IMMORTEL, (Grammaire et Métaphysique) qui ne mourra point, qui n'est point sujet à la dissolution et à la mort. Dieu est immortel ; l'âme de l'homme est immortelle, non parce qu'elle est spirituelle, mais parce que Dieu qui est juste, et qui a voulu que les bons et les méchants éprouvassent dans l'autre monde un sort digne de leurs œuvres dans celui-ci, a décidé et a dû décider qu'elle resterait après la séparation d'avec le corps. Dieu a tiré l'âme du néant ; si elle n'y retombe pas, c'est qu'il lui plait de la conserver. Matérielle ou spirituelle, elle subsisterait également, s'il lui plaisait de la conserver. Le sentiment de la spiritualité et de l'immortalité, sont indépendants l'un de l'autre ; l'âme pourrait être spirituelle et mortelle, matérielle et immortelle. Socrate qui n'avait aucune idée de la spiritualité de l'âme, croyait à son immortalité. C'est par Dieu et non pas par elle-même que l'âme est ; c'est par Dieu, et ce ne peut être que par Dieu, qu'elle continuera d'être. Les Philosophes démontrent que l'âme est spirituelle, et la foi nous apprend qu'elle est immortelle, et elle nous en apprend aussi la raison.

L'immortalité se prend encore pour cette espèce de vie, que nous acquérons dans la mémoire des hommes ; ce sentiment qui nous porte quelquefois aux plus grandes actions, est la marque la plus forte du prix que nous attachons à l'estime de nos semblables. Nous entendons en nous-mêmes l'éloge qu'ils feront un jour de nous, et nous nous immolons. Nous sacrifions notre vie, nous cessons d'exister réellement, pour vivre en leur souvenir. Si l'immortalité considérée sous cet aspect est une chimère ; c'est la chimère des grandes ames. Ces âmes qui prisent tant l'immortalité, doivent priser en même proportion les talents, sans lesquels elles se la promettraient envain ; la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, l'Histoire et la Poésie. Il y eut des rois avant Agamemnon, mais ils sont tombés dans la mer de l'oubli, parce qu'ils n'ont point eu un poète sacré qui les ait immortalisés : la tradition altère la vérité des faits, et les rend fabuleux. Les noms passent avec les empires, sans la voix du poète et de l'historien qui traverse l'intervalle des temps et des lieux, et qui les apprend à tous les siècles et à tous les peuples. Les grands hommes ne sont immortalisés que par l'homme de lettres qui pourrait s'immortaliser sans eux. Au défaut d'actions célèbres, il chanterait les transactions de la nature et le repos des dieux, et il serait entendu dans l'avenir. Celui donc qui méprisera l'homme de lettres, méprisera aussi le jugement de la postérité, et s'élevera rarement à quelque chose qui mérite de lui être transmis.

Mais, y a-t-il en effet des hommes en qui le sentiment de l'immortalité soit totalement éteint, et qui ne tiennent aucun compte de ce qu'on pourra dire d'eux quand ils ne seront plus ? je n'en crois rien. Nous sommes fortement attachés à la considération des hommes avec lesquels nous vivons ; malgré nous, notre vanité excite du néant ceux qui ne sont pas encore, et nous entendons plus ou moins fortement le jugement qu'ils porteront de nous, et nous le redoutons plus ou moins.

Si un homme me disait, je suppose qu'il y ait dans un vieux coffre relégué au fond de mon grenier, un papier capable de me traduire chez la postérité comme un scélérat et comme un infâme ; je suppose encore que j'aye la démonstration absolue que ce coffre ne sera point ouvert de mon vivant ; eh bien, je ne me donnerai pas la peine de monter au haut de ma maison, d'ouvrir le coffre, d'en tirer le papier, et de le bruler.

Je lui répondrais, vous êtes un menteur.

Je suis bien étonné que ceux qui ont enseigné aux hommes l'immortalité de l'âme, ne leur aient pas persuadé en même temps qu'ils entendront sous la tombe les jugements divers qu'on portera d'eux, lorsqu'ils ne seront plus.