S. m. (Jurisprudence) signifie l'abandonnement de quelque chose, comme le délaissement d'un héritage, et même le délaissement d'une personne. On dit dans certaines provinces, qu'une femme est délaissée d'un tel son mari : ce qui ne signifie pas que son mari l'ait quittée, mais qu'elle est veuve.

On distingue cinq sortes de délaissements de biens ; savoir la cession des biens, qui est un délaissement universel que le débiteur fait à ses créanciers ; la renonciation à une succession, ou à une communauté de biens ; le desistement d'un héritage ; le déguerpissement ; et le délaissement par hypothèque. Plusieurs de ces différentes sortes de délaissements sont déjà expliquées ci-devant : les autres le seront en leur lieu. Il ne s'agit plus ici que d'expliquer le dernier de ces délaissements. (A)

DELAISSEMENT PAR HYPOTHEQUE, est l'abandonnement d'un immeuble, fait par celui qui en est propriétaire, à un créancier auquel cet héritage est hypothéqué, pour se libérer des poursuites de ce créancier.

Cette espèce d'abandonnement diffère du désistement, lequel se fait d'un héritage qui appartient à autrui. Il diffère aussi en plusieurs manières du déguerpissement : 1°. en ce que celui-ci n'a lieu que pour les charges et rentes foncières : au lieu que le délaissement ne se fait que pour de simples hypothèques et rentes constituées : 2°. le déguerpissement se fait au profit du bailleur de l'héritage ; le délaissement à un simple créancier hypothécaire : 3°. le déguerpissement se fait pour éviter l'action personnelle écrite in rem ; le délaissement pour exécuter et accomplir la condamnation de l'action hypothécaire : 4°. celui qui déguerpit quitte non-seulement la possession, mais aussi la propriété de l'héritage ; au lieu que celui qui délaisse, quitte seulement la possession, et demeure propriétaire jusqu'à ce que l'héritage soit vendu par decret ; enfin celui au profit de qui le déguerpissement est fait, peut accepter et garder l'héritage ; au lieu que celui à qui on fait un délaissement par hypothèque, ne peut prendre l'héritage pour lui sans formalité de justice ; s'il veut être payé, il faut qu'il fasse vendre l'héritage par decret, et alors il peut s'en rendre adjudicataire comme ferait un étranger.

Ce délaissement avait lieu chez les Romains. En effet il parait que c'était-là l'objet de l'action hypothécaire, en laquelle on concluait ut possessor rem pignoris jure dimittat ; mais il se pratiquait autrement qu'on ne fait parmi nous. Comme il n'y avait point alors de rentes constituées à prix d'argent, les détenteurs d'héritages hypothéqués étant poursuivis pour quelque dette hypothécaire à une fois payer, n'offraient pas d'eux-mêmes de délaisser l'héritage comme ils font aujourd'hui, pour se libérer des arrérages de la rente, et pour éviter d'en passer titre nouvel ; l'effet de l'action hypothécaire était seulement qu'ils étaient condamnés à délaisser l'héritage, non pas pour être régi par un curateur, comme on fait parmi nous, mais pour en céder la possession au créancier hypothécaire, qui en jouissait par ses mains jusqu'à ce que la dette eut été entièrement acquittée.

Le détenteur d'un héritage qui est poursuivi hypothécairement, n'a pas besoin de déguerpir l'héritage, parce que ce serait l'abandonner entièrement et sans retour ; il lui suffit d'en faire le délaissement pour être vendu sur un curateur, attendu que s'il reste quelque chose du prix de la vente après les dettes payées, c'est le détenteur qui en profite.

Si l'action hypothécaire n'est intentée que pour une somme à une fois payer, il n'est pas de l'intérêt du détenteur d'aller au-devant du créancier, et de lui faire le délaissement ; il peut attendre que le créancier fasse saisir l'héritage.

Mais lorsqu'il s'agit d'une rente, et qu'il ne veut ni en payer les arrérages, ni passer titre nouvel, en ce cas il est plus à-propos qu'il fasse le délaissement de l'héritage.

L'effet de ce délaissement est de libérer le détenteur des poursuites du créancier hypothécaire, à moins que ce détenteur ne fût obligé personnellement, ou héritier de l'obligé, ou qu'il ne fût encore bien-tenant, c'est-à-dire détenteur de quelque autre héritage hypothéqué à la dette ou rente constituée ; car comme l'hypothèque est tota in toto et tota in qualibet parte, il suffit que le détenteur possède encore la moindre portion des héritages hypothéqués au créancier, pour que le délaissement qu'il fait du surplus ne puisse le libérer.

Il est indifférent pour le délaissement qui se fait par rapport à des rentes constituées, que ces rentes aient été créées avec assignat ou non, attendu que l'assignat ne rendant point ces rentes foncières, c'est toujours le délaissement, et non le déguerpissement que le débiteur doit employer pour se libérer.

Celui qui fait le délaissement ne quitte, comme on l'a déjà dit, que la possession de l'héritage et en demeure toujours propriétaire jusqu'à la vente par decret ; tellement que jusqu'à l'adjudication, il peut reprendre son héritage en payant les sommes exigibles, et s'il s'agit de rentes, en payant les arrérages et passant titre nouvel ; et si après la vente par decret, le prix qui en est provenu n'était pas entièrement absorbé, le restant du prix appartiendrait à celui qui a fait le délaissement, et lui serait précompté sur le prix de son acquisition ; et sur les dommages et intérêts qu'il pourrait avoir à répéter contre ses garants.

On ne peut plus poursuivre la vente de l'héritage sur celui qui en fait le délaissement ; il faut y faire créer un curateur, sur lequel le créancier fait saisir réellement l'héritage, et en poursuit la vente.

Les hypothèques, servitudes, et charges foncières imposées sur l'héritage par le détenteur, demeurent en leur force jusqu'à la vente ; de sorte que ses créanciers personnels peuvent y former opposition, et doivent être colloqués dans l'ordre qui se fait du prix de l'adjudication : ce qui diminue d'autant le recours qu'il peut avoir contre ses garants.

Le détenteur de l'héritage peut lui-même former opposition au decret de l'héritage, qu'il a délaissé pour les hypothèques, servitudes, et charges foncières, qu'il avait à prendre sur cet héritage avant de l'avoir acquis, la confusion de ces droits cessant par le moyen du délaissement par hypothèque.

Ce délaissement opérant une véritable éviction, le détenteur a son recours contre son vendeur, tant pour la restitution du prix, que pour ses dommages et intérêts ; il a même en ce cas deux avantages : l'un est que s'il avait acheté l'héritage trop cher, ou que depuis son acquisition il eut diminué de prix, il ne laisse pas de répéter contre son vendeur le prix entier qu'il lui a payé, quand même l'héritage délaissé serait moins vendu par décret : l'autre avantage est que, si au contraire l'héritage délaissé est vendu par decret, à plus haut prix que le détenteur ou ses auteurs ne l'avaient acheté, celui qui a fait le délaissement est en droit de répéter contre ses garants le prix entier de l'adjudication, parce que s'il n'eut point été évincé, il aurait pu faire une vente volontaire de l'héritage, dont le prix aurait été au moins égal à celui de l'adjudication.

Mais pour que le détenteur ait ce recours contre son vendeur, il faut qu'avant de faire le délaissement par hypothèque, il ait dénoncé à son vendeur les poursuites faites contre lui pour les dettes et hypothèques de ce vendeur, et que celui-ci ne lui ait pas procuré sa décharge ; car si le détenteur avait attendu trop tard à dénoncer les poursuites à son vendeur, il aurait bien toujours son recours pour la portion du prix qui aurait servi à acquitter les dettes du vendeur, mais du reste il n'aurait point de dommages et intérêts à prétendre.

Il en serait de même si le délaissement par hypothèque n'avait été fait qu'après que l'héritage était saisi réellement pour les dettes personnelles du détenteur, quand même les créanciers du vendeur auraient par l'évenement touché seuls tout le prix de l'adjudication, il n'y aurait en ce cas de recours contre lui que pour ce qui aurait été payé en son acquit sur le prix de l'héritage délaissé.

Le délaissement par hypothèque n'opère point seul de mutation de propriétaire, et ne produit point de droits seigneuriaux : ce n'est que la vente par decret qui est faite après le délaissement.

L'acquéreur qui a fait des impenses et améliorations en l'héritage, ne peut pas pour cela se dispenser de le délaisser, s'il ne veut pas reconnaître et payer les dettes ; mais il peut s'opposer afin de conserver au decret de l'héritage, afin de répéter la valeur de ces impenses. Voyez le tr. du déguerpissement de Loyseau, liv. IV. ch. IIIe et liv. VI. ch. VIIe (A)

DELAISSEMENT, DELAISSER, ABANDONNER, termes usités en fait de Commerce maritime par rapport aux assurances, et dont on n'a point parlé à cet article. Le délaissement est un acte par lequel un marchand qui a fait assurer des marchandises sur quelque vaisseau dénonce la perte de ce vaisseau à l'assureur, et lui abandonne les effets pour lesquels l'assurance a été faite, avec sommation de lui payer la somme assurée.

Ce qui regarde le délaissement et les formalités à observer dans ce cas, se trouve réglé par l'ordonnance de la Marine de 1681, au titre VI. du troisième livre.

Lorsque l'assuré a eu avis de la perte du vaisseau ou des marchandises qu'il avait assurées, soit par l'arrêt du prince ou autres accidents, il sera tenu de le faire signifier à ses assureurs, avec protestation de faire son délaissement en temps et lieu. Il peut cependant au lieu de protestation faire son délaissement tout de suite, avec sommation aux assureurs de lui payer les sommes assurées dans les temps portés par la police d'assurance.

Si le temps du payement n'est point porté dans la police, l'assureur sera tenu de payer l'assurance trois mois après la signification du délaissement.

En cas de naufrage ou échouement, l'assuré pourra travailler au recouvrement des effets naufragés, sans préjudice du délaissement qu'il pourra faire en temps et lieu, et du remboursement de ses frais, dont il sera cru sur son affirmation jusqu'à concurrence de la valeur des effets recouvrés.

Le délaissement ne pourra être fait qu'en cas de prise, naufrage, bris, échouement, arrêt du prince, ou perte entière des effets assurés.

Les délaissements et les demandes en exécution de la police seront faites aux assureurs dans six semaines après la nouvelle des pertes arrivées aux côtes de la même province où l'assurance aura été faite, et pour celles qui arriveront en une autre province du royaume dans trois mois ; pour les côtes d'Angleterre, Flandres, Hollande, dans quatre mois ; pour les autres parties de l'Europe et de la Barbarie, dans un an ; pour les côtes de l'Amérique, d'Asie, et d'Afrique, dans deux ans ; et le temps passé, les assurés ne seront plus recevables en leur demande.

En cas d'arrêt de prince, le délaissement ne pourra être fait qu'après six mois si les effets arrêtés sont en Europe ou en Barbarie, et après une année si c'est en pays plus éloigné. Si les marchandises arrêtées sont périssables ; le délaissement en pourra être fait après six semaines si elles sont arrêtées en Europe, et trois mois pour les plus éloignés.

Si le vaisseau était arrêté en vertu des ordres du roi, dans un des ports du royaume, avant le voyage commencé, on ne pourra faire de délaissement.

Un navire assuré dont on ne reçoit aucune nouvelle un an après son départ pour les voyages ordinaires, et deux ans pour les voyages de long cours, peut être regardé par le propriétaire comme perdu, et en conséquence il peut en faire le délaissement à ses assureurs et leur demander payement, sans qu'il soit besoin d'aucune attestation de la perte ; et après le délaissement signifié, les effets assurés appartiendront à l'assureur, qui ne pourra sous prétexte du retour du vaisseau se dispenser de payer les sommes assurées. Comme le délaissement est un article important, on a cru devoir le développer dans tout son entier. (Z)