesse, étaient les plus habiles musiciens de la ville, qui exécutèrent un concert dont madame la dauphine parut satisfaite.

On avait servi une collation avec des rafraichissements, dans une autre chambre de l'appartement.

La princesse qui était arrivée vers les six heures à l'hôtel des fermes, y resta jusqu'à huit heures.

Le soir madame la dauphine alla au bal, habillée en domino bleu ; elle se plaça dans la même loge et en même compagnie que le jour précédent, et honora l'assemblée de sa présence pendant plus de deux heures.

Le même jour la princesse honora pour la seconde fois de sa présence l'opéra ; elle était placée comme la première fais, et les mêmes personnes eurent l'honneur d'être admises à l'amphithéâtre : on joua l'opera d'Issé sans prologue, et à cette représentation parut une décoration qui venait d'être achevée sur les desseins et par les soins du cher Servandoni.

Le 31 Janvier elle y alla pour la troisième fais, et l'on représenta l'opera d'Hippolyte et Aricie.

Le soir il fut déclaré qu'elle partirait surement le lendemain à 6 heures et demie précises du matin.

Le lendemain, au moment que madame la dauphine sortait de son appartement, les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, eurent l'honneur de lui rendre leurs respects, et de la supplier d'accepter la maison navale, que la ville avait fait préparer pour son voyage, et que cette princesse eut la bonté d'accepter.

Cette maison navale était en forme de char de triomphe ; le corps de la barque, du port de quarante tonneaux, était enrichi de bas-reliefs en dorure sur tout son pourtour ; la proue l'était d'un magnifique éperon, représentant une renommée d'une attitude élégante ; les porte-vergues étaient ornées de fleurs-de-lis et de tours ; le haut de l'étrave terminé par un dauphin ; la poupe décorée sur toute la hauteur et la largeur, des armes de France et d'Espagne, avec une grande couronne en relief ; les bouteilles étaient en forme de grands écussons aux armes de France, dont les trois fleurs-de-lis étaient d'or sur un fond d'azur, le tout de relief ; les préceintes formaient comme de gros cordons de feuilles de laurier, aussi en bas-relief en dorure ; le restant de la barque jusqu'à la flotaison, était doré en plein et chargé de fleurs-de-lis et de tours en relief.

La chambre de 20 pieds de longueur sur 10 pieds de largeur, était percée de huit croisées garnies de leurs châssis à verre, à deux rangs de montants ; il y avait trois portes aussi avec leurs châssis, pareils à ceux des croisées ; tout l'intérieur, ainsi que le dessous de l'impériale, était garni de velours cramoisi enrichi de galons et de crêpines d'or, avec un dais placé sur l'arrière, sur une estrade de 8 pieds de profondeur et de la largeur de la chambre, du surplus de laquelle elle était séparée par une balustrade dorée en plein, ouverte dans son milieu pour le passage.

Le ciel et le dossier du dais étaient enrichis dans leur milieu de broderie ; il y avait sous ce dais un fauteuil et un carreau aussi de velours cramoisi, avec des glands et galons d'or.

Le dessus de l'impériale était d'un fond rouge parsemé de fleurs-de-lis et de tours de relief, toutes dorées ; ce qui formait une mosaïque d'une beauté singulière.

Les deux épis étaient ornés d'amortissements en sculpture, et les quatre arrêtiers l'étaient de quatre dauphins, dont les têtes paraissaient sur l'à-plomb des quatre angles de l'entablement, et leurs queues se réunissaient aux deux épis : le tout de relief et dorure.

Les trumeaux d'entre les croisées et portes étaient ornés extérieurement de chutes de festons ; le dessus des linteaux, tant des croisées que des portes, ornés aussi d'autres festons, le tout de relief et dorés en plein ; une galerie de 2 pieds 6 pouces de largeur, bordée d'une balustrade, dont les balustrades, le socle, et l'appui étaient également dorés en plein, entourait la chambre qui était isolée ; ce qui ajoutait une nouvelle grâce à ce bâtiment naval, dont la décoration avait été ménagée avec prudence et sans confusion.

Il était remorqué par quatre chaloupes peintes ; le fond bleu, les préceintes, et les carreaux dorés.

Dans chaque chaloupe étaient vingt matelots, un maître de chaloupe, et un pilote, habillés d'un uniforme bleu, garni d'un galon d'argent, ainsi que les bonnets qui étaient de même couleur.

Les rames étaient peintes, le fond bleu, avec des fleurs-de-lis en or et des croissants en argent, qui font partie des armes de la ville.

Il y avait aussi une chaloupe pour la symphonie, qui était armée comme celles de remorque.

Enfin dans la maison navale il y avait deux premiers pilotes, quatre autres pour faire passer la voix, et six matelots pour la manœuvre.

Avant sept heures madame la dauphine se rendit sur le port dans sa chaise ; elle fut portée jusque sur un pont préparé pour faciliter l'embarquement. Les jurats y étaient en robes de cérémonie, avec un corps de troupes bourgeoises.

Cette princesse étant sortie de sa chaise, le comte de Rubempré, alors malade, prit sa main gauche, et elle donna sa main droite à M. de Ségur sous-maire de Bordeaux. Elle entra ainsi suivie de toute sa cour dans la maison navale, dans laquelle étaient l'intendant de la province et sa suite, le corps-de-ville, l'ordonnateur de la marine, etc.

Au départ de la princesse, l'air retentit des vœux que faisait pour elle une multitude prodigieuse de peuple, répandu sur le rivage, dans les vaisseaux et dans les bateaux du port.

Une batterie de canon, que les jurats avaient fait placer environ cent pas au-dessous du lieu de l'embarquement, fit une salve qui servit de signal pour celle du premier vaisseau ; celle-ci pour celle du second, et successivement jusqu'au dernier : ces vaisseaux, tant français qu'étrangers, tous pavaisés, pavillons et flammes dehors, étaient rangés sur deux lignes : ces salves différentes furent réitérées, aussi-bien que celles des trois châteaux, qui furent faites chacune en son temps.

Une chaloupe remplie de symphonistes, tournait sans-cesse autour de la maison navale ; mais ce n'était pas le seul bateau qui voltigeait ; il y en avait autour d'elle quantité d'autres de toute espèce, et différemment ornés, qui faisaient de temps en temps des salves de petits canons.

Dans la distance qu'il y a du bout des chartreux à la traverse de Lormont, le temps était si calme et la marée si belle, qu'on se détermina à continuer la route de la même manière jusqu'à Blaye.

La navigation continua ainsi par le plus beau temps du monde : on arriva insensiblement au lieu appelé le Bec-d'Ambés, où les deux rivières, de Garonne et Dordogne, se réunissent, et où commence la Gironde ; l'eau était très-calme, madame la dauphine alla sur la galerie, et y demeura près d'un quart d'heure à considérer les différents tableaux dont la nature a embelli cet admirable point-de-vue.

Lorsque madame la dauphine fut rentrée, les députés du corps-de-ville de Bordeaux lui demandèrent la permission de lui présenter un diner que la ville avait fait préparer, et d'avoir l'honneur de l'y servir ; ce que madame la dauphine ayant eu la bonté d'agréer, suivant ce qui s'était pratiqué lors du passage de sa Majesté catholique, père de cette princesse, la cuisine de la ville aborda la maison navale, et celle de la bouche qui avait suivi depuis Bordeaux, se retira.

Au signal qui fut donné, les chaloupes de remorque levèrent les rames, soutenant seulement de la chaloupe de devant, pour tenir les autres en ligne.

M. Cazalet eut l'honneur d'entrer dans l'intérieur de la chambre de madame la dauphine, séparée du reste par une balustrade, de mettre le couvert, et de présenter le pain ; les deux autres députés se joignirent à lui, et ils eurent l'honneur de servir ensemble madame la dauphine, et de lui verser à boire.

On se trouva au port à la fin du diner, après l'abordage la princesse sortit sur un pont que les jurats de Bordeaux avaient fait construire ; le comte de Rubempré tenant sa main gauche, M. Cazalet ayant l'honneur de tenir la droite, elle se mit dans sa chaise pour se rendre à l'hôtel qui lui était préparé.

On voit par ces détails ce que le génie et le zèle peuvent unis ensemble. On ne vit à Bordeaux, pendant le séjour de madame la dauphine, que des réjouissances et des acclamations de joie ; ce n'était que fêtes continuelles dans la plupart des maisons. Le premier président du parlement et l'intendant donnèrent l'exemple ; ils tinrent soir et matin des tables aussi délicatement que magnifiquement servies.

Le corps-de-ville de Bordeaux tint aussi matin et soir des tables très-délicates, et tout s'y passa avec cette élégance aimable, dont le goût sait embellir les efforts de la richesse. (B)

FETES DES PRINCES DE FRANCE. Nos princes, dans les circonstances du bonheur de la nation, signalent souvent par leur magnificence leur amour pour la maison auguste dont ils ont la gloire de descendre, et se plaisent à faire éclater leur zèle aux yeux du peuple heureux qu'elle gouverne.

C'est cet esprit dont tous les Bourbons sont animés, qui produisit lors du sacre du Roi en 1725, ces fêtes éclatantes à Villers-Coterets, et à Chantilly, dont l'idée, l'exécution et le succès furent le chef-d'œuvre du zèle et du génie. On croit devoir en rapporter quelques détails qu'on a rassemblés d'après les mémoires du temps.

Le Roi après son sacre partit de Saissons le 2 de Novembre 1722 à dix heures du matin, et il arriva à Villers-Coterets sur les trois heures et demie, par la grande avenue de Saissons. On l'avait ornée dans tous les intervalles des arbres, de torchères de feuillée portant des pots à feu. L'avenue de Paris, qui se joint à celle-ci dans le même alignement, faisant ensemble une étendue de près d'une lieue, était décorée de la même manière.

Première journée. Après que Sa Majesté se fut reposée un peu de temps, elle parut sur le balcon qui donne sur l'avant-cour du château.

Cette avant-cour est très-vaste, tous les appartements bas étaient autant de cuisines, offices et salles à manger ; ainsi pour la dérober à la vue, et à trois taises de distance, on avait élévé deux amphithéâtres longs de seize taises sur vingt pieds de hauteur, distribués par arcade, sur un plan à pan coupé et isolé. Les gradins couverts de tapis, étaient placés dans l'intervalle des avant-corps ; les parois des amphithéâtres étaient revêtus de feuillées, qui contournaient toutes les architectures des arcades, ornées de festons et de guirlandes, et éclairées de lustres, chargés de longs flambeaux de cire blanche. Des lumières arrangées ingénieusement sous différentes formes, terminaient ces amphithéâtres.

Au milieu de l'avant-cour on avait élevé entre les deux amphithéâtres une espèce de terrasse fort vaste, qui devait servir à plusieurs exercices, et on avait menagé tout autour des espaces très-larges pour le passage des carrosses, qui pouvaient y tourner partout avec une grande facilité. A six taises des quatre encognures, on avait établi quatre tourniquets à courir la bague, peints et décorés d'une manière uniforme.

Pour former une liaison agréable entre toutes ces parties, on avait posé des guéridons de feuillées chargés de lumières, qui conduisaient la vue d'un objet à l'autre par des lignes droites et circulaires. Ces guéridons lumineux étaient placés dans un tel ordre, qu'ils laissaient toute la liberté du passage.

Quand le Roi fut sur son balcon, ayant auprès de sa personne une partie de sa cour, le reste alla occuper les fenêtres du corps du château, qui, aussi-bien que les ailes, était illuminé avec une grande quantité de lampions et de flambeaux de cire blanche : ces lumières rangées avec art sur les différentes parties de l'architecture, produisaient diverses formes agréables et une variété infinie.

L'arrivée de Sa Majesté sur son balcon, fut célébrée par l'harmonie bruyante de toute la symphonie, placée sur les amphithéâtres, et composée des instruments les plus champêtres et les plus éclatants : car dans cet orchestre, qui réunissait un très-grand nombre de violons, de haut-bois et de trompettes-marines, on comptait plus de quarante cors-de-chasse. Les tourniquets à courir la bague, occupés par des dames supposées des campagnes et des châteaux voisins, et par des cavaliers du même ordre, divertirent d'abord le Roi. Les danseurs de corde commencèrent ensuite leurs exercices, au son des violons et des haut-bois : dans les vides de ce spectacle, les trompettes-marines et les cors-de-chasse se joignaient aux violons et aux haut-bois, et jouaient les airs de la plus noble gaieté. La joie regnait souverainement dans toute l'assemblée, et les sauteurs pendant ce temps l'entretenaient par leur souplesse et par les mouvements variés de la plus surprenante agilité.

Après ce divertissement, le Roi voulut voir courir la bague de plus près ; alors les tourniquets furent remplis de jeunes princes et seigneurs, qui briguèrent l'emploi d'amuser Sa Majesté, parmi lesquels le duc de Chartres, le comte de Clermont, le grand-prieur et le prince de Valdeik, le duc de Retz, le marquis d'Alincourt, le chevalier de Pesé, se distinguèrent.

Après avoir été témoin de leur adresse, le Roi remonta et se mit au jeu. Dès que la partie du Roi fut finie, les comédiens Italiens donnèrent un impromptu comique, composé des plus plaisantes scènes de leur théâtre, que Lelio avait rassemblées, et qui réjouirent fort Sa Majesté.

Tous les gens de goût sont d'accord sur la beauté de l'ordonnance du parc et des jardins de Villers-Coterets : le parterre, la grande allée du parc, et les deux qui sont à droite et à gauche du château, furent illuminées par une quantité prodigieuse de pots-à-feu. Tous les compartiments, dessinés par les lumières, ne laissaient rien échapper de leurs agréments particuliers.

Sa Majesté descendit pour voir de plus près l'effet de cette magnifique illumination. Tout-d'un-coup l'attention générale fut interrompue par le son des hautbais et des musettes ; les yeux se portèrent aussi-tôt où les oreilles avertissaient qu'il se présentait un plaisir nouveau. On aperçut au fond du parterre, à la clarté de cent flambeaux, portés par des faunes et des satyres, une nôce de village, qui avançait en dansant vers la terrasse, sur laquelle le Roi était ; Thevenard marchait à la tête de la troupe, portant un drapeau. La nôce rustique était composée de danseurs et de danseuses de l'opéra. Dumoulin et la Prévôt représentaient le marié et la mariée. Ce petit ballet fut suivi du souper du Roi et de son coucher.

M. le régent, M. le duc de Chartres, et les grands officiers de leurs maisons, tinrent les différentes tables nécessaires à la foule de grands seigneurs et d'officiers qui formaient la cour de Sa Majesté ; il y eut pendant tout son séjour quatre tables de trente couverts, vingt-une de vingt-cinq, douze de douze, toutes servies en même temps et avec la plus exquise délicatesse.

On calcula dans le temps, que l'on servait à chaque repas, 5916 plats.

Seconde journée ; chasse du sanglier. Le mardi 3 Novembre, une triple salve de l'artillerie et des boites annonça le lever de Sa Majesté ; après la messe, elle descendit pour se rendre à l'amphithéâtre qui avait été dressé dans le parc, où S. M. devait prendre le plaisir d'une chasse de sanglier dans les toiles. Les princes du sang et les principaux officiers de S. M. le suivirent : l'équipage du Roi pour le sanglier, commandé par le marquis d'Ecquevilly, qui en est capitaine, devait faire entrer plusieurs sangliers dans l'enceinte qu'on avait formée près du jardin de l'orangerie.

Pour placer le Roi et toute sa cour, on avait construit trois galeries découvertes dans la partie intérieure de l'avenue, et sur son alignement, à commencer depuis la grille jusqu'à la contre-allée du parterre. La galerie du milieu préparée pour le Roi avait douze taises de longueur et trois de largeur ; on y montait sept marches par un escalier à double rampe qui conduisait à un repos, d'où l'on montait sept autres marches de front, qui conduisaient sur le plancher. Cette galerie était ornée de colonnes de verdure, dont les entablements s'unissaient aux branches des arbres de l'avenue, et formaient une architecture rustique plus convenable à la fête, que le marbre et les lambris dorés. Cette union des entablements et des arbres ressemblait assez à un dais qui servait de couronnement à la place du Roi. Le plancher était couvert de tapis de Turquie, ainsi que les balustrades ; un tapis de velours cramoisi, brodé de grandes crépines d'or, distinguait la place de S. M. Tout le pourtour de cet édifice, et les rampes des escaliers, étaient revêtus de feuillées.

Aux deux côtés, et à neuf pieds de distance de cette grande galerie, on en avait construit deux autres plus étroites et moins élevées pour le reste des spectateurs, qui ne pouvaient pas tous avoir place sur la galerie du Roi. Ces deux galeries étaient décorées de feuillages comme la grande, et toutes les trois étaient d'une charpente très-solide, et dont l'assemblage avait été fait avec des précautions infinies, pour prévenir les moindres dangers.

Dès que le Roi fut placé, on lâcha l'un après l'autre cinq sangliers dans les toiles. Cette chasse fut parfaitement belle. Le comte de Saxe, le prince de Valdeik, et quelques autres seigneurs français y firent éclater leur adresse et leur intrépidité ; ils entrèrent dans les toiles armés seulement d'un couteau de chasse et d'un épieu.

Le comte de Saxe se distingua beaucoup dans cette chasse. Le Roi ayant blessé un sanglier d'un dard qu'il lui lança, le comte de Saxe l'arracha d'une main du corps de l'animal, que sa blessure rendait plus redoutable, tandis que de l'autre main il en arrêta la fureur et les efforts. Il en poursuivit ensuite un autre qu'il irrita de cent façons différentes : lorsqu'il crut avoir poussé sa rage jusqu'au dernier excès, il feignit de fuir ; le sanglier courut sur lui, il se retourna et l'attendit ; appuyé d'une main sur son épieu, il tenait de l'autre son couteau de chasse. Le sanglier furieux s'élance sur lui ; dans le moment l'intrépide chasseur lui enfonce son couteau de chasse au milieu du front, l'arrête ainsi et le renverse.

Cette chasse, qui divertit beaucoup S. M. et toute la cour, dura jusqu'à une heure après midi, que le Roi rentra pour diner.

Chasse du cerf. Après le diné, S. M. monta en caleche au bas de la terrasse ; les princes, toute la cour, le suivirent à cheval.

Le cerf fut chassé pendant plus de deux heures par la meute du Roi ; le comte de Toulouse, grand-veneur de France, en habit uniforme, piquant à la tête. S. M. parcourut toutes les routes du parc : la chasse passa plusieurs fois devant sa caleche ; et le cerf, après avoir tenu très-longtemps devant les chiens, alla donner de la tête contre une grille, et se tua.

Le Roi revint sur les cinq heures dans son appartement, et changea d'habit pour aller à la foire.

Salle de la foire. La foire que M. le duc d'Orléans avait fait préparer avec magnificence, était établie dans la cour intérieure du château ; elle est carrée et bâtie sur un dessein semblable à l'avant-cour.

Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelque détail de cette foire galante ; l'idée en est riante et magnifique, et peut lui peindre quelques-uns de ces traits saillans du génie aussi vaste qu'aimable du grand prince qui l'avait imaginée.

On avait laissé de grands espaces qui avaient la forme de rues, tout-au-tour de la cour, entre les boutiques et le milieu du terrain, qu'on avait parqueté et élevé seulement d'une marche : ce milieu était destiné à une salle de bal ; et on n'avait rien oublié de ce qui pouvait la rendre aussi magnifique que commode.

La salle n'était séparée de ces espèces de rues que par une banquette continue, couverte de velours cramoisi. Toute la cour qui renfermait cette foire était couverte de fortes bannes soutenues par des travées solides, qui servaient encore à suspendre vingt-quatre lustres. Toutes les différentes parties de cette foire étaient ornées d'une très-grande quantité de lustres ; et ces lumières réfléchies sur des grands miroirs et trumeaux de glaces, étaient multipliées à l'infini.

On entrait dans cette foire par quatre passages qui répondaient aux escaliers du château ; ce lieu n'étant point carré, et se trouvant plus long que large, les deux faces plus étroites étaient remplies par deux édifices élégans, et les deux autres faces étaient subdivisées en boutiques, séparées au milieu par deux petits théâtres.

En entrant de l'avant-cour dans la foire, on rencontrait à droite le théâtre de la comédie italienne, qui remplissait seul une des faces moins larges de la cour. Il était ouvert par quatre pilastres peints en marbre blanc, cantonnés de demi-colonnes d'arabesque et de cariatides de bronze doré, qui portaient une corniche dorée, d'où pendait une pente de velours à crépines d'or, chargée de festons de fleurs : au-dessus regnait un piédestal en balustrade de marbre blanc à moulure d'or, orné de compartiments, de rinceaux de feuilles entrelacées et liées avec des girandoles chargées de bougies.

On voyait au haut de ce théâtre les armes du Roi grouppées avec des guirlandes de fleurs ; le chiffre de S. M. figuré par deux L L entrelacées, paraissait dans deux cartouches qui couronnaient les deux ouvertures faites aux deux côtés du théâtre pour le passage des acteurs ; ces deux passages étaient doublés d'une double portière de damas cramoisi à crépines d'or, festonnant sur le haut. Ce théâtre élevé seulement de trois pieds du rez-de-chaussée représentait un temple de Bacchus dans un jardin à treillage d'or, couvert de vignes et de raisins. On voyait la statue du dieu en marbre blanc, qu'environnaient les satyres en lui présentant leurs hommages.

Le théâtre italien était occupé par deux acteurs et une actrice, Arlequin, Pantalon, et Silvia, qui, par des saillies italiennes et des scènes réjouissantes, commençaient les plaisirs qu'on avait répandus à chaque pas dans ce séjour.

Toutes les boutiques de cette foire brillante étaient séparées par deux pilastres de marbre blanc, de l'entre-deux desquels sortaient trois bras en hauteur, à plusieurs branches, garnis de bougies jusqu'au bas de la balustrade. Ces pilastres étaient cantonnés de colonnes arabesques, portant des vases de bronze doré, d'où paraissaient sortir des orangers chargés d'une quantité prodigieuse de fruits et de fleurs ; ils étaient alignés sur les galeries qui regnaient sur tout l'édifice autour de la foire.

Immédiatement au-dessus des boutiques, qui avaient environ huit pieds de profondeur et quinze à seize de hauteur, regnait tout-au-tour la balustrade dont il a été parlé : à chaque côté des orangers, qui étaient deux à deux, il y avait une girandole garnie de bougies en pyramide ; et entre chaque grouppe d'orangers et de girandoles, il y avait un ou plusieurs acteurs ou actrices de l'opéra, appuyés sur la balustrade, masqués en domino ou autre habit de bal, dont les couleurs étaient très-éclatantes ; ce qui formait le tableau en même temps le plus surprenant et le plus agréable.

Chaque boutique était éclairée par quantité de bras à plusieurs branches et par deux lustres à huit bougies, qui se répétaient dans les glaces. A celles qui étaient destinées pour la bouche, il y avait de plus des buffets rangés avec art et garnis de girandoles. Toutes les boutiques avaient pour couronnement un cartouche qui contenait en lettres d'or le nom du marchand le plus connu de la cour, par rapport à la marchandise de la boutique. Les supports des cartouches étaient ornés des attributs qui pouvaient caractériser chaque négoce dans un goût noble. Les musiciens et musiciennes, danseurs et danseuses de l'opéra, vêtus d'habits galans faits d'étoffes brillantes, et cependant convenables aux marchands qu'ils représentaient, y distribuaient généreusement et à tous venans leur marchandise. La première boutique était celle du pâtissier, sous le nom de Godart ; elle était meublée d'un cuir argenté : le fond séparé au milieu par un trumeau de glace, laissait voir dans ses côtés le lieu destiné au travail du métier, avec tous les ustensiles nécessaires ; la Thierry, danseuse, représentait la pâtissière ; elle avait pour garçons Malterre et Javilliers, qui habillés de toîle d'argent, et portant des clayons chargés de ratons tout chauds, couraient vite les débiter dans la foire. Cette boutique était garnie de toute sorte de pâtisserie fine.

La boutique suivante avait pour inscription Perdrigeon ; elle était meublée d'une tenture de brocatelle de Venise, et de glaces, et garnie de dragonnes brodées en or et en argent, nœuds d'épée et de cannes, ceinturons et bonnets brodés richement ; les rubans de toutes sortes de couleurs et d'or et d'argent, les plus à la mode et du meilleur gout, y pendaient en festons de tous côtés : le maître et la maîtresse de la boutique étaient représentés par Dumoulin danseur, et par la Rey, danseuse.

La troisième boutique était un caffé ; on lisait dans le cartouche le nom de Benachi. Elle était tendue d'un beau cuir doré avec des buffets chargés de tasses, soucoupes, et cabarets du Japon et des Indes, et de girandoles de lumières qui se répétaient dans les trumeaux. Corbie et Julie, chanteur et chanteuse, déguisés en turc et turquesse, ainsi que Deshayes, chanteur, qui leur servait de garçon, distribuaient le caffé, le thé, et le chocolat.

La quatrième boutique élevée en théâtre d'opérateur, était inscrite, le docteur Barry. La forme de ce théâtre représentait une place publique et les rues adjacentes. Scapin en opérateur, Trivelin son garçon, Paqueti en aveugle, et Flaminia femme de l'opérateur, remplissaient ce théâtre, et contrefaisaient parfaitement le manège et l'éloquence des arracheurs de dents.

La cinquième boutique représentait un ridotto de Venise. Le meuble était de velours ; les trumeaux et les bougies y étaient répandus avec profusion. On voyait plusieurs tables de bassette et de pharaon, tenues par des banquiers bien en fonds, et tous masqués à la vénitienne : c'étaient des courtisans, qui se démasquèrent d'abord que le Roi parut.

La sixième, intitulée Ducreux et Baraillon, avait pour marchande la Duval, danseuse ; et pour marchandise, des masques, des habits de bal, et des dominos de toutes les couleurs et de toutes les tailles.

Dans la septième, où étaient Saint-Martin et la Souris la cadette, habillés à l'allemande, on montrait un tableau changeant, d'une invention et d'une variété très-ingénieuse ; et un veau vivant ayant huit jambes. Cette loge était meublée de damas, et s'appelait cadet.

On se trouvait, en tournant, en face de la cour opposée à celle que remplissait le théâtre de la comédie italienne. Elle était décorée de la même ordonnance dans le dehors ; le dedans figurait une superbe boutique de fayencier, meublée de damas cramoisi, et remplie de tablettes chargées de crystaux rares et singuliers, et de porcelaines fines, des plus belles formes, de la Chine, du Japon et des Indes, qui faisaient partie des lots que le Roi devait tirer. Javilliers père, et la Mangot, en hollandais et hollandaise, occupaient cette riche boutique, qui avait pour inscription, Messager.

La première boutique après le magasin de porcelaine, en tournant toujours à droite, était la loge des joueurs de gobelets, habitée par eux-mêmes, et meublée de drap d'or, avec des glaces. Dans le cartouche étaient les noms de Baptiste et de Dimanche, fameux alors par leurs tours d'adresse.

La seconde, intitulée Lesgu et la Frenaye, et dont les officiers de M. le duc d'Orléans faisaient les honneurs, était la bijouterie ; elle était meublée de moire d'or, avec une pente autour, relevée en broderie d'or et ornée de glaces. Cette boutique était remplie de tout ce que l'on peut imaginer en bijoux précieux, exposés sur des tablettes ; d'autres étaient renfermés dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de curiosités indiennes.

La troisième, portant le nom de Fredoc, était l'académie des jeux de dés, du biribi et du hoca, meublée d'un gros damas galonné d'or.

La quatrième, faisant face au théâtre de l'opérateur, était un jeu de marionnettes qui avait pour titre, Brioché.

La cinquième, nommée Procope, était meublée d'un cuir argenté, et ornée de buffets, de trumeaux, de glaces et de girandoles ; elle était destinée par la distribution de toutes les liqueurs fraiches, et des glaces. Buzeau en arménien, et la Perignon en arménienne, présidaient à cette distribution.

La sixième, tendue de brocatelle, s'appelait Bréard ; Dumirail, danseur, en était le maître, et y débitait les ratafia, rossoli, et liqueurs chaudes de toutes les sortes.

La dernière, qui se trouvait dans l'encoignure, près du théâtre italien, était enfin intitulée, M. Blanche, et occupée par la Souris l'ainée, et la du Coudray, marchandes de dragées et de toutes sortes de confitures fines.

Un grand amphithéâtre paré de tapis et bien illuminé, regnait tout le long et au-dessus du théâtre de la comédie italienne : il était rempli par une quantité prodigieuse d'excellents symphonistes.

Les dessus de la loge intitulée Messager, située en face, était aussi couronné par un semblable amphithéâtre, où étaient placés les musiciens et musiciennes, danseurs et danseuses qui n'avaient point d'emploi dans les boutiques de la foire, déguisés en différents caractères sérieux, galans et comiques.

La galerie ornée d'orangers et de girandoles, qui avait bien plus de profondeur aux faces qu'aux ailes, servait comme de base et d'accompagnement à ces deux amphithéâtres, et rendait le point de vue d'une beauté et d'une singularité inexprimables. Tel est toujours l'effet des beaux contrastes.

Le Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s'arrêta d'abord au théâtre de la comédie italienne, où Arlequin, Pantalon et Silvia ne firent pas des efforts inutiles pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là aux marionnettes, et ensuite aux jeux ; s'y amusa quelque temps : et joua au hoca et au biribi. Après le jeu, le Roi alla au théâtre du docteur Barry : Scapin commença sa harangue, que Trivelin expliquait en français, pendant que Flaminia présentait au Roi, dans un mouchoir de soie, les raretés que lui offrait l'opérateur. Des tablettes garnies d'or, et d'un travail fini, furent le premier bijou qui lui fut offert ; Scapin l'accompagna de ce discours qu'il adressa au Roi :

Voilà des tablettes qui renferment le trésor de tous les trésors, Sa Majesté y trouvera l'abrégé de tous mes secrets ; le papier qui les contient est incorruptible, et les secrets impayables.

Flaminia eut encore l'honneur de présenter deux autres bijoux au Roi ; un cachet précieux et d'une gravure parfaite, composé d'une grosse perle ; et d'une antique, avec un petit vase d'une pierre rare, et garni d'or. Scapin fit à chaque présent un commentaire, à la manière des vendeurs d'orviétan. On distribua ainsi aux princes et aux seigneurs de la cour, des bijoux d'or de toute espèce.

Sa Majesté continua sa promenade et fit plusieurs tours dans la foire, pour jouir des divers tours et propos dont les marchands et les marchandes se servent à Paris pour attirer les chalans dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet, et leurs empressements à étaler et à faire accepter leur marchandises, imitaient parfaitement quoiqu'en beau, le tumulte, le bruit et l'espèce de confusion qu'on trouve dans les foires S. Germain et S. Laurent, dans les temps où elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été longtemps diverti par la variété des spectacles et des amusements de la foire, entra dans la boutique de Lesgu et la Frenaye, et tira lui-même une loterie qui, en terminant la fête, surpassa toute la magnificence qu'elle avait étalée jusqu'à ce moment ; en faisant voir l'élégance, la quantité et la richesse des bijoux qui furent donnés par le sort à toute la cour, et à toute la suite qu'elle avait attirée à Villers-Coterets.

Cette loterie, la plus fidèle qu'on ait jamais tirée, occupa Sa Majesté jusqu'à près de neuf heures du soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située au milieu de la foire, et se plaça dans un fauteuil vers le théâtre de la comédie italienne : les princes se rangèrent auprès de Sa Majesté. Les banquettes couvertes de velours cramoisi, qui entouraient cette salle, servaient de barrière aux spectateurs. La symphonie placée sur l'amphithéâtre, commença le divertissement par une ritournelle. La Julie représentant Terpsicore, accompagnée de Pecourt, compositeur de toutes les danses gracieuses et variées exécutées à Villers-Coterets ; et de Mouret, qui avait composé tous les airs de ces danses, chanta un récit au Roi.

Après ce récit la suite de Terpsicore se montra digne d'être amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent à la tête de la danse ; un tambourin provençal se rangea au fond de la salle, et on commença un petit ballet, sans chant, très diversifié par les pas et les caractères, qui fut exécuté par les meilleurs danseurs de l'opéra.

Dès que la danse cessa, on entendit tout-d'un-coup un magnifique chœur en acclamations, mêlé de fanfares, et chanté par tous les acteurs et actrices masqués, placés sur les deux amphithéâtres et les deux galeries qui les accompagnaient ; ce qui causa une surprise très-agréable.

Après ce chœur le Roi alla souper, et les masques s'emparèrent de la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvaient alors dans la foire, tout ce qui était resté dans les boutiques des marchands, qui étaient si abondamment fournies, qu'après que toute la cour fut satisfaite, il s'en trouva encore une assez grande quantité pour contenter tous les curieux.

Ce serait ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée dans le même temps ; et de celle donnée à Saint-Cloud par S. A. S. Mgr. le duc d'Orléans pour la Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera un précis assez détaillé dans quelques autres articles. Voyez SACRE DES ROIS DE FRANCE, ILLUMINATION, FEU D'ARTIFICE, etc.

On terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop long, par le récit d'une fête d'un genre aussi neuf qu'élégant, dont on n'a parlé dans aucun des mémoires du temps, qui mérite à tous égards d'être mieux connue, et qui rappellera à la cour de France le souvenir d'une aimable princesse, qui en était adorée.

On doit pressentir à ce peu de mots, que l'on veut parler de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette marque publique de l'attachement tendre et respectueux qu'elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher. Cette princesse, douée des dons les plus rares, et les mieux faits pour être bientôt démêlés, malgré la douceur modeste qui, en s'efforçant de les cacher, semblait encore les embellir, fit préparer en secret le spectacle élégant dont elle voulait surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle l'engagea à descendre aux flambeaux jusqu'au labyrinthe.

L'entrée de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée par une illumination ingénieuse, et dont les lumières qui la formaient, étaient cachées par des transparents de feuillées.

Esope et l'Amour sont les deux statues qu'on voit aux deux côtés de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse se fit entendre ; et l'on vit tout-à-coup la fée des plaisirs champêtres, qui en était suivie. Elle adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant de goûter quelques moments les innocens plaisirs qu'elle allait lui offrir. Les vers qu'elle chantait, étaient des louanges délicates, mais sans flatterie ; ils avaient été dictés par le cœur de mademoiselle de Clermont : cette princesse ne flatta jamais, et mérita de n'être jamais flattée.

La fée, après son récit, toucha de sa baguette les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d'une symphonie mélodieuse elles s'animèrent, et jouèrent avec la fée une jolie scène, dont les traits legers amusèrent la Reine et la cour.

Après ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans les allées du labyrinthe ; l'illumination en était si brillante, qu'on y lisait les fables qui y sont répandues en inscriptions, aussi aisément qu'en plein jour.

Au premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui formèrent un joli ballet mêlé de chants et de danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant, et l'engagea à venir à la fontaine qu'on trouve avec le grand berceau des oiseaux.

Là plusieurs bergers et bergeres divisés par quadrilles, coururent en dansant au-devant de S. M. et ils représentèrent un ballet très-court et fort ingénieux, dont le charme des plaisirs champêtres était le sujet.

On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets jouèrent pendant tout le temps que la Reine voulut bien y rester ; et la réflexion des coups de lumière qui partaient du nombre immense des lumières qu'on y avait répandues, augmentait et variait à tous les instants les charmes de cet agréable séjour.

La Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ; il était embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles, qui entrelacées avec une quantité immense de lustres de crystal et de girandoles dorées, formaient des espèces de berceaux aussi riches que galans.

Douze jeunes bouquetières galamment ajustées, parurent en dansant. Une encore mieux parée, et qui se distinguait de sa troupe par les grâces de ses mouvements et l'élégance de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles à la Reine : les autres en offrirent à toutes les dames de la cour. Il y avait autour du berceau un grand nombre de tables de gazon, sur lesquelles on voyait des corbeilles dorées, remplies de toutes sortes de fleurs, et dont tout le monde avait la liberté de se parer.

On passa d'allée en allée jusqu'au carrefour ; on y trouva sur un banc élevé en forme de théâtre, deux femmes qui paraissaient en grande querelle. Une symphonie assez longue pour donner à la cour le temps de s'approcher, finit lorsqu'on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc où elles étaient placées : on connut bientôt à leurs discours que l'une était la flatterie, et l'autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions qui avaient pour objet le bien qu'on avait à dire d'une si brillante cour, fit convenir la flatterie qu'on n'avait que faire d'elle pour célébrer les vertus d'une Reine adorée, qui comptait tous ses moments par quelque nouvelle marque de bonté.

Cette scène fut interrompue par une espèce d'allemand, qui perça la foule pour dire, à demi-ivre, que c'était bien la peine de tant dépenser en lumières, pour ne faire voir que de l'eau. Un gascon qui passa d'un autre côté, dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l'air à la cour des rois de France ? A ces deux originaux, en succédèrent quelques autres. Ils s'unirent tous à la fin pour chanter leurs plaintes, et ce chœur comique, finit d'une manière plaisante cette partie de la fête.

La reine et la cour arrivèrent dans la grande allée qui sépare le labyrinthe de l'île d'amour : on y avait formé une salle de spectacle de toute la largeur de l'allée, et d'une longueur proportionnée. La salle et le théâtre étaient ornés avec autant de magnificence que de gout. Les comédiens français y représentèrent une pièce en cinq actes : elle avait été composée par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, et qui a laissé après lui la réputation la plus désirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé la vertu.

Cette pièce, dont je n'ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée de cinq intermèdes de danse, qui furent exécutés par les meilleurs danseurs de l'opéra.

La reine, après la comédie, rentra dans le labyrinthe, et le parcourut par des routes nouvelles, qu'elle trouva coupées par de jolis amphithéâtres, occupés par des orchestres brillans.

Elle se rendit ensuite à l'orangerie, qu'on avait ornée pour un bal paré : il commença et dura jusqu'à l'heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont, avec toute l'élégance qui lui était naturelle. Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ; elles semblaient se multiplier, comme la multitude des plaisirs dont on avait joui dans la fête.

Croirait-on que tous ces apprêts, l'idée, la conduite, l'enchainement des diverses parties de cette fête, furent l'ouvrage de trois jours ? C'est un fait certain qui, vérifié dans le temps, fit donner à tous ces amusements le nom d'impromptu du labyrinthe. La Reine ignorait tout ce qui devait l'amuser pendant cette agréable soirée ; la cour n'était pas mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont, qui avait été annoncé sans mystère, tout le reste demeura caché, et fut successivement embelli du charme de la surprise.

Les courtisans louèrent beaucoup l'invention, la conduite, l'exécution de cette fête ingénieuse, et toute la cour s'intrigua pour en découvrir l'inventeur. Après bien des propos, des contradictions, des conjectures, les soupçons et les vœux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.

Le caractère des hommes se peint presque toujours dans les traits saillans de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé par tant de monde ; la prévoyance, toujours si rare dans la distribution des différents emplois ; le choix et l'instruction des Artistes ; l'enchainement ingénieux des plaisirs, décelaient, malgré sa modestie, l'esprit sage et délicat, qui avait fait tous ces beaux arrangements.

Ces jeux legers, qu'une imagination aussi réglée que riante répandait sur les pas de la Reine la plus respectable, n'étaient que les prémices de ce que M. le duc de Saint-Aignan devait faire un jour pour servir l'état et pour plaire à son Roi.

M. de Blamont, chevalier de l'ordre de S. Michel, et surintendant de la musique de S. M. composa toutes les symphonies et les chants de cette fête. Il était déjà depuis longtemps en possession de la bienveillance de la cour, que sa conduite et ses talents lui ont toujours conservée. (B)

FETE, est le nom à l'opéra de presque tous les divertissements. La fête que Neptune donne à Thétis, dans le premier acte, est infiniment plus agréable que celle que Jupiter lui donne dans le second. Un des grands défauts de l'opéra de Thétis, est d'avoir deux actes de suite sans fêtes ; il était peut-être moins sensible autrefois, mais il a paru très-frappant de nos jours, parce que le goût du public est décidé pour les fêtes.

L'art d'amener les fêtes, de les animer, de les faire servir à l'action principale, est fort rare : cependant, sans cet art, les plus belles fêtes ne sont qu'un ornement postiche. Voyez BALLET, COUPE, COUPER, DIVERTISSEMENT.

Il semble qu'on se serve plus communément du terme de fête pour les divertissements des tragédies en musique, que pour ceux des ballets. C'est un plus grand mot consacré au genre, que l'opinion, l'habitude et le préjugé paraissent avoir décidé le plus grand. Voyez OPERA. (B)