(Morale) que nous prenons ici adjectivement, et qu'il ne faut pas toujours confondre avec homme de la cour ; c'est l'épithète que l'on donne à cette espèce de gens que le malheur des rois et des peuples a placés entre les rois et la vérité, pour l'empêcher de parvenir jusqu'à eux, même lorsqu'ils sont expressément chargés de la leur faire connaître : le tyran imbécile écoute et aime ces sortes de gens ; le tyran habîle s'en sert et les méprise ; le roi qui sait l'être, les chasse et les punit, et la vérité se montre alors ; car elle n'est jamais cachée que pour ceux qui ne la cherchent pas sincèrement. J'ai dit qu'il ne fallait pas toujours confondre courtisan avec homme de la cour, surtout lorsque courtisan est adjectif ; car je ne prétens point, dans cet article, faire la satyre de ceux que le devoir ou la nécessité appellent auprès de la personne du prince : il serait donc à souhaiter qu'on distinguât toujours ces deux mots ; cependant l'usage est peut-être excusable de les confondre quelquefois, parce que souvent la nature les confond ; mais quelques exemples prouvent qu'on peut à la rigueur être homme de la cour sans être courtisan ; témoin M. de Montausier, qui désirait si fort de ressembler au misantrope de Moliere, et qui en effet lui ressemblait assez. Au reste, il est encore plus aisé d'être misantrope à la cour, quand on n'y est pas courtisan, que d'y être simplement spectateur et philosophe ; la misantropie est même quelquefois un moyen d'y réussir, mais la philosophie y est presque toujours déplacée et mal à son aise. Aristote finit par être mécontent d'Alexandre. Platon, à la cour de Denis, se reprochait d'avoir été essuyer dans sa vieillesse les caprices d'un jeune tyran, et Diogène reprochait à Aristippe de porter l'habit de courtisan sous le manteau de philosophe. En vain ce même Aristippe, qui se prosternait aux pieds de Denis, parce qu'il avait, disait-il, les oreilles aux pieds, cherchait à s'excuser d'habiter la cour, en disant que les philosophes doivent y aller plus qu'ailleurs, comme les médecins vont principalement chez les malades : on aurait pu lui répondre, que quand les maladies sont incurables et contagieuses, le médecin qui entreprend de les guérir ne fait que s'exposer à les gagner lui-même. Néanmoins (car nous ne voulons rien outrer) il faut peut-être qu'il y ait à la cour des philosophes, comme il faut qu'il y ait dans la république des lettres des professeurs en Arabe, pour y enseigner une langue que presque personne n'étudie, et qu'ils sont eux-mêmes en danger d'oublier, s'ils ne se la rappellent sans-cesse par un fréquent exercice. (O)