S. f. est la science du Droit, tant public que privé, c'est-à-dire, la connaissance de tout ce qui est juste ou injuste.

On entend aussi par le terme de Jurisprudence les principes que l'on suit en matière de Droit dans chaque pays ou dans chaque tribunal ; l'habitude où l'on est de juger de telle ou telle manière une question, et une suite de jugements uniformes sur une même question qui forment un usage.

La Jurisprudence a donc proprement deux objets, l'un qui a la connaissance du Droit, l'autre qui consiste à en faire l'application.

Justinien la définit, divinarum atque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia ; il nous enseigne par-là que la science parfaite du Droit ne consiste pas seulement dans la connaissance des lais, coutumes et usages, qu'elle demande aussi une connaissance générale de toutes les choses, tant sacrées que profanes, auxquelles les règles de la justice et de l'équité peuvent s'appliquer.

Ainsi la Jurisprudence embrasse nécessairement la connaissance de tout ce qui appartient à la Religion, parce qu'un des premiers devoirs de la justice est de lui servir d'appui, d'en favoriser l'exercice et d'écarter les erreurs qui pourraient la troubler, de s'opposer à tout ce qui pourrait tourner au mépris de la religion et de ses ministres.

Elle exige pareillement la connaissance de la Géographie, de la Chronologie et de l'Histoire ; car on ne peut bien entendre le droit des gens et la politique, sans distinguer les pays et les temps, sans connaître les mœurs de chaque nation et les révolutions qui y sont arrivées dans leur gouvernement ; et l'on ne peut bien connaître l'esprit d'une loi sans savoir ce qui y a donné lieu, et les changements qui y ont été faits.

La connaissance de toutes les autres Sciences et de tous les Arts et Métiers, du Commerce et de la Navigation, entre pareillement dans la Jurisprudence, n'y ayant aucune profession qui ne soit assujettie à une certaine police qui dépend des règles de la justice et de l'équité.

Tout ce qui regarde l'état des personnes, les biens, les contrats, les obligations, les actions et les jugements, est aussi du ressort de la Jurisprudence.

Les règles qui forment le fond de la Jurisprudence, se puisent dans trois sources différentes, le droit naturel, le droit des gens et le droit civil.

La Jurisprudence tirée du droit naturel, qui est la plus ancienne, est fixe et invariable ; elle est uniforme chez toutes les nations.

Le droit des gens forme aussi une Jurisprudence commune à tous les peuples, mais elle n'a pas toujours été la même, et est sujette à quelques changements.

La partie la plus étendue de la Jurisprudence, est sans contredit le droit civil ; en effet elle embrasse le droit particulier de chaque peuple, tant public que privé, les lois générales de chaque nation, telles que les ordonnances, édits et déclarations, et les lois particulières, comme sont quelques édits et déclarations, les coutumes des provinces, et autres coutumes locales, les privilèges et statuts particuliers, les règlements faits dans chaque tribunal, et les usages non écrits, enfin tout ce que les commentateurs ont écrit pour interprêter les lois et les coutumes.

Encore si les lois de chaque pays étaient fixes et immuables, la Jurisprudence ne serait pas si immense qu'elle est ; mais il n'y a presque point de nation, point de province dont les lois et les coutumes n'aient éprouvé plusieurs variations ; et ce qui est encore plus pénible à supporter, c'est l'incertitude de la Jurisprudence sur la plupart des questions, soit par la contradiction apparente ou effective des lais, soit par la diversité d'opinions des auteurs, ou par la diversité qui se trouve entre les jugements des différents tribunaux, et souvent entre les jugements d'un même tribunal.

L'ingénieux auteur de l'Esprit des Lais, dit à ce propos qu'à mesure que les jugements se multiplient dans les monarchies, la Jurisprudence se charge de divisions, qui quelquefois se contredisent, ou parce que les juges qui se succedent pensent différemment, ou parce que les mêmes affaires sont tantôt bien, tantôt mal défendues, ou enfin par une infinité d'abus qui se glissent dans tout ce qui passe par la main des hommes. C'est, ajoute-t-il, un mal nécessaire que le législateur corrige de temps en temps comme contraire même à l'esprit des gouvernements modérés.

On conçoit par-là combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'acquérir une connaissance parfaite de la Jurisprudence ; c'est pourquoi je croirais que dans la définition qu'on en donne, on devrait ajouter in quantum homini possibîle est, comme Cassiodore le disait de la Philosophie, laquelle n'étant autre chose qu'une étude de la sagesse, et supposant aussi une profonde connaissance de toutes les choses divines et humaines, conséquemment a beaucoup de rapport avec la Jurisprudence.

Les difficultés que nous venons de faire envisager, ne doivent cependant pas rebuter ceux qui se consacrent à l'étude de la Jurisprudence. L'esprit humain a ses bornes : un seul homme ne peut donc embrasser toutes les parties d'une science aussi vaste ; il vaut mieux en bien approfondir une partie, que de les effleurer toutes. Il n'y en a guère qui ne soit seule capable d'occuper un jurisconsulte.

L'un fait une étude du droit naturel et du droit public des gens.

D'autres s'appliquent au droit particulier de leur pays, et ceux-ci trouvent encore abondamment de quoi se partager ; l'un s'attache aux lois générales et au droit commun, telles que les lois romaines ; un autre fait son étude du droit coutumier ; quelques-uns même s'attachent seulement à la coutume de leur province, d'autres à certaines matières, telles que les matières canoniques ou les matières criminelles, les matières féodales, et autres semblables.

Ces divers objets qu'embrasse la Jurisprudence, ont aussi donné lieu d'établir des tribunaux particuliers pour connaître chacun de certaines matières, afin que les juges dont ces tribunaux sont composés, étant toujours occupés des mêmes objets, soient plus versés dans les principes qui y ont rapport.

Quoique le dernier état de la Jurisprudence soit ordinairement ce qui sert de régle, il est bon néanmoins de connaître l'ancienne Jurisprudence et les changements qu'elle a éprouvés ; car pour bien pénétrer l'esprit d'un usage, il faut en connaître l'origine et les progrès ; il arrive même quelquefois que l'on revient à l'ancienne Jurisprudence, à cause des inconvénients que l'on a reconnus dans la nouvelle.

L'étude de la Jurisprudence a toujours été en honneur chez toutes les nations policées, comme étant une science étroitement liée avec le gouvernement politique.

Chez les Romains ; ceux qui se consacraient à la Jurisprudence étaient gratifiés de pensions considérables. Ils furent même honorés par les empereurs du titre de comtes de l'empire. Les souverains pontifes, les consuls, les dictateurs, les généraux d'armées, les empereurs mêmes se firent honneur de cultiver cette science, comme on le peut voir dans l'histoire de la Jurisprudence romaine que nous a donnée M. Terrasson ; ouvrage rempli d'érudition, et également curieux et utile.

La Jurisprudence n'est pas moins en recommandation parmi nous, puisque nos rois ont honoré de la pourpre tous ceux qui se sont consacrés à la Jurisprudence, tels que les magistrats et les avocats, et ceux qui professent publiquement cette science dans les universités ; et avant la vénalité des charges, les premières places de la magistrature étaient la récompense des plus savants jurisconsultes. Voyez DROIT, JURISCONSULTE, JUSTICE, LOI. (A)

JURISPRUDENCE des arrêts est un usage formé par une suite d'arrêts uniformes intervenus sur une même question. Dans les matières sur lesquelles il n'y a point de loi précise, on a recours à la Jurisprudence des arrêts : et il n'y aurait point de meilleur guide si l'on était toujours bien instruit des véritables circonstances dans lesquelles les arrêts sont intervenus, et des motifs qui ont déterminé les juges : mais les arrêts sont le plus souvent rapportés peu exactement par les arrêtistes, et mal appliqués par ceux qui les citent. On ne doit donc pas toujours accuser de variation la Jurisprudence. (A)

JURISPRUDENCE BENEFICIALE est l'usage que l'on suit dans la décision des questions qui se présentent au sujet des bénéfices ecclésiastiques. (A)

JURISPRUDENCE CANONIQUE ; on entend par ce terme les règles contenues dans les canons et autres lois ecclésiastiques. Voyez CANONS, DROIT CANONIQUE. (A)

JURISPRUDENCE CIVILE ; c'est la manière dont on juge les affaires civiles et les principes que l'on suit pour leur décision. (A)

JURISPRUDENCE CONSULAIRE ; c'est le style et l'usage des juridictions consulaires pour les affaires de commerce. (A)

JURISPRUDENCE CRIMINELLE ; c'est le style et la règle que l'on suit pour l'instruction et le jugement des affaires criminelles. (A)

JURISPRUDENCE FEODALE, c'est l'usage que l'on suit dans la décision des questions concernant les fiefs. (A)

JURISPRUDENCE MILITAIRE, c'est l'assemblage des lois et des règles que l'on suit pour la discipline des gens de guerre. Voyez CODE MILITAIRE. (A)

JURISPRUDENCE MOYENNE, jurisprudentia media, est celle qui tient le milieu entre l'ancien usage et le dernier état de la jurisprudence. Justinien dans le §. 3 aux institutes de legitimâ agnatorum successione, appelle de ce nom les réponses des Jurisconsultes qui formaient une partie de la jurisprudence romaine, et il en donne la raison au même endroit ; savoir que cette jurisprudence des Jurisconsultes était lege duodecim tabularum junior, imperiali autem dispositione anterior. (A)