S. f. (Morale) Le mot intolérance s'entend communément de cette passion féroce qui porte à haïr et à persécuter ceux qui sont dans l'erreur. Mais pour ne pas confondre des choses fort diverses, il faut distinguer deux sortes d'intolérance, l'écclésiastique et la civile.

L'intolérance écclésiastique consiste à regarder comme fausse toute autre religion que celle que l'on professe, et à le démontrer sur les toits, sans être arrêté par aucune terreur, par aucun respect humain, au hasard même de perdre la vie. Il ne s'agira point dans cet article de cet héroïsme qui a fait tant de martyrs dans tous les siècles de l'église.

L'intolérance civîle consiste à rompre tout commerce et à poursuivre, par toutes sortes de moyens violents, ceux qui ont une façon de penser sur Dieu et sur son culte, autre que la nôtre.

Quelques lignes détachées de l'écriture-sainte, des pères, des conciles, suffiront pour montrer que l'intolérant pris en ce dernier sens, est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique, et un mauvais citoyen.

Mais avant que d'entrer en matière, nous devons dire, à l'honneur de nos Théologiens catholiques, que nous en avons trouvé plusieurs qui ont souscrit, sans la moindre restriction, à ce que nous allons exposer d'après les autorités les plus respectables.

Tertullien dit apolog. ad scapul. Humani juris et naturalis potestatis est unicuique quod putaverit, colere ; nec alii obest aut prodest alterius religio. Sed nec religionis est cogère religionem quae sponte suscipi debeat, non Ve ; cum et hostiae ab animo lubenti expostulentur.

Voilà ce que les chrétiens faibles et persécutés représentaient aux idolâtres qui les trainaient aux pieds de leurs autels.

Il est impie d'exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d'injustice, d'insociabilité, même dans le dessein d'y ramener ceux qui s'en seraient malheureusement écartés.

L'esprit ne peut acquiescer qu'à ce qui lui parait vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La violence fera de l'homme un hypocrite, s'il est faible ; un martyr, s'il est courageux. Foible ou courageux, il sentira l'injustice de la persécution et s'en indignera.

L'instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens légitimes d'étendre la religion.

Tout moyen qui excite la haine, l'indignation et le mépris, est impie.

Tout moyen qui réveille les passions et qui tient à des vues intéressées, est impie.

Tout moyen qui relache les liens naturels et éloigne les pères des enfants, les frères des frères, les sœurs des sœurs, est impie.

Tout moyen qui tendrait à soulever les hommes, à armer les nations et tremper la terre de sang, est impie.

Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, règle universelle des actions. Il faut l'éclairer et non la contraindre.

Les hommes qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.

Il ne faut tourmenter ni les hommes de bonne foi, ni les hommes de mauvaise foi, mais en abandonner le jugement à Dieu.

Si l'on rompt le lien avec celui qu'on appelle impie, on rompra le lien avec celui qu'on appellera avare, impudique, ambitieux, colere, vicieux. On conseillera cette rupture aux autres, et trois ou quatre intolérants suffiront pour déchirer toute la société.

Si l'on peut arracher un cheveu à celui qui pense autrement que nous, on pourra disposer de sa tête, parce qu'il n'y a point de limites à l'injustice. Ce sera ou l'intérêt, ou le fanatisme, ou le moment, ou la circonstance qui décidera du plus ou du moins de mal qu'on se permettra.

Si un prince infidèle demandait aux missionnaires d'une religion intolérante comment elle en use avec ceux qui n'y craient point, il faudrait ou qu'ils avouassent une chose odieuse, ou qu'ils mentissent, ou qu'ils gardassent un honteux silence.

Qu'est-ce que le Christ a recommandé à ses disciples en les envoyant chez les nations ? est-ce de tuer ou de mourir ? est-ce de persécuter ou de souffrir ?

Saint Paul écrivait aux Thessaloniciens : si quelqu'un vient vous annoncer un autre Christ, vous proposer un autre esprit, vous prêcher un autre évangile, vous le souffrirez. Intolérants, est-ce ainsi que vous en usez même avec celui qui n'annonce rien, ne propose rien, ne prêche rien ?

Il écrivait encore : Ne traitez point en ennemi celui qui n'a pas les mêmes sentiments que vous, mais avertissez-le en frère. Intolérants, est-ce là ce que vous faites ?

Si vos opinions vous autorisent à me haïr, pourquoi mes opinions ne m'autoriseront-elles pas à vous haïr aussi ?

Si vous criez, c'est moi qui ai la vérité de mon côté, je crierai aussi haut que vous, c'est moi qui ai la vérité de mon côté ; mais j'ajouterai : et qu'importe qui se trompe ou de vous ou de moi, pourvu que la paix soit entre nous ? Si je suis aveugle, faut-il que vous frappiez un aveugle au visage ?

Si un intolérant s'expliquait nettement sur ce qu'il est, quel est le coin de la terre qui ne lui fût fermé ? et quel est l'homme sensé qui osât aborder le pays qu'habite l'intolérant ?

On lit dans Origène, dans Minutius-Felix, dans les pères des trois premiers siècles : la religion se persuade et ne se commande pas. L'homme doit être libre dans le choix de son culte ; le persécuteur fait haïr son Dieu ; le persécuteur calomnie sa religion. Dites-moi si c'est l'ignorance ou l'imposture qui a fait ces maximes ?

Dans un état intolérant, le prince ne serait qu'un bourreau aux gages du prêtre. Le prince est le père commun de ses sujets ; et son apostolat est de les rendre tous heureux.

S'il suffisait de publier une loi pour être en droit de sévir, il n'y aurait point de tyran.

Il y a des circonstances où l'on est aussi fortement persuadé de l'erreur que de la vérité. Cela ne peut être contesté que par celui qui n'a jamais été sincèrement dans l'erreur.

Si votre vérité me proscrit, mon erreur que je prends pour la vérité, vous proscrira.

Cessez d'être violents, ou cessez de reprocher la violence aux Payens et aux Musulmants.

Lorsque vous haïssez votre frère, et que vous prêchez la haine à votre prochain, est-ce l'esprit de Dieu qui vous inspire ?

Le Christ a dit : mon royaume n'est pas de ce monde ; et vous, son disciple, vous voulez tyranniser ce monde !

Il a dit, je suis doux et humble de cœur ; êtes vous doux et humble de cœur ?

Il a dit : bienheureux les débonnaires, les pacifiques, et les miséricordieux. Sondez votre conscience, et voyez si vous méritez cette bénédiction ; êtes vous débonnaire, pacifique, miséricordieux ?

Il a dit, je suis l'agneau qui a été mené à la boucherie sans se plaindre ; et vous êtes tout prêt à prendre le couteau du boucher, et à égorger celui pour qui le sang de l'agneau a été versé.

Il a dit, si l'on vous persécute, fuyez ; et vous chassez ceux qui vous laissent dire, et qui ne demandent pas mieux que de paitre doucement à côté de vous.

Il a dit : vous voudriez que je fisse tomber le feu du ciel sur vos ennemis : vous ne savez quel esprit vous anime ; et je vous le répète avec lui, intolérants, vous ne savez quel esprit vous anime.

Ecoutez S. Jean : mes petits enfants, aimez vous les uns les autres.

Saint Athanase ; s'ils persécutent, cela seul est une preuve manifeste qu'ils n'ont ni piété ni crainte de Dieu. C'est le propre de la piété, non de contraindre, mais de persuader, à l'imitation du Sauveur, qui laissait à chacun la liberté de le suivre. Pour le diable, comme il n'a pas la vérité, il vient avec des haches et des coignées.

Saint Jean Chrisostome : Jesus-Christ demande à ses disciples s'ils veulent s'en aller aussi ; parce que ce doivent être les paroles de celui qui ne fait point de violence.

Salvien : Ces hommes sont dans l'erreur, mais ils y sont sans le savoir. Ils se trompent parmi nous, mais ils ne se trompent pas parmi eux. Ils s'estiment si bons catholiques qu'ils nous appellent hérétiques. Ce qu'ils sont à notre égard, nous le sommes au leur ; ils errent, mais à bonne intention. Quel sera leur sort à venir ? il n'y a que le grand juge qui le sache. En attendant, il les tolere.

S. Augustin : Que ceux là vous maltraitent, qui ignorent avec quelle peine on trouve la vérité, et combien il est difficîle de se garantir de l'erreur. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne savent pas combien il est rare et pénible de surmonter les phantomes de la chair. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne savent pas combien il faut gémir et soupirer pour comprendre quelque chose de Dieu. Que ceux-là vous maltraitent, qui ne sont point tombés dans l'erreur.

S. Hilaire. Vous vous servez de la contrainte dans une cause où il ne faut que la raison ; vous employez la force où il ne faut que la lumière.

Les constitutions du pape S. Clément. Le Sauveur a laissé aux hommes l'usage de leur libre arbitre, ne les punissant pas d'une mort temporelle, mais les assignant en l'autre monde, pour y rendre compte de leurs actions.

Les pères d'un concîle de Tolede. Ne faites à personne aucune sorte de violence, pour l'amener à la foi ; car Dieu fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il lui plait.

On remplirait des volumes de ces citations trop oubliées des chrétiens de nos jours.

S. Martin se repentit toute sa vie d'avoir communiqué avec des persécuteurs d'hérétiques.

Les hommes sages ont tous désapprouvé la violence que l'empereur Justinien fit aux Samaritains.

Les écrivains qui ont conseillé les lois pénales contre l'incrédulité, ont été détestés.

Dans ces derniers temps l'apologiste de la révocation de l'édit de Nantes, a passé pour un homme de sang, avec lequel il ne fallait pas partager le même tait.

Quelle est la voie de l'humanité ? est-ce celle du persécuteur qui frappe, ou celle du persécuté qui se plaint ?

Si un prince incrédule a un droit incontestable à l'obéissance de son sujet, un sujet mécroyant a un droit incontestable à la protection de son prince. C'est une obligation réciproque.

Si le prince dit que le sujet mécroyant est indigne de vivre, n'est-il pas à craindre que le sujet ne dise que le prince infidéle est indigne de régner ? Intolérants, hommes de sang, voyez les suites de vos principes et frémissez-en. Hommes que j'aime, quels que soient vos sentiments, c'est pour vous que j'ai recueilli ces pensées que je vous conjure de méditer. Méditez-les, et vous abdiquerez un système atroce qui ne convient ni à la droiture de l'esprit ni à la bonté du cœur.

Opérez votre salut. Priez pour le mien, et croyez que tout ce que vous vous permettrez au-delà est d'une injustice abominable aux yeux de Dieu et des hommes.